L’Encyclopédie/1re édition/SARDES

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SARDES, (Géog. anc.) Σάρδεις au pluriel par les anciens, & rarement Sardis au singulier ; grande ville d’Asie, dit Strabon, bâtie depuis la guerre de Troie, avec une citadelle bien fortifiée. Elle étoit au pié du mont Tmolus, à 15 lieues de Smyrne, & baignée par le Pactole. Mais grace aux belles observations de M. l’abbé Belley, insérées dans les mémoires de littérature, tome XVIII. in 4°. je puis fournir l’histoire complette de cette ville, célebre par son antiquité, sa dignité, ses richesses, & ses médailles.

Capitale du royaume de Lydie, & le siége de ses rois, dont la puissance s’étendoit sur une grande partie de l’Asie mineure, elle tomba au pouvoir de Cyrus, après la défaite de Crésus. Sous la domination des rois de Perse, elle conserva un rang distingué. On sait qu’elle fut le séjour de Cyrus le jeune : le satrape ou gouverneur de la préfecture maritime, y faisoit sa résidence. Elle avoit beaucoup souffert par la révolte des Ioniens contre Darius fils d’Hystaspe : les confédérés conduits par Aristagoras, prirent la ville, la brûlerent : le temple même de Cybele, déesse du pays, ne fut pas épargné. Cet incendie auquel les Athéniens avoient eu part, fut un des motifs qui déterminerent Darius à déclarer la guerre aux Grecs, & servit de prétexte aux Perses pour brûler les temples de la Grece.

Mais la ville de Sardes recouvra son premier état, lorsqu’Agésilas, sous Artaxerxès Mnénom, passa en Asie pour combattre Tissapherne. Alexandre le grand ayant défait sur les bords du Granique les généraux de Darius, dernier roi de Perse, fit la conquête d’une grande partie de l’Asie mineure. La ville de Sardes, qui étoit l’ornement & le boulevard de l’empire des Barbares du côté de la mer, se soumit à ce prince, qui lui rendit la liberté, & l’usage de ses lois. Dans la suite elle tomba sous la puissance des rois de Syrie ; le rebelle Achæus qui avoit pris le diadème, se réfugia dans cette ville, où il fut pris & mis à mort.

Antiochus le grand ayant été vaincu par les Romains à la bataille de Magnésie, fut dépouillé des états qu’il possédoit en-deçà du mont Taurus : les Romains céderent à Eumène, roi de Pergame, leur allié, la Lydie, & plusieurs autres pays. Attale Philométor, l’un de ses successeurs, laissa par testament au peuple romain ses états, qui trois ans après sa mort furent réduits en province. Cette province est connue dans l’histoire sous le nom d’Asie proconsulaire ; elle étoit gouvernée par un proconsul au tems de la république, & même depuis, Auguste l’ayant cédée au sénat dans le partage qu’il fit des provinces. L’Asie proconsulaire étoit d’une grande étendue ; elle comprenoit la Lydie, la grande Phrygie, la Misnie, l’Eolie, l’Ionie, les îles adjacentes, & la Carie. Ainsi la ville de Sardes passa sous la puissance de Rome.

Elle fabriquoit des monnoies plusieurs siecles avant l’empire Romain. Hérodote assure que les Lydiens furent les premiers qui firent frapper des monnoies d’or & d’argent ; je n’examine point si l’invention de l’art de battre monnoie leur est dûe ; il est certain que cet art est très-ancien en Lydie, & par conséquent à Sardes, qui en étoit la capitale. On voit encore dans les cabinets des anciennes monnoies d’un travail grossier, qu’on croit avoir été frappées sous les Atyades, anciens rois de Lydie. Quoi qu’il en soit, le cabinet du Roi & celui de M. Pellerin conservent plusieurs médailles d’argent & de bronze de la ville de Sardes, où l’on ne voit point la tête des empereurs ; cependant cette ville fit ensuite frapper un grand nombre de médailles avec la tête de ces princes. Les antiquaires en connoissent plus de cent vingt toutes différentes, depuis Auguste jusqu’à Valerien le jeune : il nous reste aussi plusieurs de ses inscriptions ; mais bornons-nous ici à l’histoire simple de cette ville ; nous avons à faire connoître sa position fertile, sa dignité, son gouvernement particulier, ses traités avec d’autres villes d’Asie, son culte religieux, ses temples, ses fêtes, & les jeux qu’elle a célébrés en l’honneur des dieux & des empereurs ; nous indiquerons aussi quels étoient les ministres de la religion des Sardiens. Enfin, comme il est intéressant de connoître quel a été dans la suite des siecles le sort d’une ville si fameuse, nous rapporterons en deux mots ses diverses révolutions depuis le haut empire jusqu’à-présent.

