L’Encyclopédie/1re édition/SOLITAIRE

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SOLITAIRE, s. m. (Morale.) celui qui vit seul, séparé du commerce & de la société des autres hommes, qu’il croit dangereuse.

Je suis bien éloigné de vouloir jetter le moindre ridicule sur les religieux, les solitaires, les chartreux ; je sais trop que la vie retirée est plus innocente que celle du grand monde : mais outre que dans les premiers siecles de l’Eglise la persécution faisoit plus de fugitifs que de vrais solitaires, il me semble que dans nos siecles tranquilles une vertu vraiment robuste est celle qui marche d’un pas ferme à-travers les obstacles, & non pas celle qui se sauve en fuyant. De quel mérite est cette sagesse d’une complexion foible qui ne peut soutenir le grand air, ni vivre parmi les hommes sans contracter la contagion de leurs vices, & qui craint de quitter une solitude oisive pour échapper à la corruption ? L’honneur & la probité sont-ils d’une étoffe si legere qu’on ne puisse y toucher sans l’entamer ? Que feroit un lapidaire s’il ne pouvoit enlever une tache d’une émeraude, sans retrancher la plus grande partie de sa grosseur & de son prix ? il y laisseroit la tache. Ainsi faut-il, en veillant à la pureté de l’ame, ne point altérer ou diminuer sa véritable grandeur, qui se montre dans les traverses & l’agitation du commerce du monde. Un solitaire est à l’égard du reste des hommes comme un être inanimé ; ses prieres & sa vie contemplative, que personne ne voit, ne sont d’aucune influence pour la société, qui a plus besoin d’exemples de vertu sous ses yeux que dans les forêts. (D. J.)

Solitaire, (Hist. monac.) nom de religieuse du monastere de Faiza, fondé par le cardinal Barberin, & approuvé par un bref de Clément X. l’an 1676. Les religieuses de ce couvent, s’adonnent entierement à la vie solitaire ; elles gardent un silence continuel, ne portent point de linge, vont toujours nuds piés sans sandale, & ont pour habit une robe de bure ceinte d’une grosse corde. Le cardinal Barberin institueur de ce monastere, ne mena point une vie semblable à celle de ses religieuses ; c’étoit un homme du monde, fin, intrigant, toujours occupé du manege politique des intérêts de diverses puissances. (D. J.)

Solitaire ver, (Hist. nat. des Insect.) voilà le plus long de tous les animaux, s’il est vrai qu’on en ait vu qui avoient 80 aunes de Hollande. Quelques physiciens prétendent qu’il se forme ordinairement dans le fœtus, qu’il vieillit avec nous, & ne se trouve jamais que seul dans les corps où il habite. Que penser de ce système si ces faits étoient véritables, comme Hippocrate & ses sectateurs le soutiennent ? que croire de l’origine de pareils animaux ?

Hors des corps animés on n’en a jamais trouvé de semblables, auxquelles on puisse présumer que ceux-ci devroient leur naissance ; & s’il y en avoit eu de petits ou de grands, leur figure applatie & la grande multitude de leurs articulations n’auroient pas manqué, ce semble, de les faire connoître. Il faudroit donc admettre que ces vers ne sont produits que par ceux qui se trouvent dans nos corps ; & si cela est, comment peuvent-ils en être produits, à-moins qu’on ne suppose que chacun de ces vers ne se suffise à lui-même pour produire son semblable, vû qu’il se trouve toujours seul ?

Mais cette supposition ne leve pas toutes les difficultés qu’on peut faire sur l’origine de ce ver singulier. On pourra toujours demander pourquoi il ne se trouve jamais que seul, & quel chemin prennent ses œufs ou ses petits pour entrer dans le corps d’un autre homme. Avec de nouvelles suppositions, il ne seroit pas difficile de répondre à ces difficultés.

La premiere difficulté disparoîtroit en supposant que ce ver est du nombre de ceux qui se mangent les uns les autres ; le plus fort ayant dévoré ceux qui sont nés avec lui dans un même endroit, doit enfin rester tout seul. Pour ce qui est de l’autre difficulté, on n’a qu’à supposer que l’œuf ou le fœtus de ce ver est extrèmement petit ; que l’animal le dépose dans notre chyle ; ce qu’il peut faire aisément si l’issue de son ovaire est près de sa tête, comme l’est celle des limaces. Du chyle il entrera dans la masse du sang de l’homme ou de la femme, où ce ver habite. Si c’est dans une femme, la communication que son sang a avec le fœtus qu’elle porte, y donnera par sa circulation entrée à l’œuf ou au fœtus du ver, qui y croîtra aussi-tôt qu’il se sera arrêté à l’endroit qui lui convient. Que si l’œuf ou le fœtus du ver se trouve dans la masse du sang d’un homme, la circulation de ce sang fera passer cet œuf ou ce fœtus dans les vaisseaux où ce sang se filtre, afin d’être préparé à un usage nécessaire pour la conservation de notre espece. Et de-là on conçoit aisément comment il peut se trouver mêlé dans les parties qui entrent dans la composition du fœtus humain.

