L’Encyclopédie/1re édition/RÉPUTATION

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RÉPUTATION, CONSIDÉRATION, (Synonymes.) Voici, selon madame de Lambert, la différence d’idées que donnent ces deux mots.

La considération vient de l’effet que nos qualités personnelles font sur les autres. Si ce sont des qualités grandes & élevées, elles excitent l’admiration : si ce sont des qualités aimables & liantes, elles font naître le sentiment de l’amitié. L’on jouit mieux de la considération que de la réputation ; l’une est plus près de nous, & l’autre s’en éloigne : quoique plus grande, celle-ci se fait moins sentir, & se convertit rarement dans une possession réelle. Nous obtenons la considération de ceux qui nous approchent ; & la réputation, de ceux qui ne nous connoissent pas. Le mérite nous assure l’estime des honnêtes gens ; & notre étoile celle du public. La considération est le revenu du mérite de toute la vie ; & la réputation est souvent donnée à une action faite au hasard : elle est plus dépendante de la fortune. Savoir profiter de l’occasion qu’elle nous présente, une action brillante, une victoire, tout cela est à la merci de la renommée : elle se charge des actions éclatantes, mais en les étendant & les célébrant, elle les éloigne de nous. La considération qui tient aux qualités personnelles est moins étendue ; mais comme elle porte sur ce qui nous entoure, la jouissance en est plus sentie & plus répétée : elle tient plus aux mœurs que la réputation, qui quelquefois n’est dûe qu’à des vices d’usage bien placés & bien préparés ; ou d’autres fois, même à des crimes heureux & illustres. La considération rend moins, parce qu’elle tient à des qualités moins brillantes ; mais aussi la réputation s’use, & a besoin d’être renouvellée. (D. J.)

Réputation, (Morale.) C’est une sorte de problème dans la nature, dans la Philosophie, & dans la religion, que le soin de sa propre réputation & de son honneur.

La nature répand de l’agrément sur les marques d’estime qu’on nous donne ; & cependant elle attache une sorte de flétrissure à paroître les rechercher. Ne croiroit-on pas qu’elle est ici en contradiction avec elle-même ? Pourquoi proscrit-elle par le ridicule, une recherche qu’elle semble autoriser par le plaisir ? La Philosophie qui tend à nous rendre tranquilles, tend aussi à nous rendre indépendans des jugemens que les hommes peuvent porter de nous ; & l’estime qu’ils en font n’est qu’un de ces jugemens, entant qu’il nous est avantageux. Cependant la Philosophie la plus épurée, loin de réprouver en nous le soin d’être gens d’honneur ; non-seulement elle l’autorise, mais elle l’excite & l’entretient. D’un autre côté, la religion ne nous recommande rien davantage, que le mépris de l’opinion des hommes, & de l’estime qu’ils peuvent, selon leur fantaisie, nous accorder ou nous refuser. L’Evangile même porte les Saints à desirer & à rechercher le mépris ; mais en même tems le S. Esprit nous prescrit d’avoir soin de notre réputation.

La contrariété de ces maximes n’est qu’apparente : elles s’accordent dans le fonds ; & le point qui en concilie le sens, est celui qui doit servir de regle au bien de la société, & au nôtre en particulier. Nous ne devons point naturellement être insensibles à l’estime des hommes, à notre honneur & à notre réputation. Ce seroit aller contre la raison qui nous oblige d’avoir égard à ce qu’approuvent les hommes, ou à ce qu’ils improuvent le plus universellement & le plus constamment. Car ce qu’ils approuvent de la sorte, par un consentement presque unanime, est la vertu ; & ce qu’ils improuvent ainsi, est le vice. Les hommes, malgré leur perversité, font justice à l’un & à l’autre. Ils méconnoissent quelquefois la vertu ; mais ils sont obligés souvent de la reconnoître ; & alors ils ne manquent point de l’honorer : être donc insensible, par cet endroit, à l’honneur, je veux dire, à l’estime, à l’approbation & au témoignage que la conscience des hommes rend à la vertu, ce seroit l’être en quelque façon à la vertu même, qui y seroit intéressée. Cette sensibilité naturelle est comme une impression mise dans nos ames par l’auteur de notre être ; mais elle regarde seulement le tribut que les hommes rendent en général à la vertu, pour nous attacher plus fortement à elle. Nous n’en devons pas être moins indifférens à l’honneur que chaque particulier, conduit souvent par la passion ou la bisarrerie, accorde ou refuse à la vertu de quelques-uns, ou à la nôtre en particulier.

L’estime des hommes en général ne sauroit être légitimement méprisée, puisqu’elle s’accorde avec celle de Dieu même, qui nous en a donné le goût, & qu’elle suppose un mérite de vertu que nous devons rechercher.

L’estime des hommes en particulier étant plus subordonnée à leur imagination qu’à la Providence, nous la devons compter pour peu de chose, ou pour rien ; c’est-à-dire que nous devons toujours la mériter, sans nous soucier de l’obtenir : la mériter par notre vertu, qui contribue à notre bonheur & à celui des autres : nous soucier peu de l’obtenir, par une noble égalité d’ame qui nous mette au-dessus de l’inconstance & de la vanité des opinions particulieres des hommes. Recherchons l’approbation d’une conscience éclairée, que la haine & la calomnie ne peuvent nous enlever, par préférence à l’estime des autres hommes qui suit tôt ou tard la vertu. C’est se dégrader soi-même que d’être trop avide de l’estime d’autrui ; elle est une sorte de récompense de la vertu, mais elle n’en doit pas être le motif.