1. La ville de Sardes étoit éloignée d’Ephèse de 540 stades ; &, suivant les itinéraires, de 63 milles, qui font environ 21 lieues communes de France : si nous ne savions pas d’ailleurs qu’elle étoit de l’Asie proconsulaire & en Lydie, les monumens nous l’apprendroient, puisqu’on lit sur ses médailles, Σαρδιανῶν κοινοῦ Ἀσίας, & même le nom du proconsul, gouverneur de la province ; Γαίῳ Ἀσινίῳ Πολλίωνι Ἀνθυπάτῳ ; & dans une inscription, Τῆς Ἀσίας ναῶν τὸν ἐν Λυδίᾳ Καρδιανῶν.

On sait aussi qu’elle étoit située sur le penchant du mont Tmolus, vers le septentrion, selon Pline, l. V. c. xxjx. qui dit Sardibus in latere Tmoli montis ; qu’elle étoit arrosée par le Pactole, cette riviere si vantée dans l’antiquité pour les sables d’or qu’elle rouloit dans ses eaux, & qu’on n’y trouvoit plus au tems de Strabon. Ces circonstances locales sont encore marquées sur les médailles. On voit sur une médaille du cabinet du roi, la tête d’un vieillard couronné de pampre, avec le nom Τμῶλος, & au revers une figure assise qui tient un canthare, avec le nom de Σαρδινῶν. Le même dieu, le Tmole, sous la figure d’un vieillard, est représenté sur une des médailles de Sardes, frappée sous Domitien ; & une autre de Septime Severe, suivant le P. Froelich, a sur le revers le Pactole avec ses attributs, & la légende σαρδιανῶν.

L’opulence des rois de Lydie a été célebrée dans la plus haute antiquité : on croit qu’ils puisoient leurs trésors dans les mines d’or du Tmole, où sont les sources du Pactole ; mais ce qui contribua le plus dans tous les tems à la richesse de Sardes, ce fut la fertilité de son territoire. Les côteaux du Tmole étoient plantés de vignobles, dont le vin étoit fort estimé ; aussi a-t-on imaginé que Bacchus avoit été nourri à Sardes, & que cette ville a inventé l’art de faire le vin : ce dieu est représenté avec ses attributs, le canthare, le thyrse & la panthere, sur plusieurs de ses médailles. Une plaine spacieuse s’étend du pié de la montagne jusqu’au-delà du fleuve Hermus, nommée par excellence la plaine de Sardes, Σαρδιανὸν πεδίον.

Elle est arrosée par un grand nombre de ruisseaux, & par le Hermus qui fertilise ses terres. On voit le fleuve représenté sur une médaille de sabine, Σαρδιανῶν Ἕρμος. La plaine outre les pâturages, produisoit en abondance des blés & des grains de toute espece ; Cérès & Triptolème qui présidoient à l’agriculture, sont représentés sur plusieurs de ses médailles. Sardes, dit Strabon, lib. XIII. p. 627. a été prise par les Cimmériens, par les Trères & les Lyciens, & ensuite par les Perses ; elle s’est toujours relevée de ses malheurs à cause de la bonté de son sol. Cette bonté contribua sans doute à son rétablissement, après cet horrible tremblement de terre qui renversa en une nuit douze villes d’Asie ; Sardes fut la plus maltraitée : asperrima in Sardianos lues, dit Tacite, annal. xj. 47. aussi eut-elle le plus de part aux libéralités de Tibere, qui fit rétablir ces villes, & Sardes par reconnoissance lui décerna les honneurs divins.

II. Si cette ville fut puissante par ses richesses, elle fut illustre par d’autres titres honorables. Dans la contestation qui s’éleva entre onze villes de l’Asie, qui toutes ambitionnoient l’honneur de bâtir un temple à Tibere, à Livie & au sénat, les villes de Smyrne & de Sardes, à l’exclusion des autres, resterent en concurrence. Leurs députés parlerent devant le sénat, & si ceux de Sardes n’eurent pas l’avantage sur les Smyrnéens, c’est que ces derniers firent valoir leur antiquité, & les services importans qu’ils avoient rendus aux Romains dans les tems les plus difficiles. Sardes néanmoins pouvoit presque prendre sur ses monumens, les mêmes titres d’honneur que Smyrne ; c’étoit une grande ville, dit Strabon, la plus grande de l’Asie, suivant Séneque, & l’une des plus magnifiques. On voyoit près de cette ville, les tombeaux des anciens rois de Lydie, μνήματα τῶν βασιλέων, & en particulier celui d’Alyatte, pere de Crésus.

Antonin Pie dans un de ses rescrits, met Sardes au nombre des villes qu’il qualifie de métropole de peuples. Elle étoit métropole de la Lydie : Lydia celebratur maximè Sardibus, dit Pline, lib. V. c. xxix. Aussi prenoit-elle le titre de métropole, comme l’a prouvé M. Askew, savant anglois, par une inscription qu’il a copiée sur les lieux en 1748. On lit sur un médaillon de Septime Sévere, σαρδιανῶν δὶς νεοκόρων μετροπόλεως ἀσίας. Enfin dans la division que les Romains firent de la province d’Asie en plusieurs préfectures ou jurisdictions, qu’ils nommoient juridici conventus, celle de Sardes à laquelle ressortissoient plusieurs grandes villes, étoit une des plus étendues.

