L’Encyclopédie/1re édition/SABINS

La bibliothèque libre.
◄  SABINITES

SABINS, (Géog. anc.) Sabini, ancien peuple d’Italie, dans les terres, à l’orient du Tibre ; une partie de leur région conserve l’ancien nom.

Leur pays étoit bien plus étendu que la Sabine d’aujourd’hui ; il comprenoit encore tout ce qui est au midi oriental de la Néra jusqu’à celle de ses sources, qui est présentement dans la marche d’Ancone, excepté, vers l’embouchure de cette riviere dans le Tibre, une petite lisiere aux environs de Narni, qui étoit de l’Ombrie ; mais Otricoli étoit dans la Sabine. Ainsi tous les lacs aux environs de Riéti, & toute la riviere de Velino qui les forme, étoient dans cette province, jusqu’à la source du Nomano, qui est aujourd’hui dans l’Abruzze ultérieure ; il étoit alors dans le pays des Sabins, & s’étendoit même au delà de la Pescara, où étoit Amiternum, dont les ruines s’appellent encore Amiterno-Rovinato.

A la reserve de la ville d’Otricoli, qui est aujourd’hui du duché de Spolette, la Sabine n’a rien perdu du côté du Tibre ; & le Teverone la borne comme il faisoit autrefois, à-peu-près jusqu’au même lieu, excepté qu’elle avoit au midi de cette riviere la ville de Collatia.

Ainsi l’ancienne Sabine étoit bornée au nord-ouest par l’Ombrie ; au nord-est par des montagnes qui la séparoient du Picenum ; à l’orient par le peuple Vestini ; au sud-est par les Marses & les Eques ; au midi par le Latium, & au couchant par le Tibre qui la séparoit des Falisques & des Véïens.

Les uns dérivent le nom de Sabin, de Sabus, capitaine lacédémonien ; les autres tirent ce nom de Sabinus, fils de Sancus, génie de cette contrée, nommé autrement Medius-Fidius, & que quelques-uns ont pris pour Hercule.

Il y a trois opinions différentes sur l’origine des Sabins ; Plutarque, in Numa, & Denis d’Halicarnasse, liv. II. les font lacédémoniens, & disent qu’ils se rendirent d’abord dans le territoire de Pometia, ville des Volsques, & que partant de-là, ils vinrent dans ce pays, & se mêlerent avec les habitans qui y étoient déja. La seconde opinion est celle de Zénodote de Troezene. Il dit que ce sont des peuples de l’Ombrie, qui étant chassés de leur patrie par les Pélasges, se retirerent dans ce pays, & y furent appellés Sabins. La troisieme est de Strabon, liv. III. qui croit qu’ils étoient Autochtons, Αὐτόχθονας, & du peuple Opici, avec lequel ils avoient un langage commun. Il paroît que les Pélasges passerent pour la plûpart chez les Sabins.

On sait que les Sabins eurent avec les Romains de grandes guerres, auxquelles donna lieu le fameux enlevement des sabines. Tatius avoit sur les Sabins une supériorité de prééminence ; & après la paix, il passa à Rome où il s’établit ; & du nom de la ville de Cures se forma, selon quelques-uns, le nom de quirites, affecté par les Romains. Les autres demeurerent en repos quelque tems ; mais ils remuerent sous Tullus Hostilius, Ancus Martius & sous les Tarquins. Ils soutinrent encore la guerre sous les consuls, & disputerent assez long-tems la primauté aux Romains. On peut voir dans Florus, liv. l. ch. xiv. comment ils furent vaincus & subjugués. Les Samnites étoient un détachement des Sabins.

Le pere Briet divise le pays de l’ancienne Sabine en trois parties ; savoir, au-delà de Velino : c’est aujourd’hui une partie du duché de Spolete qui est au pape, & de l’Abruzze ultérieure qui est du royaume de Naples : les Sabins en-deçà du Velino, aujourd’hui la Sabine, ou comme il l’appelle Sabio, & les villes dont la possession a été incertaine entre les Sabins & les Latins. Cela fait trois tables différentes, que voici :

