L’Encyclopédie/1re édition/TÉRÉBENTHINE

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TÉRÉBENTHINE, s. f. (Hist. des drogues exot.) c’est un suc résineux de divers arbres ; car quoique ce mot ne convienne qu’à la seule résine qui découle du térébinthe, on l’étend à divers autres sucs ; mais on connoît en particulier, dans les boutiques des droguistes curieux, cinq sortes de térébenthines, dont nous allons parler, savoir celle de Chio, de Perse, de Venise, de Strasbourg, & la commune.

La térébenthine de Chio, s’appelle terebenthina Chia, vel Cypria, off. c’est un suc résineux liquide, qui découle du térébinthe, blanc, jaunâtre, ou de la couleur du verre, tirant un peu sur le bleu, quelquefois transparent, de consistance tantôt plus ferme, tantôt plus molle, flexible & glutineux. Lorsqu’on frotte la térébenthine entre les doigts, elle se brise quelquefois en miettes ; le plus souvent cependant, elle est comme le miel solide, elle cède & s’attache aux doigts comme lui ; son odeur est forte, mais non désagréable, semblable à celle de la résine du mélese, c’est-à-dire à la térébenthine de Venise, sur-tout lorsqu’on la manie dans les mains, ou qu’on la jette sur les charbons ; elle est modéremment amere au goût & acre : on estime beaucoup celle qu’on apporte directement des îles de Chio, & de Cypre ; c’est de ces îles qu’elle tire son nom. Les anciens la connoissoient, & en faisoient usage.

Cette résine découle d’un arbre qui vient sans culture dans l’île de Chio. Il est déja décrit : parlons donc du même térébinthe de Languedoc & du Dauphiné ; c’est le terebinthus vulgaris, C. B. P. terebinthus, J. B. Cet arbre est toujours verd, de la grosseur d’un poirier ayant une écorce cendrée & gersée ; ses branches s’étendent au large, & les feuilles y sont alternativement rangées, conjuguées, roides & fermes, peu différentes de celles du laurier, mais plus obscures ; les fleurs, au commencement de Mai, se trouvent ramassées par grappes au bout des petites branches ; ces fleurs sont des étamines de couleur pourpre, auxquelles il ne succede aucun fruit ; car l’espece qui rapporte du fruit, a des fleurs qui n’ont point d’étamines ; les fruits viennent aussi en grappes ; ils sont arrondis, longs de deux ou trois lignes, ayant une coque membraneuse, rougeâtre ou jaunâtre, un peu acide, styptique, & résineuse : cette coque n’a qu’une loge, souvent vuide, d’autres fois pleine d’une amande.

Cet arbre est chargé vers l’automne de certaines vessies attachées aux feuilles & aux rameaux, assez semblables à celles qui naissent sur les feuilles de l’orme, mais de couleur purpurine ; quelquefois l’on trouve à l’extrémité des branches des excroissances cartilagineuses, de la figure des cornichons, longues de quatre, cinq, six doigts, & davantage, de formes différentes, creuses & roussâtres : ces excroissances étant ouvertes, paroissent contenir, de même que les vessies, une petite quantité d’humeur visqueuse, couverte d’ordures cendrées & noirâtres, & de petits insectes aîlés. Tous les auteurs qui ont parlé de cet arbre, ont fait mention de ces excroissances, & elles ne sont autre chose que des especes de gales produites par des insectes qui piquent les feuilles, y déposent leurs œufs, & leur fournissent par-là une matiere propre à les faire éclore, les nourrir ensuite, & les conserver par une sage prévoyance de la nature. On ne ramasse point de résine de ces vessies, ni de ces excroissances ; mais on la retire du bois : on fait des incisions aux troncs, & aux branches de cet arbre, après qu’il a poussé ses bourgeons, ainsi qu’aux autres arbres qui sont résineux ; de ces incisions il découle une résine d’abord liquide, qui s’épaissit peu-à-peu, & se désseche.