C’est ainsi qu’avec des suppositions on peut rendre raison de tout, même de l’existence des choses qui n’ont jamais été, comme l’ont fait les physiciens des derniers siecles, qui nous ont expliqué de quelle maniere la corruption engendroit des insectes. C’est les imiter que de bâtir par rapport au ver solitaire sur des faits, qui pour avoir été assez généralement reçus, n’en sont pas pour cela plus véritables. M. Valisnieri a renversé d’un seul coup ce système ridicule, en établissant par ses observations & ses recherches, que le solitaire n’est qu’une chaîne de vers qu’on nomme cucurbitaires, qui se tiennent tous accrochés les uns aux autres, & forment ainsi tous ensemble la figure d’un seul animal. Les raisons qu’il en allegue sont si vraissemblables, & ont paru si fortes aux physiciens éclairés, qu’il est aujourd’hui fort difficile de n’être pas de cet avis. (D. J.)

Solitaire, s. m. (Jeu.) nom d’un jeu qu’on a inventé depuis une cinquantaine d’années, auquel un homme peut jouer seul. C’est une tablette percée de 37 trous, disposés de maniere que le premier rang en a trois, le second cinq, les trois suivans chacun sept, le sixieme cinq, & le dernier trois. Tous ces trous ont chacun une cheville, à la reserve d’un qui reste vuide. Ce jeu consiste à prendre toutes ces chevilles les unes après les autres, en sorte qu’il n’en reste plus aucune. Elles se prennent comme on prend les dames au jeu de dames, en sautant par dessus, & se mettant à la place vuide qui est de l’autre côté de celle qu’on prend & qu’on enleve. Ce jeu n’a pas grand attrait quand on en ignore la marche, & n’en a point quand on la sait. (D. J.)

Solitaire, (Jeu de cartes.) c’est une espece de quadrille, ainsi appellé parce que l’on est obligé de jouer seul sans appeller. S’il arrive que les quatre joueurs n’ayent pas assez beau jeu pour jouer sans prendre, ou même pour appeller un médiateur, on est obligé de passer, ne pouvant contraindre spadille à jouer, comme au quadrille ordinaire ; on laisse alors les deux fiches du poulan sur le jeu, & l’on continue d’en faire mettre le même nombre par celui qui mêle jusqu’à ce que l’un des quatre joueurs puisse faire jouer sans prendre, ou avec un médiateur. A l’égard des bêtes, elles augmentent de vingt-huit jettons de plus que tout ce qui se trouve sur le jeu ; & sur les poulans doubles de cinquante-six jettons.

Solitaire, le médiateur solitaire à trois, (Jeu de cartes.) Ce jeu ne se joue à trois que faute d’un quatrieme, & n’en est pas moins amusant. On l’appelle solitaire parce qu’on joue toujours seul.

Il faut ôter dix cartes du jeu ordinaire, c’est-à-dire neuf carreaux & le six de cœur, & laisser le roi de carreau ; par ce moyen on peut jouer dans les quatre couleurs quoiqu’il y en ait une presque supprimée. Par exemple, un joueur ayant les deux as noirs avec des rois pourra jouer en carreau, il aura par conséquent tous les matadors qui lui seront payés comme au médiateur à quatre : de même celui qui a de quoi demander un médiateur, peut demander le roi de carreau, puisque l’on le laisse dans le jeu, ce qui le rend aussi divertissant qu’à quatre. Ce jeu se marque comme au médiateur, c’est-à-dire que celui qui fait met deux fiches devant lui, & l’on ne joue point en appellant, l’on ne renvoie point aussi à spadille. Si l’on n’a pas dans son jeu de quoi jouer un médiateur, ou sans prendre, il faut passer. Alors celui qui mêle doit mettre encore deux fiche, devant lui, ce qui se continue jusqu’à ce qu’un des joueurs fasse jouer. A l’égard des bêtes, elles augmentent toujours de vingt-huit les unes sur les autres comme au médiateur ordinaire à quatre. La seule différence qu’il y ait c’est que la bête faite par remise doit augmenter d’autant de jetons qu’il se trouvera de passe sur le jeu ; au-lieu que celle qui est faite par codille ne sera pas de plus de jettons qu’au médiateur ordinaire à quatre. Comme à ce jeu l’on joue un coup de moins à chaque tour il est convenable de jouer douze tours au-lieu de dix, pour que la reprise soit finie ; pour ce qui regarde le reste, on suit à ce jeu les lois du médiateur à quatre.

Autre maniere de jouer le médiateur solitaire à trois. L’on ôte pour jouer à ce jeu les quatre trois qui n’y sont pas d’un grand usage, ce qui le réduit au nombre de trente-six cartes au-lieu de quarante. Celui qui mêle donne à chacun des joueurs douze cartes, trois à trois ou quatre à quatre, & non autrement, ce qui emploie les trente-six cartes du jeu. Celui qui fait jouer en telle couleur que ce soit est obligé de faire sept levées pour gagner. L’on peut aussi demander un médiateur lorsqu’on n’a que de quoi faire six levées dans son jeu, sinon il faut passer, en suivant pour le reste les regles du médiateur ordinaire à quatre.