L’Encyclopédie/1re édition/SCULPTEUR

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SCULPTEUR, s. m. (Artiste.) artiste, qui par le moyen du ciseau forme des statues, taille le bois, la pierre, le marbre, & autres matieres propres à faire des représentations & des imitations des divers objets de la nature. Comme on distingue en général les Sculpteurs en anciens, & en modernes. Voyez les articles suivans. Sculpteurs anciens & Sculpteurs modernes. (D. J.)

Sculpteurs anciens, (Sculpt. antiq.) comme les noms des Sculpteurs égyptiens n’ont pas passé jusqu’à nous, & que les Grecs ont effacé tous ceux de Rome, ce sont eux qui rempliront mon titre, & cependant je ne m’attacherai qu’aux plus célebres. L’indication de leurs ouvrages est inséparable de l’histoire de la sculpture, & nous avons tâché de connoître cette histoire.

Agéladès, d’Argos, contemporain d’Onatas. On voïoit de lui à Egyum, ville d’Achaïe, plusieurs statues de bronze, comme un Jupiter enfant, & un jeune Hercule qui n’a point de barbe. Tous les ans on nommoit à ces divinités des prêtres qui gardoient leurs statues chez eux : c’étoit le plus bel enfant du pays qui étoit prêtre de Jupiter, & quand il avoit atteint l’âge de puberté, on lui donnoit un successeur.

Agésandre, de Rhodes, travailla au fameux groupe de Laocoon, de ses deux enfans, & des serpens, conjointement avec Posidore, & Athénodore le rhodien. Ce superbe morceau de sculpture fait d’une seule piece, étoit dans le palais Farnese, & fut trouvé à Rome, sous les ruines du palais Vespasien, sur la fin du seizieme siecle. Mais Virgile, Eneid, liv. II. v. 40. & suiv. a peut-être égalé en poésie l’ouvrage des sculpteurs dont nous venons parlé, par sa description de l’histoire de Laocoon. Voyez donc Laocoon, groupe de sculpture antique.

Agoracrite, éleve de Phidias, il avoit fait deux admirables statues, une Minerve, & un Jupiter de bronze, qui ornoient à Coronée le temple de Minerve Itonia, ainsi appellée du nom d’Itonus, fils d’Amphixion, il concourut avec Alcamene pour la statue de Vénus. Alcamène l’emporta, non par le mérite de son ouvrage, dit Pline, mais par le suffrage des citoyens qui ne voulurent pas lui préférer un étranger. Agoracrite irrité de cette injustice, ne consentit à leur vendre sa statue, qu’à condition qu’elle ne seroit point placée dans Athenes ; & il lui donna le nom de Némésis, la statue vengeresse. Tel est le récit de Pline, auquel il faut ajouter la réfléxion judicieuse de M. de Caylus.

C’étoit, dit-il, une foible vengeance de l’injustice que les Athéniens lui avoient faite, & selon la nature de ce sentiment, elle retournoit contre celui qui s’y livroit ; car cette statue fut placée dans un bourg de l’Attique, nommé Rhamnunte, où certainement elle n’eut pas le nombre d’admirateurs qu’elle méritoit. Mais l’auteur étoit vengé, car le peuple Athénien, grand amateur des beaux ouvrages de l’art, ne pouvoit en jouir, & certainement il y fut plus d’une fois sensible. M. Varron préfere ce morceau à tous ceux qu’il a vûs.

Alcamène, athénien, disciple de Phidias, & l’objet de ses amours, florissoit en la 83e olympiade, selon Pline, il avoit fait une statue de Junon, qu’on mit dans son temple à Athenes. La statue de la Vénus aux jardins étoit encore un ouvrage de ce maître, & des plus beaux qu’il y eût à Athenes. Lucien dans le dialogue qui a pour titre les portraits, & où il fait la peinture d’une beauté accomplie, emprunta de la Vénus d’Alcamène, la gorge, les bras & les mains : celle d’Agoracrite, autre disciple de Phidias, auroit peut-être pû lui plaire également, car quoique les Athéniens eussent décidé le prix en l’honneur d’Alcamène, tout le monde ne fut pas de cet avis.

Anthermus étoit natif de l’île de Scio, fils de Micciade, petit-fils de Malas, aussi sculpteur, & pere de Bupalus d’Athénes, qui vivoient vers la 60. olympiade, environ 540 ans avant J. C. & dont nous parlerons dans la suite.

Apollonius & Tauriscus, tous deux rhodiens, firent conjointement cette antique si célebre de Zéthes & d’Amphion, attachant Dircé à un taureau ; tout est du même bloc de marbre jusqu’aux cordes. Ce bel ouvrage subsiste encore, & est célebre sous le nom du taureau Farnese. Voyez-en l’article.

On ne connoît point le pere d’Apollonius & de Tauriscus ; quelques-uns ont cru qu’ils étoient fils de Ménécrate ; mais, dit Pline, il est plus vraissemblable qu’éleves de celui-ci, & fils d’Artémidore, ils donnoient au premier par reconnoissance le nom de pere ; c’étoit du moins un usage fort ordinaire chez les anciens.

Arcésilaüs devoit être un grand maître, puisque ses modeles se vendoient plus cher aux artistes même que les ouvrages terminés des autres. Nos connoisseurs donneroient aussi, & même de certaines statues antiques de marbre grandes comme nature, pour un petit modele de la main de quelque grand artiste moderne, comme d’un Michel-Ange, d’un Bouchardon, &c.

Arcésilaüs exécuta en terre la statue de Vénus genitrix ; mais César impatient de la voir placée dans son forum, ne lui donna pas le tems de la terminer. L’empressement de ce dictateur est rapportée par Dion, l. XLIII, & par conséquent l’on ne doit pas révoquer en doute, qu’il se soit contenté d’un ouvrage de terre cuite pour une figure qui flattoit tant sa vanité.

Lucullus à qui Arcésilaüs étoit fort attaché, familiaris, le chargea de faire une statue de la Félicité, & convint de lui en donner soixante mille sesterces, c’est-à-dire, près de douze mille livres de notre monnoie ; mais la mort de l’artiste, & de celui qui l’employoit, leur envia l’honneur d’un tel ouvrage, cui mors utriusque inviderit, dit Pline : le modele en plâtre d’une coupe qu’Octavius, chevalier romain, fit faire à ce même Arcésilaüs, lui couta un talent, quatre mille sept cens livres. Ces prix que nous rapportons exprès peuvent servir à fixer l’idée que les Romains avoient alors de la sculpture, & des ouvrages des grands sculpteurs.

Aristoclès. Pausanias compte trois sculpteurs de ce nom. Le premier & le plus ancien étoit Aristoclès de Cydon ; on ne sait point précisément dans quel siecle il fleurissoit. On voyoit à Olympie un groupe de sa main composé de deux figures représentant le combat d’Hercule contre une amazone à cheval. Ce groupe avoit été dédié par un Evagoras de la ville de Zancle en Sicile, avant que cette ville eût le nom de Messene.

Le second Aristoclès étoit fils de Claeotas. Il acquit beaucoup de gloire par deux statues, l’une de Ganymede enlevé par les dieux, & l’autre de Jupiter, qui donne deux magnifiques chevaux à Tros, pere du jeune prince. Ces deux statues furent placées vis-à-vis le temple de Pélops.

Le troisieme Aristoclès étoit frere de Canachus, dont je parlerai, & ne lui cédoit gueres en mérite. Il fleurissoit pendant la guerre de Peloponnèse.

Bathyclès étoit de Magnésie. Son âge est si peu connu, que Junius, dans son histoire des sculpteurs, a pris le parti de n’en point parler ; il ne sera pourtant pas impossible de le découvrir. Pausanias, qui marque ordinairement le tems des sculpteurs anciens dont il décrit les ouvrages, ne parle point de celui de Bathyclès, & dit au contraire, qu’il ne s’arrêtera pas à nommer le maître sous lequel il avoit appris son art, ni le prince sous lequel il fleurissoit ; ce qui suppose que de son tems, l’un & l’autre fait n’étoient ignorés de personne. Nous ne sommes plus aujourd’hui dans le même cas.

Diogene de Laërce, & 4 autres anciens écrivains, placent le sculpteur Bathyclès vers le tems de Crésus, de Solon, de Thalès, & des autres sages ou philosophes de la Grece. Crésus monta sur le trône de Lydie vers la 54. olympiade, l’an 559 avant J. C. & ce fut quelques années après, que les Lacédémoniens penserent à réparer le temple d’Amyclée, & à y faire ajouter les ornemens décrits par Pausanias. On voit donc par-là bien clairement le tems où fleurissoit le sculpteur Bathyclès.

C’est un artiste bien célebre dans l’antiquité ; on vantoit extrémement certaines coupes dont il étoit l’inventeur, & selon plusieurs anciens écrivains, ce n’étoit pas un trépié, mais une coupe de la main de ce sculpteur, que les sept sages de la Grece consacrerent à Apollon, après se l’être renvoyé les uns aux autres. Quoi qu’il en soit, le trône de ce dieu à Amyclée immortalisa Bathyclès. Voici la description qu’en fait Pausanias. Elle est d’autant plus curieuse, que l’ouvrage représentoit presque la fable entiere.

Non-seulement, dit-il, le trône d’Amyclée est de la main de Bathyclès, mais tout l’ouvrage, & les accompagnemens ainsi que la statue de Diane Leucophryné. Les graces & les heures, au nombre de deux, les unes & les autres soutiennent ce trône par-devant & par-derriere. Sur la gauche Bathyclès a représenté Echidne avec Typhon, & sur la droite des Tritons.

Dans un endroit, Jupiter & Neptune enlevent Taïgete, fille d’Atlas, & Alcyone sa sœur ; Atlas y tient aussi sa place. Dans un autre vous voyez le combat d’Hercule avec Cycnus, & le combat des Centaures chez Pholus, ici c’est Thésée qui combat le Minotaure, mais pourquoi traîne-t-il le Minotaure enchaîné & encore vivant ? c’est ce que je ne sais pas, ajoute Pausanias. Là, continue-t-il, c’est une danse de Phéaciens & de Démodocus qui chante.

Ces bas-reliefs vous présentent une infinité d’objets tout-à-la-fois. Persée coupe la tête à Méduse ; Hercule terrasse le géant Thurius, Tyndare combat contre Eurytus ; Castor & Pollux enlevent les filles de Leucippe ; Bacchus tout jeune est porté au ciel par Mercure ; Minerve introduit Hercule dans l’assemblée des dieux, il y est reçu, & prend possession du séjour des bienheureux.

Pélée met son fils Achille entre les mains de Chiron, qui en effet l’éleva & fut, dit-on, son précepteur ; Céphale est enlevé par l’Aurore à cause de sa beauté ; les dieux honorent de leur présence & de leurs bienfaits les noces d’Harmonie. Achille combat contre Memnon ; Hercule châtie Diomede, roi de Thrace, & tue de sa main Nessus auprès du fleuve Enénus ; Mercure amene les trois déesses pour être jugées par le fils de Priam ; Adraste & Tydée terminent la querelle d’Amphiaraüs avec Lycurgue, fils de Pronax ; Junon arrête ses regards sur Io, fille d’Inachus, déja métamorphosée en vache ; Minerve échappe à Vulcain qui la poursuit ; Hercule combat l’hydre de la maniere dont on le raconte, & dans un autre endroit il traîne après lui le chien du dieu des enfers.

Anaxias & Mnasinoüs paroissent montés sur de superbes coursiers, Mégapenthe & Nicostrate, tous deux fils de Ménélas, sont sur le même cheval ; Bellérophon abat à ses piés le monstre de Lycie ; Hercule chasse devant lui les bœufs de Géryon. Sur le rebord d’en-haut, on voit les fils de Tyndare à cheval, l’un d’un côté, l’autre de l’autre ; au-dessous ce sont des sphinx, & au-dessus des bêtes féroces ; un léopard vient attaquer Castor, & une lionne veut se jetter sur Pollux. Tout au haut, Bathycles a représenté une troupe de magnésiens qui dansent & se réjouissent ; ce sont ceux qui lui avoient aidé à faire ce superbe trône.

Le dedans n’est pas moins travaillé ni diversifié ; du côté droit où sont les Tritons, le sanglier de Calydon est poursuivi par des chasseurs ; Hercule tue les fils d’Actor ; Calaïs & Zétès défendent Phinée contre les Harpies ; Apollon & Diane percent Tityus de leurs fleches ; Thésée & Pirithoüs enlevent Helene ; Hercule étrangle un lion ; le même Hercule mesure ses forces contre le centaure Oréüs ; Thésée combat le Minotaure. Au côté gauche, c’est encore Hercule qui lutte avec l’Achéloüs ; là vous voyez aussi ce que la fable nous apprend de Junon, qu’elle fut enchaînée par Vulcain ; plus loin c’est Acaste qui célebre des jeux funebres en l’honneur de son pere ; ensuite vous trouverez tout ce qu’Homere dans l’Odyssée raconte de Ménélas & de Protée l’égyptien. Dans un autre endroit Admette attele à son char un sanglier & un lion ; dans un autre enfin, ce sont les Troyens qui font des funerailles à Hector, &c.

Voilà sans doute le sujet le plus vaste que la sculpture ait jamais traité. L’imagination ne se prete point à un si prodigieux travail, & comprend encore moins comment tant d’objets différens représentés en petit, étoient si distincts & si nets, qu’à lire la description qu’en fait Pausanias, on croiroit qu’il parcourt des yeux une galerie de tableaux grands comme nature.

Bupalus & Athénis, natifs de l’île de Chio, tous deux freres & fameux sculpteurs, ayant un jour apperçu le poëte Hipponax, furent frappés de sa figure ; elle leur parut toute propre à servir de modele d’un grotesque divertissant. Ils en firent des statues où ils aiderent la nature de leur mieux, c’est-à-dire, lui donnerent un air le plus ridicule qu’il leur fut possible. Hypponax florissoit vers la 60 olympiade, & sa laideur fut par accident la principale cause de son immortalité. Mais il n’est pas vrai, selon Pline, que ce poëte indigné composa contre les deux freres sculpteurs des vers si piquans, qu’il les réduisit à se pendre de désespoir. Ce fait, dit l’historien, est avancé faussement, puisque depuis ce tems-là, ils firent quantité de statues avec cette inscription, que l’île de Chio étoit également recommandable par ses vignobles & par les ouvrages des fils d’Anthernus. Il ajoute qu’ils firent une Diane si singulierement taillée, que son aspect paroissoit mélancholique à ceux qui entroient dans le temple, & fort gai à ceux qui en sortoient. Pline ajoute : on conserve dans Rome plusieurs ouvrages de ces mêmes artistes : on en voit dans le temple d’Apollon, sur le mont Palatin, & dans les bâtimens publics qu’Auguste a élevés.

Bysès de Naxie, est célebre pour avoir trouvé l’art de tailler le marbre en forme de tuile ; la couverture du temple de Cérès à Eleusis étoit d’un beau marbre du mont Pentelique, taillé de la main de ce maître en forme de tuile. On disoit du tems de Pausanias, qu’il y avoit à Naxie plusieurs statues qui portoient que cette invention, étoit dûe à Bysès. On prétend qu’il florissoit dans le tems qu’Halyate étoit roi de Lydie, & qu’Astyage, fils de Cyaxare regnoit sur les Mèdes, c’est-à-dire, six cens trente ans avant l’ere chrétienne.

Calamis étoit graveur & statuaire. Il avoit fait pour un temple d’Athènes une belle statue d’Apollon libérateur. Ses ouvrages ont été fort estimés, cependant ils étoient au-dessous de ceux de Myron, dont nous parlerons.

Calliclès, statuaire de Mégare. Il fit la statue de Diagoras, qui avoit remporté la palme au combat du Ceste ; ouvrage qui lui attira l’admiration publique. Voyez Pausanias, l. VI.

Callicrate. On ne sait pas dans quel tems il a vécu. On dit qu’il gravoit un vers d’Homere sur un grain de millet, qu’il fit un chariot d’ivoire qu’on pouvoit cacher sous l’aile d’une mouche, & des fourmis d’ivoire dont on pouvoit distinguer les membres. Ce sculpteur ingénieux mettoit du poil ou des soies noires auprès de ses ouvrages, pour faire voir d’un côté la blancheur de l’ivoire, & de l’autre la délicatesse de son travail. Pline, Elien, Plutarque, & autres anciens ont beaucoup parlé de ce célebre artiste.

Callimaque est fameux par sa lampe d’or, qu’on voyoit dans le temple de Minerve Poliade à Athènes. On emplissoit d’huile cette lampe au commencement de chaque année, sans qu’il fût besoin d’y toucher davantage, quoiqu’elle fût allumée jour & nuit. Cela vient, dit Pausanias, de ce que la meche de cette lampe est de lin de Carpasie, c’est-à-dire, qu’elle étoit d’amiante. Callimaque, auteur de cet ouvrage, n’étoit pas cependant de la force des grands artistes, mais il les surpassoit dans une certaine dextérité de l’art. Il est le premier qui ait trouvé le secret de percer les marbres, & il étoit d’un goût si difficile pour ses propres ouvrages, qu’on l’appelloit communément κακιζότεχνον, l’ennemi juré, ou le calomniateur de l’art ; soit que ce nom lui fût donné par les autres, ou qu’il l’eût pris lui-même. C’est ainsi qu’en parlent Pausanias, l. I. & Pline, l. XXXIV. c. xix.