Celle que répand abondamment le térébinthe de Chio, est épaisse, d’une couleur blanche tirant sur le bleuâtre, presque sans saveur, & sans odeur, s’attachant fort légerement aux dents, & s’endurcissant facilement. La récolte de ce suc se fait en incisant en-travers, avec une hache, les troncs des gros térébinthes, depuis la fin de Juillet, jusqu’en Octobre ; la térébenthine qui en coule, tombe sur des pierres plates, placées sous ces arbres par les paysans ; ils l’amassent avec des petits bâtons qu’ils laissent égoutter dans des bouteilles : on la vend sur les lieux trente ou trente-cinq parats l’oque, c’est-à-dire, les trois livres & demie & une once. Toute l’île n’en fournit pas plus de trois cens oques. Cette liqueur passe pour un grand stomachique dans le pays ; nous parlerons plus bas de ses vertus.

Kæmpfer fait particulierement mention de la térébenthine de Perse, très-usitée parmi les Orientaux ; elle n’est pas différente de celle de Cypre : on la recueille des térébinthes qui abondent dans les montagnes, dans les déserts, aux environs de Schamachia en Médie, de Schiras en Perse, dans les territoires de Luristan, & ailleurs. Les habitans retirent beaucoup de liqueur résineuse, qui coule pendant la grande chaleur, du térébinthe auquel on a fait une incision, ou de lui-même, ou des fentes & des nœuds des souches qui se pourrissent. Ils font un pen cuire cette liqueur à un feu lent, & ils la versent avant qu’elle commence à bouillir ; étant refroidie, elle a la couleur & la consistance de la poix blanche.

Cette térébenthine ne sert chez les Orientaux que de masticatoire. Les femmes qui demeurent au-delà du fleuve Indus, sont si habituées d’en mâcher, qu’elles ont de la peine à s’en passer ; elles prétendent que cette résine, en provoquant l’excrétion d’une lymphe surabondante, les délivre des fluxions, qu’elle procure de la blancheur & de la fermeté aux dents, & qu’elle donne à la bouche une haleine agréable : on en trouve par-tout dans les boutiques, & chez les parfumeurs des Turcs, des Perses, & des Arabes, sous le nom turc de sakkis, & sous le nom persan de konderuun.

Les habitans du mont Benna en Perse, ne tirent pas la térébenthine du tronc de l’arbre par des incisions, mais ils brulent le bois même du térébinthe pour en faire la résine, jusqu’à ce qu’elle ait la couleur d’un rouge brun foncé : elle sert aux peintres à cause de la vivacité de sa couleur ; car cette résine est dure, friable, & brillante : on en trouve chez les Turcs, dans les boutiques, sous le nom de sijah Benna, c’est-à-dire noir du mont Benna.

On fait usage de la térébenthine persique, comme des autres térébenthines, extérieurement & intérieurement : elle est bonne extérieurement pour amollir, résoudre, purifier les ulcères, & réunir les levres des plaies récentes : on la compte au nombre des remedes balsamiques & vulnéraires internes : on la prescrit dans les exulcérations des visceres, dans la toux invéterée, dans le commencement de la phthisie, & le crachement purulent ; elle donne aux urines l’odeur de violette, & est avantageuse dans leur suppression, quand cette suppression procede d’une sérosité âcre, épaisse, & gluante, sans inflammation.

La térébenthine de Chio, passe pour être douée des mêmes vertus : on l’emploie dans la thériaque d’Andromaque, le mithridate de Damocrates, & les trochisques de Cyphi On pourroit préparer avec cette térébenthine, ainsi qu’avec la persique, une huile, & une colophone ; mais on trouve rarement ces deux résines dans nos boutiques, où on ne connoit guere que la térébenthine des méleses, qui d’ailleurs fournit plus d’esprit que la résine des térébinthes.

La térébenthine de Venise, ou des méleses, terebentina veneta, laricea, off. est une substance résineuse, liquide, limpide, gluante, tenace, plus grossiere que l’huile, plus coulante que le miel ; elle découle également & entierement du doigt que l’on y a trempé, est un peu transparente comme du verre, de couleur jaunâtre, d’une odeur résineuse, pénétrante, agréable, & cependant un peu dégoutante ; d’un goût fin, âcre, un peu amer, qui surpasse par son âcreté & sa chaleur, la résine du térébinthe. On estime celle qui est récente, pellucide, blanche, liquide, qui n’est pas salie par des ordures, & dont les gouttes s’attachent à l’ongle, sans couleur. On l’appelle térébenthine de Venise, parce qu’autrefois on l’apportoit de ce lieu ; mais présentement on l’apporte du Dauphiné & de la Savoie ; cette espece de résine étoit connue des anciens Grecs, & dès le tems de Galien, à ce qu’il rapporte.

