L’Encyclopédie/1re édition/SANGSUE
SANGSUE, (Zoologie.) hirudo ou sanguisuga par les naturalistes ; petit animal oblong, noirâtre, sans piés, vivant dans les lieux aquatiques, marqueté sur le corps de taches & de raies, & ayant dans l’ouverture de la bouche un instrument à trois tranchans, avec lequel il entame la peau pour en sucer le sang.
Les eaux croupissantes fournissent deux especes de sangsues, une grande, & une petite. La grande, nommée sangsue de cheval, en latin bdella seu hirudo equina, croît jusqu’à 5 pouces de longueur ; elle est comme le ver de terre divisée par anneaux au nombre d’une centaine ; on la regarde comme venimeuse dans ses blessures ; la petite espece en differe, non-seulement par la taille, mais par la couleur de son ventre, qui est noirâtre, avec une teinte de verd.
C’est de cette petite espece dont il s’agira dans cet article ; mais pour abréger sa description, déja donnée fort au long par plusieurs naturalistes, comme par Loupart dans le journal des savans, année 1697, par Dillenius, dans les éphémerides des curieux de la nature, année 1718, & par d’autres ; je crois que nous pouvons obmettre ici tout ce que l’on sait communément de la sangsue, & ce qui est facile à chacun d’appercevoir : 1°. par la simple inspection, comme les anneaux cutanés de son fourreau, l’arrangement & les couleurs des raies, des pyramides, des points dont ce même fourreau est orné, l’avidité des sangsues à sucer la chair des animaux, la façon dont elles appliquent leur bouche en forme de ventouse pour s’y attacher, une sorte de mouvement qu’on voit à-travers de leur peau quand elles sucent, & qui semble répondre aux mouvemens de la déglutition : 2°. par des expériences faciles, comme le tems qu’elles vivent dans l’eau, sans autre nourriture que l’eau même, la faculté qui leur est commune avec plusieurs autres especes d’animaux de se mouvoir, quoique coupées par morceaux, toutes ces choses sont suffisamment connues ; il vaut mieux nous arrêter à l’examen de ces parties, par lesquelles la sangsue a la propriété d’entamer la peau d’un autre animal, & de sucer son sang.
Il y a cinq parties différentes qui y concourent ; savoir, deux levres, une cavité, qui est proprement la bouche, des instrumens pour entamer, d’autres pour succer, & un gosier pour la déglutition.
Lorsque la sangsue est en repos, sa levre supérieure fait un demi-cercle assez régulier, & l’inférieure une portion d’un plus grand cercle. Quand la sangsue alonge sa tête pour avancer, le demi-cercle de la levre supérieure se change en deux lignes obliques, dont la jonction fait un angle saillant, que la sangsue applique d’abord où elle veut s’attacher, & qui est marqué par un petit point très noir au bord extérieur du milieu de la levre.
La souplesse des fibres de cette partie, lui donne la facilité de prendre la figure dont l’animal a besoin pour tâtonner les endroits où il veut s’appliquer, afin de cheminer, ou pour développer les parties avec lesquelles il doit entamer la peau de quelqu’autre animal. Dans ces deux cas, ses deux levres toutes ouvertes se changent en une espece de pavillon, exactement rond par les bords. Enfin, quand la sangsue est tout-à-fait fixée, par exemple, aux parois inférieurs d’une phiole, sa tête & sa queue sont tout-à-fait applaties, & exactement appliquées à la surface qu’elles couvrent.
L’ouverture qui est entre les deux levres de la sangsue, est proprement sa bouche ; lorsqu’on a tenu ces deux levres dilatées un peu de tems par quelque corps dur, on en voit aisément la cavité. Cette bouche est comme les levres composée de fibres très-souples, moyennant quoi elle prend toutes les formes convenables au besoin de l’animal ; de façon que quand la sangsue veut s’attacher quelque part, elle ouvre d’abord les levres ; ensuite elle retourne sa bouche de dedans en-dehors, elle en applique les parois intérieurs, & de toute la cavité de sa bouche, on ne distingue plus qu’une petite ouverture dans le milieu, où la sangsue doit faire avancer l’organe destiné à entamer.