III. Dans les premiers tems, les villes de l’Asie étoient gouvernées suivant leurs lois, & par leurs propres magistrats : elles jouissoient alors d’une véritable autonomie. Sous la domination des Perses elles perdirent cette précieuse liberté. Alexandre le grand les rétablit dans leur ancien état, qui fut confirmé par les Romains, & nous savons que Sardes eut part à ce bienfait.

Le gouvernement de cette ville étoit démocratique ; l’autorité publique s’exerçoit au nom du peuple par un conseil public, comme on le voit sur un monument érigé en l’honneur d’Antonin Pie : Ἡ. Βουλὴ Καὶ ὁ Δῆμος τῶν σαρδιανῶν. Outre le conseil commun de la ville appellé βουλὴ, composé des archontes & d’autres conseillers, la ville de Sardes avoit un sénat ou conseil des anciens, γερουσία, dont il est fait mention dans une belle inscription de cette ville, rapportée par Spon (misc. p. 317.) Ἡ βουλὴ καὶ ὁ δῆμος καὶ ἡ γερουσία ἐτίμησαν, &c. Ce conseil s’assembloit dans le palais de Crésus, que les Sardiens avoient destiné pour le logement & la retraite des citoyens pendant leur vieillesse. Vitruve, lib. IV. c. viij. parle de ce palais qu’il appelle Gerusia.

Le conseil gerusia étoit établi dans plusieurs villes de l’Asie, suivant les inscriptions & les médailles. Le premier magistrat de Sardes étoit nommé archonte, & quelquefois στρατηγὸς, préteur ; on sait que le nom d’archonte a pris naissance à Athènes. Les colonies grecques le porterent en Asie, d’où il s’étendit à plusieurs villes de ce continent. L’archontat étoit une magistrature annuelle ; mais l’archonte étoit quelquefois continué ou choisi, deux, trois, ou quatre fois, comme il est constant par les médailles, ΑΡΧ. πρῶτος, étoit éponyme. Son nom inscrit sur les actes publics, marquoit la date des années ; car plusieurs villes marquoient la date des années par les archontes. Dans le grand nombre des médailles de Sardes, il n’y en a que deux frappées sous Tibere, & une sous Trajan, qui portent le nom du proconsul ; mais on y trouve les archontes sous presque tous les regnes, depuis Auguste jusqu’à Valerien le jeune. Ils sont désignés ordinairement par les lettres ΑΡ. ΑΡΧ. Sardes avoit aussi un premier magistrat, στρατηγὸς, strategus ou préteur, qu’on trouve sur quelques-unes de ses médailles, & un γραμματεὺς, greffier en chef de la ville ; place de confiance, qui demandoit une exacte probité dans celui qui la remplissoit.

IV. Les monumens nous instruisent non-seulement du gouvernement de la ville de Sardes, ils nous ont transmis les différens traités d’union & d’association qu’elle conclut avec d’autres villes, comme avec celle de Pergame, d’Ephèse, de Laodicée & d’Hiérapolis de Phrygie. Ces traités sont désignés sur les médailles par le nom d’ὁμόνοια, que les Latins ont rendu par celui de concordia. Les villes d’Ephèse & de Sardes firent entre elles un traité d’union sous les Antonins, pour s’associer réciproquement au culte de leurs divinités. En conséquence de cette association, le culte de Diane éphésienne fut établi à Sardes : cette déesse y paroit sur une de ses médailles frappée sous le regne de Caracalla. Par une médaille d’Hiérapolis de Phrygie, qui a d’un côté la tête de Philippe le jeune, on voit que cette ville associa Sardes à la célébration des jeux sacrés ; au revers sont représentées deux urnes, avec des branches de palmier, on lit autour : ἱεροπολείτων καὶ σαρδιανῶν ὁμόνοια.

V. Quoique les Grecs, & les autres peuples du Paganisme, reconnussent la pluralité des dieux, cependant chaque pays, & même les villes, adoroient des divinités particulieres. Tels étoient l’Apollon de Milet, l’Esculape d’Epidaure, la Minerve d’Athènes, la Diane d’Ephèse, la Vénus de Paphos, & une infinité d’autres divinités. La ville de Sardes honoroit aussi des divinités tutélaires, auxquelles elle rendoit un culte particulier. Dans les premiers tems elle honoroit Cybèle, dont le temple fut brûlé par les Ioniens sous la conduite d’Aristagoras. Soit que son culte eût été aboli ou négligé, les monumens de Sardes ne la représentent plus que sur une médaille de Salonine femme de Gallien. Les habitans de la ville rendirent un culte particulier à Diane. Elle avoit un temple célebre sur les bords du lac de Gygès ou de Coloé, à 40 stades de la ville, d’où elle étoit nommée Κολοηνὴ Ἄρτεμις. Ce lieu sacré étoit infiniment respecté ; il avoit même un droit d’asyle, que les Sardiens prétendoient avoir obtenu d’Alexandre le grand. Comme ces privileges étoient l’occasion de plusieurs abus dans les villes de l’Asie, le sénat les restraignit sous l’empire de Tibere : ainsi le culte de la déesse ne fut plus aussi célebre. M. Askew a copié dans son voyage, une inscription qui fait mention d’une prêtresse de Diane de Sardes.