Callon. Pausanias nomme deux statuaires de ce nom, celui de l’île d’Egine, & un autre qui étoit éléen ; le premier étoit le plus ancien, & le plus renommé ; il avoit été disciple de Tecteus & d’Angelion, qui apprirent leur art sous Dipaene & sous Scyllis. Le Callon d’Egine, fit une Minerve Sthéniade en bois, qu’on avoit placée dans la citadelle de Corinthe. Sa Proserpine étoit à Amiclée ; Callon Eléen travailla en bronze.

Canachus de Sicyone, éleve de Polyclète d’Argos, florissoit, selon Pline, l. XXXVI. c. v. dans la 95 olympiade. Ses ouvrages étoient estimés. Il avoit fait pour le temple de Vénus, dans sa patrie, la statue de la déesse assise. Cette statue étoit d’or & d’ivoire, portant sur la tête une espece de couronne terminée en pointe, qui représentoit le pole : elle tenoit d’une main un pavot, & de l’autre une pomme. On estimoit encore beaucoup l’Apollon dydiméen qu’il fit pour la ville de Milet, & son Apollon isménien pour celle de Thèbes. Il fit aussi des badinages de l’art en petit & d’une méchanique très-ingénieuse. Nous en citerons un exemple à l’article de Théodore ; c’est assez de dire ici, que Canachus étoit frere d’Aristoclès, qui ne lui cédoit guere en habileté.

Cantharus de Sycione est loué par Pausanias. Pline dit qu’il travailloit également tous ses ouvrages, mais qu’il n’en a porté aucun à une grande perfection. Son maître Eutychide s’étoit rendu plus célebre ; aussi avoit-il été disciple de Lysippe.

Céphissodore athénien, fils de Praxitele, hérita de son bien & de son talent. Il tailla trois statues des Muses, dont on décora le mont Hélicon. Dans sa statue de la paix pour les Athéniens, il la représentoit avec esprit tenant le petit Plutus dans son sein. On admiroit à Pergame un groupe de lutteurs de la façon de ce maître ; & ce n’est pas sans raison, ajoute Pline ; car leurs mains paroissent entrer dans la chair, & non dans le marbre.

Chalcosthène, dont l’attelier donna le nom au céramique à Athènes, fit des ouvrages en terre qui n’étoit pas cuite, cruda opera, c’est-à-dire, qui n’étoit vraissemblablement que desséchée au soleil. Nous avons, dit M. de Caylus, plusieurs exemples anciens & modernes de cette pratique, quoiqu’elle ne soit pas des meilleures : la terre trop sujette aux accidens qui la peuvent détruire, a besoin d’un tems considérable pour sécher avant que de pouvoir être mise en place ; il faut estimer sa diminution, qui n’est pas toujours égale ni dans sa totalité, ni dans ses parties, sur-tout lorsque les morceaux sont d’une certaine étendue. Il eût été plus simple de cuire ces morceaux, ainsi que Dibutades en avoit donné l’exemple ; mais Chalcosthène vouloit peut-être affecter une nouveauté dont l’usage ne pouvoit être continué, sur-tout dans un pays tel que la Grece, où l’idée de la postérité étoit en grande recommandation ; cependant nous devons savoir gré à Pline de nous avoir indiqué toutes les différentes façons de travailler la terre.

Charès de Linde, s’est immortalisé par le colosse de Rhodes, auquel il s’occupa pendant douze ans, & n’eut pas le bonheur de le finir. Ce colosse couta trois cens talens, un million quatre cens dix mille livres. Suivant Sextus Empiricus, Charès s’étoit trompé ; il n’avoit exigé que la moitié de la somme nécessaire, & quand l’argent qu’il avoit demandé se trouva dépensé au milieu de l’ouvrage, il se donna la mort de chagrin.

Le consul P. Lentulus consacra dans le capitole deux têtes apparemment de bronze, & qui, selon Pline, attiroient toute l’admiration. L’une étoit de la main de Charès, & l’autre de celle de Décius statuaire romain, dont l’ouvrage affoibli seulement par la comparaison, ne sembla être que celui d’un écolier. C’est, dit M. de Caylus, Pline lui-même qui donne ici son jugement en connoisseur & en homme de l’art, que le préjugé public ne séduit point.

Ctésilas représenta en bronze un homme blessé à mort, & dans un état qu’on pouvoit juger, dit Pline, l. XXXIV. c. viij. le peu de tems qu’il avoit encore à vivre : vulneratum deficientem, in quo possit intelligi quantùm restet animæ ; termes qui peignent bien l’enthousiasme que produit une belle opération de l’art. Nous jugeons encore aujourd’hui que le mirmillon ou le gladiateur mourant, n’a pas longtems à vivre, & que sa blessure est mortelle. Plus on considere ce beau monument du savoir & de l’élégance des Grecs, plus en l’admirant on est affecté d’un sentiment de compassion. Voyez Gladiateur expirant.

Critias : il y a eu deux statuaires de ce nom ; l’un athénien qui eut Amphion pour éleve, l’autre surnommé Nesiotés, contemporain de Phidias, dont parle Pausanias in Attic.

Damophilus & Gorgasus, non-seulement travaillerent très-bien la terre, dit Pline, mais ils furent peintres ; ils décorerent dans ces deux genres le temple de Cérès situé à Rome auprès du grand cirque. Une inscription en vers grecs apprenoit que les ouvrages de Damophilus étoient à la droite, & ceux de Gorgasus à la gauche.

Damophon, Pausanias n’entre dans aucun détail sur cet ancien statuaire ; il nous apprend seulement, livre IV. que les Eléens lui avoient accordé de très grandes distinctions, pour avoir réparé la statue de Jupiter Olympien.

Dédale, sculpteur & architecte athénien, étoit certainement petit-fils ou arriere-petit-fils d’Erecthée, sixieme roi d’Athènes. Voilà sans doute un artiste de bonne maison ; il ne faut pas s’en étonner. Dédale vivoit dans ces tems héroïques où les grands hommes n’avoient d’autre ambition, que de se rendre utiles à leurs compatriotes : purger la Grece des monstres qui l’infestoient, exterminer les bandits & les scélérats, procurer le repos & la sûreté publique, ce fut la gloire d’Hercule & de Thésée ; inventer les Arts, les perfectionner, & les cultiver, ce fut celle de Dédale.

Depuis le déluge de Deucalion jusqu’au tems de cet artiste, on ne compte guere que cent cinquante ou soixante ans. Les Arts ensevelis avec les hommes dans cette calamité, n’avoient pas encore eu le tems de renaître en Grece ; il falloit de nouveaux inventeurs. La nature qui n’est jamais avare, fournissoit des matériaux abondamment ; mais on ne pouvoit les mettre en œuvre faute d’outils & d’instrumens nécessaires. Dédale inventa la hache, le vilebrequin, ce que les Latins ont appellé perpendiculum, & que nous appellons nous le niveau ; la colle forte, l’usage de la colle de poisson, peut-être aussi la scie ; je dis peut-être, car les uns en donnent l’honneur à son neveu, & les autres à lui-même. Avec ces secours, doué d’un heureux génie & d’une adresse merveilleuse, il fit des ouvrages de sculpture & de serrurerie, qui parurent des prodiges aux Grecs d’alors :

Doedalus ingenio fabræ celeberrimus artis.

aux Grecs d’alors, je veux dire aux Grecs encore ignorans & grossiers. Avant lui les statues grecques avoient les yeux fermés, les bras pendans, & comme collés le long du corps, les piés joints, rien d’animé, nulle attitude, nul geste ; c’étoient pour la plûpart des figures quarrées & informes qui se terminoient en gaîne. Dédale donna aux siennes des yeux, des piés, & des mains ; il y mit en quelque façon de l’ame & de la vie ; les unes sembloient marcher, les autres s’élancer, les autres courir. Aussitôt la renommée publia que Dédale faisoit des statues étonnantes qui étoient animées, qui marchoient, & dix siecles après lui, on parloit encore de ses ouvrages, comme d’effets les plus surprenans de l’industrie humaine. C’est aussi l’idée que nous en donnent Platon & Aristote ; au rapport de l’un, dans ses politiques, livre premier, les statues de Dédale alloient & venoient ; & au rapport de l’autre dans son Menon, il y en avoit de deux sortes ; les unes qui s’enfuyoient, si elles n’étoient attachées, les autres qui demeuroient en place. Les fuyardes, ajoute-t-il, semblables à de mauvais esclaves, coutoient moins, les autres étoient & plus estimées & plus cheres. Tout cela veut dire, je pense, que soit par des ressorts cachés, soit par le moyen d’un peu de vif argent coulé dans la tête & dans les piés de ses statues, Dédale les rendoit susceptibles de quelque mouvement ; mais après tout, c’étoient-là des jeux d’enfans, que les statuaires qui vinrent ensuite mépriserent avec raison.

Nous ne voyons point que ni Phidias, ni Praxitele, ni Lysippe, pour faire admirer leurs ouvrages, ayent eu recours à ce badinage, qui peut en imposer aux simples, mais qui est incompatible avec le beau & le noble, auquel tout grand artiste doit aspirer. Je suis donc persuadé que Dédale dut une bonne partie de sa réputation à la grossiereté de son siecle, & que ses statues dont les Grecs se montrerent si jaloux dans la suite, étoient moins recommandables par leur beauté, que par leur antiquité. D’ailleurs, ces premiers monumens d’un art admirable, étoient en effet très-curieux ; & il y avoit du plaisir à voir par quels degrés la Sculpture avoit passé de si foibles commencemens, à une si haute perfection. Au reste, Platon lui-même a porté le même jugement de Dédale ; nos statuaires, disoit-il, se rendroient ridicules, s’ils faisoient aujourd’hui des statues comme celles de Dédale ; & Pausanias qui en avoit vu plusieurs dans ses voyages, avoue qu’elles étoient choquantes, quoiqu’elles eussent quelque chose qui frappoit & qui sentoit l’homme inspiré.

Cependant, on ne peut disconvenir que Dédale n’ait été l’auteur & le fondateur de l’école d’Athènes ; école qui dans la suite devint si savante, si célebre, & qui fut pour la Grece comme une pépiniere d’excellens artistes : car Dipenus & Scyllis, les premiers disciples de Dédale, & peut-être ses fils, eurent des éleves qui surpasserent de beaucoup leurs maîtres, & qui furent surpassés à leur tour par leurs propres disciples : ainsi les Phidias, les Alcamenes, les Scopas, les Praxiteles, les Lysippes, tant d’autres grands statuaires, qui remplirent la Grece de statues admirables, descendoient, pour parler ainsi, de Dédale, par une espece de filiation ; c’est-à-dire, que de maître en maître, ils faisoient remonter leur art jusqu’à lui. Dipoenus & Scillis laisserent après eux un grand nombre d’ouvrages, dont il faut porter à-peu près le même jugement que de ceux de Dédale. Pour lui, il ne put pas enrichir sa patrie de beaucoup de monumens, parce qu’ayant commis un crime capital, il fut obligé de se sauver, & d’aller chercher sa sûreté dans une terre étrangere. Voici quel fut son crime.

Il avoit parmi ses éleves son propre neveu, fils de Perdix sa sœur ; on le nommoit Calus, & ce jeune homme marquoit autant d’esprit que d’industrie ; Dédale craignit ses talens ; & pour se défaire d’un rival qui obscurcissoit déja sa gloire, il le précipita du haut de la citadelle d’Athènes en-bas, & voulut faire accroire qu’il étoit tombé, mais personne n’y fut trompé. Ovide dans le huitieme livre de ses métamorphoses, a décrit la malheureuse avanture de Calus, qu’il a mieux aimé nommer Perdix, apparemment parce que ce nom lui fournissoit l’idée de la métamorphose de ce jeune homme en perdrix, oiseau, dit-il, qui sous son plumage conserve encore le même nom qu’il a eu autrefois sous une forme humaine ; avec cette différence que la force & la vivacité de son esprit, ont passé dans ses aîles & dans ses piés.

Sed vigor ingenii quondam velocis, in alas
Inque pedes abiit ; nomen quod & ante remansit.

L’action atroce de Dédale ne pouvoit pas demeurer impunie dans un état, où pour donner plus d’horreur de l’homicide, on faisoit le procès aux choses même inanimées, quand elles avoient occasionné la mort d’un homme.

Dédale atteint & convaincu d’un crime si énorme, fut condamné par arrêt de l’Aréopage, à perdre la vie.

Il se déroba à la justice, & se tenant caché dans une bourgade de l’Attique, de la tribu de Cécrops, qui du nom de cet illustre fugitif, fut appellée Dédalide ; mais ne s’y croyant pas en sûreté, il passa en Crete. La renommée avoit préparé les esprits en sa faveur ; on fut charmé de voir un homme d’un si rare mérite, & Minos qui régnoit dans cette île, compta bien mettre à profit les talens de cet habile artiste, qui de son côté répondit à l’attente qu’on avoit de lui. Minos avoit deux filles, Phedre & Ariadne ; Dédale fit leurs statues en bois ; il fit aussi celle d’une divinité qui étoit chere aux Crétois ; on la nommoit dans la langue du pays Britomartis, comme qui diroit la douce vierge. Ce fut encore en ce tems-là qu’il fit pour Ariadne un bas-relief de marbre blanc, qui représentoit ces danses légeres, & cette espece de branle dont parle Homere dans le dix-huitieme livre de l’Iliade. Jusque-là il n’avoit guere été que statuaire, dans la suite il se montra grand architecte ; il fit le labyrinthe du roi Mendès, ouvrage que Pline appelle le plus étonnant qu’ait produit l’esprit humain. Diodore parle des ouvrages que Dédale fit en Sicile : il laissa un fils que l’on appelloit Japyx, & qui donna son nom à une contrée d’Italie.

Aucun écrivain ne nous apprend en quel tems naquit ou mourut Dédale ; on peut cependant imaginer qu’il finit ses jours en Egypte. Ce sentiment paroît appuyé sur ce que rapporte Diodore de Sicile, que Dédale bâtit le vestibule de ce magnifique temple que Vulcain avoit à Memphis ; que l’on y plaça la statue de cet artiste faite de sa main propre, & que dans une île proche de cette grande ville, les Egyptiens lui consacrerent un temple, où l’on lui rendoit les honneurs divins. En un mot, l’Histoire & la Fable ont concouru à illustrer également son nom, qu’il avoit tiré du mot grec δαίδαλον, terme qui avant lui signifioit un morceau de bois poli & artistement travaillé.

Au reste, il est nécessaire d’observer qu’il y a eu trois Dédales, tous trois statuaires ; le premier athénien, dont il s’agit ici ; le second sicyonien, qui a enrichi la Grece de bon nombre de statues ; & le troisieme de Bithynie, dont parle Arien, & qui étoit connu par une statue de Jupiter Stratius, ou dieu des armées. Les Grecs ont souvent confondu l’un avec l’autre ; & Pausanias lui-même est quelquefois tombé dans cette méprise. Pour n’y être pas trompé, on se souviendra que l’ancien Dédale vivoit du tems d’Hercule, de Thésée, & d’Œdipe, trente ou quarante ans avant la guerre de Troie.

Démocrite de Sycione étoit éleve de Critias athénien. Pline, l. XXXIV. c. viij. le nomme parmi les statuaires qui excelloient à réprésenter les philosophes. Il nous apprend encore qu’il y avoit à Rome quantité de sculpteurs qui se livroient à la seule occupation de faire pour le public de ces sortes de portraits. Les différentes sectes académiques formoient des suites nombreuses, & tel particulier vouloit les avoir toutes. D’ailleurs comme les bibliotheques se multiplioient & se décoroient de plus en plus, ces bustes en devinrent un ornement nécessaire ; ainsi la besogne ne manquoit pas aux ouvriers. Il est vraissemblable que la plûpart de ces têtes étoient moulées, & se trouvoient exécutées en bronze.

Dibutades, corinthien, passe pour être le premier qui inventa la plastique, c’est-à-dire qui trouva l’art de former des figures de bas-reliefs ou de ronde-bosse avec de l’argile ; il étoit potier-de-terre à Corinthe. Tout le monde sait que sa fille, éprise pour un jeune homme qui partoit pour un voyage, traça sur le mur l’ombre que son visage formoit par l’opposition d’une lampe. Le pere frappé de ce dessein, suivit les contours & remplit avec de la terre les intervalles qu’ils occupoient ; ensuite il porta ce prétendu bas-relief dans son four avec ses autres ouvrages. Cette statue fut mise & conservée dans le temple des nymphes à Corinthe, jusqu’au tems où Mommius détruisit cette ville. Voilà l’histoire que Pline, lib. XXXV. cap. xij. rapporte sur l’origine de la plastique, & il faut avouer qu’elle est mêlée de vraissemblance dans le détail, & d’agrément dans l’invention.

Diogene, athénien, décora le panthéon d’Agrippa, & fit les caryatides qui servoient de colonnes au temple, & qu’on mettoit au rang des plus belles choses.

