L’Encyclopédie/1re édition/SOLE

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SOLE, s. f. solea, lingulaca, (Hist. nat. Ichthiol.) poisson de mer, dont la figure a quelque rapport à celle d’un langue de bœuf ; il est plus long, plus plat & moins large que la plie ; la face inférieure du corps a une couleur blanche, & la face supérieure est noire ; les mâchoires sont courbes, & n’ont point de dents. Il y a sur chacune des faces du corps un trait droit qui s’étend depuis la tête jusqu’à la queue ; les yeux sont placés sur la face supérieure de la tête ; les nageoires des ouïes ont la même couleur que la partie du corps où elles se trouvent ; celle du dos & celle du ventre sont blanches en-dessous & noires en-dessus ; la premiere s’étend sur toute la longueur du dos ; l’autre ne commence qu’au-dessous de l’anus, & se prolonge aussi jusqu’à la queue dont la nageoire n’est pas fourchue. La sole craint le froid, & se cache au fond de la mer pendant l’hiver. Sa chair est dure, visqueuse, très-nourrissante & de bon goût, sur-tout lorsqu’elle a été gardée quelque tems, c’est pour cette raison que les soles sont meilleures à Paris que sur les côtes où on les pêche. Rondelet, hist. nat. des poissons, part. I. liv. XI. chap. x. Voyez Poisson.

Il seroit singulier que la nature eût réservé à des insectes le soin de faire éclore des œufs de poissons. C’est pourtant un sentiment que M. Deslandes a adopté par rapport aux œufs de sole, comme il paroît par l’hist. de l’acad. des Scienc. ann. 1722 Il a pensé que les soles étoient produites par une espece de petite écrevisse de mer qu’on nomme chevrette ou crevette. M. Deslandes en fit pêcher une grande quantité, & les mit dans une baille pleine d’eau de mer ; au bout de douze à treize jours il vit huit ou dix petites soles. Il répéta l’expérience plusieurs fois, toujours avec le même succès ; il mit ensuite des soles dans uns baille ; & quoiqu’elles frayassent, il n’y parut point de petites soles.

Il a de plus trouvé, que quand on a nouvellement pêché des chevrettes, on leur voit entre les piés plusieurs petites vessies, inégales en grosseur & en nombre, fortement collées à leur estomac par une liqueur gluante. Ayant examiné ces vessies avec un microscope, il y a vu une espece d’embryon qui avoit l’air d’une sole ; d’où il conclud que les œufs de sole, pour éclore, doivent s’attacher à des chevrettes.

M. Lyonnet n’a pas voulu disputer cette conclusion ; mais il lui semble avec raison que M. Deslandes auroit pu rendre son expérience plus sure, si au-lieu de la grande quantité de chevretes qu’il a mises dans sa baille, & parmi lesquelles il se seroit aisément pu mêler quelques petites soles, sans qu’il s’en fût apperçu, il se fût contenté de prendre quelques chevrettes chargées des vessies dont il parle ; & qu’après avoir compté ces vessies, il eût mis chaque chevrette à part dans un peu d’eau ; si pour lors en trouvant après quelques jours une petite sole dans l’eau, il eût aussi trouvé une vessie de moins à la chevrette placée dans le même vase, ç’auroit été une preuve que la sole seroit née d’une vessie attachée à la chevrette ; mais encore n’auroit-ce pas été une preuve que les œufs de sole ont besoin de ses insectes, & qu’ils ne pourroient éclore sans cela.

Si les œufs de celles qui avoient frayé dans la baille sont demeurés stériles, & que les autres aient produit des poissons, la raison de cette différence peut bien avoir été, ou que les mâles n’ont pas fertilisé le frai des premieres, & qu’ils auront rendu fertile celui dont les œufs se sont attachés aux chevrettes ; ou bien que ces œufs ayant besoin d’agitation pour éclore, les premiers n’ont pas eu dans la baille l’agitation nécessaire qu’ils auroient reçue dans la mer, tandis que les chevrettes par leur mouvement auront procuré une agitation suffisante aux autres. Toutes ces réflexions prouvent qu’on ne sauroit être trop réservé à établir des faits sur des expériences douteuses, & qu’on croit démonstratives. (D. J.)

Sole, s. f. (Marine.) c’est le fond des bâtimens qui n’ont pas de quille, tels que la gribane, le bac, &c.

Soles, (Marine.) pieces du fond d’un affut de bord.