Cette derniere partie paroît avoir donné bien de la peine aux naturalistes, & tous ne sont pas absolument d’accord sur la forme. Il n’étoit pas raisonnable de croire que la sangsue n’avoit qu’un aiguillon comme le cousin ; on savoit bien qu’elle ne se bornoit pas à faire une piquure, dont il n’auroit résulté qu’une ampoule, une élevation à la peau ; on devoit sentir qu’il falloit nécessairement qu’elle fît une plaie, pour sucer le sang avec autant d’avidité, & en aussi grande quantité qu’elle le fait, & qu’un aiguillon ne suffisoit pas pour cela. Aussi trouve-t-on peu d’auteurs de ce sentiment.
L’ouverture que la sangsue laisse appercevoir au milieu de la bouche, appliquée pour entamer, en triangulaire ; par consequent on a dû imaginer que l’instrument qu’elle lance au-travers de cette ouverture pour entamer étoit triple, aussi cet instrument est-il à trois tranchans.
La découverte pourroit bien en être dûe à la simple observation de la plaie faite par la sangsue. En effet, si l’on examine cette petite plaie, elle représente sensiblement trois traits ou rayons qui s’unissent dans un centre commun, & qui font entr’eux trois angles égaux, & l’on voit que ce ne sont point trois piquures, mais trois plaies. On ne le remarquera pas après avoir appliqué les sangsues à des hémorrhoïdes ; mais si elles l’ont été à d’autres endroits de la peau, & sur-tout d’une peau blanche, on voit le jour même de l’opération, un peu de sang coagulé qui recouvre la plaie ; le lendemain le petit caillot tombe, mais un léger gonflement confond tout. Enfin, le troisieme ou quatrieme jour, on voit distinctement les trois plaies marquées.
L’organe pour entamer est placé, comme on l’a déja dit, entre l’ouverture faite par les deux levres & le fond de la bouche. Après avoir ouvert des sangsues par le ventre, & suivant la longueur de l’animal, & avoir cherché cet organe dans l’endroit désigné, c’est le tact qui en a d’abord découvert quelque chose. On observe qu’en passant le doigt sur l’endroit où est cet organe, l’on sent une impression pareille à celle que fait une lime douce sur le doigt, ce qui suppose déja des parties, qui sont non-seulement raboteuses, mais solides & de la nature de l’os, ou tout-au-moins de la corne.
Considerant ensuite cette partie avec une grosse loupe, on voit que la membrane interne de la bouche vers son fond est hérissée de petites pointes capables, étant si près les unes des autres, de faire des lames dentées. Sur cette simple exposition, on concevra aisement, que si par quelque mouvement particulier, ces lames s’avancent ensemble, & dans le sens de l’ouverture triangulaire vers la partie à laquelle la sangsue applique sa bouche, elles doivent faire une plaie telle qu’elle a été décrite.
Mais dom Allou a été bien plus loin ; il y a découvert trois rangées de dents, ou trois petits rateliers, dont il a décrit la disposition & la structure.
Au-delà des rateliers, dans l’endroit où la bouche retrécie de la sangsue commence à prendre la forme du canal, & où l’on se représenteroit la luette dans l’homme, il y a un mamelon très-apparent, & d’une chair assez ferme. Ce mamelon est un peu flottant dans la bouche, & il paroit assez naturel de lui assigner l’office d’une langue. Lorsque les organes dont nous avons d’abord parlé, sont appliqués où la sangsue cherche sa pâture, lorsque les râteliers ont fait plaie, & que l’ouverture qui est à leur centre est parallele au milieu de la triple plaie faite par les rateliers, il doit être facile au mamelon lancé au-travers de cette ouverture de faire le piston, & de servir à sucer le sang qui sort de l’entamure, pendant que la partie de la bouche continue aux levres, fait le corps de pompe.
Enfin se présente la cinquieme partie de la bouche. L’on voit entre la racine du mamelon que l’on appelle la langue, & le commencement de l’estomac, un espace long d’environ deux lignes, garni de fibres blanchâtres, dont on distingue deux plans, l’un circulaire & l’autre longitudinal. Celles-ci se contractent apparemment pour élargir & racourcir la cavité de la pompe ; les circulaires resserrent le canal, & déterminent vers l’estomac le sang qui vient d’être sucé.