Dipoene & Scyllis, Pline assûre qu’ils ont fleuri vers la 50e olympiade, & qu’ils se rendirent extrèmement célebres par l’invention de sculpter le marbre & de lui donner le poli, primi omnium marmore scalpendo inclaruere. On sait que la même dureté du marbre qui conserve le poli qu’il a une fois reçu, augmente la difficulté de le tailler & de lui donner ce poli. Les marbres inscrits des anciens monumens du Péloponnèse & de l’Attique étant taillés au marteau, sont absolument brutes ; & l’époque de cette importante découverte de l’art de tailler le marbre au ciseau, scalpendo, sert à fixer le tems de ceux à qui elle est dûe.

Dipaene & Scyllis avoient formé, selon Pausanias, l. III. c. xxv. un grand nombre d’éleves dont les ouvrages étoient extrèmement estimés. Tels étoient Léarchus de Rhege, Théoclès de Laconie, Doryclidas, son frere Médon, & un grand nombre d’autres, sur-tout Tectius & Argelion, sculpteurs célebres par la statue de l’Apollon de Délos. Cette durée de sculpteurs qui donne plus de cinquante ans à chacune des trois successions de Callon, de Tectius & de Dipoene, prouve que Pline a peut-être fait ce dernier trop ancien, & qu’il doit être postérieur à la 50e olympiade. Quoi qu’il en soit, Dipoene & Scyllis étoient originaires de Crete, & sortis de l’école de Sculpture fondée dans cette île par l’athénien Dédale.

Endoëus, athénien, contemporain de Dédale, & qui le suivit en Crete ; sa Minerve assise se voyoit dans la citadelle d’Athènes ; elle étoit de bois, tenoit une quenouille des deux mains, & avoit sur la tête une couronne surmontée de l’étoile polaire. On voyoit à Rome dans le forum d’Auguste une autre statue de Minerve d’ivoire de la main du même Endoëus.

Euphranor, de l’isthme de Corinthe, contemporain de Praxitele, fleurissoit dans la civ. olympiade, environ 390 de Rome. Pline parle de cet artiste avec de grands éloges, & décrit ses ouvrages. Il fit une statue du bon Succès, qui d’une main tenoit une patere pour marque de sa divinité, & de l’autre un épi de blé avec un pavot : hujus est simulacrum (boni Eventus) dextrâ pateram, sinistrâ spicam, ac papaver tenens. Cette statue d’Euphranor a servi de modele aux images qui en ont été représentées sur les médailles impériales, greques & latines. En effet, sur celles du haut empire juqu’à Gallien, desquelles on a connoissance, ce dieu sous le titre de bonus Eventus, bono Eventui, Eventus Augusti, y est figuré de la même maniere & avec les mêmes attributs que la statue faite de la main d’Euphranor, c’est-à-dire nue, proche d’un autel, tenant d’une main une patere, & de l’autre des épis & des pavots. Quelquefois avec très-peu de différence, comme une corbeille de fruits, au lieu de la patere, ou une branche d’arbre garnie de fruits, de la maniere qu’on le voit sur les médailles d’argent de Pescennius Niger & de Julia Domna, rapportées par M. Patin.

Mais le chef-d’œuvre d’Euphranor étoit sa statue de Paris. Il indiqua, dit Pline, par son ouvrage, le juge des déesses, l’amant d’Hélene & le vainqueur d’Achille. Que de beautés dans cet éloge ! Et que l’idée seule de caractériser ces trois choses étoit agréable de la part de l’artiste ! je dis l’idée, car tant de différentes expressions étoient impossibles à exécuter à la lettre, mais c’est beaucoup que de les faire penser.

Au reste, Euphranor n’excelloit pas moins en Peinture qu’en Sculpture, & nous n’avons pas oublié son nom dans la liste des peintres célebres de l’antiquité.

Euthychide, sicyonien, de l’école de Lysippe, fit pour Denis, tyran de Syracuse, la statue de Timosthène athlete, qui remporta le prix du stade aux jeux olympiques. C’est ce même Euthychide, dit Pausanias, qui a fait pour les Syriens d’Antioche cette statue de la Fortune, qui est en si grande vénération parmi les peuples. Mais le chef-d’œuvre de cet artiste est la statue du fleuve Eurotas, qu’il exécuta en bronze d’une maniere si parfaite, que le travail, dit Pline, étoit encore plus coulant que les eaux de ce fleuve ; c’est un bel éloge du dessein, de la composition & de l’exécution, sur-tout quand il s’agit de représenter un fleuve ; c’est d’ailleurs tout ce qu’on peut demander à l’art que de trouver dans la nature des choses qui répondent à celles que l’imagination a créées. On dit aujourd’hui un dessein coulant, & on le dit encore avec plus de grace, quand il est placé dans les figures auxquelles il convient par leur estence.

Euthycrate, natif de Sycione, fils & disciple de Lysippe, imita son pere dans l’exacte observation des regles de la Sculpture, & aima mieux, selon Pline, s’attacher scrupuleusement à la correction, qu’aux agrémens & à l’élégance. Il tailla pour la ville de Delphes deux superbes statues, l’une d’Hercule & l’autre d’Alexandre. On vantoit encore singulierement sa grande chasse des Thespis & des Thespiades. Il fit plusieurs figures de Médée dans son char à quatre chevaux ; plusieurs représentacions de meutes de chiens, & un grouppe d’un combat à cheval qu’on mit à l’entrée de l’antre où se rendoient les oracles de Trophonius.

Léocharès, contemporain & rival de Scopas, vivoit dans la c. olympiade ; il fut un des quatre excellens sculpteurs qui travaillerent à ce superbe tombeau de Mausole, roi de Carie, que l’on a regardé comme une des sept merveilles du monde. On admiroit encore au Pirée deux de ses statues, une de Jupiter, & une autre qui représentoit le peuple d’Athènes.

Mais admirez comme Pline parle d’un autre ouvrage de Léocharès : cet artiste, dit-il, exécuta un aigle enlevant Ganimede, sentant le mérite du poids dont il est chargé, & la grandeur de celui auquel il le porte, craignant de blesser avec ses ongles les habits même du jeune phrygien.

Cette composition ne paroît pas seulement possible & simple, mais charmante à M. le comte de Caylus, qui de plus ne doute point que l’exécution n’ait répondu parfaitement à la beauté de l’idée, & je trouve encore, continue-t-il, que dans la description du fleuve Eurotas représentée par Eutychides, dans celle de Ganymede, Pline a peint les délicatesses de l’art & celles de l’esprit.

Léontius fit un ouvrage à Syracuse qui représentoit un homme boitant par les souffrances que lui causoit un ulcere ; sur quoi Pline, l. XXXIV. c. viij. dit : Syracusis autem claudicantem, cujus ulceris dolorem sentire etiam spectantes videntur ; ce récit prouve au-moins que l’ouvrage de Léontius ne laissoit rien à desirer pour l’expression. Quelqu’un trouvera peut-être la métaphore de Pline un peu forte : mais les amateurs des arts ont des façons de parler vives, enthousiastes, & qui ne servent que mieux à peindre le sentiment.

Lysias fit un char à quatre chevaux, dans lequel Apollon & Diane étoient placés, & ce bel ouvrage étoit d’un seul bloc. Auguste le mit sur l’arc qu’il consacra à la mémoire de son pere, & le renferma dans un petit temple environné de colonnes. C’est Pline qui fait ce récit. L’arc dont il parle comme d’une nouvelle invention pour porter des statues, étoit apparemment d’une médiocre grandeur, & se réduisoit à un grand socle ou piédestal chargé de la figure du monument. Ce corps solide devoit cependant avoir une certaine hauteur, pour indiquer une plus grande idée de magnificence que des colonnes & des piédestaux ordinaires, d’autant même que ces corps étoient encore plus susceptibles de tous les bas-reliefs dont on vouloit les enrichir.

Lysippe natif de Sycione & contemporain d’Alexandre ; c’étoit à lui & à Apelle seulement qu’il étoit permis de représenter ce conquérant. Lysippe fit plusieurs statues de ce prince, suivant ses différens âges. L’empereur Néron posséda la plus précieuse ; mais comme elle n’étoit que de bronze, il crut que l’or en l’enrichissant la rendroit plus belle ; il arriva tout au contraire, que la nouvelle parure gâta la statue, & qu’on fut forcé d’enlever l’or, ce qui dégrada beaucoup cette antique par les taches & les cicatrices qui y resterent.

Lysippe travailloit avec autant de génie que de facilité. Une imitation trop servile de la nature étant un défaut plutôt qu’une beauté, il savoit lui donner plus de graces & d’agrémens qu’elle n’a coutume d’en avoir. Ce célebre artiste avoit représenté un homme sortant du bain, morceau précieux qui faisoit un des plus grands ornemens des thermes d’Agrippa. Tibere fit enlever cette piece admirable pour en embellir son palais ; mais le peuple ne put s’accoutumer à ne plus voir ce chef-d’œuvre de l’art, & força l’empereur de le restituer.

Duris rapporte que Lysippe, ce sont les paroles de Pline, n’a point eu de maître ; Tullius apparemment Cicéron, soutient qu’il en a eu un, mais que dans les commencemens qu’il étudioit son art, la réponse du peintre Eupompus lui donna un excellent précepte ; car lui ayant demandé quel étoit celui des anciens dont il lui conseilloit de suivre la maniere, il lui montra une multitude d’hommes, & lui indiqua par-là qu’il ne falloit suivre que la nature. Toutes les parties de l’esprit ont autant besoin que les arts de cette grande vérité, & tous ceux qui n’ont pas eu la nature en vûe n’ont présenté que de faux brillans, & leurs succès n’ont jamais été que passagers.

Après la liste d’une partie des grands & des beaux ouvrages de Lysippe, Pline finit par dire : il a beaucoup embelli l’art statuaire par la façon légere dont il a traité les cheveux, par la diminution des têtes que les anciens tenoient fortes, & par les corps traités plus légers & plus sveltes pour faire paroître ses statues plus grandes.

Mais ce qui semble fort étonnant est la quantité d’ouvrages que Lysippe exécuta. Il fit six cens dix morceaux de sculpture, qui tous auroient rendu célebre l’artiste qui n’en auroit fait qu’un seul, ajoute Pline, l. XXXIV. c. vij. tantæ omnia artis, ut claritatem possent dare vel singula.

Il fut aisé de savoir leur nombre, car il avoit coutume de mettre à part un denier d’or, quand il avoit produit un nouvel ouvrage, & son héritier en fit le calcul après sa mort ; cependant ce fait mérite d’être expliqué ; voici donc ce qu’en pense M. de Caylus.

S’il étoit question, dit-il, dans ce calcul des ouvrages de Lysippe, de statues de marbre, & même de figures de bronze de grandeur naturelle, ou faites chacune sur différens modeles, quoiqu’il en ait produit plusieurs de ce genre, le nombre de six cens dix morceaux de la main d’un seul artiste ne seroit ni possible, ni vraissemblable ; la connoissance des arts & leur marche dans l’exécution vont heureusement servir à lever tous nos doutes.

Quand la pratique de la fonte est familiere à un artiste & qu’il a sous ses ordres des gens capables de l’aider, les ouvrages se multiplient en peu de tems ; l’artiste n’a proprement besoin que de faire des modeles en terre ou en cire, manœuvre que l’on sait être aussi prompte que facile. Le moule, la fonte & le soin de réparer sont des opérations qui ne demandent point la main du maître, & cependant la figure n’est pas moins regardée comme son ouvrage.

Ajoutons à ces facilités que l’on peut jetter un très grand nombre de figures dans le même moule, & sans doute que toutes les fois qu’il en sortoit une de son fourneau, Lysippe s’étoit imposée la loi de mettre à-part un denier d’or, dont le nombre accumulé servit après sa mort à supputer la quantité de figures fondues dans son attelier. Il n’eût pas été difficile à Jean de Boulogne d’en faire autant dans le dernier siecle, & peut-être que si l’on comptoit le nombre de petites figures qu’il a produites de cette façon, on n’en trouveroit guere moins de six cens dix, indépendamment des grandes figures équestres & des autres statues ou bas-reliefs dont il a fait les modeles, & à la fonte desquels il a présidé.

Lysistrate de Sicyone, frere de Lysippe fut selon Pline, « le premier qui fit des portraits gypse, en appliquant le plâtre sur le visage de ceux dont il vouloit avoir la ressemblance, & qui jetta de la cire dans le creux que cette premiere opération avoit produit ; c’est ce que nous appellons moule. Avant le tems de cet artiste, on ne songeoit qu’à rendre les têtes les plus belles qu’il étoit possible : mais celui-ci s’attacha le premier à la ressemblance ». Pline dit tout de-suite : « Enfin la chose alla si loin, que l’on ne fit aucun ouvrage de sculpture sans employer la terre : Crevitque res in tantum, ut nulla signa statuæve sine argillâ fierent ». Il n’est pourtant pas étonnant que l’on ne fît plus aucun ouvrage de sculpture sans employer la terre ; parce qu’il n’y a dans le monde que la terre, la cire, ou le plâtre qui puissent obéir à l’ébauchoir, ou à la main du sculpteur, pour former son ouvrage & le mettre en état d’être moulé. Or, comme le plâtre & la cire sont encore plus difficiles à trouver que la terre, il est tout simple que les sculpteurs lui ayent donné généralement la préférence.

Lyson est mis par Pline, liv. XXXIV, ch. viij, au nombre des statuaires qui réussissoient particulierement à représenter des athletes, des gens armés, & des sacrificateurs. Pausanias dit qu’il avoit fait un morceau placé dans la salle du sénat qui représentoit le peuple d’Athènes.

Malas de Chio, s’acquit dans sa patrie avec son fils Micciades, une haute réputation : ils vivoient avant Dypœne & Scylis.

Menestrate. Pline, parlant de cet artiste, dit, livre XXXIV, ci. viij : On admire beaucoup l’Hercule de Menestratus & l’Hécate du même artiste. On voit cette derniere figure à Ephèse, derriere le temple. Le marbre en est si brillant, que les gardiens de ce temple avertissent les étrangers de la regarder avec précaution pour ménager leurs yeux.

Myron, athénien, disciple de Polyclete, vivoit dans la 84e olympiade, vers l’an du monde 3560. Il s’est rendu recommandable par une exacte imitation de la belle nature. La matiere sembloit s’animer sous son ciseau ; plusieurs jolies épigrammes du IV. liv. de l’Anthologie font mention d’une vache qu’il avoit représentée en bronze avec un tel art, que cet ouvrage séduisoit & les pâtres & les animaux. Enfin, cette vache fameuse, à ce que prétendent plusieurs auteurs, pouvoit servir de modele, tant pour l’excellence de l’imitation que pour la perfection de la nature même. Cependant nous avons lieu de penser que nos statuaires seroient en état de représenter aujourd’hui des animaux du genre imité par Myron & par ses confreres beaucoup plus parfaits que ceux qui leur étoient connus. L’idée de la belle nature que les anciens se sont formée sur la plûpart des quadrupedes, en prenant pour exemples ceux de la Grece & d’Italie ; cette idée, dis-je, n’approche pas des modeles que nous offrent à cet égard divers pays de l’Europe.

Nous voyons certainement, selon la remarque de l’auteur des réfléxions sur la Poésie & la Peinture, que les taureaux, les vaches, & les porcs des bas-reliefs antiques ne sont point comparables aux animaux de la même espece, que la Flandre, la Hollande & l’Angleterre élevent. On trouve dans ces dernieres une beauté, où l’imagination des artistes qui ne les avoient point vus, étoit incapable d’atteindre. Les chevaux antiques, même celui sur lequel Marc-Aurèle est monté, & à qui Pietre de Cortone adressoit la parole toutes les fois qu’il passoit dans la cour du capitole, en lui disant par enthousiasme pittoresque : « Avance donc, ne sais-tu pas que tu es vivant » ? ces chevaux, dis je, n’ont point les proportions aussi élégantes, ni le corsage & l’air aussi nobles que les chevaux que les sculpteurs ont représentés, depuis qu’ils ont connu ceux d’Andalousie, ceux du nord de l’Angleterre, & depuis que l’espece de ces animaux s’est embellie dans différens pays par le mélange que les nations industrieuses ont su faire des races. En un mot, les hommes les plus habiles ne sauroient jamais, en prêtant à la nature toutes les beautés qu’ils imagineront, l’annoblir dans leurs inventions, autant qu’elle sait s’annoblir elle-même à la faveur de certaines conjonctures.

Je reviens au sculpteur d’Athènes. Il y avoit dans le temple de Samos une cour destinée pour les statues, parmi lesquelles on en voyoit trois colossales de sa main portées sur la même base. Marc-Antoine les avoit fait enlever ; mais Auguste y fit remettre celles de Minerve & d’Hercule, & se contenta d’envoyer celle de Jupiter au capitole.

Le mont Hélicon étoit embelli d’un Bacchus debout que Myron avoit fait, & qu’on estimoit être la plus belle de ses statues après l’Erechtée qui étoit à Athènes. Ce Bacchus, dit Pausanias, étoit un présent de Sylla, non qu’il l’ait fait faire à ses dépens, mais il l’enleva aux Orchoméniens de Mynies pour la donner aux Théopiens, ce que les Grecs appellent honorer les dieux avec l’encens d’autrui.

Myron étoit jaloux de l’immortalité ; & pour y participer par quelqu’un de ses ouvrages, il mit son nom presqu’en caracteres imperceptibles sur une des cuisses de sa statue d’Apollon, que possédoient les Athéniens.