Proserpine tint le premier rang entre les divinités de Sardes ; elle est représentée sur les médailles de Trajan, de Marc Aurele, de Lucius Verus, de Commode, de Septime Sévère, du Julia Domna, de Caracalla, de Tranquilline, de Gallien & de Salonine ; & quelquefois avec son temple. Comme cette déesse étoit la divinité tutélaire de Sardes, cette ville célébroit des jeux en son honneur.

La Vénus de Paphos étoit aussi adorée à Sardes. Elle y avoit un temple qui est représenté sur les médailles d’Hadrien, de Sévere Alexandre, de Maximin & de Gordien Pie, avec l’inscription παφίη σαρδιανῶν : ce culte devoit être ancien à Sardes. Hérodote nous apprend à quel point les mœurs de cette ville opulente étoient dissolues dès les premiers tems. Il n’est donc pas étonnant que les Sardiens aient adopté une divinité de l’île de Cypre. Nous avons observé plus d’une fois dans cet Ouvrage, que des pays encore plus éloignés l’un de l’autre, se sont communiqués réciproquement leur culte & leurs cérémonies religieuses. On voit la tête de Vénus sans légende, sur une médaille du cabinet de M. Pellerin ; & au revers une massue dans une couronne de laurier, avec le nom Σαρδιανῶν, & un monogramme.

Le dieu Lunus, appellé Μὴν par les Grecs, paroit sur plusieurs médailles de Sardes. Il est représenté avec un bonnet phrygien sur la tête, & une pomme de pin à la main ; il porte quelquefois un croissant sur les épaules. Sur deux médailles décrites par Haym, on voit d’un côté la tête du dieu Lunus, avec le bonnet phrygien & le croissant : on lit autour μὴν ἄσκηνος ; de l’autre côté, un fleuve couché & appuyé sur son urne, tient de la droite un roseau, & de la gauche une corne d’abondance, avec la légende σαρδιανῶν Β. νεωκόρων ; & à l’exergue ερμος. L’autre médaille a la même tête avec la même légende, & au revers un gouvernail & une corne d’abondance, posés l’un sur l’autre en sautoir, avec la légende σαρδιανῶν Β. νεωκόρων. Ces deux médailles ont été frappées sous le regne de Septime Sévere, à cause du titre de néocores pour la seconde fois, que prennent les habitans de Sardes sur ces monnoies. Le nom d’Ἄσκηνος est une épithete du dieu Lunus, à qui les peuples de l’Asie donnoient différens surnoms, comme de φάρακος dans le Pont, de καρὸς en Carie, de καμαρείτης à Nisa en Carie, d’ἀρχαῖος en Pisidie, & suivant les médailles citées, d’ἄσκηνος en Lydie.

Nous avons déjà observé que le territoire de Sardes étoit très-fertile en blés, & qu’il produisoit des vins excellens : les Sardiens honoroient spécialement Cérès & Bacchus, & les ont souvent représentés sur leurs monumens. Le cabinet de M. Pellerin conserve un beau médaillon d’argent qui a été frappé à Sardes. C’est une de ces anciennes monnoies qu’on appelloit cistophores, parce qu’elles portoient d’un côté la ciste sacrée, ou la corbeille qui renfermoit les mysteres de Bacchus.

Jupiter est souvent représenté sur les médailles de Sardes, & même sur une de ses médailles on y a gravé la tête & le nom de Jupiter ; il avoit dans cette ville un temple avec des prêtres, & les Sardiens célébroient en son honneur des jeux publics.

Le culte d’Hercule étoit aussi établi à Sardes. Les anciennes traditions du pays avoient conservé la mémoire des amours de ce héros & d’Omphale reine de Lydie. Les Lydiens se glorifioient d’avoir été gouvernés par Hercule & par ses descendans. Ils le consacrerent au nombre de leurs principales divinités ; la ville de Sardes l’a représenté sur plusieurs de ses médailles. On voit sur une médaille du cabinet du roi d’un côté la tête d’Hercule sans légende ; de l’autre, Omphale de bout, porte sur l’épaule droite la massue, sur le bras gauche une peau de lion, avec le nom Σαρδιανῶν : sur une autre médaille du même cabinet, Omphale est représentée ayant la tête couverte d’une peau de lion. Sur deux médailles de ce cabinet, on voit d’un côté la tête de Proserpine, & de l’autre une massue renfermée dans une couronne de feuilles de chêne. Le cabinet de M. Pellerin conserve aussi plusieurs médailles de Sardes, sur lesquelles Hercule est représenté avec ses attributs.

On voit aussi sur les médailles de Sardes le type de quelques autres divinités, de Junon, de Mars, de Pallas & d’Apollon ; mais aucun monument ne nous apprend que ces divinités ayent eu des temples dans la ville, & qu’elles y ayent été honorées d’un culte particulier.