Ce sang entre alors dans une poche membraneuse qui sert d’estomac & d’intestins à la sangsue, & qui occupe intérieurement une grande partie du reste de son corps. Si on introduit de l’air dans cette partie par la bouche de la sangsue, l’air entre dans un tuyau droit qui est au centre, & qui s’ouvre des deux côtés dans des sacs ou cellules bien plus larges que le tuyau principal. Ces sacs sont faits d’une membrane mince jusque vers la queue de l’animal, où la membrane est fortifiée de quelques fibres circulaires fort distinctes. Si on fait de ces sacs autant d’estomacs, on en pourra compter jusqu’à 24 dans une sangsue assez grosse.
Il y a apparence que le sang sucé par la sangsue séjourne long-tems dans les réservoirs, comme une provision de nourriture. M. Morand assure avoir la preuve, qu’il y est resté quelques mois presque entierement caillé, plus noir que dans l’état naturel, & sans aucune mauvaise odeur ; & comme le sang d’un animal quelconque est le résultat de la nourriture qu’il a digerée, on pourroit croire que la sangsue ne vivant que du sang, n’a pas besoin d’une grande dépuration de la matiere qui lui sert de nourriture. Au moins est-il vrai qu’on ne connoît point d’anus ou d’ouverture qui en fasse la fonction ; & s’il est absolument nécessaire que quelques parties hétérogenes s’en séparent, apparemment que cela se fait par une transpiration perpétuelle au-travers de sa peau, sur laquelle il s’amasse une matiere gluante qui s’épaissit par degrés, & se sépare par filamens dans l’eau où l’on conserve des sangsues.
Comme cette matiere en se délayant dans l’eau, ne forme que de petits lambeaux déchiquetés, M. Morand, pour rendre cette dépouille plus sensible, a mis des sangsues dans de l’huile, & les y a laissées plusieurs jours : elles y ont vécu, & lorsqu’il les a remises dans l’eau, elles ont quitté cette pellicule qui représentoit alors une dépouille entiere de l’animal, comme seroit la peau d’une anguille.
On voit à l’occasion de cette expérience, qu’il n’en est pas des sangsues comme des vers terrestres, & qu’elles n’ont pas leurs trachées à la surface extérieure du corps. Il est vraissemblable qu’elles respirent par la bouche, mais de savoir quelle partie leur sert de poumons, c’est ce qui n’est pas encore connu, non plus que d’autres singularités qui les regardent. On ne sait de leur génération que ce qu’en rapporte Rai, qui dit qu’on trouve quelquefois de jeunes sangsues fort petites attachées ensemble par le ventre en maniere de grappes. (D. J.)
Sangsue, (Médecine thérapeutique.) on se sert des sangsues en médecine pour faire dans certaines parties du corps des saignées peu abondantes.
Ce moyen de tirer du sang paroît avoir été inconnu à Hippocrate & aux médecins qui l’ont suivi, jusqu’à Themison. Depuis ce dernier auteur, on s’en est servi dans plusieurs maladies, plus ou moins, suivant les sectes & les pays. Les méthodiques en faisoient un très-grand usage, les Italiens s’en servent plus souvent que nous.
Lorsqu’on veut appliquer les sangsues, on choisit les plus petites de celles qui sont rayées sur le dos, & qui naissent dans l’eau la moins bourbeuse. On les affame en les tenant pendant quelques heures hors de l’eau. On excite par cette diete leur besoin de prendre de la nourriture ; on frotte doucement en lavant la partie à laquelle on veut qu’elles s’attachent. Alors on prend une sangsue avec un linge par la queue, & on la porte sur l’endroit frotté, où on la fait descendre par une bouteille à col étroit, un tube, un roseau sur cette partie. Si elle refuse de s’y attacher, on y verse quelques gouttes de sang de poulet, de pigeon, &c. ou de lait ; on pique légerement la partie avec une épingle pour en faire sortir un peu de sang ; & enfin à son nouveau refus, on passe à d’autres, ou on attend qu’un jeûne plus long lui ait rendu le goût pour le sang qu’on veut qu’elle succe. Lorsque la sangsue est rassasiée, elle tombe d’elle-même. On l’engagera à tirer une plus grande quantité de sang en lui coupant la queue ; elle perdra par cette plaie une partie de celui qu’elle vient de succer, & elle cherchera à réparer cette perte. On répete cette application de sangsues, jusqu’à ce que l’indication soit satisfaite. Si elles tardoient trop de se détacher, on ne l’arracheroit pas avec violence, crainte d’attirer une inflammation, mais on jetteroit une petite quantité d’eau salée, de salive, d’huile de tartre, de cendres, &c. sur sa tête. Il reste après la sortie des sangsues une petite plaie que leur trompe a causée, qui fournit quelquefois un hémorragie, qu’on entretient par la vapeur de l’eau chaude, par le bain d’eau tiede, qu’on guerit communément par les astringens vulnéraires les plus doux, par la charpie rapée, l’esprit de vin. On s’est vu cependant quelquefois obligé d’employer les plus forts.