Pline fait un bel éloge de cet artiste : Primus hic, dit-il, multiplicasse varietatem videtur, numerosior in arte quàm Polycletus, & in symmetriâ diligentior : cependant ce mot primus ne veut marquer qu’une plus grande variété dans la composition, & un plus grand soin dans l’exécution. En cela Myron l’emporta sur ses prédécesseurs. Pline ajoute qu’en fait de badinage, il fit un tombeau pour une cigale & pour une sauterelle. Et comme tout se répete dans le monde, un de nos artistes fit dans le dernier siecle le tombeau de la chatte de Madame de Lesdiguieres ; & cet ouvrage qui ne méritoit pas d’être relevé, produisit je ne sai combien de pieces de vers.

Naucydes, d’Argos, fils de Mathon, & frere de Péryclete florissoit, selon Pline, dans la 95e. olympiade, avec Canachus, Aristoclès, Diomede & Patrocle. Son chef-d’œuvre étoit la statue d’une jeune Hébé d’or & d’ivoire, qu’on avoit mise près de la statue de Junon.

Onatas, de l’île d’Égine, sorti de l’école athénienne fondée par l’ancien Dédale, vivoit en même tems qu’Agélades d’Argos. On voyoit de lui à Pergame un Apollon en bronze qui étoit admirable, tant pour sa grandeur que pour la beauté de l’ouvrage. Mais rien ne lui acquit plus d’honneur que la Cérès que les Phigaliens lui demanderent, en lui promettant telle récompense qu’il voudroit. « Je vins exprès à Phigale, dit Pausanias, pour voir sa Cérès ; je n’immolai aucune victime à la déesse, je lui présentai seulement quelques fruits, à la maniere des gens du pays, sur-tout du raisin avec des rayons de miel, & des laines sans apprêt, telles que la toison les donne. On met ces offrandes sur un autel qui est devant la grotte, & on verse de l’huile dessus. Cette espece de sacrifice se fait tous les jours par les particuliers, & une fois l’an par la ville en corps : c’est une prêtresse qui y preside, accompagnée du ministre le plus jeune de la déesse. La grotte est environnée d’un bois sacré, où coule une source d’eau très-froide ». Voilà un joli sujet de Gravure ou de Peinture que fournit Pausanias : la statue de Cérès, les sacrifices non-sanglans qu’on offre en procession sur son autel, une belle prêtresse, avec un jeune ministre qui les reçoit, la grotte, le bois sacré, la source d’eau vive, &c.

Le même Onatas avoit fait plusieurs statues équestres pour les Tarentins, & ces statues furent mises dans le temple de Delphes. Il avoit encore été employé par Dynoménès, fils de Hiéron, tvran de Syracuse, pour le monument dont il gratifia la ville d’Olympie, en mémoire des victoires remportées par son pere aux jeux olympiques. Enfin, ce qui augmente la gloire de cet artiste, est d’avoir été le maître de Polyclète.

Pasitèle est un artiste dont Varron donne une grande idée, ainsi que Pline. Pasitèle, dit ce dernier, cùm essit in omnibus summus, a écrit cinq volumes sur les plus excellens ouvrages de Sculpture qui ayent paru dans le monde. Il étoit de cette partie de l’Italie qu’on nomme la grande Grece, & acquit conjointement avec elle le droit de citoyen romain. Il fit un Jupiter d’ivoire, & cette statue est placée dans la maison de Métellus, située sur le chemin du champ de Mars. Cet artiste, très-exact imitateur de la nature, diligentissimus artifex, travailloit un jour dans cet endroit de Rome où l’on gardoit les animaux d’Afrique : pendant qu’il étudioit un lion à-travers les barreaux, une panthere s’échappa d’une cage voisine, non sans lui faire courir un très-grand danger. On dit qu’il a fait beaucoup d’ouvrages, mais on ne les connoît pas précisément. Pline, liv. XXXIV.

Pautias, de Chio, étoit fils de Sostrate ; l’art & l’habileté d’Aristocle de Sicyone avoit passé à lui, comme de main en main, car il étoit le septieme maître sorti de cette école. Il se signala par de belles statues d’athletes proclamés vainqueurs dans les jeux de la Grece.

Peryllus est bien connu de tout le monde par l’histoire du taureau de bronze qu’il avoit exécuté, & dont il éprouva lui-même toute l’horreur : in hoc à simulachris deûm hominumque, devoraverat humanissimam artem, dit Pline, liv. XXXIV. ch. viij. Cette peinture des arts, comme M. de Caylus le remarque, est très-belle & très-convenable. Ils ne sont faits que pour le culte des dieux, pour conserver le souvenir des héros, pour corriger les passions, & pour inspirer la vertu. Peryllus fut plus cruel que Phalaris ; c’est pourquoi Pline poursuit, en disant : Itaque de unâ causâ servantur opera ejus, ut quisquis illa videat, oderit manus (Perylli).

Phidias, le sculpteur des dieux, étoit natif d’Athenes ; il fleurissoit vers l’an du monde 3556, dans la 83e olympiade, tems heureux où après les victoires remportées contre les Perses, l’abondance fille de la paix, & mere des beaux arts, faisoit éclore les talens par la protection de Périclès, l’un des plus grands hommes qui ait paru dans l’ancienne Grece, & peut-être dans le monde.

Phidias avoit fait une étude singuliere de tout ce qui avoit rapport à son talent, & en particulier l’étude de l’optique. On sait combien cette connoissance lui fut utile dans la statue de Minerve, qu’il fut chargé de faire, concurremment avec Alcamène : la statue par Alcamène vue de près, avoit un beau fini qui gagna tous les suffrages, tandis que celle de Phidias ne paroissoit en quelque sorte qu’ébauchée ; mais le travail recherché d’Alcamène disparut, lorsque sa statue fut élevée au lieu de sa destination ; celle de Phidias, au contraire frappa les spectateurs par un air de grandeur & de majesté, qu’on ne pouvoit se lasser d’admirer.

Ce fut lui qui après la bataille de Marathon, travailla sur un bloc de marbre, que les Perses dans l’espérance de la victoire avoient apporté, pour en ériger un trophée ; il en fit une Némésis, déesse qui avoit pour fonction d’humilier les hommes superbes. La haine d’un grec contre les Perses, jointe au plaisir de vanger sa patrie, anima son génie d’un nouveau feu, & prêta à son ciseau & à ses mains une nouvelle adresse.

Périclès chargea encore Phidias de faire une Minerve différente de celle dont j’ai parlé, & qu’on plaça dans le temple de cette déesse, appellé le Parthénon. Cette statue de Phidias avoit la hauteur de vingt-six coudées (39 piés,) & elle étoit d’or & d’ivoire. Il y entra 44 talens d’or, c’est-à-dire, 132 mille livres sterlings, sur le pié de 3000 livres sterlings pour chaque talent d’or ; & comme un nommé Ménon accusa Phidias d’avoir détourné une partie de cette somme, l’or fut détaché de la statue, exactement pesé, & à la honte de l’accusateur, on y retrouva les 44 talens ; mais quelque riche que fût cette statue, l’art y surpassoit infiniment la matiere ; Ciceron, Pline, Plutarque, & autres grands écrivains de l’antiquité, tous connoisseurs, tous témoins oculaires, en ont parlé comme d’un des plus beaux ouvrages de main d’homme.

L’on auroit peut-être douté qu’il fût possible de rien faire de plus parfait en ce genre, si ce Phidias lui-même n’en eût donné la preuve dans son Jupiter olympien, qu’on peut appeller le chef-d’œuvre du plus célebre maître, le plus grand effort de l’art, un prodige, & si bien un prodige, que pour l’estimer sa juste valeur, on crut le devoir mettre au nombre des sept merveilles du monde. Phidias fut inspiré dans la construction de son Jupiter par un esprit de vengeance contre les Athéniens, desquels il avoit lieu de se plaindre, & par le desir d’ôter à son ingrate patrie, la gloire davoir son plus bel ouvrage, dont les Eléens furent possesseurs avec reconnoissance. Pour honorer la mémoire de l’artiste, ils créerent en faveur de ses descendans une nouvelle charge, dont toute la fonction consistoit à avoir soin de cette statue.

Cette statue d’or & d’ivoire haute de 60 piés, & d’une grosseur proportionnée, fit le désespoir de tous les grands statuaires qui vinrent après. Aucun d’eux n’eut la présomption de penser seulement à l’imiter. Selon Quintilien, la majesté de l’ouvrage égaloit celle de Jupiter, & ajoutoit encore à la religion des peuples. On demandoit si le dieu étoit descendu du ciel en terre pour se faire voir à Phidias, ou si Phidias avoit été transporté au ciel, pour contempler le dieu. Pausanias qui avoit vu cette statue, nous en a laissé une longue & belle description, que M. l’Abbé Gédoyn a insérée dans sa dissertation sur ce sculpteur immortel. Au bas de la statue, on lisoit cette inscription : Phidias Athénien, fils de Charmide, m’a fait. Il termina ses travaux par ce chef d’œuvre qui mit le comble à sa gloire, & lui assura une réputation que plus de deux mille ans n’ont pu lui ravir.

Ce maître sublime fut le premier parmi les Grecs qui étudia la belle nature, pour l’imiter, & son imagination vaste & hardie, représentoit encore mieux les dieux que les hommes. Il paroissoit alors être guidé dans son travail par la divinité elle-même. Si Phidias forme l’image de Jupiter, dit Seneque, il semble que ce Dieu va lancer la foudre : s’il représente Minerve, on diroit qu’elle va parler pour instruire ceux qui la considerent, & que cette sage déesse ne garde le silence que par modestie. Aimable sœur de la peinture, art merveilleux, c’est donc ainsi que vous faites illusion aux sens, pour enchanter l’ame, pour attendrir le cœur, & pour élever l’esprit !

Pausanias rapporte que les Eléens conserverent pendant très-longtems l’attelier de Phidias, & que c’étoit une curiosité que les voyageurs ne manquoient pas d’aller voir.

Mais il ne faut pas obmettre le jugement de Pline sur Phidias. Je ne parlerai point, dit cet historien, de la beauté de Jupiter olympien, ni de la grandeur de la Minerve d’Athènes, qui a vingt-six coudées de hauteur (39 piés,) & qui est d’or & d’ivoire ; mais je parlerai, continue-t-il, du bouclier de cette même figure, sur le bord duquel il a représenté en bas-relief le combat des Amazones, & dans le dedans celui des dieux & des géans ; il a employé toute la délicatesse de l’art pour représenter le combat des Centaures & des Lapithes sur la chaussure de la déesse, tant il a sû profiter de tout ; & il a décoré la base de la statue par un bas-relief qui représente la naissance de Pandore. On voit dans cette composition la naissance de vingt autres dieux, du nombre desquels, est une Victoire qui se distingue par sa beauté. Les connoisseurs admirent surtout le serpent & le sphinx de bronze sur lequel la déesse appuie sa haste. Voilà ce que je voulois dire en passant, ajoute Pline, d’un artiste que l’on ne peut jamais assez louer, & dont la grande maniere, magnificentia, s’est toujours soutenue jusque dans les plus petites choses.

Les beautés de détail qu’on vient de lire n’ont été décrites que par Pline, & elles amusent l’imagination. Je conviendrai sans peine que leur travail étoit en pure perte pour les spectateurs, parce qu’en donnant même au bouclier de Minerve dix piés de diametre, on ne pouvoit distinguer ses ornemens d’assez près pour en juger sur une figure d’environ quarante piés, de proportion, & qui d’ailleurs étoit placée sur un piédestal qui l’élevoit encore. Aussi n’est-ce pas dans ces petits objets que consistoit le principal mérite de la statue de Minerve ; ils n’étoient représentés que sur le bouclier de la déesse, & Pline ne les donne que comme de légeres preuves des talens & du génie de l’artiste, argumenta parva & ingenii tantum. Mais Phidias se vit obligé de se prêter au goût des Grecs qui aimoient passionnément ces sortes de petits morceaux, le trône d’Apollon par Bathyclès faisoit leurs délices. Or qui peut douter du mérite éminent & de la perfection des ouvrages de Phidias en ce genre ? Tout le monde avoit vu de près le bouclier de Minerve, & l’avoit admiré avant qu’il fût en place.

Polyclete, naquit à Sycionne, ville du Péloponnese, & fleurissoit en la 87e olympiade. Ce célebre artiste passe pour avoir porté dans le gracieux & le correct, la sculpture à sa derniere perfection. Ses ouvrages étoient sans prix ; mais celui qui lui acquit le plus de réputation, fut la statue d’un doryphore, c’est-à-dire, d’un garde des rois de Perse. Dans cette statue merveilleuse, toutes les proportions du corps humain étoient si heureusement observées, qu’on venoit la consulter de tous côtés comme un parfait modele, ce qui la fit appeller par les connoisseurs, la regle ; j’en parlerai plus bas.

On rapporte que ce sculpteur voulant prouver au peuple combien ses jugemens sont faux pour l’ordinaire, il réforma une statue suivant les avis qu’on lui donnoit ; puis il en composa une semblable suivant son génie & son goût. Lorsque ces deux morceaux furent mis en parallele ; le premier parut effroyable en comparaison de l’autre : « ce que vous condamnez, dit alors Polyclete au peuple, est votre ouvrage ; ce que vous admirez est le mien. » Un habile artiste, on l’a dit avant moi, doit écouter la critique comme un avertissement qui peut lui être utile, mais non pas comme une loi qui doive le gêner.

Le goût de Polyclete, le portoit surtout à la régularité, & à l’agrément ; l’on trouvoit en conséquence que ses statues auroient eû besoin d’un peu plus de force ; en effet il représentoit les hommes avec des graces infinies, & beaucoup mieux qu’ils ne sont, mais il n’atteignit pas comme Phidias à la majesté des dieux. On dit même que l’âge robuste étonnoit ses mains délicates ; & c’est par cette raison qu’il n’a guere exprimé que la tendre jeunesse. Sa statue d’un jeune homme couronné, étoit si belle pour l’expression délicate des chairs, qu’elle fut vendue cent talens, quatre cent soixante & dix mille livres. Diadumenum fecit molliter, centum talentis nobilitatum, dit Pline. Son enfant tenant une lance à la main, ne fut pas moins célebre ; & ses trois statues de trois enfans nuds jouant ensemble, que Titus avoit dans son palais, furent regardées comme trois chefs-d’œuvres de l’art. Il seroit trop long de citer tous les ouvrages de sa main, que le monde admiroit ; mais j’ai promis de parler de la fameuse statue qu’on nomme la regle.

Cet artiste, selon Pline, l. XXXIV, c. viij, voulant laisser à la postérité les regles de son art, se contenta de faire une statue qui les comprenoit toutes, & que par cette raison il appella la regle, fecit & quem canones artifices vocant, lineamenta artis ex eo petentes, velut à lege quâdam. « Ce fait, dit M. de Caylus, est un de ceux qui demande d’autant plus à être expliqué qu’il paroît n’en avoir aucun besoin. Tout homme de lettres qui lira ce passage, ne doutera pas que l’ouvrage de Polyclete n’ait été une regle fondamentale pour les sculpteurs, & conséquemment il croira que si l’on avoit cette statue, on pourroit faire d’aussi belles choses que les Grecs. Cela n’est cependant vrai que dans un sens, c’est-à-dire, pour un seul âge ; encore dans ce même âge, on peut s’écarter du point donné pour de certaines parties, & bien faire : car l’artiste qui prendra les proportions de l’antique, précaution que tous nos modernes prennent avec grand soin, a le même privilege que le grand architecte qui suit les proportions d’un ordre, mais qui s’en écarte pour les raisons d’aspect, de convenance, &c. »

Pline parlant encore de Polyclete, dit qu’il est le premier qui ait imaginé de poser des figures sur une seule jambe, ut uno crure insisterent signa excogitasse ; mais ce passage ne peut être entendu que pour les bronzes, ou pour les grandes figures de cette matiere, que l’armature met en état de poser avec solidité sur un seul point.

En effet, dit M. de Caylus, cette position est si fort impossible dans les ouvrages de marbre, que les statuaires n’ont jamais assez de deux jambes pour soutenir une figure ; ils sont obligés de recourir à un tronc d’arbre, à des draperies, en un mot à quelque corps qui leur donne un moyen de solidité. Plus ce moyen conserve de vraissemblance, & plus il mérite d’éloges. Il ne faut pas se rejetter sur le talent & le mérite des artistes grecs pour accuser les modernes ; ils étoient soumis comme nous aux raisons physiques ; d’ailleurs leurs propres ouvrages certifient cette vérité. Il n’y a jamais eu de figure plus faite que l’Atalante, pour être traitée dans cette position ; cependant celle de marbre que le tems a épargnée ne pose, il est vrai, que sur un pié, mais elle a un tronc d’arbre pour appui. Il faut donc regarder les ouvrages de Polyclete, cités à cette occasion, comme étant de bronze, & pour lors ils n’ont rien de merveilleux. Nous voyons même que les anciens ont souvent traité dans cette position des femmes sortant du bain, des Vénus, &c. mais toujours en bronze. Mém. des insc. t. xxv.

Pausanias parle d’un autre Polyclete qui fit la statue d’Agenor de Thèbes, lequel surpassa tous les jeunes gens de son âge à la lutte. Ce dernier Polyclete postérieur au sycionien, fut éleve de Naucydes. Junius l’a oublié dans son catalogue.