VI. Les peuples & les villes de l’empire romain élevoient des temples, offroient des sacrifices & décernoient tous les honneurs de la divinité aux empereurs, aux princesses, femmes, meres, filles ou parens des empereurs. Ils ne rougissoient point d’accorder le nom vénérable de θεὸς, deus, à des hommes qui deshonoroient souvent l’humanité. La ville de Sardes célébra sur ses monumens les vertus, les victoires, les trophées des princes ; elle fit plus, elle les adopta au nombre de ses dieux. Auguste paroît sur une de ses médailles avec cette inscription, Θεὸς σεϐαστός. Elle consacra des prêtres en l’honneur de Tibere. La reconnoissance de la ville s’étendit même au jeune Drusus fils de Tibere, & à Germanicus qu’il avoit adopté : sur deux de ses médailles, elle proclame nouveaux dieux les deux césars, Δροῦσος. Γερμανικός. Καίσαρες. Νέοι. Θεοί. Φιλάδελφοι. Ἀδελφοί. Cette inscription singuliere annonce d’une maniere indirecte la divinité de leur pere. Les Sardiens célebrent en même tems l’heureuse concorde des deux princes, Φιλάδελφοι, Ἀδελφοί. La couronne de chêne avec ces mots Κοινοῦ Ἀσίας est le symbole des jeux que la province de l’Asie fit célébrer à Sardes en leur honneur.

La flatterie des Sardiens à l’égard d’Hadrien fut portée à l’excès. A l’exemple de plusieurs autres peuples, ils eurent la foiblesse de consacrer au nombre des héros l’infame Antinoüs, comme on le voit sur deux de leurs médailles, avec cette légende, Ἀντίνοος. Ἥρως. Ils ne donnerent pas d’autres titres d’honneur à Antonin Pie, un des plus excellens princes, & dont ils avoient reçu des bienfaits signalés, suivant la belle inscription greque rapportée dans Spon, Voyage, t. III. p. 146. & dont voici la traduction : « Le sénat & le peuple de Sardes ont honoré comme un héros & comme leur bienfaiteur l’empereur César, Titus Ælius Antonin Pie, Auguste, fils du divin Hadrien, petit-fils du divin Trajan, jouissant de la puissance tribunitienne pour la seconde fois, consul pour la troisieme, pere de la patrie ».

L’histoire ne dit point quelles graces ou quels bienfaits la ville de Sardes avoit reçus de Septime Sévere ; mais les médailles nous apprennent que les Sardiens rendirent de grands honneurs à ce prince & à ses enfans ; ils leur éleverent un temple magnifique, & célebrerent à leur gloire les jeux philadelphiens : ils honorerent aussi l’empereur Gordien Pie en représentant Tranquilline sa femme sous la figure & avec les attributs de Cérès & de Proserpine leurs principales divinités ; il paroît qu’ils accorderent les mêmes honneurs à Salonine, femme de Gallien. Auguste avoit déja bien voulu permettre aux Sardiens de lui bâtir un temple, qu’ils ont marqué sur une de leurs médailles, au revers de laquelle le prince donne la main à une femme qui a la tête couronnée de tours, & qui est sans doute le symbole de Sardes. Cette ville, dans ses médailles, se qualifie de néocore, titre honorifique, qui consistoit dans la garde des temples célebres, soit des dieux, soit des empereurs. Les Sardiens ont été honorés trois fois du néocorat, sous Adrien, sous Caracalla, & sous Valérien selon M. Vaillant ; & selon M. l’abbé Belley, sous Auguste, sous Septime Severe & sous Caracalla.

VII. Les jeux & les spectacles chez les Grecs faisoient partie du culte religieux. La ville de Sardes célébroit des jeux en l’honneur des dieux & en l’honneur des empereurs ; les premiers jeux étoient les plus anciens. Nous n’en connoissons par les monumens que de deux especes : les jeux Κόραια, célébrés en l’honneur de Proserpine, déesse tutélaire de la ville, sont marqués sur deux médailles très-rares du cabinet de M. Pellerin, frappées sous Caracalla. Elles représentent d’un côté la tête de l’empereur couronnée de laurier, avec la légende ΑΥΓ. Κ. Μ. ΑΥΡ. ϹΕ… Ἀντωνεῖνος ; au revers, Proserpine assise ayant à droite un pavot, & à gauche un épi, légende Ἐπὶ αν Ρούφου Ἄρχ. Ἀ. Το. Γ. dans le champ, Κόραια Ἄκτια, sur une base, & au-dessous σαρδιανῶν δὶς Νεωκόρων. Les fêtes de Proserpine sont appellées Κόρεια par le scholiaste de Pindare, par Plutarque & par Hésychius dont Meursius cite les témoignages. Les Sardiens, suivant la médaille, célébroient les jeux actiatiques Κόραια Ἄκτια en l’honneur de Proserpine. La ville de Sardes célébroit aussi des jeux en l’honneur de Jupiter Lydien.