L’application des sangsues doit être recommandée toutes les fois qu’on veut faire de petites saignées locales dans une partie où il y a une pléthore particuliere (voyez Saignée, Pléthore), & où la situation des vaisseaux, l’état foible & cachétique du malade, la longueur de la maladie ne permettent pas d’ouvrir des gros vaisseaux. C’est ainsi qu’elles sont utiles aux tempes & derriere les oreilles dans les délires, douleurs de tête, qu’elles réussissent contre les maladies inflammatoires des yeux, étant appliquées au grand angle ; qu’elles sont un excellent remede contre les maux multipliés que la suppression du flux hémorroïdal peut produire, en les présentant aux tumeurs que forment ces varices. Elles ont même un avantage dans tous ces cas au-dessus de la saignée, c’est d’attirer les humeurs sur la partie où on les applique, par l’irritation qu’elles causent. On se sert également des sangsues pour tirer du sang du bras, du pié des enfans, & de ceux qui craignent la saignée, ou dont les vaisseaux sont difficiles à ouvrir ; on les applique au haut de la cuisse pour procurer le cours des regles au col pour guérir de l’esquinancie ; mais ces derniers usages sont assez généralement abandonnés en France.
Sangsue, (Chirurg.) Les Chirurgiens dans l’application des sangsues, préferent les plus petites aux grosses, en ce que leur piquure est moins douloureuse ; & entre les petites on choisit celles qui sont marquetées de lignes sur le dos.
Il n’est pas impossible que les anciens aient appris à saigner de ces insectes ; car tout le monde sait que lorsque les chevaux sont attirés au printems par l’herbe verte dans les étangs & dans les rivieres, de grosses sangsues qu’on appelle sangsues de chevaux, s’attachent à leurs jambes & à leurs flancs, leur percent une veine, leur procurent une hémorrhagie abondante, & qu’ils en deviennent plus sains & plus vigoureux.
Si contre toute vraissemblance Thémison n’est pas le premier qui se soit servi de sangsues, il est du moins le premier qui en fait mention ; Hippocrate n’en a point parlé ; & Cœlius Aurelianus n’en dit rien dans les extraits qu’il a faits des écrits de ceux qui ont pratiqué la médecine depuis Hippocrate jusqu’à Thémison. Les disciples de Thémison se servoient de sangsues en plusieurs occasions ; ils appliquoient quelquefois les ventouses à la partie d’où les sangsues s’étoient détachées, pour en tirer une plus grande quantité de sang. Galien ne fait aucune mention de ce remede, apparemment parce qu’il étoit particulier à la secte méthodique qu’il méprisoit. J’avoue qu’il en est parlé dans un petit traite imparfait intitulé, de cucurbitulis, de scarificatione, de sanguisugis, &c. qu’on attribue à Galien, mais sans aucun fondement ; car Oribase qui a écrit des sangsues, l. VII. dit avoir tiré ce qu’il en rapporte, d’Antille & de Menemaque, l’un & l’autre de la secte méthodique, ou du moins ce dernier. Il y a apparence que l’on doit aux paysans la découverte de ce remede.
La sangsue est, comme on sait, une espece d’insecte ou de ver aquatique, qui appliqué au corps, perce la peau, tire le sang des veines, & procure quelquefois la santé par cette évacuation. C’est par cette raison que les médecins grecs & romains les ont employées de très-bonne heure. Comme il y en a de plusieurs especes, il ne sera pas hors de propos d’établir ici quelques regles qui puissent en fixer le choix.