Posis étoit connu à Rome de M. Varron, qui dit que ce sculpteur ingénieux exécutoit en terre des fruits, des raisins & des poissons, dont l’imitation étoit parfaite.

Praxias d’Athènes, disciple de Calamis, fit Latone, Diane, Apollon, les muses, le soleil qui se couche, Bacchus & des thyades, qu’on mit sur le fronton du temple de Delphes.

Praxitele fleurissoit l’an du monde 3640, vers la 104e olympiade. Il sembloit animer le marbre par son art. Tous ses ouvrages étoient d’une si grande beauté, qu’on ne savoit auxquels donner la préférence ; il falloit être lui-même pour juger les différens degrés de perfection. La fameuse Phryné, aussi industrieuse que belle, ayant obtenu de Praxitele la permission de choisir son plus bel ouvrage, se servit d’un stratagème pour le connoître : elle fit annoncer à ce célebre artiste que le feu étoit à son attelier ; alors tout hors de lui-même, il s’écria : je suis perdu si les flammes n’ont point épargné mon satyre, & plus encore mon cupidon. Phryné sachant le secret de Praxitelle, le rassura de cette fausse allarme, & l’engagea dans la suite à lui donner le cupidon. Pouvoit-il lui rien refuser ? Elle plaça ce cupidon à Thespis sa patrie, où long tems après on alloit encore le voir par curiosité. Quand Mummius enleva de Thespis plusieurs statues pour les envoyer à Rome, il respecta celle-ci parce qu’elle étoit consacrée à un dieu. Le cupidon de Verrès, dont parle Cicéron, étoit aussi de Praxitele, mais il étoit différent de celui-ci.

Isabelle d’Est, grand-mere des ducs de Mantoue, possédoit entr’autres raretés la premiere & si fameuse statue de l’amour par Praxitele. Cette princesse avoit aussi dans son cabinet un admirable cupidon endormi fait d’un riche marbre de Spezzia. On fit voir à M. de Foix que la cour de France avoit envoyé en Italie, & au président de Thou qui l’accompagnoit, comme nous le lisons dans ses mémoires, cette statue de l’amour endormi, chef-d’œuvre de Michel-Ange, qu’on ne pouvoit considerer qu’avec des transports d’admiration, & qui leur parut encore fort au-dessus de sa renommée ; mais lorsqu’on leur eut montré l’amour de Praxitele, ils eurent honte en quelque sorte d’avoir tant vanté le premier cupidon, & ils manquerent d’expressions pour louer le second. Ce monument antique, tel que nous le représentent tant d’ingénieuses épigrammes de l’Anthologie que la Grece à l’envi fit autrefois à sa louange, étoit encore souillé de la terre d’où il avoit été tiré.

On dit que Michel-Ange, par une sincérité digne d’un grand homme qu’il étoit, avoit prié la comtesse Isabelle, après qu’il lui eut fait présent de son cupidon, de ne montrer aux curieux l’antique que le dernier, afin que les connoisseurs pussent juger en les voyant, de combien en ces sortes d’ouvrages les anciens l’emportent sur les modernes.

On conçoit bien que Praxitele enchanté comme il étoit de Phryné, ne manqua pas d’employer le travail de ses mains pour celle qui s’étoit rendue maîtresse de son cœur. C’est aussi ce qui arriva, selon le rapport d’Athénée, liv. III. une des statues de cette fameuse courtisane de la main de Praxitele, fut placée depuis à Delphes même, entre celle d’Archidamus roi de Sparte, & de Philippe roi de Macédoine. Si les richesses & le desir de s’immortaliser par des faits éclatans sont des titres pour trouver place entre les rois, Phryné le méritoit ; car elle s’engageoit à rebâtir Thebes à ses dépens, pourvu que l’on y mît seulement cette inscription : Alexandre a détruit Thebes, et Phryné l’a rétablie.

Les habitans de l’île de Cos avoient demandé une statue de Vénus à Praxitele : il en fit deux, dont il leur donna le choix pour le même prix. L’une étoit nue, l’autre voilée ; mais la premiere surpassoit infiniment l’autre en beauté. Cependant ceux de Cos préfererent la derniere, afin de ne point porter dans leurs temples une image si capable d’allumer des passions : Severum id ac pudicum arbitrantes.

Les Gnidiens furent moins attentifs aux scrupules des bonnes mœurs. Ils acheterent avec joie la Vénus nue, qui fit depuis la gloire de leur ville, où l’on alloit exprès de fort loin pour voir cette statue, qu’on estimoit l’ouvrage le plus achevé de Praxitele. Nicomede roi de Bithynie, en faisoit un tel cas, qu’il offrit aux habitans de Gnide d’acquitter toutes leurs dettes qui étoient fort grandes, s’ils vouloient la lui céder ; mais ils crurent que ce seroit se deshonorer, & même s’appauvrir, que de vendre à quelque prix que ce fût, une statue qu’ils regardoient comme un trésor unique. Pausanias a décrit plusieurs autres statues de ce grand maître. Quintilien & Cicéron, en peignant le caractere distinctif des divers statuaires de la Grece, disent que celui de Praxitele qui le rendoit singulierement recommandable, étoit le beau choix qu’il savoit faire de la nature. Les graces, ajoutent-ils, conduisoient son ciseau, & son génie donnoit la vie à la matiere.

Les Thespiens acheterent 800 mines d’or une statue de Praxitele, qui fut apportée à Rome par Jules-César ; mais le plus considérable de ses ouvrages étoit la statue de Vénus, qui ouvroit à demi les levres, comme une personne qui sourit. La dureté du marbre ne faisoit rien perdre aux traits délicats d’un si beau corps. Il y avoit une marque à la cuisse de la déesse, dont Lucien a donné l’origine dans son dialogue des amours. Un jeune homme de grande naissance devint amoureux de la Vénus de Praxitele : il lui adressoit toutes ses offrandes ; enfin transporté du feu de sa passion, il se cacha la nuit dans le temple ; & le lendemain, dit Lucien, on découvrit cette marque, & l’on n’entendit plus parler du jeune homme.

Il sortit encore un autre amour du ciseau de Praxitele pour la ville de Parium, colonie de la Propontide. Cette figure, dit Pline, est égale en beauté à sa Vénus, & produisit les mêmes effets sur les sœurs d’Alchidas de Rhodes. Varron rapporte qu’on voyoit à Rome, auprès du temple de la félicité, les neuf muses, une desquelles rendit amoureux un chevalier romain, nommé Junius Pisciculus.

Les récits de cette nature se trouvent aussi quelquefois rapportés dans l’histoire de nos artistes modernes, mais ce n’est vraissemblablement que par vanité. On a donc écrit qu’un espagnol s’est laissé enfermer la nuit dans l’église de S. Pierre de Rome pour jouir d’une figure qui est au tombeau du pape Paul III. elle est de la main de Guillaume della Porta, éleve de Michel-Ange, mais sculpteur assez sec, & sa statue n’est pas trop belle ; cependant comme elle étoit trop nue, on la couvrit d’une draperie de bronze.

Rhæcus de Samos, eut pour fils Théodore & Telecles ; voilà les premiers des grecs qui ayent eu l’art de fondre une statue. Avant eux on faisoit, dit Pausanias, une statue comme un habit, successivement & par pieces, non d’un seul jet. Il résulte de-là qu’avant la guerre de Troie, les hommes ne connoissoient pas encore le secret de fondre le métal, & de le jetter en moule. Rhoecus, Telecles, & Théodore florissoient du tems de Polycrate. Or Polycrate, contemporain de Cambyse, vivoit en la 64 olympiade 500 ans avant l’ere chrétienne.

Salpion, athénien ; c’est à lui qu’on attribue ce beau vase antique qu’on voit à Gaïette, ville maritime du royaume de Naples, où il sert pour les fonts de baptême dans la grande église. Ce superbe morceau de sculpture avoit été construit, à ce qu’on pense, pour contenir l’eau lustrale dans quelque ancien temple des payens.

Saurus & Batrachus, architectes & sculpteurs célebres de Lacédémone, entreprirent de bâtir & d’orner à leurs dépens les temples de Rome qui étoient entre les portiques d’Octavie, & se flatterent d’y pouvoir mettre leur nom ; cependant quelque dépense qu’ils eussent faite, & quelle que fût leur habileté, on leur refusa impitoyablement ce qu’ils demandoient, & toute leur adresse se borna à semer en maniere d’ornement, des lézards & des grenouilles sur les bases & les chapiteaux de toutes les colonnes. Le nom de Saurus étoit désigné par le lézard, que les Grecs nomment σαῦρος, & celui de Batrachus par la grenouille, qu’ils appellent βάτραχος.

Scopas naquit à Paros ; & fleurissoit à Ephese vers la centieme olympiade. Il travailla avec d’illustres concurrens au fameux mausolée qu’Artémise fit ériger à Mausole son mari, mort la 106 olympiade dans la ville d’Halycarnasse. Sa colonne pour le temple de Diane d’Ephese passoit pour la plus belle de toutes ; mais sa Vénus qui fut dans la suite transportée à Rome, étoit son chef-d’œuvre. On a même pretendu qu’elle égaloit en beauté celle de Praxitele. Outre Vénus, Scopas avoit fait un Phaëton, un Apollon, une Vesta avec deux filles assises à terre à ses côtés, un Neptune, une Thétis, un Achille, un Mars, & la plûpart de ces statues étoient à Rome. L’Amour, Pothos (le Desir) & Phaëton étoient encore trois statues de ses mains, qu’on voyoit avec admiration dans le temple de Vénus Praxis à Mégare. Cet excellent artiste les avoit réprésentées aussi diversement que ces trois choses sont différentes ; mais il faut représenter le détail entier que Pline nous a donné des ouvrages de ce grand maître.

Il fit, dit-il, Vénus, Pothos & Phaëton, qui sont adorés en Samothrace avec les cérémonies les plus saintes : l’Apollon palatin, la Vesta assise, ayant auprès d’elle deux vestales assises à terre : ce dernier morceau est très-célebre. Scopas a répété les deux vestales ; elles sont dans les bâtimens d’Asinius Pollio, où l’on voit de plus une canéphore ; mais ce que l’on trouve supérieur, & que l’on voit dans le temple de C. N. Domitius, au cirque de Flaminius, ce sont les figures de Neptune, de Thétis, d’Achille, des Néréïdes assises sur des dauphins & des chevaux marins, des tritons avec une trompe à la suite de Phorcus ; enfin plusieurs autres choses convenables aux divinités de la mer. Pline dit de ce morceau, qui selon toute apparence avoit été traité en bas-relief, magnum & præclarum opus, etiamsi totius vitæ fuisset. Ouvrage qui seroit admirable, quand il auroit occupé toute la vie d’un homme.

Nous ne connoissons pas, continue-t-il, tous les morceaux qui sont sortis de la main de cet artiste ; cependant il a exécuté Mars assis & de proportion colossale. Cette statue est placée dans le temple de Brutus Gallaïcus, dans le même cirque où l’on voit de plus une Vénus nue capable de rendre célebre tous les autres lieux qui pourroient la posseder ; mais l’air de grandeur & de magnificence qui regne par-tout dans la ville de Rome, peut seul étouffer la réputation de ces grands morceaux : il n’est pas possible de les admirer & de les contempler ; le mouvement des affaires détourne sans cesse, & l’admiration des chefs-d’œuvres a besoin du silence & de la tranquillité de l’esprit.

Cette peinture du mouvement de la ville de Rome est peut-être plus frappante que toutes celles qui se trouvent dans aucun autre auteur.

On ne sait, continue Pline, si c’est à Scopas ou à Praxitele que l’on doit attribuer la Niobé mourante avec ses enfans ; ce grouppe est placé dans le temple d’Apollon Sosien. Le sujet de Niobé se voit encore partie dans la vigne de Médicis à Rome ; mais il est douteux si ces restes appartiennent à celui dont parle Pline.

On ignore aussi, continue toujours cet auteur, lequel de ces deux artistes, Scopas ou Praxitele, a fait le Janus que l’on voit au temple d’Auguste, & que ce prince avoit fait apporter d’Egypte : on le sait d’autant moins que l’on a fait dorer la figure.

Voilà, dit M. de Caylus, une raison tirée de l’art ; car il est constant que toute couleur, dorure ou vernis appliqué sur une statue, ôte des finesses, empêche de distinguer la touche, émousse les vives arêtes, denature l’expression de la chair, & par conséquent empêche souvent les connoisseurs de l’attribuer à un maître plutôt qu’à un autre. Les anciens allioient encore quelquefois, dans les ouvrages de sculpture en ronde-bosse, les marbres de couleur, l’or, l’ivoire & le bronze. Les modernes ont heureusement banni cette fausse magnificence, qui diminue, interrompt l’effet, & ne produit aux yeux qu’un papillotage sans goût.

Je reviens à Scopas, pour dire, en finissant son article, que son nom acquit de plus en plus de la célébrité, non-seulement par ses ouvrages qui subsisterent, mais parce qu’il avoit eu des émules & des rivaux d’un grand mérite. Horace, ode viij. liv. IV. en fait lui-même un bel éloge. « Si j’avois, dit-il, un cabinet enrichi des chefs-d’œuvres de Parrhasius ou de Scopas… »

Divite me scilicet artium,
Quas aut Parrhasius, aut Scopas.

Silanion, né à Athènes, vivoit du tems d’Alexandre le grand, & se rendit très-habile dans son art, sans avoir eu de maître. Les historiens parlent de la statue d’un certain Satyrus qui avoit souvent remporté le prix aux jeux de la Grèce, de celle de l’athlete Démarate, de celle d’Achille, & de celle d’un Epistates exerçant les lutteurs. Cicéron vante extrémement la Sapho de bronze de ce célebre statuaire. Verrès l’avoit enlevée du prytanée de Syracuse. Pline raconte que le même Silanion avoit jetté en bronze la statue d’Apollodore son confrere, homme emporté contre lui-même, & à qui il arrivoit souvent de briser ses propres ouvrages, parce qu’il ne pouvoit les porter à la souveraine perfection dont il avoit l’idée dans l’esprit ; Silanion représenta d’une maniere si vive cet emportement, que l’on croyoit voir, non Apollodore, mais la colere en personne : hoc in eo expressit, nec hominem ex aere fecit, sed iracundiam, dit Pline. Silanion écrivit un traité des proportions, suivant le témoignage de Vitruve.

Socrate. Je me garderai bien d’envier à la sculpture l’honneur qu’elle a eu de compter ce grand homme parmi ses éleves. Il étoit fils d’un statuaire, & il le fut lui-même avant que de s’attacher à la physique & à la morale. Il disoit que la sculpture lui avoit enseigné les premiers preceptes de la philosophie. On lui attribuoit communément les trois graces qu’on conservoit dans la citadelle d’Athènes ; elles n’étoient point nues, mais couvertes. Le plus sage des Grecs n’est pas le seul de son nom qui ait cultivé la sculpture ; il y avoit près de Thèbes une chapelle bâtie par Pindare, en l’honneur de Cybèle, la statue de la déesse étoit l’ouvrage de deux thébaïtes, nommés Socrate & Aristomede ; elle étoit de marbre du mont Centélique, & on ne pouvoit la voir qu’une fois l’année.

Strongilion est de tous les statuaires celui qui réussissoit le mieux à représenter des chevaux & des bœufs.

Téleclès & Théodore ; les Egyptiens, selon Diodore de Sicile, liv. I. assurent que les plus fameux des anciens sculpteurs de la Grece, ont pris des leçons chez eux. Tels furent entre autres Téleclès & Théodore de Samos, fils de Rhœcus, qui ont fait la statue d’Apollon Pythien, qu’on voit à Samos. Téleclès, si nous les en croyons, fit à Samos une moitié de cette statue, pendant que son frere Théodore travailloit l’autre à Ephèse ; & le rapport de ces deux moitiés se trouva si parfait, que toute la figure paroissoit être d’une seule main. Ils ajoutent que cette pratique singuliere, peu connue des sculpteurs grecs, est très en vogue parmi les artistes égyptiens ; ceux ci ne jugent pas comme les Grecs, d’une figure, par le simple coup d’œil, mais rapportant les proportions du petit au grand, ils taillent séparément, & dans la derniere justesse, toutes les pierres qui doivent former une statue. C’est pour cela qu’ils ont divisé le corps humain en vingt-une parties & un quart, en donnant à chacune d’elles, une grandeur relative à celle des autres, & du tout ensemble ; ainsi quand les ouvriers sont une fois convenus entr’eux de la hauteur de la figure, ils vont exécuter chacun chez soi les parties dont ils sont chargés, & elles s’ajustent ensemble d’une maniere étonnante pour ceux qui ne sont pas au fait de cette pratique ; or les deux moitiés de l’Apollon de Samos, travaillées à part dans le goût égyptien, se joignent, dit-on, suivant toute la hauteur du corps, & quoiqu’il ait les deux bras étendus, & qu’il soit dans l’attitude d’un homme qui marche, sa figure entiere est dans la plus exacte proportion ; enfin cet ouvrage cede peu aux chefs-d’œuvres de l’Egypte même, qui lui ont servi de modele.