Reate, aujourd’hui Rieti. Villes au-
delà
du
Velino.
Nursia, aujourd’hui Norsia.
Vespasiæ, maison de campagne. | les Vespasiens en portoient le nom.
Amiternum, aujourd’hui Amiterno Rovinato.
Fourli rupes.
Palantium, aujourd’hui Polegia, village.
Forum Decli, mots corrompus dans la table de Peutinger.
Esii, aujourd’hui civita Real.
Cutiliæ, aujourd’hui Cotyla.
Velinus, aujourd’hui le Vélino. Rivie-
res
Truonti fontes, c’est-à-dire la source du Trono.
Alterni fontes, c. à. d. la source de la Pescara.
Velinus, aujourd’hui Lage pie di Luca. Lacs
Reatinus lacus, aujourd’hui Lago di Ricti.
Cutiliensis lacus, aujourd’hui Pozzo Ratignano.
Cures, ancienne capitale des Sabins. Villes En-
deçà
du
Velino.
Regillum, on en montre les ruines à cinq milles du Tibre.
Eretum, aujourd’hui monte Ritondo.
Casperia, aujourd’hui Aspra.
Crustumenium, aujourd’hui Marcigliano-Vecchio.
Lucretilis mons, aujourd’hui le mont Libretti. Monta-
gnes
Sacer mons, colline où est le château de S.

Sylvestre.

Corniculi montes, les montagnes entre la tour de Vergara & santa Margaritella.
Anio, aujourd’hui le Teverone. Rivie-
res
Albula, aujourd’hui la Solforata.
Aveus, aujourd’hui le Curese.
Telonius, aujourd’hui le Turano.
Fabaris, aujourd’hui le Farfa.
Allia, aujourd’hui le Caminato.
Himella, aujourd’hui l’Aia.
Antemna, on ne sait où elle étoit. Villes
de
possession
incertaine.
Cœnina, de même.
Collatia, aujourd’hui saint-Agnèse, village.
Ficulnea, où est le château de saint-Clément.
Nomentum, aujourd’hui Lamentano.
Fidenæ, détruite depuis long-tems.
Corniculum, vers la tour de Vergara.

Il résulte de ce détail, que les Sabins occupoient cette contrée de l’Italie qui est située entre le Tibre, le Téverone & les Apennins. Ils habitoient de petites villes, & différentes bourgades, dont les unes étoient gouvernées par des princes, & d’autres par de simples magistrats, & en forme de république. Mais quoique leur gouvernement particulier fût différent, ils s’étoient unis par une espece de ligue & de communauté qui ne formoit qu’un seul état de tous les peuples de cette nation. Ces peuples vivoient avec beaucoup de frugalité ; ils étoient les plus laborieux, les plus belliqueux de l’Italie & les plus voisins de Rome Leurs femmes étoient regardées comme des modeles de pudeur, & passoient pour être fort attachées à leur ménage & à leurs maris.

Romulus fut à peine sur le trône, qu’il envoya des députés aux Sabins pour leur demander leurs filles en mariage, & pour leur proposer de faire une étroite alliance avec Rome ; mais comme le nouvel établissement de Romulus leur étoit devenu suspect, ils rejetterent sa proposition avec mépris. Romulus s’en vengea, & l’enlevement qu’il fit des sabines causa une longue guerre entre les deux peuples. Les Céniniens, les Antemnates & les Crustumeniens furent vaincus. Enfin, Tatius roi des Cures, dans le pays des Sabins, prit les armes, s’empara de Rome, & pénétra jusques dans la place. Il y eut un combat sanglant & très-opiniâtre sans qu’on en pût prévoir le succès, lorsque les sabines qui étoient devenues femmes des romains, & dont la plûpart en avoient déja eu des enfans, se jetterent au milieu des combattans, & par leurs prieres & leurs larmes, suspendirent l’animosité réciproque. On en vint à un accommodement ; les deux peuples firent la paix ; & pour s’unir encore plus étroitement, la plûpart de ces sabins qui ne vivoient qu’à la campagne, ou dans des bourgades & de petites villes, vinrent s’établir à Rome. Ainsi, ceux qui le matin avoient conjuré la perte de cette ville, en devinrent avant la fin du jour, les citoyens & les défenseurs. Romulus associa à la souveraineté Tatius roi des Sabins ; cent des plus nobles de cette nation furent admis en même tems dans le sénat. Cet événement qui ne fit qu’un seul peuple des Sabins & des Romains, arriva l’an 7 de Rome, 747 avant Jesus-Christ. (Le Chevalier de Jaucourt.)