On prendra d’abord celles qu’on aura pêchées dans des ruisseaux, & dans des rivieres dont les eaux sont claires : ce sont les meilleures ; celles qu’on trouve dans les lacs, dans les étangs & dans les eaux croupissantes, sont impures, & excitent quelquefois des douleurs violentes, des inflammations & des tumeurs. Les Chirurgiens les plus expérimentés préferent encore aux autres, celles qui ont la tête petite & pointue, dont le dos est marqueté de lignes verdâtres & jaunâtres, & qui ont le ventre d’un jaune rougeâtre ; car lorsqu’elles ont la tête large, & tout le corps d’un bleu tirant sur le noir, on les tient pour être d’une espece maligne. Mais une précaution qu’il est absolument nécessaire de prendre, c’est ne jamais appliquer des sangsues récemment pêchées dans des rivieres ou dans des eaux troubles ; il faut les tenir auparavant dans un vaisseau d’eau pure, & changer de tems en tems cette eau dans laquelle elles se purgeront de ce qu’elles pourroient avoir de sale & de venimeux. Lorsqu’elles auront vécu pendant un ou deux mois de cette maniere, on pourra s’en servir en sûreté.
Avant que d’appliquer la sangsue, on la tirera de l’eau, & on la tiendra pendant quelque tems dans un verre ou dans un vaisseau vuide, afin qu’étant altérée, elle s’attache ardemment à la peau, & tire des veines une plus grande quantité de sang. Quant à la partie qu’il faut faire piquer, ce sont ordinairement les tempes ou le derriere des oreilles, si la tête ou les yeux sont affectés par une trop grande abondance de sang, & surtout si le malade est dans une fievre accompagnée de délire. On les applique aussi quelquefois très-convenablement aux veines du rectum, dans les cas d’hemorrhoïdes aveugles & douloureuses. les sangsues ne seront pas moins bienfaisantes dans les hémorrhagies du nez & dans les vomissemens & crachemens de sang : elles sont très-propres à procurer une révulsion, surtout lorsque l’hémorrhagie provient de l’obstruction des hémorrhoïdes.
Avant que d’appliquer la sangsue, on commence par frotter la partie jusqu’à ce qu’elle soit chaude & rouge. On prend ensuite l’animal par la queue avec un linge sec, on l’éleve, on le tient à moitié sorti du vaisseau, & on le dirige vers l’endroit où l’on veut qu’il s’attache : ce qu’il fait avec beaucoup d’ardeur. S’il est à-propos d’appliquer plusieurs sangsues, on s’y prendra successivement ainsi que nous venons de l’indiquer. Lorsqu’elles refusent de prendre, ce qui arrive quelquefois, on humectera la partie avec de l’eau chaude, ou avec du sang de pigeon ou de poulet : si cela ne suffit point, il en faut choisir d’autres. L’application des sangsues à la caroncule dans le grand angle de l’œil après la phlébotomie se fait avec beaucoup de succès dans les maladies inflammatoires de cet organe. La crême & le sucre inviteront les sangsues à s’attacher à la partie qu’on en aura frottée.
Aussitôt que les sangsues sont pleines de sang, elles se détachent d’elles-mêmes ; s’il étoit à propos de faire une plus grande évacuation, on en appliqueroit de nouvelles ou l’on couperoit la queue à celles qui sont déja attachées ; car elles tirent du sang à mesure qu’elles en perdent. Si lorsqu’on aura tiré une quantité suffisante de sang, elles ne lâchent point prise d’elles-mêmes, on n’aura qu’à jetter sur elles un peu de sel ou de cendres, & elles tomberont sur le champ. Cette méthode nous paroit la meilleure ; car lorsqu’on les détache de force, elles causent quelquefois une inflammation ou une tumeur. On remettra dans de l’eau claire celles à qui on n’aura point coupé la queue, & on les gardera pour une autre occasion ; quant à celles qu’on a blessées, elles meurent toujours. On lavera les ouvertures qu’elles auront faites, avec de l’eau chaude, & on les pansera avec une emplâtre vulnéraire ; mais ces petites blessures guérissent ordinairement sans remede.