On a de la peine à comprendre ce que Diodore rapporte ici des sculpteurs égyptiens, dit M. de Caylus, dans ses reflexions sur ce passage ; comment, ajoute-t-il, des artistes travaillans séparement, en des lieux distans l’un de l’autre, & sans se communiquer leurs opérations, pouvoient-ils chacun faire une moitié de statue, dont la réunion composoit un tout parfait ?

Si l’on croit la chose probable, il faut du moins supposer un fait que Diodore a passé sous silence ; c’est qu’il y avoit en premier lieu un modele arrêté, & sur lequel chacun s’étoit reglé. N’est-ce pas en effet ce que cet historien a prétendu faire entendre, lorsqu’il dit que les sculpteurs égyptiens, en prenant leurs mesures, rapportent les proportions du petit au grand, comme le font encore aujourd’hui nos sculpteurs. Les Grecs au-contraire, dit Diodore, jugent d’une figure par le simple coup d’œil ; ce qui veut dire qu’ils travaillent sans modele, chose difficile, mais possible.

Au reste, le travail dont il s’agit devenoit d’autant plus facile à exécuter, que la statue de l’Apollon pythien, qu’ils avoient ainsi travaillée, étoit, à ce que rapporte le même auteur, dans le goût des statues égyptiennes, c’est-à-dire qu’elle étoit les bras étendus, & collés le long du corps, les jambes, l’une en avant, l’autre en arriere, dans l’attitude de quelqu’un qui se prépare à marcher ; & c’est ainsi en effet que sont la plûpart des statues égyptiennes ; elles ne varient presque point d’attitude ; les ouvriers étant une fois convenus des mesures & des proportions générales, pouvoient travailler en quelque façon à coup sûr, & même disposer les différentes pierres qui devoient composer une statue colossale ; car il seroit ridicule de penser que les statues dont il s’agit ici, fussent des statues de grandeur naturelle. Un seul bloc, & un seul ouvrier devoient suffire pour chacune ; au lieu que pour une statue hors de proportion, il étoit naturel de distribuer les différentes parties dont elle étoit composée, à différens ouvriers.

Voilà l’utilité que les sculpteurs égyptiens tiroient de ces regles de proportion dont ils étoient convenus entre eux, regles qui ne peuvent pas s’entendre des justes proportions du corps humain, parce que les Grecs les connoissoient aussi-bien qu’eux, & les suivoient avec encore plus d’exactitude. Tout ce qu’il y avoit donc de différent entre les uns & les autres, c’étoit la maniere d’opérer : les Grecs travailloient sans s’assujettir à prendre des mesures sur un modele ; les Egyptiens au-contraire, faisoient de petits modeles, qui leur servoient à faire les statues en grand ; de-là vient, dit Diodore, que les sculpteurs qui devoient travailler sur un même ouvrage, étant convenus de la grandeur que doit avoir cet ouvrage, se séparent, & sans doute, comme je crois le pouvoir ajouter, emportent chacun une copie du modele convenu ; enfin après avoir travaillé séparément, ils rapportent chacun les pieces qu’ils ont faites, & lorsqu’elles sont rejointes, elles forment un tout exact : pratique bien capable de causer de la surprise & de l’admiration à ceux qui ne sont pas au fait de cette opération.

Il n’y a donc rien que de très-faisable & de très vraissemblable dans ce récit : on observe cependant que les statues qui nous restent des Egyptiens, ne sont toutes que d’un seul bloc ; mais ce sont celles qui sont d’une grandeur naturelle, & qui n’ont dû être l’ouvrage que d’un seul artiste ; par conséquent la pratique des sculpteurs égyptiens, dont parle Diodore, n’étoit pas générale, elle n’étoit d’usage que pour les statues colossales. Il en reste quelques-unes de cette derniere espece dans la haute Egypte, qui sont en effet composées de plusieurs blocs de marbre, du moins autant qu’on en peut juger sur les desseins. Or ces colonnes peuvent avoir été travaillées dans différens atteliers, partie par partie, & de la façon dont le dit Diodore. Ainsi en restraignant à ces sortes de statues la pratique dont il est question, il ne sera pas difficile de comprendre ce que rapporte l’historien ; & le merveilleux qui y paroît attaché, disparoîtra sans peine. Mém. de l’acad. des Inscr. tom. XIX.

Téléphanes, phocéen, n’a point fait parler de lui, & la raison du silence qu’on a gardé sur le vrai mérite de cet artiste, dit Pline, l. XXXIV c. viij. c’est qu’il avoit travaillé pour les rois Xerxès & Darius. Bien des gens pourroient regarder cette punition comme une espece d’humeur mal entendue ; mais cette convention générale, parfaitement exécutée par tous les peuples de la Grèce, peint bien les Grecs. Elle leur fait d’autant plus d’honneur, que leur goût pour les arts & pour les bons artistes n’étoit pas douteux.

Théodore, dont j’ai déja parlé, frere de Téleclès, & qui executa le labyrinthe de Samos, réunissoit les talens de l’architecture à celui de l’art de fondre. Pline, l. XXXIV. c. viij. dit qu’il fondit en bronze en petit son portrait, & qu’il tenoit dans sa main gauche un char à quatre chevaux que couvroit une aîle de mouche. Ces sortes de badinages de l’art montrent beaucoup de délicatesse, mais ils paroissent encore plus recommandables dans le marbre, qu’en bronze, parce que sur le marbre le moule n’y peut être d’aucun secours, & que le plus petit coup donné à faux ou trop appuyé, suffit pour détruire en un moment, le travail de plusieurs mois. Voyez l’article de Callicrate, qui excelloit encore dans ces sortes d’ouvrages délicats.

Enfin on peut placer le morceau suivant de Canachus, avec celui de Théodore, c’est aussi Pline qui en fait mention, l. XXXIV. c. viij. Cervumque una ita vestigiis suspendit, ut linum subter pedes trahatur, alterno morsu digitis calceque retinentibus solum, ita vertebrato dente utrisque in partibus, ut a repulsu per vices resiliat. Ce double mouvement, dans les piés de ce cerf, qui n’étoient point arrêtés sur la plinte, chose nécessaire pour laisser passer le fil, prouve que cet ouvrage étoit d’une médiocre étendue. Cet autre mouvement des dents, d’accord ou ressemblant à celui des vertebres, annonce encore une machine qui affectoit quelques-uns des mouvemens de la nature. C’en est assez, ajoute M. de Caylus, pour prouver que les anciens ont connu d’une maniere glorieuse, toutes les opérations des arts, & même celles que l’on auroit pensé pouvoir leur disputer avec le plus d’apparence de raison.

Timothée fut chargé conjointement avec Scopas, Briaxis, & Léochares, des ornemens du mausolée qu’Artémise fit faire à Mausole son mari, roi de Carie, qui mourut la 106e Olympiade. On voit à Rome, continue Pline, dans le temple d’Apollon, une Diane de la main de Timothée, à laquelle Aulanius Evander a remis une tête. On étoit déja dans la triste obligation de restaurer les statues.

Tisagoras, artiste célebre par ses statues de fer. Il en avoit fait une qui représentoit le combat d’Hercule contre l’hydre ; on plaça cette statue dans le temple de Delphes. On ne peut, dit Pausanias in Phor. assez admirer cet ouvrage, ainsi que les têtes de lion & de sanglier du même artiste, qui sont aussi de fer & que l’on a consacrées à Bacchus dans la ville de Pergame.

Tisandre, avoit fait une grande partie des statues qui représentoient les braves officiers qui seconderent Lysander à Agios-Potamos, soit spartiates, soit alliés de Sparte. Pausanias vous en dira les noms.

Tisicrate, athénien, fleurissoit dans la 66e olympiade, & se rendit célebre par sa belle statue de la courtisane Leæna. Tout le monde sait l’histoire de cette fameuse courtisane, qui ressembloit à celles de nos jours, comme nos consuls ressemblent aux consuls de Rome. Leæna ayant su le secret de la conspiration d’Harmodias & d’Aristogiton contre Hipparque, fils de Pisistrate, fut mise à la question par l’ordre du frere d’Hipparque ; mais de peur de succomber aux tourmens, elle aima mieux se couper la langue, que de risquer de découvrir les conjurés. Les Athéniens touchés de cette grandeur d’ame, éleverent en son honneur une statue qui représentoit une lionne sans langue, & Tisicrate chargé de cet ouvrage, s’en acquitta d’une façon glorieuse ; j’ai pour garans Pline, liv. XXXIV. cha. viijp. Hérodote & Thucydide.

Turianas, étoit d’Etrurie ; Tarquin l’ancien le fit venir de Fregella, ville du Latium, pour faire la statue de Jupiter qu’il vouloit placer dans le capitole ; & l’on étoit encore dans l’usage, long-tems après, de peindre cette statue avec du minium. Le même Turianus fit aussi des chars à quatre chevaux ; ils furent mis sur le faîte du temple, & cet artiste joignit à tous ces ouvrages une statue d’Hercule, qui, dit Pline, hodieque materiæ nomen in urbe retinet, & que l’on nomme l’Hercule de terre. Pline, livre XXXV. chap. xij.

Xénophon, statuaire d’Athènes, fit une statue de la Fortune, dont l’antiquité à beaucoup parlé. Dans cette statue, la déesse tient Plutus entre ses bras sous la forme d’un enfant ; & c’est, dit Pausanias, une idée assez ingénieuse de mettre le dieu des richesses entre les mains de la Fortune, comme si elle étoit sa nourrice ou sa mere.

Xénophon étoit contemporain & compatriote de Cephissodore. Ils firent ensemble un Jupiter assis sur son trône, ayant la ville de Mégalopolis à sa droite, & Diane conservatrice à sa gauche ; ces deux statues furent mises dans le temple de Jupiter sauveur en Arcadie.

Zénodore, fleurissoit du tems de l’empereur Néron. Il se distingua par une prodigieuse statue de Mercure, & ensuite par le colosse de Néron, d’environ cent dix ou cent vingt piés de hauteur, qui fut consacré au soleil. Vespasien fit ôter la tête de Néron, & exposer à sa place celle d’Apollon ornée de sept rayons, dont chacun avoit vingt-deux piés & demi. Mais il est bon d’entrer dans les détails que Pline, l. XXXIV. c. vij. nous a conservé de Zénodore, & qui sont intéressans ; j’y joindrai, suivant ma coutume, quelques réflexions de M. de Caylus.

Les ouvrages de Zénodore l’ont emporté sur toutes les statues de ce genre (que l’on voit en Italie) par le Mercure qu’il a exécuté en Gaule, dans la ville des Avernes ; il y travailla l’espace de dix ans, & il couta quatre cens mille sesterces. Quand il eut fait voir son habileté par les ouvrages qu’il avoit faits dans cette ville, Néron le fit venir à Rome, & l’employa à faire son portrait dans une figure colossale de cent dix piés de haut ; elle a depuis été consacrée au soleil, pour témoigner l’horreur que l’on avoit de tous les crimes de ce prince (c’est-à-dire qu’on ôta la tête de ce prince pour y mettre celle du soleil.)

Nous avons vû, continue Pline, dans l’atelier de Zénodore, non-seulement le modele de terre de ce colosse, similitudinem insignem ex argillâ, mais aussi les petites figures qui servirent au commencement de l’ouvrage, ex parvis surculis.

Ce modele, dit M. de Caylus, étoit de terre & n’étoit pas un creux, car la terre n’a pas assez de consistance pour être employée à faire des creux ; elle se cuit trop inégalement dans ses parties, ou plutôt en sechant elle se resserre & se racourcit de façon que sa diminution est trop inégale ; donc il est question d’un modele de terre, & le mot de surculis doit être regardé comme les premieres idées, les pensées, les esquisses, les maquettes, comme on dit dans l’art, qui servent à fixer & à déterminer le choix du sculpteur dans la composition de sa figure.

Pline poursuit : cette statue fit voir que l’art de fondre étoit perdu ; Néron n’épargnant ni or ni argent pour la réussite de cette entreprise, & Zénodore étant estimé autant qu’aucun des anciens artistes, pour le talent de modéler & de réparer son ouvrage.

Ces paroles que l’art de fondre étoit perdu, veulent dire peut-être, que l’art de jetter en fonte de grands morceaux tels que les colosses étoit perdu. En ce cas celui de Néron, & le Mercure des Avernes (du pays d’Auvergne), exécutés par Zénodore, loin d’être travaillés comme tous ceux dont Pline a parlé jusques-ici, n’auroient été faits que de plaques ou de platines de cuivre soudées ou clouées.

Pendant que Zénodore travailloit à la statue des Avernes, il copia, dit Pline, deux vases dont les bas-reliefs étoient de la main de Calamis : ils appartenoient à Vibius Avitus qui commandoit dans cette province ; ils avoient été possédés par Germanicus César, qui les avoit donnés, parce qu’il les estimoit beaucoup, à Cassius son gouverneur, oncle de Vibius ; Zénodore les avoit copiés, sans qu’il y eût presque aucune différence.

Cependant, observe ici M. de Caylus, le talent de Zénodore est plus prouvé par les deux grands modeles qu’il a faits, que pour la copie de ces deux vases : un artiste médiocre peut en venir à bout, & satisfaire, étonner même des gens peu délicats ; mais il faut toujours de grandes parties dans l’esprit & des connoissances fort étendues dans l’art, pour exécuter heureusement des machines pareilles à ces colosses ; le détail de la fonte ne change rien à la grandeur du génie nécessaire pour la production d’une figure de plus de cent piés de proportion. (Tous les articles des sculpteurs anciens sont de M. le chevalier de Jaucourt.)

Sculpteurs modernes, (Artistes en Sculpture.) nous n’entendons pas sous ce nom les sculpteurs goths, mais les célebres maîtres qui se sont illustrés dans cette carriere depuis la renaissance des beaux-arts en Italie, c’est-à-dire depuis le commencement du xvj. siecle : voici les principaux qui nous sont connus.

Algarde, italien, fleurissoit vers le milieu du xvij. siecle. Entre autres ouvrages de cet artiste supérieur, on admire son bas-relief qui représente saint Pierre & saint Paul en l’air, menaçant Attila qui venoit à Rome pour la saccager. Ce bas-relief sert de tableau à un des petits autels de la basilique de saint Pierre.

Il ne faut pas moins de génie pour tirer du marbre une composition pareille à celle de l’Attila, que pour la peindre sur une toile. En effet, la poésie & les expressions en sont aussi touchantes que celle du tableau où Raphaël a traité le même sujet, & l’exécution du sculpteur qui semble avoir trouvé le clair obscur avec son ciseau, paroît d’un plus grand mérite que celle du maître de la peinture. Les figures qu’on voit sur le devant de ce superbe morceau, sont presque de ronde-bosse ; elles sont de véritables statues. Celles qu’il a placées derriere ont moins de relief, & leurs traits sont plus ou moins marqués, selon qu’elles s’enfoncent dans le lointain. Enfin la composition finit par plusieurs figures dessinées sur la superficie du marbre par de simples traits. Il est vrai que l’Algarde n’a pas tiré de son génie la premiere idée de son exécution ; mais il a du-moins perfectionné, par l’ouvrage dont il s’agit, le grand art des bas-reliefs ; & quand le pape Innocent X. donna trente mille écus à l’Algarde pour un ouvrage de cette espece, cette récompense étoit plus noble qu’excessive.

On sait sans doute que l’Algarde fut aussi chargé par le même pape de restaurer la figure d’un Hercule qui combat l’hydre, & que l’on conserve à Rome dans le palais Verospi ; il s’en acquitta si bien que les parties rétablies ayant été retrouvées dans la suite, on a laissé l’ouvrage de l’Algarde, & l’on s’est contenté de placer auprés de la statue les parties antiques, pour mettre les curieux à portée d’en faire la comparaison, & rendre justice à l’artiste moderne.

Auguier (François), natif du comté d’Eu, mort à Paris en 1669. Son cizeau donnoit du sentiment au marbre. Ses figures sont encore remarquables par la beauté & la vérité de l’expression. Il a fait l’autel du Val-de-grace & la Crêche ; le beau crucifix de marbre de la Sorbonne ; la sculpture du cardinal de Bérule dans l’église de l’Oratoire ; la sépulture des Montmorenci à Moulins, & quelques statues d’après les antiques.

Auguier (Michel), mort en 1680, âgé de 74 ans, frere de François Auguier ; il se distingua dans le même art que lui. Il est bien connu par l’Amphitrite de marbre qu’on voit dans le parc de Versailles, par les ouvrages de la porte saint Denis, par les figures du portail du Val-de-grace, & par d’autres.

Bachelier (Nicolas) natif de Toulouse ou de Luques, fut éleve de Michel-Ange. Etant à Toulouse sous le regne de François I. il y établit le bon goût, & en bannit la maniere gothique qui avoit été en usage jusqu’alors ; ses ouvrages de sculpture qui subsistent dans quelques églises de cette ville, se distinguent toujours avec estime, malgré la dorure qu’on y a mise, & qui leur a ôté cette grace & cette délicatesse que cet habile homme leur avoit données. Il fleurissoit encore en 1550.

