L’Encyclopédie/1re édition/SERAPIS, ou SARAPIS

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toujours plus respectable aux Egyptiens.

Les Athéniens qui avoient reçu la connoissance de l’Egypte par Cécrops & Erecthée, deux de leurs rois qui étoient de ce pays-là, reçurent en même tems le culte d’Isis & de Sérapis, qu’ils établirent dans la Thrace & sur les côtes du Pont-Euxin, où ils furent puissans pendant un assez long espace de tems, & où ils fonderent tant de célebres colonies.

Quand même les historiens se tairoient sur ce point, quantité de médailles nous apprennent que Jupiter-Plutus ou Sérapis, fut la divinité tutélaire de plusieurs villes considérables des environs de cette mer, sur-tout de la Thrace & de la Mœsie inférieure ; les médailles de Marcianopole, d’Odesse & de Dionysiopole en rendent témoignage.

Les médailles nous disent encore que ce dieu ne fut pas moins révéré dans l’Arabie, la Phénicie & la Syrie, qu’en Asie, en Thrace & dans la basse Mœsie ; c’est ce dont nous assurent les médailles de Bostra, de Ptolémaïs, de Césarée, de Palestine, d’Ælia capitolina, d’Antioche de Syrie, où il eut même un temple fameux.

La ville de Sinope en particulier avoit pu recevoir le culte de Sérapis, si ce n’est immédiatement des habitans des provinces voisines, qui le tenoient des Syriens & des Phéniciens, chez qui il étoit passé de l’Egypte, au-moins des Colches, colonie égyptienne, avec qui Sinope étoit en relation de commerce, ou bien même des Milésiens dont cette ville étoit colonie.

Ce ne fut point sans de grandes raisons que les Sinopiens prirent Jupiter-Plutus, c’est-à-dire Sérapis, pour leur divinité tutélaire ; car outre que plusieurs auteurs prétendent que ce fut Jupiter-même, & non pas Apollon qui transporta de Grece en Asie Sinope, fondatrice de la ville de ce nom, les Sinopiens étoient aussi persuadés que c’étoit à Jupiter-Plutus, dieu des mines, qu’ils étoient redevables de l’opulence où les mettoit le grand trafic qu’ils faisoient sur toutes les côtes de la mer Noire, d’une quantité prodigieuse de fer qu’ils tiroient des mines de leur contrée & des pays voisins ; raison pour laquelle vraissemblablement Pomponius Mélanomme les Sinopiens chalibes, c’est-à-dire forgerons ou marchands de fer.

Le culte de Sérapis passa de la Grece chez les Romains, qui lui éleverent un temple dans le cirque de Flaminius, & établirent des fêtes en son honneur en différens tems de l’année. Une multitude presque innombrable fréquentoit le temple de ce dieu ; de jeunes gens entr’autres y couroient en foule, pour obtenir de lui, comme une faveur signalée, qu’il leur fît trouver des personnes faciles qui eussent la complaisance de se livrer à leur passion. Un nombre presqu’infini de malades & d’infirmes alloient lui demander leur guérison, ou plutôt se persuader qu’ils l’avoient reçue. Enfin les maux qu’occasionna le culte de Sérapis, obligea les empereurs de l’abolir dans Rome, & Théodose détruisit son temple à Alexandrie.

Cette divinité figuroit Jupiter qui commande au ciel & à la terre, & le dieu Plutus ou Pluton qui préside aux enfers & à tous les lieux souterreins, sur-tout aux mines, & par conséquent aux richesses puisqu’on les en tire ; c’est à cause de ces deux différens rapports qu’on présente ce dieu sur les médailles, tantôt avec une aigle sur sa main droite, ainsi qu’on le voit au revers d’une médaille de Mithridate V. pere de Mithridate Eupator, & d’une autre médaille de Caracalla, où Sérapis paroît à-demi couché sur un triclinium, espece de canapé ; tantôt avec le cerbère à ses piés, ainsi qu’il est si souvent gravé sur les médailles de plusieurs villes d’Asie, de Thrace & de Grece : par exemple sur celle de Pergame, de Laodicée, de Sidé de Pamphilie, de Nysa en Carie, d’Amasie dans le Pont, où se voit dans le champ de la médaille une étoile, pour marquer la puissance de ce dieu dans les cieux ; des Callatiens dans la Thrace, des Pénéates en Arcadie, & même des Marcianopolitains dans la basse Mœsie.