Ceux qui desirent en savoir davantage sur ces insectes, n’ont qu’à lire Aldovrandus, Gesner, Botallus, Petrus Magnus, Sebizius, Heurnius, Cransius, Schroder & Sthal qui en ont traité plus au long.
L’hémorrhagie continue ordinairement pendant quelque tems, quelquefois pendant deux heures, & même davantage, après que les sangsues sont tombées. Comme on ne reçoit point alors le sang dans des vaisseaux, & qu’il est entierement absorbé par le linge, il paroit être en beaucoup plus grande quantité qu’il n’est en effet. Cela suffit quelquefois pour allarmer le malade, & jetter dans une vaine consternation les assistans qui ne manquent pas d’imaginer que l’hémorrhagie est très-abondante, & de craindre qu’il ne s’ensuive une foiblesse & la mort.
On préviendra ces terreurs paniques, & l’on arrêtera en peu de tems l’effusion de sang, soit par la compression, soit par l’application d’un styptique, comme de l’eau-de-vie avec un peu de colcothar mis en poudre. Mais un fait plus ordinaire, c’est qu’on soit obligé de baigner avec de l’eau chaude la partie piquée pour en faire sortir le sang plus librement, lorsqu’il n’en vient point une quantité qui réponde au dessein qu’on avoit, en appliquant les sangsues. Heister. (D. J.)
Sangsue de mer, hirudo marina, insecte de mer qui ressemble beaucoup à la sangsue d’eau douce ; il est de la longueur du doigt, & plus mince à la partie antérieure qu’à la partie postérieure ; il a deux petites cavités rondes semblables aux suçoirs des polypes par le moyen desquels cet insecte s’attache aux corps qu’il rencontre : ces suçoirs sont placés l’un à côté de la tête, & l’autre à la queue ; le corps est divisé en plusieurs anneaux, & la peau est dure : ce qui fait que cet insecte ne peut pas se mettre en boule ; cependant il peut se rapetisser en retirant la tête & la queue dans son corps ; il vit dans la boue, & il sent mauvais. Rondelet, hist. des zoophites, chap. vij. Voyez Poisson.
Sangsue de mer, (Hist. nat. du Chily.) Les sangsues de mer du Chily sont de plusieurs couleurs ; les unes entierement rouges de couleur de feu, d’autres d’un verd-bleuâtre, & d’autres d’un verd-grisâtre. Elles sont articulées de bandes annulaires en grand. Chaque bande est relevée sur les flancs de deux petits mamelons qui leur servent d’autant de jambes pour ramper, de la même maniere que rampent nos chenilles. A l’extrémité de chaque mamelon, on voit une sorte de nageoire composée d’une infinité de petites épines blanches, qui sont si subtiles & si aiguës, que pour peu qu’on touche cet animal, elles entrent dans les doigts, & pénetrent avec autant de facilité que les piquans imperceptibles des opontia. Les nageoires des mamelons supérieurs ou du dos sont toutes accompagnées d’un pennache verd-gris ; & elles sont composées de quantité de très petites fibres branchues, que l’on n’apperçoit que dans le tems que l’animal nage, ou marche au fond de l’eau ; ces pennaches s’abattent sur son dos, & ne paroissent que comme un tas de petits vers entrelacés les uns dans les autres, semblables à la mousse des rochers, lorsqu’elle ne surnage pas au-dessus de l’eau. Le p. Feuillée a dessiné quelques-unes de ces sangsues marines dans son histoire des animaux du Chily. (D. J.)
Sangsues terrestres, (Hist. nat.) des voyageurs nous apprennent que l’île de Ceylan produit une espece de sangsues fort incommode pour ceux qui vont à pié. Elles n’ont d’abord que la grosseur d’un crin de cheval, mais elles se gonflent au point de devenir de la grosseur d’une plume d’oie, & longues de deux ou trois pouces. Ce n’est guere que dans les saisons pluvieuses qu’on les voit ; alors elles montent aux jambes des voyageurs, & les sucent avec une promptitude qui empêche de s’en garantir. On souffre patiemment leurs morsures, parce qu’on les regarde comme fort saines.