Bandinelli (Baccio) né à Florence en 1487, mort dans la même ville en 1559. Les morceaux qu’il a faits en sculpture à Rome & à Florence sont extrèmement estimés ; on l’a repris seulement avec raison, d’avoir mis à côté de la statue d’Adam qu’il fit pour l’église cathédrale de Florence, une statue d’Eve de sa main, plus haute que celle de son mari. D’ailleurs les deux statues sont également belles ; c’est lui qui a restauré le bras droit du grouppe de Laocoon, j’entends le bras qui est élevé & qui concourt si bien à l’action de la figure principale. Ce grand artiste imitateur & contemporain de Michel-Ange, ne voulut point rétablir cette partie en marbre, dans l’espérance que l’on trouveroit un jour le morceau de l’original ; il est donc encore aujourd’hui en terre cuite. Baccio est si bien entré dans l’esprit de l’antique, que si par hasard on retrouvoit le bras perdu, la comparaison ne seroit pas deshonorable au sculpteur florentin.

Bernini (Jean-Laurent) vulgairement appellé le cavalier Bernin, né à Naples en 1598, mort à Rome en 1680, est un de ces grands artistes que la nature présente rarement sur la terre. Louis XIV. signala sa magnificence à son égard, lorsqu’il le fit venir à Paris en 1665, pour travailler au dessein du Louvre ; on voit en France de ce maître célebre, le buste du roi dans la salle de Vénus, & la statue équestre de Marcus-Curtius, au-delà de la piece des Suisses à Versailles ; mais il a sur-tout embelli Rome de plusieurs monumens qui font l’admiration des connoisseurs ; telle est l’extase de sainte Thérèse de ce grand maître. On compte dans la seule église de S. Pierre quinze morceaux de son invention, le maître autel, le tabernacle, la chaire de saint Pierre, les tombeaux d’Urbain VIII. & d’Alexandre VII. la statue équestre de Constantin, la colonnade, la fontaine de la place Navonne, &c. Tous ces ouvrages, pour le dire en un mot, ont une élégance & une expression dignes de l’antique ; ses figures sont remplies de vie, de tendresse & de vérité.

Bologne (Jean de) né à Douay, mort à Florence vers le commencement du dix-septieme siecle. Il se rendit un des bons sculpteurs d’Italie, & orna la place publique de Florence de ce grouppe de marbre que l’on y voit encore, & qui représente l’enlevement d’une sabine. Le cheval sur lequel on a mis depuis la statue d’Henri IV, placée au milieu du Pont-Neuf à Paris, est de ce grand maître ; il a fait plusieurs autres statues équestres, il a dirigé la fonte d’un très grand nombre d’autres statues ou bas-reliefs qui lui ont acquis beaucoup d’honneur.

Rousseau (Jacques) né en Poitou en 1681, mort à Madrid en 1740, eleve de M. Coustoux, l’aîné ; il devint professeur de l’académie de Sculpture, & finalement sculpteur en chef du roi d’Espagne.

Buister (Philippe) natif de Bruxelles, vint en France vers le milieu du dix-septieme siecle. Son éloge sera l’énumération de ses principaux ouvrages : tels sont le tombeau du cardinal de la Rochefoucault, placé dans une chapelle de sainte Génevieve ; deux satyres grouppés, un joueur de tambour de basque, & la déesse Flore ; tous morceaux estimés qui ornent le parc de Versailles.

Cellini (Bénévenuto) artiste célebre, & homme d guerre, né à Florence l’an 1500, mort dans la même ville en 1570, nous a donné un traité sur la sculpture, & la maniere de travailler l’or.

Comte (Louis le) mort à Paris en 1691, âgé de cinquante-un ans, a fait dans cette ville quelques ouvrages estimés. On voit de sa main à Versailles deux grouppes, dont un représente Vénus & Adonis, & l’autre Zéphir & Flore ; le cocher du cirque qui sert d’ornement à la porte des écuries, est encore de cet artiste.

Coustou (Nicolas) né à Lyon en 1658, mort à Paris en 1733, de l’académie de Sculpture. Son pere Nicolas Coustou, sculpteur en bois, lui apprit les élémens de son art. Il se mit ensuite sous la discipline du célebre Coysevox, son oncle. Enfin, il remporta le prix de sculpture, & partit pour l’Italie en qualité de pensionnaire du roi. C’est dans ce séjour qu’il fit la belle statue de l’empereur Commode, représenté en Hercule, & qui est dans les jardins de Versailles. Le ciseau de cet excellent homme, conduit par la belle nature, ne fut pas oisif. Il travailla toujours pour sa gloire & celle de la France ; ce fut lui qu’on chargea de la plûpart des riches morceaux de sculpture qui ornent l’église des Invalides.

Sans entrer dans le détail de ses ouvrages, il suffit de citer la statue pédestre de Jules-César, le grouppe des fleuves, représentant la Seine & la Marne qu’on voit aux Tuileries ; & le superbe grouppe placé derriere le maître autel de l’église de Notre-Dame à Paris, qu’on appelle communément le Vœu de Louis XIII.

On remarque dans les productions de ce maître, un génie élevé, un goût sage & délicat, un beau choix, un dessein pur, des attitudes vraies & pleines de noblesse, des draperies élégantes & moëlleuses ; il mourut en 1746, âgé de soixante-neuf ans. Son mérite l’avoit éleve à la dignité de recteur & à celle de directeur de l’académie de Sculpture. Son nom célebre dans les Arts est encore soutenu avec distinction par MM. Coustou de la même académie.

Coysevox (Antoine) né à Lyon en 1640, mort en 1720, montra dans son enfance, par les progrès qu’il fit dans son art, ce qu’il devoit être un jour. On ne pourroit sans trop s’étendre, marquer tous les ouvrages qui sont sortis de ses mains. Il a travaillé plusieurs fois à différens bustes de Louis XIV ; le grand escalier, les jardins, la galerie de Versailles sont ornés de ses morceaux de sculpture. Il a fait encore des mausolées qui décorent plusieurs églises de Paris ; ce maître joignit à une grande correction de dessein, beaucoup de génie & d’art dans ses compositions : il rendoit aussi heureusement la naïveté que la noblesse, & la force que la grace, suivant les caracteres qu’il vouloit donner à ses figures. On connoît les deux grouppes prodigieux de Mercure & de la Renommée assis sur des chevaux aîlés, qui ont été posés dans les jardins de Marly en 1702, chaque grouppe soutenu d’un trophée, a été taillé d’un seul bloc de marbre ; & tous deux quoique travaillés avec un feu surprenant, & une correction peu commune, n’ont pas couté deux ans de travail à notre célebre artiste ; cependant cet ouvrage souffriroit peut-être la comparaison avec le Marcus-Curtius du cavalier Bernin qui est à Versailles.

Dante (Vincent) mort à Pérouse l’an 1576, âgé de quarante-six ans, entendoit la sculpture & l’architecture. La statue de Jules III. qu’il fit à Pérouse, a passé pendant quelque tems pour un chef-d’œuvre.

Desjardins (François) natif de Breda, mort en 1694, a exécuté le monument de la place des Victoires à Paris.

Donato ne à Florence vivoit dans le xv. siecle. Le sénat de Venise le choisit pour la statue équestre de bronze que la république fit élever à Gattamelata, ce grand capitaine, qui de la plus basse extraction étoit parvenu jusqu’au grade de général des armées des Vénitiens, & leur avoit fait remporter plusieurs victoires remarquables ; mais le chef-d’œuvre de Donato, étoit une Judith coupant la tête d’Holopherne.

Le Flamand (François) Quesnoy, surnommé le Flamand, de Bruxelles), artiste admirable, & qui tient un des premiers rangs dans la sculpture par le goût, la correction du dessein, & la belle imitation de l’antique. Quand on examine à Rome les ouvrages de ce maître, son S. André par exemple, qui est dans l’église de S. Pierre, peut-on douter que l’artiste n’ait beaucoup étudié le gladiateur, l’Apollon, l’Antinoüs, Castor & Pollux, la Vénus de Médicis & l’Hermaphrodite ? Il est mort à Livourne en 1644, à 52 ans.

Gendre (Nicolas le), né à Estampes, mort à Paris en 1670, âgé de 52 ans, a montré dans ses ouvrages de sculpture, une sagesse & un repos qui se font remarquer avec distinction.

Girardon (François), né à Troyes en Champagne en 1627, marié à mademoiselle du Chemin, renommée pour son talent à peindre les fleurs, & mort en 1698. Ses ouvrages sont précieux par la correction du dessein, & par la beauté de l’ordonnance. Il a presque égalé l’antiquité par les bains d’Apollon ; par le tombeau du cardinal de Richelieu, qui est dans l’église de la Sorbonne, & par la statue équestre de Louis XIV. qui est à la place Vendôme. Les connoisseurs qui se sont attachés à comparer les statues de Girardon & du Puget, ont trouvé plus de graces dans celles de Girardon, & plus d’expression dans celles de Puget. Ce grand maître avoit au Louvre une galerie précieuse par les morceaux choisis qu’elle renfermoit.

Grace au Phidias de notre âge,
Me voilà sûr de vivre autant que l’univers ;
Et ne connût-on plus ni mon nom, ni mes vers,
Dans ce marbre fameux, taillé sur mon visage,
De Girardon toujours on vantera l’ouvrage.

Ce sont les vers de Despréaux sur le buste de marbre que fit de lui le célebre Girardon, & dont on a tiré tant de copies.

Cet habile maître est presque le seul d’entre les modernes, qui par les bains d’Apollon, ait osé imiter les sujets fort composés que traitoient les anciens, & qu’ils rendoient par de beaux grouppes de grandes figures.

Gonnelli (Jean), surnommé l’aveugle de Cambassi, du nom de sa patrie en Toscane, mort à Rome sous le pontificat d’Urbain VIII. Les progrès qu’il fit dans son art sous la discipline de Pierre Tacca, annonçoient du génie ; mais on eut lieu de craindre que ses talens ne devinssent stériles, lorsqu’il perdit la vûe à l’âge de 20 ans. Cependant ce malheur ne l’empêcha pas d’exercer la sculpture ; il faisoit des figures de terre cuite qu’il conduisoit à leur perfection, se laissant guider par le seul sentiment du tact. C’est ainsi qu’il représenta Côme I. grand duc de Toscane. Il entreprit quelque chose de plus, il essaya de faire de la même maniere des portraits ressemblans ; mais c’étoit porter trop loin de flatteuses espérances.

Goujon (Jean), parisien, fleurissoit sous les regnes de François I. & de Henri II. il travailla pour la gloire de la nation. Ses ouvrages nous retracent les beautés simples & sublimes de l’antique. Un auteur moderne le nomme le Corregede la Sculpture, parce qu’il a toujours consulté les Graces. Personne n’a mieux entendu que lui les figures de demi-relief. Rien n’est plus beau en ce genre, que sa fontaine des Innocens, rue S. Denis à Paris. Un ouvrage de sa main, qui n’est pas moins curieux, est une espece de tribune soutenue par des caryatides gigantesques, & qui est au Louvre dans la salle des cent Suisses. Sarrasin a cru devoir imiter ces figures, d’un goût exquis & d’un dessein admirable. M. Perrault les a fait graver par Sébastien le Clerc, dans sa traduction de Vitruve. On voit encore des ouvrages du Goujon à la porte S. Antoine & ailleurs. Il fut l’architecte & le sculpteur de l’hôtel de Carnavalet ; & Mansard chargé de le finir, suivit scrupuleusement les plans tracés par Goujon.

Gros (Pierre le), né à Paris en 1666, mort à Rome en 1719. Il a eu part aux plus superbes morceaux de sculpture qui aient été faits dans cette capitale des beaux arts. Tel est son grand relief de Louis Gonzague, qui fut posé sur l’autel du college Romain, & qui a été gravé. Tel est son bas-relief du mont de Piété, son tombeau du cardinal Cassanata, la statue mourante de Stanislas Koska, au noviciat des jésuites, dont M. Crozat le jeune possédoit le modele. Tel est encore le grouppe du triomphe de la religion sur l’hérésie, qui orne l’église de Giésu. On connoit à Paris, le bas-relief fait par ce célebre artiste, pour l’église de S. Jacques des Incurables. Enfin on admire tous les ouvrages de le Gros.

Guillain (Simon), né à Paris, mort en 1658 âgé de 77 ans. On lui doit les figures qui sont posées dans les niches du portail de la Sorbonne, & quelques autres ouvrages qui lui font honneur.

Hongre (Etienne le), natif de Paris, reçu à l’académie de sculpture en 1668, mort en 1690, âgé de 62 ans. Ce maître a embelli les jardins de Versailles de plusieurs ouvrages. Tels sont une figure représentant l’air, Vertumne & Pomone en therme, &c.

Keller (Jean Baltazar), artiste incomparable dans l’art de fondre en bronze. Né à Zurich, il s’établit en France où il réussit le dernier Décembre 1692, dans la fonte de la statue équestre de Louis XIV. qui est haute de 20 piés & toute d’une piece, comme on la voit dans la place de Vendôme. Il y a d’autres ouvrages admirables de sa main dans le jardin de Versailles & ailleurs. Louis XIV. lui donna l’intendance de la fonderie de l’Arsénal. Il mourut en 1702. Son frere, Jean-Jacques, fut aussi très-habile dans la même profession.

Lérambert (Louis), né & mort à Paris en 1670, âgé de 56 ans. Il y a plusieurs de ses ouvrages dans le parc de Versailles.

Lorrain (Robert le), né à Paris en 1666, mort dans la même ville en 1743. Il fut éleve de Girardon. Ce grand maître le regardoit comme un des plus habiles dessinateurs de son siecle. Il le chargeoit à l’âge de 18 ans, d’instruire ses enfans & de corriger ses éleves. Ce fut lui & le Nourrisson qu’il choisit pour travailler au mausolée du cardinal de Richelieu.

Le Lorrain auroit eu un nom plus célebre dans les arts, s’il eût possédé le talent de se faire valoir, comme il avoit celui de l’exécution. On remarqua dans ses compositions un dessein pur & savant, une expression élégante, un bon choix & des têtes précieuses. On connoit sa Galathée. Il fit aussi un Bacchus pour le jardins de Versailles, un Faune pour ceux de Marly, &c. Mais ses principaux ouvrages sont dans le palais épiscopal de Saverne.

Magniere (Laurent), parisien, reçu à l’académie royale de Peinture & de Sculpture en 1667, mort en 1700 âgé de 82 ans. Ses talens l’ont placé au rang des artistes du siecle de Louis XIV. Il a fait pour les jardins de Versailles, plusieurs thermes représentant Ulysse, le printems & Circé.

Marcy (Baltazar), né à Cambrai en 1620, mort à Paris en 1674, frere de Gaspard Marcy, aussi sculpteur, mort en 1681. Ces deux artistes ont travaillé ensemble au bassin de Latone du jardin de Versailles, où cette déesse & ses enfans sont représentés en marbre. Balthazar Marcy s’est montré digne de mêler ses travaux avec le célebre Girardon, en faisant les chevaux des bains d’Apollon, qui sont effectivement d’une grande beauté.

Margaritone, né en Toscane dans le xiij. siecle. Il n’est connu que par la sculpture du tombeau de Grégoire X.

Mazeline (Pierre), natis de Rouen, reçu à l’académie de Sculpture en 1668, mort en 1708 âgé de 76 ans. Il a fait quelques morceaux estimés, comme l’Europe & Apollon pythien d’après l’antique, qui sont dans les jardins de Versailles.

Michel-Ange Buonarota, également célebre en sculpture comme en peinture. Il fut mis jeune dans un village, dont la plûpart des habitans étoient sculpteurs, & en particulier le mari de sa nourrice ; ce qui lui fit dire qu’il avoit sucé la sculpture avec le lait. A seize ans il avoit déja fait dans cet art des progrès singuliers. Pendant que le pape Jules II. demeuroit à Boulogne, il lui ordonna de faire sa statue de la hauteur de cinq brasses, & de la jetter en bronze. Cette statue haussoit un bras dans une attitude si fiere, que sa Sainteté demanda à Michel-Ange, si elle donnoit la bénédiction ou la malédiction. Elle avertit le peuple de Boulogne d’être plus sage à l’avenir, répondit Michel-Ange. Ayant demandé à son tour au pape, s’il ne devoit pas mettre un livre dans l’autre main ; mettez-y plutôt une épée, répliqua Jules, je ne suis pas homme de lettres. Cette statue de Jules fit beaucoup d’honneur à Michel-Ange ; mais il a immortalisé sa gloire par sa statue de Bacchus, & par celle de Cupidon en grandeur naturelle, qu’il donna à la princesse Isabelle d’Est. Ce sont des chefs-d’œuvres qu’on ne se lasse point de voir & de louer.

On sait encore qu’ayant fait la figure d’un autre Cupidon différent de celui dont je viens de parler, il porta cette figure à Rome, lui cassa un bras qu’il retint, & enterra le reste dans un endroit qu’il savoit qu’on devoit nécessairement fouiller. En effet, cette figure ayant été trouvée quelque-tems après, dans le lieu où il l’avoit ensévelie, fut exposée à la vue des connoisseurs qui l’admirerent. On la vendit pour une antique précieuse au cardinal de S. Grégoire ; alors Michel-Ange détrompa tout le monde, en produisant le bras qu’il s’étoit réservé. Il est beau d’être assez habile pour imiter les anciens, jusqu’à tromper les yeux des plus savans ; il n’est pas moins beau d’être assez modeste, pour avouer qu’on leur est de beaucoup inférieur, comme le reconnut Michel-Ange. Enfin, je le retrouve toujours du premier rang des modernes en sculpture, en peinture & en architecture.

