L’Encyclopédie/1re édition/SADUCÉEN

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SADUCÉEN, (Hist. des sectes juiv. & Crit. sacr.) La secte des Saducéens, σαδουκαίων, étoit une des quatre principales sectes des juifs. Il en est beaucoup parlé dans le nouveau Testament.

Ce fut l’an 263 avant J. C. du tems d’Antigone de Socho, président du grand sanhédrin de Jérusalem, que commença la secte des Saducéens, & lui-même y donna occasion ; car ayant souvent inculqué à ses disciples qu’il ne falloit pas servir Dieu par un esprit mercénaire, pour la récompense qu’on en attendoit, mais purement & simplement par l’amour & la crainte filiale qu’on lui doit ; Sadoc & Baithus, deux de ses éleves, conclurent de-là qu’il n’y avoit point de récompense après cette vie ; & faisant secte à-part, ils enseignerent que toutes les récompenses que Dieu accordoit à ceux qui le servent, se bornoient à la vie présente. Quantité de gens ayant goûté cette doctrine, on commença à distinguer leur secte par le nom de saducéens, pris de celui de Sadoc leur fondateur. Ils différoient des Epicuriens en admettant la puissance qui a créé l’univers, & la providence qui le gouverne ; au lieu que les Epicuriens nioient l’un & l’autre.

Les Saducéens n’étoient d’abord que ce que sont aujourd’hui les Caraïtes, c’est-à-dire qu’ils rejettoient les traditions des anciens, & ne s’attachoient qu’à la parole écrite ; & comme les Pharisiens étoient les zélés protecteurs de ces traditions, leur secte & celle des Saducéens se trouverent directement opposées. Si les Saducéens s’en étoient tenus là, ils auroient eu toute la raison de leur côté ; mais ils goûterent d’autres opinions impies. Ils vinrent à nier la résurrection & l’existence des anges, & des esprits des hommes après la mort, comme il paroît par Matt. xxij. 23 ; Marc, xij. 18 ; Act. xxiij. 8. Ils reconnoissoient à la vérité, que Dieu avoit créé le monde par sa puissance ; qu’il le gouvernoit par sa providence ; & que pour le gouverner, il avoit établi des récompenses & des peines : mais ils croyoient que ces récompenses & ces peines se bornoient toutes à cette vie, & c’étoit pour cela seul qu’ils servoient Dieu, & qu’ils obéissoient à ses lois. Du reste ils n’admettoient, comme les Samaritains, que le seul Pentateuque pour livre sacré.

Quelques savans, & entr’autres Scaliger, prétendent qu’ils ne rejettoient pas le reste de l’Ecriture ; mais seulement qu’ils donnoient la préférence aux livres de Moîse. Cependant la dispute que l’Evangile rapporte que J. C. eut avec eux, Matt. xxij. Marc, xij. Luc, xx. milite contre l’opinion de Scaliger ; car J. C. ayant en main plusieurs passages formels des prophetes & des hagiographes, qui prouvent une vie à venir, & la résurrection des morts, on ne sauroit assigner de raison qui l’obligeât à les abandonner, pour tirer de la loi un argument qui n’est fondé que sur une conséquence, si ce n’est parce qu’il combattoit des gens qui rejettoient ces prophetes & ces hagiographes, & que rien ne convaincroit que ce qui étoit tiré de la loi même.

Les Saducéens différoient aussi des Esséniens & des Pharisiens, sur le libre-arbitre & la prédestination ; car les Esséniens croyoient que tout est prédéterminé dans un enchainement de causes infaillibles ; & les Pharisiens admettoient la liberté avec la prédestination. Mais les Saducéens, au rapport de Josephe, nioient toute prédestination, & soutenoient que Dieu avoit fait l’homme maître absolu de ses actions, avec une entiere liberté de faire, comme il veut, le bien ou le mal, sans aucune assistance pour l’un, ni aucun empêchement pour l’autre. En un mot, cette opinion saducéenne étoit précisément la même que fut celle de Pélage parmi les Chrétiens, qu’il n’y a point de secours de Dieu, ni par une grace prévenante, ni par une grace assistante ; mais que sans ce secours, chaque homme a en lui-même le pouvoir d’éviter tout le mal que défend la loi de Dieu, & de faire tout le bien qu’elle ordonne.

La secte des Saducéens étoit la moins nombreuse de toutes ; mais elle avoit pour partisans les gens de la premiere qualité, ceux qui avoient les premiers emplois de la nation, & les plus riches. Or comme ils périrent tous à la destruction de Jérusalem par les Romains, la secte saducéenne périt avec eux. Il n’en est plus parlé depuis ce tems-là pendant plusieurs siecles ; jusqu’à ce que leur nom ait commencé à revivre, avec quelques modifications, dans les Caraïtes. (Le chevalier de Jaucourt.)