L’Encyclopédie/1re édition/SIPYLE

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SIPYLE, (Géog. anc.) Σίπυλος, en latin Sipylum ; ville de l’Asie mineure, & la capitale de la Méonie ; elle étoit bâtie au pié du mont Sipyle, selon Pline, liv. V. c. xxjx. qui dit qu’on l’appelloit auparavant Tantalis ; mais que de son tems ce n’étoit plus qu’un lac ou étang, cette ville ayant été abysmée dans la terre. Strabon, liv. I. pag. 58. rapporte la même chose. Il dit que Sipyle, qu’il surnomme Idæa, fut renversée du tems de Tantale, & que les marais du voisinage y formerent de grands lacs. Il ajoute dans le liv. XII. p. 579. qu’on ne doit pas regarder comme une fable ce qui étoit rapporté touchant le renversement de Sipyle, puisque de son tems la ville de Magnésie avoit été pareillement engloutie.

Le mont Sipyle, Sipylus, fut appellé anciennement Ceraunius. Pausanias, dans les Achaïques, liv. II. c. xxiij. confirme l’engloutissement de la ville de Sipyle, bâtie au pié de cette montagne. Il témoigne y avoir vu le tombeau de Tantale fils de Jupiter & de Pluton ; & c’est même, ajoute-t-il, un tombeau très-remarquable, ainsi que le trône de Pélops qui étoit au haut du mont Sipyle, immédiatement au-dessus de la chapelle dédiée à la mere Plastène, qu’on regardoit pour la mere des dieux. Enfin il dit avoir vu des aigles blancs sur cette montagne, près d’un marais nommé le marais de Tantale.

Tournefort qui a eu la curiosité, dans le dernier siecle, de visiter le mont Sipyle, nous en a donné la description suivante.

La grande plaine de Magnésie, dit-il, est bornée au sud par le mont Sipylus ; & cette montagne quoique fort étendue de l’est à l’ouest, paroît beaucoup moins élevée que le mont Olympe. Le sommet du Sipylus reste au sud-est de Magnésie ; & le côté du nord est tout escarpé. Du haut de cette montagne la plaine paroît admirable, & l’on découvre avec plaisir tout le cours de la riviere. Plutarque dit que le mont Sipylus s’appelloit la montagne de la foudre, parce qu’il y tonnoit plus souvent que sur les autres qui sont aux environs. C’est apparemment pour cela qu’on a frappé à Magnésie des médailles de Marc-Aurele, du vieux Philippe, d’Herennia & d’Etruscilla, dont les revers représentent Jupiter armé de la foudre.

La déesse Sipylène avoit pris son nom de cette montagne, ou, pour mieux dire, Cybele, la mere des dieux, avoit été nommée Sibilène, parce qu’on la révéroit d’une maniere particuliere dans le mont Sipylus ; ainsi il n’est pas surprenant qu’on voye tant de médailles de Magnésie, au revers desquelles cette déesse est représentée tantôt sur le frontispice d’un temple à quatre colonnes, tantôt dans un char. On juroit même dans les affaires les plus importantes par la déesse du mont Sipylus, comme il paroît par ce précieux marbre d’Oxford, où est gravée la ligue de Smyrne & de Magnésie, sur le Méandre, en faveur du roi Séleucus Callinicus.

On ne peut être sur le Sipyle, continue Tournefort, sans se représenter, tantôt les grandes armées d’Agésilaüs & de Tissapherne, tantôt celles de Scipion & d’Antiochus, qui disputoient l’empire d’Asie dans les vastes campagnes qu’offre à la vue cette montagne. Pausanias assure qu’Agésilaüs battit l’armée des Perses le long de l’Hermus ; & Diodore de Sicile rapporte que ce fameux général des Lacédémoniens, descendant du mont Sipylus, alla ravager les environs de Sardes.

Il est vraisemblable que le mont Sipyle étoit autrefois fécond en métaux & en aimant ; il n’est donc pas étonnant que la ville Sipylum, située au pié de cette montagne, ait été engloutie par des tremblemens de terre ; c’est un malheur assez ordinaire aux lieux qui abondent en mines métalliques, & ce malheur compense trop les richesses que les mines fournissent aux habitans. Si la fable, bien plus que la vérité, n’avoit toujours flatté le goût des Grecs, le mont Sipyle auroit peut-être été plus fameux par l’aimant, que par le rocher de Niobé, d’où selon les poëtes, les eaux qui coulent sans cesse de cette montagne, sont les larmes que cette malheureuse mere verse encore après sa mort, pour la perte de ses enfans.