Les jeux que cette ville célébra en l’honneur des empereurs sont connus par un grand nombre de médailles ; tels étoient les jeux augustaux en l’honneur d’Auguste, les jeux philadelphiens & les jeux nommés chrysanthina. Il est fait mention de ces derniers jeux dans les anciennes inscriptions, Χρυσανθίνα. Ἐν. Ϲάρδεσιν. Ils sont marqués sur les médailles de Sardes, de Julia Domna, de Caracalla, de Sévere Alexandre, de Tranquilline & d’Otacilia. Vaillant pense qu’ils étoient ainsi nommés d’une couronne de fleurs d’or, soit artificielles, soit naturelles, qui étoit le prix des vainqueurs : en effet, cette couronne est représentée sur quelques médailles. L’urne de ces jeux porte une & quelquefois deux branches de palmier, d’où l’on peut inférer que le spectacle étoit composé d’une ou de deux sortes de combats. Au reste, nous voyons dans le droit romain que ces jeux, comme les olympiques, se célébroient tous les cinq ans, c’est-à-dire après la quatrieme année révolue.

Les villes d’Asie, à l’imitation d’Athènes, faisoient élever avec soin la jeunesse, l’instruisoient dans les sciences, & la formoient à tous les exercices du gymnase. La ville de Sardes avoit aussi son gymnase, & célébroit les jeux isélastiques, ainsi appellés, parce qu’ils donnoient aux athletes vainqueurs droit d’entrer en triomphe dans leur patrie. Voyez Isélastiques, jeux.

VIII. Une grande ville doit renfermer plusieurs temples, & un nombre proportionné de ministres destinés à leur service, & ses ministres sont de plusieurs classes. Ceux du second ordre, appellés par les Grecs ἱερεὺς, paroissent sur quelques inscriptions de Sardes ; on y voit un prêtre de Jupiter, un prêtre de Tibere, Ἱερέα Τιϐερίου. Tous ces ministres étoient subordonnés à un pontife ou grand-prêtre qui avoit la surintendance dans l’étendue de la ville & de son territoire ; ce pontife étoit nommé Ἀρχιερεύς. Comme Sardes étoit la capitale de Lydie, ce pontife prenoit quelquefois la qualité de grand-pontife, parce qu’apparemment il avoit inspection sur les pontifes des autres villes de Lydie. On lit sur une médaille d’Héliogabale, Ἐπὶ. Γαλ. Κλαυδιανοῦ Ἀρχιε. Μεγ. Ϲαρδιανῶν.

Les jeux sacrés, qui se célébroient aux temples communs à toute la province en l’honneur des dieux ou des empereurs, étoient ordonnés par l’asiarque, qui étoit encore différent des pontifes dont nous venons de parler : c’étoit un officier public revêtu d’une espece de magistrature, & d’un sacerdoce singulier qui lui donnoient droit de présider aux jeux. Sur trois médailles de Salonine & sur deux de Valérien le jeune, Domitius Rufus, premier magistrat de Sardes, est nommé asiarque.

Cette ville avoit aussi ses éponymes qui étoient tantôt des ministres de la religion, pontifes, prêtres, & tantôt des magistrats civils qui donnoient le nom à l’année, car les éponymes de Sardes n’ont pas toujours été les mêmes officiers ; il paroît que sous les regnes de Tibere & de Trajan, le proconsul, gouverneur de la province, étoit éponyme ; sous presque tous les regnes suivans jusqu’à Gallien les années étoient marquées par la suite des archontes ou des strateges.

Enfin la ville de Sardes avoit des prêtres ou des pontifes d’un ordre distingué, qu’on appelloit stéphanéphores, parce qu’ils portoient une couronne de laurier, & quelquefois une couronne d’or dans les cérémonies publiques. Ce sacerdoce étoit établi dans plusieurs villes de l’Asie, à Smyrne, à Magnésie du Méandre, à Tarse, &c. On voit par les monumens que cette dignité étoit annuelle & éponyme dans quelques villes. Les stéphanéphores, anciennement consacrés au ministere des dieux, furent aussi attachés au culte des empereurs.

IX. Ce précis historique, extrait du savant mémoire de M. l’abbé Belley, & qu’il a rédigé d’après les inscriptions & les médailles de la ville de Sardes, fait assez connoître quel secours l’histoire peut tirer d’une étude approfondie des monumens antiques. Il nous reste à extraire du même mémoire l’histoire abrégée des révolutions de la ville de Sardes, depuis la fin du troisieme siecle jusqu’à présent.

Sous le haut empire, la Lydie fit toujours partie de l’Asie proconsulaire, mais dans la suite cette province fut démembrée ; les pays dont elle étoit composée formerent autant de provinces particulieres : ce changement arriva sous Dioclétien & Maximien Hercule, auxquels les historiens ont reproché d’avoir affoibli l’empire en divisant ses grandes provinces. Ainsi la Lydie devint alors province. & nous voyons dans la notice de l’empire qu’elle fut gouvernée par un consulaire ; Sardes étoit sa ville métropole. Constantin divisa l’Asie en dix provinces, dont l’une étoit la Lydie, dont Sardes fut toujours la métropole. Comme la qualité des eaux rendoit la situation de cette ville propre aux manufactures, nous voyons qu’anciennement les belles teintures de pourpre & d’écarlate faisoient partie de son commerce & de ses richesses. Dans les derniers siecles de l’empire romain, on y établit une fabrique d’armes.