Pautre (Pierre le) né à Paris en 1659, mort dans la même ville, en 1744. Son pere Antoine le Pautre, bon architecte, développa ses talens pour le dessein. L’étude de la nature & des grands maîtres le perfectionnerent. Cet habile artiste fut directeur de l’académie de S. Luc. On voit de ses ouvrages à Marly. Il fut chargé de finir le grouppe d’Arrie & de Paetus, commencé à Rome par Théodon. Le grouppe d’Enée est entierement de lui. Ces deux morceaux ornent le jardin des Tuileries.

Pilon (Germain) sculpteur & architecte, natif de Paris, vivoit dans le xvj. siecle. Il fut un de ces hommes nés pour cultiver les arts, & porter dans leur patrie le vrai goût du beau. On voit plusieurs de ses ouvrages dans les églises de notre capitale, qui plaisent aux curieux.

Pisani (André), mort à Florence, en 1389, âgé de 60 ans. Il fit connoître ses talens pour la sculpture par les figures de marbre dont il orna l’église de Santa-Maria del Fiore, à Florence.

Ponce (Paul) florentin, se distinguoit en France sous les regnes de François II. & de Charles IX. Il y a plusieurs de ses ouvrages aux célestins. Il a taillé la colomne semée de flammes, & accompagnée de trois génies portant des flambeaux, avec une urne qui renferme le cœur de François II. On voit aussi de cet artiste, dans la même église, le tombeau en pierre, avec la figure de Charlemagne, vétue militairement.

Puget (Pierre), le Michel-Ange de la France, admirable Sculpteur, bon peintre, excellent architecte, naquit à Marseille en 1623, de parens qui manquoient du bien nécessaire pour soutenir leur nom.

Les talens qu’avoit le jeune Puget pour le dessein parurent dès qu’il put manier le crayon. On le mit à l’âge de 14 ans chez un habile sculpteur de Marseille, & qui passoit pour le meilleur constructeur de galeres du pays. Il fut si satisfait de son éleve, après deux ans d’apprentissage, qu’il lui confia le soin de la sculpture & de la construction d’un de ses bâtimens ; mais Puget curieux de se perfectionner, se rendit à Florence chez le grand-duc, & passa de-là à Rome, où il s’appliqua tout entier à la peinture.

Il resta près de 15 ans dans cette capitale des beaux arts. De retour dans sa patrie, il inventa ces belles galeres du royaume, que les étrangers ont tâché d’imiter. Il embellit Toulon, Marseille & Aix de plusieurs tableaux qui font encore l’honneur des églises des capucins & des jésuites. Tels sont une annonciation, le baptême de Constantin, le tableau qu’on appelle le Sauveur du monde, &c. L’éducation d’Achille est le dernier ouvrage qu’il ait fait en ce genre.

La sculpture devint, après une maladie dangereuse qu’il eut en 1657, sa passion favorite, soit qu’elle lui coutât moins, soit que les modeles qu’il fit dans sa convalescence l’amusassent plus agréablement, il ne peignit plus depuis ce tems-là ; mais il embellit Toulon d’excellens ouvrages en sculpture. On y admire toujours les ornemens qu’il fit pour la porte de l’hôtel-de-ville de cette place. Les armes de France en bas-relief de marbre qui ornent l’hôtel-de-ville de Marseille, sont aussi de sa main.

M. Fouquet instruit par la renommée des talens du Puget, le chargea d’aller choisir en Italie les plus beaux blocs de marbre qu’il destinoit à la sculpture du royaume, & tandis qu’on en chargeoit quelques bâtimens à Gènes, notre artiste s’occupa à faire ce bel Hercule, qu’on mit à Sceaux, & qui est couché sur un bouclier aux fleurs-de-lis de France. Dans ces conjectures M. Fouquet fut disgracié, ce qui devint un obstacle au retour du Puget, dont l’étranger profita pour avoir de ses chefs-d’œuvres. Le duc de Mantoue obtint de lui un bas-relief de l’assomption, auquel le cavalier Bernin prodigua ses éloges.

Enfin M. de Colbert, qui veilloit aux progrès des arts, rappella ce célebre artiste dans le royaume, & l’honora d’une pension de douze cens écus, en qualité de sculpteur & directeur des ouvrages qui regardoient les vaisseaux & les galeres. Alors le Puget avide de travailler à des monumens qui passassent à la postérité, entreprit son bas-relief d’Alexandre & de Diogene ; ce monument qu’il n’a pu achever que sur la fin de ses jours, est le plus grand morceau de sculpture qu’il ait exécuté.

Mais Milon Crotoniate est la premiere & la plus belle statue qui ait paru à Versailles de la main du Puget. On croit voir le sang circuler dans les veines de Milon ; la douleur & la rage sont exprimés sur son visage ; tous les muscles de son corps marquent les efforts que fait cet athlete pour dégager sa main, laquelle étoit prise dans le tronc d’un arbre qu’il avoit voulu fendre, tandis que de l’autre, il arrache la langue de la gueule d’un lion qui le mordoit par derriere.

Après la mort de Colbert, M. de Louvois, sur-intendant des bâtimens, engagea le Puget à travailler à un grouppe, pour accompagner celui de Milon ; le Puget exécuta son Andromede & Persée. On est tenté de toucher les chairs de l’Andromède ; & quoique la figure en paroisse un peu trop raccourcie, on y trouve cependant les même proportions que dans la Vénus de Médicis.

Le dernier ouvrage du Puget, est le bas-relief de S. Charles, où la peste de Milan est représentée d’une maniere si touchante. Le Puget avoit modelé en cire la figure équestre de Louis XIV. que l’on devoit ériger dans la place royale de Marseille, dont il avoit aussi donné le dessein. Girardon conservoit précieusement quelques marines à la plume de la main de ce grand maître.

Les morceaux de sculpture de cet artiste inimitable, ainsi que Louis XIV. le nommoit, pourroient être comparés à l’antique, pour le grand goût & la correction du dessein, pour la noblesse de ses caracteres, pour la beauté de ses idées, le feu de ses expressions, & l’heureuse fécondité de son génie. Le marbre s’amollissoit sous son ciseau, prenoit entre ses mains du sentiment, & cette flexibilité qui caractérise si bien les chairs, & les fait sentir même au-travers des draperies. Cet admirable artiste est mort dans la ville qui lui donna la naissance, en 1695, âgé de 72 ans.

Quellins (Artus), né à Anvers, a fait pour sa patrie des morceaux de sculpture, qui le mettent au rang des bons artistes flamans. Il est neveu d’Erasme Quellins, qu’on regarde comme le dernier peintre de l’école de Rubens.

Regnauldin (Thomas), natif de Moulins, mort à Paris en 1706, âgé de 79 ans, a fait quelques morceaux assez estimés. On voit de lui dans les jardins de Versailles l’Antonine & Faustine, & aux Tuileries le grouppe qui représente l’enlevement de Cybele par Saturne sous la figure du Tems.

Rossi (Propertia), cette demoiselle fleurissoit à Boulogne sous le pontificat de Clément VII. La musique qu’elle possédoit faisoit son amusement, & la sculpture son occupation. D’abord elle modela des figures de terre qu’elle dessinoit, ensuite elle travailla sur le bois ; enfin elle s’exerça sur la pierre, & fit pour décorer la façade de l’église de sainte Pétrone, plusieurs statues de marbre, qui lui mériterent l’éloge des connoisseurs ; mais une passion malheureuse pour un jeune homme qui n’y répondit point, la jetta dans une langueur qui précipita la fin de ses jours. Dans cet état, se rappellant l’histoire de la femme de Putiphar & de Joseph, elle représenta en bas-relief cette histoire, qui avoit quelque rapport à sa situation, & rendit naturellement la figure de Joseph d’après celle de son amant. Ce morceau de sculpture fut le dernier ouvrage, & le chef-d’œuvre de Propertia. Mais Angelo Rossi en a fait d’autres d’un goût presque égal à l’antique, & qui passeront à la postérité.

Rustici (Jean-François) florentin, jetta la plûpart de ses statues en bronze. On a loué une Léda de sa main, une Europe, un Neptune, un Vulcain, un homme à cheval d’une hauteur extraordinaire, & une femme d’une forme colossale. Il vint en France en 1528, & y fut employé le reste de ses jours par François I. à plusieurs ouvrages.

Sarasin (Jacques), né à Noyon en 1598, mort en 1660. Il vint dès sa plus tendre enfance à Paris, où il apprit à dessiner & à modeler ; mais comme la France sortoit encore d’une espece de barbarie pour les beaux arts, & que la sculpture y manquoit de maîtres pour en montrer les charmes & le génie, il alla s’en instruire à Rome, & y demeura pendant l’espace de 18 ans. Là il fit pour le cardinal Aldobrandin un Atlas & un Polyphème qui soutenoient presque la comparaison avec les beaux ouvrages d’Italie. En revenant de Rome, il exerça son ciseau à un S. Jean-Baptiste & un S. Bruno, qui passent pour un des plus singuliers ornemens de la chartreuse de Lyon. De retour à Paris, il fut employé pour les églises, & fit en particulier pour le roi les caryatides qui embellissent un des dômes du Louvre du côté de la cour ; car ces figures, quoique colossales, sont néanmoins très-dégagées, & semblent très-légeres ; il fit deux morceaux considérables dans l’église des jésuites de Paris : le premier est deux grands anges d’argent en l’air, tenant chacun d’une main un cœur d’argent. Je dis que ces anges sont en l’air, parce qu’ils ne sont attachés à l’arcade sous laquelle ils semblent voler effectivement, que par quelques barres de fer qu’on ne voit point. Le second morceau de sa main, est le mausolée de Henri de Bourbon prince de Condé, mausolée taillé dans le beau, & qu’on admireroit à tous égards, si le sacré & le profane, la Piété avec Minerve, ne s’y trouvoient mélangées. On voit de ce célebre artiste dans l’église des carmélites du fauxbourg S. Jacques, le tombeau du cardinal de Bérule ; dans l’église du noviciat des jésuites, & dans celle de S. Jacques de la Boucherie, deux crucifix de sa main. Ces productions de son génie sont d’une grande beauté. Parmi les ouvrages de son ciseau pour Versailles, on ne doit pas oublier de citer le grouppe de Remus & de Remulus allaités par une chevre ; & on voit à Marly un autre grouppe également estimé, représentant deux enfans qui se jouent avec un bouc. Mais pendant que Sarrasin avançoit sa carriere dans l’art de la sculpture, le Puget s’y élevoit pour le surpasser un jour.

Tadda (Francisco), sculpteur d’Italie, fleurissoit au milieu du xvj. siecle. Ayant trouvé quelques morceaux de porphyre parmi des pieces de vieux marbre, il essaya de les joindre, & d’en composer un bassin de fontaine pour Côme de Médicis, grand-duc de Toscane, & il réussit dans son entreprise. On dit qu’il fit distiller certaines herbes dont il retira une eau qui avoit la vertu de coller ensemble toutes sortes de morceaux de porphyre brisés. Si ce n’est point un conte que ce secret, il fut enterré avec lui.

Théodon, né en France dans le xvij. siecle, perfectionna ses talens en Italie, & devint sculpteur de la fabrique de S. Pierre. Un des deux grouppes de l’église de Jésus à Rome est de sa main, & l’autre de celle de le Gros. Les plus habiles sculpteurs qui fussent alors en Italie, présenterent chacun leur modele ; & ces modeles ayant été exposés, il fut décidé sur la voix publique, que celui de Théodon & celui de le Gros étoient les meilleurs. Théodon fit encore un autre grouppe, qu’on cite aujourd’hui parmi les chef-d’œuvres de la Rome moderne.

Tuby dit le Romain (Jean-Baptiste) de l’académie de sculpture, mort à Paris en 1700, âgé de 70 ans. Il tient un rang distingué parmi les artistes qui ont paru sous le regne de Louis XIV. On voit de lui dans les jardins de Versailles, une figure représentant le poëme lyrique. Il a encore embelli les jardins de Trianon, par une copie du fameux grouppe de Laocoon. Le mausolée du vicomte de Turenne enterré à S. Denys, est sans contredit le plus beau de particuliers honorés d’une sépulture à côté de nos rois. Le Brun en a tracé le plan, & Tuby l’a exécuté. On y voit l’Immortalité qui tient d’une main une couronne de laurier, & qui soutient de l’autre ce grand homme. La Sagesse & la Vertu sont à ses côtés. La premiere est étonnée du coup funeste qui enleve ce héros à la France, & l’autre est plongée dans la consternation.

Van-Clève (Corneille) originaire de Flandres, né à Paris, a été un des bons sculpteurs de France. On voit dans plusieurs églises de Paris, dans les maisons royales, & dans les provinces, quantité de beaux ouvrages sortis de ses mains. Il est mort en 1733, âgé de 89 ans.

Van-Obstal (Gérard), natif d’Anvers, mort à Paris en 1668, âgé de 73 ans. Il avoit beaucoup de talens pour les bas-reliefs, & travailloit admirablement bien l’ivoire ; la figure du roi que l’on voit posée sur la porte Saint Antoine, est de cet habile maître.

Verrochio, (André) naquit à Florence en 1432, & mourut en 1488. Il tailla dans sa patrie les tombeaux des Médicis ; mais son chef-d’œuvre est un enfant de bronze pêchant à la ligne. Les deux têtes de métal en demi-relief, l’une d’Alexandre le grand, & l’autre de Darius, qu’il fit pour Laurent de Médicis, furent encore admirées. Il jetta en bronze à Venise la statue équestre de Barthelemi de Bergame ; & l’application qu’il y donna fut la cause de sa mort. J’ai parlé de cet artiste comme peintre, au mot Ecole florentine.

Volterre (Daniel de) il a quelquefois quitté le pinceau pour le ciseau. Le cheval qui porte la statue de Louis XIII. dans la place royale à Paris, a été fondue d’un seul jet par Volterre. Voyez son article parmi les Peintres, au mot Ecole.

Zumbo, (Gaetano Guilio) né à Syracuse en 1656, mort à Paris en 1701. Il devint sculpteur sans autre maître que son génie. Il ne se servit dans tous ses ouvrages que d’une cire coloriée, qu’il préparoit pourtant d’une maniere particuliere. Ce secret à la vérité ne lui fut pas particulier, Warin & le Bel l’avoient eu avant lui ; mais les morceaux que notre artiste fit avec cette matiere excellerent sur tous les autres en ce genre par leur perfection. Le grand duc de Toscane lui donna des marques d’une bienveillance distinguée. Pendant le tems qu’il fut à ce prince, il exécuta ce sujet renommé sous le nom de la Corruzione, ouvrage curieux pour la vérité, l’intelligence, & les connoissances qui s’y font remarquer. Ce sont cinq figures coloriées au naturel, dont la premiere représente un homme mourant, la seconde un corps mort, la troisieme un corps qui commence à se corrompre, la quatrieme un corps qui est corrompu, & la cinquieme un cadavre plein de pourriture, que l’on ne sauroit regarder sans être saisi d’une espece d’horreur, tant l’ingénieux sculpteur a su y mettre de force & de vérité. Le grand-duc plaça cet ouvrage dans son cabinet.

Zumbo étant à Gènes, y employa quatre ou cinq ans à travailler une nativité du Sauveur & une descente de croix, qu’on peut regarder comme ses chefs-d’œuvres. Il s’associa dans cette ville à un chirurgien françois nommé Desnoues, afin de représenter avec sa cire coloriée toutes les parties du corps ; le chirurgien disséquoit ; & le sculpteur représentoit. Son plus beau morceau dans ce genre a été un corps de femme avec son enfant. La France fut le terme des voyages de Zumbo ; il y travailla à plusieurs pieces d’anatomie, & composa entr’autres la tête préparée pour une démonstration anatomique. L’académie des Sciences en a fait l’éloge dans son hist. année 1701. Tous les curieux voulurent la voir, & M. le duc d’Orleans, qui avoit un goût très-éclairé, ne dédaigna pas d’aller chez Zumbo l’examiner à loisir.

Voilà les principaux sculpteurs de l’Europe, depuis environ deux siecles & demi. Il est bon de remarquer que le souverain qui ne sauroit trouver une certaine quantité de jeunes gens qui puissent, à l’aide des moyens qu’il leur donne, devenir un jour des Raphaëls & des Carraches, en trouve un grand nombre qui peuvent par son secours devenir de bons sculpteurs. L’école qui n’a pas été formée en des tems où les causes physiques voulussent bien concourir avec les causes morales, enfante ainsi des hommes excellens dans la Sculpture, au lieu de produire des peintres du premier ordre. C’est précisément ce que nous savons être arrivé dans ce royaume : depuis le renouvellement des Arts, on n’a guère rassemblé en un seul lieu le grand nombre de bons sculpteurs en tout genre & en toute espece qu’on a vû en France sous le regne de Louis XIV. ils ont même laissé des éleves qui marchent sur leurs traces ; tels sont MM. Adam, Bouchardon, Falconet, le Moine, Pigal, Sloots, Vassé, &c. Leurs ouvrages feront leur éloge, & seront peut-être les derniers soupirs de notre sculpture.

Tous les articles des sculpteurs modernes sont de M. le Chevalier de Jaucourt.