Sole, s. f. (Architect.) c’est une grosse piece de bois d’équarrissage, qui avec une autre piece qu’on appelle la fourchette, fait la base d’une machine à élever des fardeaux qu’on nomme un engin. C’est sur le milieu de la sole que pose le poinçon, & ses bras. Les sonnettes, autre machine pour battre des pieux, ont pareillement leur sole, de dessus laquelle s’élevent les montans à coulisse & leurs bras. Les soles font encore les deux pieces de bois posées en croix sur un massif de pierre ou de maçonnerie, sur le milieu desquelles est appuyé & arbouté l’arbre ou poinçon qui porte la cage d’un moulin à vent, & sur lequel il tourne. En général, toutes les pieces de bois qui posent à terre pour soutenir quelque construction, machine ou bâtiment, & sur lesquelles on les éleve, s’appellent des soles. (D. J.)

Soles, s. f. pl. (Maçonn.) ce sont les jettées du plâtre au panier, que les maçons font avec la truelle pour former les enduits. (D. J.)

Sole, s. f. (Agric.) c’est une certaine étendue de champ sur laquelle on seme successivement par années, des blés, puis des menus grains, & qu’on laisse en jachere la troisieme année. On divise ordinairement une terre en trois soles. (D. J.)

Soles, s. f. pl. (Charpent.) On appelle ainsi toutes les pieces de bois posées de plat, qui servent à faire les empattemens des machines, comme des grues, engins, &c. On les nomme racinaux, quand au-lieu d’être plates, elles sont presque quarrées. Daviler. (D. J.)

Sole, s. f. (Comm.) place publique ou étape où l’on étale les marchandises, & où on les met comme en dépôt pour être vendues. Les marchands de vin en gros sont tenus de mettre dans les soles de l’hôtel de ville leurs vins, pour en payer le gros. Dictionn. de commerce. (D. J.)

Sole, (Maréchal.) On appelle ainsi le dessous du pié du cheval. C’est une espece de corne beaucoup plus tendre que l’autre qui l’environne, & qui à cause de sa dureté, est appellée proprement la corne. Un fer qui porte sur la sole, peut fouler un cheval, le faire boîter, & lui meurtrir la chair qui la sépare du petit pié.

Cheval dessolé est celui à qui on a ôté la sole sans toucher à la corne du sabot. On ôte la sole pour plusieurs accidens, & en moins d’un mois, elle peut être entierement rétablie.

Sole, (Vénerie.) Ce mot en terme de chasse, signifie le milieu du dessous du pié des grandes bêtes. (D. J.)

Sole ou Soulle, jeu de la, (Hist. mod.) Le jeu de la sole ou de la soulle étoit en usage autrefois dans le Berry, le Bourbonnois, la Picardie, & peut-être ailleurs. Ce mot vient, selon M. du Cange, de solea, une semelle de soulier, parce que c’étoit avec la plante du pié que l’on poussoit l’instrument. On jouoit à la sole dès le xiv. siecle en plusieurs endroits du royaume. En certains pays, ce jeu s’appelloit la soule, en d’autres, la chéole. On voit ce jeu désigné dans les ordonnances de nos rois & dans les statuts synodaux. L’instrument du jeu, s’il étoit gros, s’appelloit soule, & soulette, s’il étoit petit, en basse Bretagne s’appelloit mellat en langue vulgaire du xv. siecle, qui est le tems auquel Raoul évêque de Tréguier le défendit. Son statut est de l’an 1440, & on le trouve au tom. IV. du thesaurus anecdotorum des PP. Martenne & Durant. L’ordonnance de Charles VI. qui parle de ce jeu auquelles paysans du Véxin s’exerçoient devant la porte de l’abbaye de Notre-Dame de Mortevert, le jour de carême-prenant, est de l’an 1387. Une autre ordonnance du roi Charles V. qui est de l’an 1369, met ce jeu dans le rang de ceux qui sont défendus, comme ne servant nullement à dresser la jeunesse pour la guerre. La sole, selon M. Ducange, étoit un ballon enflé de vent, ou une boule de bois, & peut-être l’un & l’autre. Dans un decret ou statut du châtelet de Paris de l’an 1493, il en est encore parlé sous le nom du jeu de la soule. On assure que les peuples de quelques villages de l’archiprêtré d’Hériscon en Bourbonnois, croyoient autrefois honorer Saint Jeant l’évangeliste ou Saint-Ursin, en courant la sole ; c’est-à-dire, que cet exercice se faisoit dans l’une de ces paroisses le 27 de Décembre, & dans une autre, le 29 du même mois. Voyez M. Ducange & ses continuateurs dans le glossarium mediæ & infimæ latinitatis, aux mots ludi, cheolare, mellat, &c. Le même M. Ducange, dans sa viij. dissertation sur Joinville, & le mercure de Mars 1735, où l’on trouve plusieurs réflexions de M. Lebeuf, chanoine & souschantre d’Auxerre, sur le même sujet. Supplément de Moréry.