Mais ce qui rendit la ville de Sardes illustre sous les princes chrétiens, ce fut la dignité de son église. Elle étoit une des sept premieres églises d’Asie, fondée par l’apôtre S. Jean. Méliton, un de ses évêques, écrivit en faveur des Chrétiens, & adressa leur apologie à l’empereur Marc Aurele. Ses évêques eurent le rang de métropolitains, Méonius assista en cette qualité au concile général assemblé à Ephese l’an 431, pour condamner les erreurs de Nestorius. Leur jurisdiction étoit fort étendue, & leur suite est assez connue jusqu’à la ruine de la ville.

Depuis le regne d’Héraclius, l’empire d’Orient ayant été divisé pour l’ordre civil en pays ou districts, la Lydie fit partie du district des Thracésiens, & Sardes fut toujours la capitale de ce département. Cette nouvelle division a subsisté jusqu’à la grande invasion des Turcs au commencement du quatorzieme siecle, qui se fit dans la partie occidentale de l’Asie mineure l’an 1313 sous le regne de l’empereur Andronic. Plusieurs chefs de tribus s’étoient rendus indépendans des sultans de Cogni ; & s’étant fortifiés, ils se répandirent vers l’Occident. Mentecha s’empara d’Ephese & de la Carie ; Aïdin de la Lydie jusqu’à Smyrne, Sarkan de Magnésie du Sipyle & des pays voisins jusqu’à Pergame ; Ghermian de la Phrygie Pacatienne ; Carase de la Phrygie ou Troade, depuis Asso jusqu’à Cyzique ; & Osman de la Paphlagonie & d’une partie de la Bithynie. Voilà l’époque de plusieurs toparchies turques ou principautés particulieres, dont les noms subsistent encore dans la division que font les turcs de l’Anatolie, ou, comme ils disent, Anadoli.

Osman, duquel descendent les princes Ottomans, fonda un empire qui s’étendit en peu de tems dans trois parties du monde. Bajazeth, son quatrieme successeur, auroit détruit l’empire des Grecs, s’il n’avoit été arrêté dans ses vastes projets par Timur-Beck ou Tamerlan, qui le fit prisonnier à la bataille d’Ancora (Ancyre en Galatie) en 1402. Timur ravagea toute l’Anatolie, & envoya ses généraux faire des courses en différens cantons. L’un d’entr’eux dévasta la Lydie & la ville de Sardes, enleva l’or, l’argent, & tout ce qui s’y trouva de précieux : c’est l’époque fatale de la ruine de cette grande ville.

Timur marcha en personne contre Smyrne, & la prit ; ce conquérant remit en possession de la Lydie les fils d’Aïden, qui en avoient été dépouillés par Bajazeth. Amurat détruisit leur famille, & leur principauté ; Sardes ne put se relever, & n’eut plus d’évêque depuis l’an 1450 ; ses droits métropolitains passerent à l’église de Philadelphie, qui en est éloignée de 27 milles. La Lydie, que les Turcs nomment Aïdin-Eili, le pays d’Aïdin, resta soumise à l’empire Ottoman.

Imith a décrit dans son voyage l’état auquel la ville de Sardes étoit réduite l’an 1671 ; ce n’est plus, dit-il, qu’un misérable village composé de quelques chaumieres où logent un petit nombre de turcs presque tous pâtres, dont le bien consiste en troupeaux qui paissent dans la plaine voisine. Il y reste très-peu de chrétiens, sans église & sans pasteur, & qui sont réduits pour vivre à cultiver des terres ; cependant, continue-t-il, Sardes au milieu de sa désolation montre encore des vestiges de son ancienne splendeur : on trouve au midi ce la ville de grandes colomnes entieres & sur pié, d’autres renversées & brisées ; l’on voit à l’orient des ruines d’édifices, & d’un magnifique palais, répandues dans une grande étendue de terrein. Les choses ont encore dépéri depuis. L’on sait aujourd’hui de M. Askew, qui a voyagé dans l’Asie mineure depuis l’année 1744, que Sardes est totalement deserte, & qu’il n’y reste aucune habitant, ni turc, ni chrétien ; & que l’on ne trouve plus dans ses anciennes ruines, que quelques inscriptions indéchifrables.

De tous ses titres, Sardes n’a conservé que son nom : les Turcs la nomment encore Sart. Suivant la géographie écrite en langue turque, qui a été imprimée à Constantinople depuis quelques années, Sardes & son territoire sont compris dans le district ou liva de Tiré, qui fait partie d’Aïdin-Eïli. Le Tmole y est nommé Boz-dag, c’est-à-dire, Montagne de glace. Les princes turcs qui résidoient à Magnésie, alloient ordinairement passer l’été sur cette montagne, pour éviter les chaleurs de la plaine, & prendre le divertissement de la chasse. Le géographe turc observe qu’au nord de la montagne on voit un lac poissonneux, & dont les eaux sont très belles ; il peut avoir de circuit dix milles, qui font environ trois lieues de France : ce doit être le lac de Gygès, dont Homere a parlé, & qui a été célebre dans toute l’antiquité. La plaine de Sardes, qui est une des plus spacieuses & des plus fertiles de l’Asie, est présentement inculte, on l’appelle la plaine de Nymphi.