Pausanias étoit natif ou de Sipyle, capitale de la Néonie, ou de quelqu’autre ville voisine du mont Sipyle ; il vivoit à Rome sous l’empereur Hadrien, & sous les Antonins ; il mit au jour plus d’un ouvrage : car outre que Philostrate lui attribue des oraisons, Eustathe, Etienne de Bysance, & Suidas, le citent à l’occasion de quelques noms de villes ou de peuples, & nous donnent à entendre que non-seulement il avoit voyagé en Syrie, dans la Palestine, & dans toute l’Asie, mais qu’il en avoit publié une relation.

Quoi qu’il en soit, nous n’avons de lui que le voyage historique de la Grece, ouvrage qui est écrit avec un détail, une exactitude, un fond d’érudition, que l’on ne trouve dans aucun autre voyageur, & qui peut, à bon titre, servir de modele. Nous le trouvons trop concis dans le style, mais c’est qu’écrivant pour les gens de son tems, qui étoient au fait de ce qu’il racontoit, il ne s’est pas cru obligé de s’expliquer plus au long. Son ouvrage est par-tout semé de réflexions utiles pour la conduite de la vie ; s’il s’y trouve bien des choses auxquelles nous ne prenons point d’intérêt, c’est que le tems & la religion ont mis une grande différence entre notre façon de penser, & celle des anciens.

Son voyage est écrit avec une vérité qui ne sauroit être suspecte ; l’auteur y rend compte de ce qu’il a vu dans la Grece, & à qui en rend-il compte ? Aux Romains, au milieu de qui il vivoit, dont la plûpart avoient été en Grece aussi bien que lui, & qui auroient pu le démentir, s’il avoit avancé quelque fausseté.

En second lieu, c’est un voyage historique ; on y remarque tout à la fois un voyageur curieux, & un écrivain profond, parfaitement instruit de tout ce qui regardoit les divers peuples dont il parle ; il en possédoit la langue, c’étoit la sienne propre ; il connoissoit leurs dieux, leur religion, leurs cérémonies, leurs lois, leurs coutumes, leurs mœurs ; il avoit lû leurs poëtes, leurs historiens, leurs généalogistes, leurs géographes, en un mot leurs annales & leurs monumens les plus anciens ; annales & monumens qui étoient alors subsistans, qu’il cite à chaque page, & que le tems nous a ravis. De-là, cette quantité prodigieuse de faits, d’événemens, de particularités, qui ne se trouvent plus que dans cet auteur, & qui le rendent précieux à tous ceux qui aiment l’étude des tems & de l’antiquité.

Enfin c’est le voyage de l’ancienne Grece, non de la Grece d’aujourd’hui, ou telle que Spon & Wheler l’ont décrite, pauvre, misérable, dépeuplée, gémissante dans une espece d’esclavage, & qui n’offre plus aux yeux du voyageur, que des ruines superbes, au milieu desquelles on la cherche sans la trouver ; en un mot, l’image de la dévastation la plus affreuse, & l’exemple déplorable des vicissitudes d’ici bas. C’est de la Grece florissante que Pausanias nous donne la description ; de la Grece, lorsqu’elle étoit le séjour des muses, le domicile des sciences, le centre du bon goût, le théâtre d’une infinité de merveilles, & pour tout dire, le pays le plus renommé de l’univers.

Il est vrai que Pausanias n’embrasse dans sa relation, qu’une partie de la Grece, & les villes que ses colonies occupoient dans l’Asie mineure ; mais c’est aussi la partie la plus intéressante ; il la divise en dix états, qui étoient autrefois indépendans les uns des autres, savoir, l’Attique, la Corinthie, l’Argolide, la Laconie, la Messenie, l’Elide, l’Arcadie, la Béotie, & la Phocide ; c’est pourquoi chacun de ses livres donne la description de chacun de ces dix états de la Grece, à la reserve du cinquieme & du sixieme livre, qui tous deux ne traitent que de l’Elide, comme le second, lui seul, comprend Corinthe & Argos.

Il décrit exactement l’origine des peuples qu’il se propose de faire connoître, il nous instruit de leur gouvernement, de leurs guerres, de leurs colonies ; il parcourt leurs villes & leurs bourgades, en rapportant ce qui lui a paru digne de curiosité. Si dans la discussion de quelques points d’histoire ou d’antiquité, il embrasse un sentiment plutôt qu’un autre, il cite toujours ses garans ; & ses garans sont ordinairement les historiens & les poëtes les plus anciens, comme témoins des faits qu’il discute, ou plus proche de ceux qui en avoient été témoins. C’est par cette raison que la lecture de Pausanias fait tant de plaisir à ces savans, qui ont tous les siecles présens à l’esprit, & qui ne veulent rien ignorer de ce qu’il est possible de savoir. M. Fabricius a fait en leur faveur le détail des diverses éditions & traductions de Pausanias, afin qu’ils pussent choisir. Nous avons en françois celle de M. l’abbé Gedoyn, qui est excellente, & accompagnée de quelques cartes, & de courtes remarques, mais bonnes, & instructives. (Le Chevalier de Jaucourt.)