L’Encyclopédie/1re édition/PYRÉNÉES (traité des)

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Pyrénées, traité des, (Hist. moderne de France.) fameux traité de paix conclu le 7 Novembre 1659 entre le roi de France & le roi d’Espagne, par le cardinal Mazarin & par dom Louis de Haro, plénipotentiaires de ces deux puissances, dans l’île des Faisans, sur la riviere de Biddassoa.

Ce traité contenoit cent vingt-quatre articles. Les principaux étoient le mariage du roi avec l’infante Marie-Thérese, qui devoit avoir une dot de cinq cens mille écus, sous la condition de la renonciation à la succession d’Espagne. Le cardinal Mazarin promettoit de ne point donner de secours au roi de Portugal. On convint aussi du rétablissement de M. le Prince, & du duc de Lorraine. Il y eut plusieurs places rendues de part & d’autre. Le roi d’Espagne renonça à ses prétentions sur l’Alsace, & céda une partie de l’Artois ; mais le principal avantage que Mazarin retira de ce traité, étoit le mariage du roi avec l’infante, pour procurer à son maître par ce moyen des droits à la succession de la couronne d’Espagne.

M. de Voltaire a fait sur le traité des Pyrénées des réflexions trop judicieuses pour les passer sous silence ; les voici.

Quoique le mariage d’un roi de France & la paix générale fussent l’objet des conférences des deux plénipotentiaires, cependant dans les quatre mois qu’elles durerent, ils en employerent une partie à arranger les difficultés sur la préséance, & dom Louis de Haro trouva le moyen de mettre une égalité parfaite à cet égard entre l’Espagne & la France.

Telle est la vicissitude des choses humaines, que de ce fameux traité des Pyrénées il n’y a pas deux articles qui subsistent aujourd’hui. Le roi de France garda le Roussillon, qu’il eut toujours conservé sans cette paix ; mais à l’égard de la Flandre, la monarchie espagnole n’y a plus rien. Nous étions alors les amis nécessaires du Portugal. Nous ne le sommes plus ; nous lui faisons la guerre, tout est changé. Mais si dom Louis de Haro avoit dit que le cardinal Mazarin savoit tromper, on a dit depuis qu’il savoit prévoir. Il méditoit dès-long-tems l’alliance de la France & de l’Espagne.

On cite cette fameuse lettre de lui, écrite pendant les négociations de Munster : « Si le roi très-chrétien pouvoit avoir les Pays-Bas & la Franche-Comté en dot, en épousant l’infante, alors nous pourrions aspirer à la succession d’Espagne, quelque renonciation qu’on fît faire à l’infante ; & ce ne seroit pas une attente fort éloignée, puisqu’il n’y a que la vie du prince son frere qui l’en peut exclure ». Ce prince étoit alors Balthazar, qui mourut en 1649.

Le cardinal se trompoit évidemment en pensant qu’on pourroit donner les Pays-Bas & la Franche-Comté en mariage à l’infante. On ne stipula pas une seule ville pour sa dot ; au contraire on rendit à la monarchie espagnole des villes considérables qu’on avoit conquises, comme Saint-Omer, Ypres, Menin, Oudenarde, & d’autres places : on en garda quelques-unes.

Le cardinal ne se trompa pas en croyant que la renonciation seroit un jour inutile ; mais ceux qui lui font honneur de cette prédiction, lui font donc prévoir que le prince dom Balthazar mourroit en 1649 ; qu’ensuite les trois enfans du second mariage seroient enlevés au berceau ; que Charles le cinquieme de tous ces enfans mâles, mourroit sans postérité, & que ce roi autrichien feroit un jour un testament en faveur d’un petit-fils de Louis XIV. Mais enfin le cardinal Mazarin prévit ce que vaudroient des renonciations en cas que la postérité mâle de Philippe IV. s’éteignît, & des événemens étrangers l’ont justifié après plus de cinquante années.

Marie-Thérese pouvant avoir pour dot les villes que la France rendoit, n’apporta par son contrat de mariage, que cinq cens mille écus d’or au soleil ; il en coûta davantage au roi pour l’aller recevoir sur la frontiere. Ces cinq cens mille écus, valant alors deux millions cinq cens mille livres, furent pourtant le sujet de beaucoup de contestations entre les deux ministres. Enfin la France n’en reçut jamais que cent mille francs.

Loin que ce mariage apportât aucun autre avantage présent & réel que celui de l’infante, elle renonça à tous les droits qu’elle pourroit jamais avoir sur aucune des terres de son pere, & Louis XIV. ratifia cette renonciation de la maniere la plus solemnelle, & la fit ensuite enregistrer au parlement.

Le duc de Lorraine, Charles IV. de qui la France & l’Espagne avoient beaucoup à se plaindre, ou plutôt qui avoit beaucoup à se plaindre d’elles, fut, comme on l’a dit, compris dans ce traité, mais en prince malheureux, qu’on punissoit parce qu’il ne pouvoit pas se faire craindre. La France lui rendit ses états, en démolissant Nancy, & en lui défendant d’avoir des troupes. Dom Louis de Haro obligea le cardinal Mazarin à faire recevoir en grace le prince de Condé, en menaçant de lui laisser en souveraineté Rocroi, le Catelet & d’autres places dont il étoit en possession. Ainsi la France gagna à la fois ces villes & le grand Condé. Il perdit sa charge de grand-maître de la maison du roi, & ne revint presque qu’avec sa gloire.

Charles II. roi titulaire d’Angleterre, plus malheureux alors que le duc de Lorraine, vint près des Pyrenées où l’on traitoit cette paix. Il implora le secours de dom Louis & de Mazarin. Il se flattoit que leurs rois ses cousins germains réunis, oseroient venger une cause commune à tous les souverains, puisqu’enfin Cromwel n’étoit plus ; il ne put seulement obtenir une entrevue, ni avec Mazarin, ni avec dom Louis. Lockhart, ambassadeur de Cromwel, étoit à S. Jean-de-Luz ; il se faisoit respecter encore même après la mort du protecteur ; & les deux ministres, dans la crainte de choquer cet anglois, refuserent de voir Charles II. Ils pensoient que son rétablissement étoit impossible, & que toutes les factions angloises, quoique divisées entr’elles, conspiroient également à ne jamais reconnoître de rois. Ils se tromperent : la fortune fit peu de mois après ce que ces deux ministres auroient pû avoir la gloire d’entreprendre. Essai sur l’hist. univ. (D. J.)