Tel est l’état du territoire & de l’ancienne capitale de Crœsus. Ce prince si renommé par ses richesses, par ses libéralités, par le soin qu’il prit d’attirer à sa cour les premiers sages de son tems, n’est pas moins fameux par les vicissitudes des événemens de sa vie. Après avoir soumis à sa puissance presque tous les peuples de l’Asie en-deçà du fleuve Halys, il perdit contre Cyrus, roi de Perse, la célebre bataille de Thymbrée, fut pris, chargé de chaînes, & condamné à mourir sur un bucher. Il reconnut pour la premiere fois la vérité de ces belles paroles de Solon : « qu’on ne pouvoit appeller un homme heureux qu’après sa mort ». Et il invoqua tout haut en présence de son vainqueur le nom du grand homme dont il les tenoit. Cyrus faisant alors réflexion sur l’inconstance de la fortune, & sur les dangers qu’il avoit couru de son côté un moment avant la victoire, accorda généreusement la vie à Crœsus, le gratifia d’Ecbatane, & le traita depuis avec beaucoup de bonté & de distinction. Tout ceci se passa vers l’an 210 de Rome, du tems de Tarquin le Superbe.

Je ne dois pas oublier de couronner l’article de Sardes, en remarquant que les lettres y ont fleuri, & qu’on les cultivoit encore dans cette ville au v. siecle de l’ere chrétienne. Elle a été la patrie de Poliænus, qui vivoit sous Jules-César, & qui outre des plaidoyers, publia trois livres du triomphe partique, c’est-à-dire, de celui de Ventidius. Elle a produit dans le iv. siecle le rhéteur Eunape, auteur d’une histoire des sophistes, que nous avons, & d’une histoire des empereurs depuis Claude le Gothique, jusqu’à la mort d’Eudoxie, femme d’Arcadius, dont il ne reste que des fragmens, mais qui sont curieux. Strabon dit que Sardes donna la naissance aux deux Diodores, orateurs célebres ; mais elle doit sur-tout se glorifier de celle d’Alcman.

Je sai que Pausanias, Suidas, & Clément d’Alexandrie, le font naître à Sparte, cependant il étoit né véritablement à Sardes, mais il fut formé & élevé à Lacédemone, & y fleurissoit vers la vingt-septieme olympiade. Esclave d’un spartiate, nommé Agésidas, il fit paroître du génie & des talens qui lui procurerent la liberté, & le mirent au rang des célebres poëtes-musiciens. Il voyagea, & fut partout bien accueilli, mais il vécut principalement chez les Lacédémoniens, & il y mourut ; c’est leur goût pour la poésie qui leur a fait élever un esclave au rang de citoyen, malgré leur usage de n’accorder ce privilege qu’avec beaucoup de réserve.

Alcman fut excellent joueur de cithare, & chantoit ses vers au son de cet instrument. Il fut le chef des poésies galantes & amoureuses ; & puisqu’il ne paroît point que la sévere Lacédémone en ait été scandalisée, on peut juger que le poëte y avoit respecté la pudeur ; ce n’est pas qu’il ne fût un homme de plaisir, il aimoit la table & les femmes ; il convient lui-même quelque part qu’il étoit un grand mangeur, & selon Athenée, il avoit une maîtresse appellée Mégalastrata, distinguée par le talent de la poésie.

Clément d’Alexandrie fait Alcman auteur de la musique destinée aux danses des chœurs. Si l’on en croit Suidas, il fut le premier qui donna l’exclusion au vers hexametre par rapport aux poésies lyriques ou chantantes. On le fait encore auteur d’une sorte de vers nommé alcmanien, & composé de trois dactyles suivis d’une syllabe ; mais ce qui prouve l’excellence des vers & de la musique d’Alcman, c’est que sa poésie n’avoit rien perdu de sa douceur ni de ses graces, dit Pausanias, pour avoir été écrite dans un dialecte d’une prononciation aussi rude que le dialecte dorique.

Pausanias ajoute, qu’on voyoit de son tems à Lacédémone le tombeau de ce poëte. Si les conjectures de M. Antoine Astori, vénitien, exposées dans un petit commentaire imprimé en 1697, in-folio, eussent été bien fondées, on posséderoit à Venise un ancien monument de marbre venu de Grece, & consacré à la mémoire d’Alcman ; mais M. Frid. Rostgaard, savant danois, ayant examiné ce monument, n’y a pas trouvé un seul mot qui concernât le poëte Alcman. Il ne nous reste même que quelques fragmens de ses poésies. Le tems nous a ravi ses six livres de chansons pour les jeunes filles, & son poëme intitulé les nageuses, ou les plongeuses. (Le Chevalier de Jaucourt.)