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L’Encyclopédie/1re édition/QUADRIGE

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QUADRIGE, s. m. ou f. (Agonistique.) char à quatre chevaux, avec lequel on disputoit le prix aux jeux de la Grece & de Rome. On trouve la forme des quadriges sur les monumens antiques & sur les médailles. On voit sur un médaillon de Marc Aurele, un quadrige avec un Jupiter foudroyant, & aux piés des chevaux une figure d’homme à-demi renversé. M. Vaillant pense que c’est le roi des Quades, dont l’armée fut maltraitée par une grande grèle accompagnée de tonnerres. Dans Lucius Verus il y a au revers quatre chevaux qui tirent un char où sont trois figures. Le cachet de Pline représentoit un quadrige. Entrons dans d’autres particularités.

Le quadrige étoit une espece de char en coquille montée sur deux roues, avec un timon fort court, auquel on atteloit quatre chevaux choisis entre tous ceux qui étoient les plus en réputation de vitesse, rangés de front tous quatre ; à la différence de nos attelages, où quatre & six chevaux rangés bout à bout sur deux lignes, se gênent, s’embarrassent, en un mot se nuisent nécessairement les uns aux autres ; au-lieu que de front ils déploient leurs mouvemens avec beaucoup plus d’ardeur & de liberté. La seule vûe de ces quadriges suffit pour faire sentir qu’il n’y avoit rien de si léger, de si mobile, & que quatre chevaux devoient les emporter avec une rapidité prodigieuse. Aussi les Poëtes, quand ils ont voulu nous donner l’idée d’une impétuosité extrème, ont-ils tiré leur comparaison d’un char à quatre chevaux, qui couroit dans la lice.

Ut cum carceribus sese effudêre quadrigæ,
Addunt se in spatium, & frustra retinacula tendens
Fertur equis auriga, neque audit currus habenas.

Une pierre lancée avec une fronde, un trait d’arbalete n’alloit pas plus vite ; ce sont les similitudes qu’emploie Sidonius Apollinaris Et les Romains qui avoient pris des Grecs cet exercice, tout accoutumés qu’ils étoient à voir ces courses insensées, admiroient encore Ericthonius comme un héros plein d’audace & de courage, parce qu’il avoit osé le premier atteler quatre chevaux à ces sortes de chars.

Primus Ericthonius currus & quatuor ausus
Jungere equos, rapidisque rotis insistere victor.

On comprend en effet, que des courses de cette nature ne pouvoient pas manquer d’être périlleuses. Tantôt un cheval s’abattoit, & le char qui avoit peu de volume, peu de poids, recevoit une sécousse capable de faire trébucher l’écuyer, qui tout droit pour l’ordinaire, avoit à peine le dos appuyé. Tantôt les quatre chevaux poussés à toutes brides, s’emportoient & prenoient le mors-aux-dents, avec le risque ordinaire en ces occasions : fertur equis auriga, neque audit currus habenas. Tantôt enfin un essieu rompoit, & le conducteur venant à tomber, se trouvoit heureux s’il n’étoit pas foulé aux piés de ses chevaux. Homere & les tragiques grecs, nous fournissent des exemples de tous ces accidens. Mais c’étoit bien pis encore à la rencontre d’un autre char que l’on vouloit devancer ; car alors on faisoit tout ce que l’on pouvoit pour l’accrocher, pour le renverser, au hasard de tout ce qui en pouvoit arriver. Silius Italicus nous fait une peinture assez vive de cette espece de choc, dont les suites étoient presque toujours funestes à l’un ou à l’autre.

Donec consisus primoevæ flore juventoe
Durius obliquum conversis pronus habenis
Opposuit currum, atque eversum propulit axem
Athlantis senio invalidi.

Voilà l’un des combattans accroché, qu’en arrive-t-il ? vous l’allez voir.

Perfracto volvitur axe
Cernuus, ac pariter fusi, miserabile, campo
Discordes sternuntur equi.

L’écuyer & les chevaux tombent ensemble. La multitude des chars qui couroient en même tems étoit ce qui faisoit le danger de ces courses. A Rome dans le grand cirque, on donnoit en un jour le spectacle de cent quadriges :

Centum quadrijugos agitabo ad flumina currus.


C’est Virgile qui le dit, & l’on en faisoit partir de la barriere jusqu’à vingt-cinq à la fois : c’est ce que les Latins appelloient missus, emissio, & les Grecs ἄφεσις. Nous ignorons combien de chars à quatre chevaux l’on assembloit à la barriere d’Olympie. J’ai peine à croire que le nombre en fût aussi grand qu’à Rome, sur-tout sous les premiers empereurs.

Mais quand nous supposerions qu’il n’y avoit pas plus de vingt ou trente quadriges aux jeux olympiques, toujours est-il certain que ces chars ayant à courir ensemble dans une lice qui n’étoit pas extrèmement large, & obligés de prendre à-peu-près le même chemin pour aller gagner la borne, devoient naturellement se croiser, se traverser, se heurter, se briser les uns les autres ; & l’émotion que causoit ces événemens, faisoit le plaisir des spectateurs. (D. J.)