L’Encyclopédie/1re édition/SCHOENOBATE

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SCHŒNOBATE, s. m. (Jeux scéniq. des Grecs & des Romains.) c’est ainsi qu’on nommoit chez les Grecs un danseur de corde, de σχοῖνος, une corde, & βαίνω, je marche. Voyez Danseur de corde.

Les schoenobates après avoir amusé les théatres de la Grece, trouverent chez les Romains un nouvel accueil pour leur art. Ils commencerent à paroitre à Rome l’an 390 de sa fondation, sous le consulat de Sulpitius Pœtus & de Licinius Stolon, qui les introduisirent aux jeux scéniques, qu’on fit d’abord dans l’île du Tibre, & que Messala conjointement avec Cassius, porterent ensuite sur le théatre ; mais quand Rome fut parvenue à la recherche de tous les plaisirs propres à charmer l’oisiveté, celui des schœnobates, qu’on nomma funambules, l’emporta sur tout autre goût. Ce spectacle devint une si forte passion pour le peuple, qu’il ne prêtoit plus l’oreille aux meilleures pieces qu’on lui donnoit ; Térence même l’éprouva ; quand on joua son Hécyre, un nouveau funambule qui parut sur le théatre, attira tellement les yeux du peuple entier, qu’il cessa d’écouter la piece admirable du rival de Ménandre : ita populus studio spectaculi cupidus in funambulo animam occupaverat.

Parmi ces schœnobates ou funambules, les uns dansoient sur la corde lâche ; & les autres couroient sur une corde tendue horisontalement ; il y en avoit qui tournoient autour d’une corde, comme une roue autour de son aissieu ; d’autres descendoient sur cette même corde, de haut en bas appuyés sur l’estomac. Tous les auteurs en parlent, & l’élégante description qu’en a donné Manilius, mérite ici sa place.

Aut tenues ausus sine limite gressus,
Certa per extensos ponit vestigia funes,
Et cœli meditattus iter vestigia perdit,
Per vacuum, & pendens populum suspendit ab ipso.

On cite comme un trait d’humanité de Marc Aurele, d’avoir ordonné qu’on mît des matelas dessous les funambules, parce que cet empereur s’étant trouvé un jour à leur spectacle, un funambule pensa périr en se laissant tomber. Depuis lors on tendit un filet sous les schœnobates, pour empêcher que ceux qui éprouveroient le même accident, se fissent aucun mal.

Enfin les hommes funambules ne suffisant plus pour amuser le peuple, on dressa les bêtes à cet exercice. L’histoire dit qu’on vit à Rome du tems de Galba, des éléphans marcher sur des cordes tendues. Néron en fit paroitre dans les jeux qu’il institua en l’honneur d’Agrippine ; Vopiscus raconte la même chose du tems de Carin & de Numérin.

Rome d’elle-même idolâtre,
Goûtant le fruit de ses exploits,
N’aima, ne voulut autrefois
Que du pain avec son théâtre.

Les choses n’ont pas trop changé, avec cette différence qu’elle a des théâtres & peu de pain. (D. J.)