Sérapis tel qu’il est gravé sur une médaille de Gordien Pie, expliquée dans les mémoires de littérature, a un boisseau, ou un panier sur la tête, à la maniere des divinités d’Egypte ; type qui signifie non-seulement que l’abondance & tous les biens venoient des dieux, mais aussi que c’étoit eux qui mesuroient, c’est-à-dire qui régloient tout sur la terre selon leur volonté. On donne particulierement ce symbole à Sérapis, comme inventeur de l’agriculture : il lui convient encore comme dieu des richesses, pour marquer qu’elles procurent aux hommes tous les besoins de la vie ; d’où vient que les anciens mettoient quelquefois une corne d’abondance à la main, comme il paroit sur quelques médailles.

Ce dieu, dont le caractere est de ne faire que du bien, n’a point dans la médaille de Gordien Pie, la foudre à la main, ainsi que le porte le plus souvent Jupiter, comme divinité terrible ; mais il tient dans sa main gauche hastam puram, sceptre qui étant émoussé par le haut sans fer aigu, à la différence des lances ordinaires, désigne que la bonté & la clémence sont le propre des dieux.

La main droite de la figure du dieu, & ses regards levés vers le ciel, semblent attester qu’il ne commande pas moins aux cieux que sur la terre, & aux enfers. C’est aussi l’attitude qu’a ce dieu sur plusieurs médailles des villes de l’Egypte, de Syrie, d’Asie & de Thrace. On le voit ainsi sur les médailles de Bousiris, de Cabase, de Ménélas, d’Oxyrinche, de Prosope, de Naréolis, de Coptos & d’autres villes d’Egypte ; si ce n’est que cette divinité porte souvent sur la main droite l’animal, ou autre symbole de la ville dont elle est la patrone ; par exemple un lion, un cerf, un ibis, le lotus, une palme & autres types.

Sérapis a la même attitude sur les médailles d’Amasie, de Tomes, & d’Anchiale dans le Pont, de Nicée, de Ciane en Bithynie, de Mida en Phrygie, de Césarée la Germanique en Syrie, de Césarée de Cappadoce, ayant le mont Argée sur la main droite ; de Perinthe, de Sardis, de Bizuenne, de Callasie, de Mesembrie dans la Thrace, &c.

Mais le symbole le plus commun, & le plus universellement employé dans les médailles, images, statues, & pierres gravées de Sérapis, est le boisseau ou panier appellé en latin calathus, qu’il porte sur sa tête ; la forme n’en est pas la même par-tout ; quelquefois ce panier est également large dans toute sa hauteur ; ailleurs on le voit évasé par le haut, ici élevé, là plat, d’autresfois orné dans son contour de branches feuillées, le plus souvent tout uni ; dans d’autres, tressé en maniere de jonc ; ou enfin entouré de plusieurs bandes horisontales, & terminé par une espece de rebord, saillant dans sa partie supérieure.

Le muid se trouve sur la tête de quelques divinités égyptiennes, & en particulier sur celle d’Isis ; mais on peut dire que c’est proprement l’attribut de Sérapis ; ceux qui regardent ce dieu comme étant le soleil, prétendent que le boisseau mis au haut de sa tête, marque la prodigieuse élévation de cet astre ; d’autres, que cette divinité conduit tout avec poids & mesure ; quelques-uns enfin, en considérant Sérapis comme l’inventeur de l’agriculture. Il n’est pas possible de suivre tous ces détails ; les autres attributs de Sérapis, sont le cerbere, les rayons, le serpent, le bâton, les cornes de belier, le trident, la corne d’abondance, l’ibis, le vaisseau, le papillon, l’aigle, le cerf, & le phalle. On ne s’attend pas sans doute qu’on établisse les raisons qui ont fait donner à cette divinité tous ces différens attributs ; mais on peut lire les Mémoires de littérat. tom. X. in-4°. les auteurs de l’art numismatique ; Spanheim en particulier ; & finalement une dissertation sur le dieu Sérapis, imprimée récemment à Amsterdam, in-12. (Le chevalier de Jaucourt.)