L’Encyclopédie/1re édition/SIDON

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SIDON, (Géog. anc.) ville de la Phénicie, dans la Syrie, à vingt-quatre milles de Sour (autrefois Tyr), à trente-cinq milles de Barut, & à cinquante de Damas. Il est quelquefois fait mention de cette ville dans l’Ecriture, comme dans Josué, xix. 28. Judic. I. xxxj. & iij. Reg. xvij. xxxj. Elle a été fameuse par son commerce.

Les principales divinités des Sidoniens étoient Baal & Astarte, ou le Soleil & la Lune, & les Hébreux ont souvent embrassé leur idolâtrie, sur-tout depuis qu’Achab roi d’Israël, eût épousé Jesabel fille d’Ethbaal, roi de Sidon. Alexandre subjugua les Sidoniens, prit la ville, & en donna le gouvernement à Abdolomine, qui étoit jardinier, mais de la famille royale de Sidon, comme nous le dirons à la fin de cet article.

Les anciens peuples de Sidon avoient du génie pour les arts méchaniques ; ils étoient d’habiles tisserands, & d’excellens charpentiers. La ville de Sidon subsiste encore sous le nom de Zaïde ou Seïde.

Zénon, philosophe épicurien, & qui soutint glorieusement l’honneur de sa secte, naquit à Sidon : il eut entre autres disciples Cicéron, Cotta, & Pomponius Atticus ; d’où l’on peut juger du tems auquel ce philosophe vivoit. Cicéron oüit Zénon à Athènes l’an 674 de Rome, c’est-à-dire, la premiere année de la 175 olympiade. Nous avons perdu tous les écrits de Zénon, & entre autres l’ouvrage qu’il fit contre le foible des Mathématiques, & les obscurités de cette science. Gassendi disoit à ce sujet, que les Géometres ont établi leur empire dans le pays des abstractions & des idées, & qu’ils s’y promenent tout à leur aise ; mais que s’ils veulent descendre dans le pays des réalités, ils trouvent bien-tôt une résistance insurmontable.

Au reste, il faut se rappeller qu’il y a eu plusieurs Zénon, & qu’ils ont tous été céiebres dans leur genre. Le plus ancien & l’un des principaux philosophes de l’antiquité, étoit Zénon d’Elée, disciple de Parménides ; il fleurissoit dans la 79 olympiade. Amoureux de la liberté, il entreprit de la procurer à sa patrie opprimée par un tyran, nommé par les uns Néarque, & par d’autres Démylus ; mais le projet de Zénon ayant été découvert, il souffrit avec une fermeté extraordinaire les tourmens les plus rigoureux. Le second Zénon surnommé le cynique, fut le chef des Stoïciens ; c’étoit un homme de la plus haute vertu : les Athéniens eurent tant de confiance dans sa probité, qu’ils lui envoyoient tous les soirs les clés de leur ville. Le troisieme écrivit sur la Géographie. Le quatrieme fit l’histoire des hauts faits de Pyrrhus en Italie & en Sicile, avec un abrégé de l’histoire de Rome & de celle de Carthage. Le cinquieme étoit disciple de Chrysippe. Le sixieme professoit la Médecine avec une grande gloire. Le septieme étoit grammairien distingué. Le huitieme est celui qui nâquit à Sidon.

Quand cette ville se fut rendue à Alexandre le Grand, il déposa Straton qui avoit usurpé la couronne, & s’informa s’il n’y avoit aucun des descendans de Cinyras en vie, pour le placer sur le trône ; on croyoit généralement que toute la famille royale étoit éteinte ; mais enfin, quelques personnes plus éclairés nommerent Abdolonyme. Diodore de Sicile l’appelle Eallonyme, & Plutarque Alynome. Il subsistoit à la campagne de la culture des jardins ; Alexandre l’envoya chercher sur le champ, & lui ayant donné la couronne qui lui appartenoit par sa naissance, Il lui demanda de quelle maniere il avoit supporté sa pauvreté. « Je souhaite, seigneur, répondit Abdolonyme, de soutenir aussi-bien je nouvel état dont vous m’honorez : ces mains ont pourvu à mes besoins ; je n’ai rien eu, & rien ne m’a manqué ». Alexandre touché de la beauté de cette réponse, augmenta les états d’Abdolonyme, lui donna les biens de Straton, & y joignit de riches présens de son butin sur les Perses.

Tous les Anglois savent par cœur les vers charmans de Cowley sur la vie rustique, tirés de cette histoire, rapportée dans Diodore de Sicile, liv. XVII. Quinte-Curce, l. IV. Justin, l. XI. c. x. & Plutarque, de fortuna Alexandri. Ils commencent ainsi :

Happy the man, whom bounteous Gods allow
With his own hauds paternal grounds to plow !
&c.

« Heureux, cent fois heureux, l’homme, qui loin du tumulte, & exempt de crainte & d’espérance, vit des fruits de son champ & de son jardin ! Son champ lui fournit ce dont la simple nature a besoin ; & son jardin lui offre libéralement par son ombre & par ses fruits, des plaisirs innocens. Il voit, sans que cette vue altere sa tranquillité, le poids onéreux des grandeurs, ambitionné par des insensés, & possédé par les méchans..... C’est ainsi que le sage Obdolonyme passoit sa vie, lorsque les envoyés d’un grand roi vinrent lui offrir une couronne, & le trouverent occupé à cultiver son jardin. Ce ne fut qu’à regret qu’il quitta sa campagne chérie, pour monter sur le trône ; il ne put s’empêcher de s’arrêter souvent sur la route, de tourner souvent les yeux vers le séjour qu’il abandonnoit, & on l’entendit plus d’une fois répéter : Hélas ! je quitte un royaume bien plus propre à rendre heureux, que celui que je vais posséder !» (Le chevalier de Jaucourt.)