Le mélese, dont nous avons donné la description en son lieu, produit cette térébenthine ; elle en découle d’elle-même, ou par une incision faite à l’arbre au printems & en automne, comme une eau limpide, & de la consistance de l’huile ; mais bientôt après elle jaunit un peu, & elle s’épaissit avec le tems.

Il paroît par l’analyse chimique, que la térébenthine de mélese est composée d’une huile subtile, tellement unie avec un sel acide, que les deux ensemble font un composé résineux ; qu’elle ne contient que très-peu ou point de terre, & une très-petite portion de sel alkali fixe, que l’on apperçoit à peine. En effet, si l’on fait digérer de l’esprit de térébenthine avec l’acide vitriolique, quelques jours après ils se changent en une résine semblable à la térébenthine, qui s’épaissit de plus en plus en continuant cette digestion, & elle se change enfin en un bitume noir.

Il faut observer que la térébenthine prise non-seulement par la bouche & en lavement, mais encore appliquée extérieurement est assez célebre ; c’est pourquoi il n’y a presque aucun liniment, aucun emplâtre, ou onguent pour les plaies & les ulceres, ou la térébenthine de Venise n’entre. Les chirurgiens en préparent un onguent digestif, très-usité & très-recommandé dans les plaies ; ils mêlent avec la térébenthine une suffisante quantité de jaunes d’œuf & de l’huile rosat, ou quelqu’autre liqueur convenable.

Dans la dyssenterie, les exulcérations des intestins, la néphrétique, la suppression de l’urine ; on donne utilement des lavemens avec la térébenthine. Il faut cependant l’employer avec prudence, & dans les cas où l’on n’a pas lieu de craindre l’inflammation des visceres. Elle est encore d’usage dans la gonorrhée, & les fleurs blanches. La résine du térébinthe, la térébenthine de Venise, & celle de Cypre, ont les mêmes propriétés. On préfere cependant la térébenthine du mélese à toutes les autres pour l’usage intérieur. On prépare avec cette térébenthine un esprit & un huile de térébenthine, ainsi que de la colophone ; enfin la térébenthine du mélese entre dans presque tous les onguens, & les emplâtres des pharmacopées.

La térébenthine de Strasbourg, ou plutôt la térébenthine de sapins, est nommée dans les auteurs résine liquide des sapins ; terebenthina abietina, terebenthina argentoratensis, c’est une substance résineuse, liquide lorsqu’elle est récente, plus transparente que celle du mélese, moins visqueuse & moins tenace : son odeur est plus agréable & plus amere, & ressemble en quelque façon à celle de l’écorce de citron, dont elle a presque le goût : elle jaunit & s’épaissit avec le tems. On l’appelle térébenthine de Strasbourg, parce qu’on l’apporte de cette ville à Paris.

Cette liqueur résineuse découle du sapin nommé abies taxi folio, fructu sursum spectante, I. R. H. 585, abies conis sursum spectantibus, sive mas, C. B. P. 505. Cet arbre est grand, & surpasse le pin par sa hauteur. Son tronc est droit, nud par le bas, couvert d’une écorce blanchâtre & cassante. Ses branches croissent tout-autour du tronc, quelquefois au nombre de quatre, de cinq, de six, & même davantage ; elles sont ainsi arrangées de distance en distance jusqu’au sommet. Ces branches donnent des rameaux disposés le plus souvent en forme de croix, sur lesquels naissent de tous côtés de petites feuilles mousses, d’un verd foncé en-dessus, un peu blanchâtres en-dessous, & traversées par une côte verte.

Ses fleurs sont des chatons composés de plusieurs sommets d’étamines, qui se partagent en deux loges, s’ouvrent transversalement, & répandent une poussiere très-fine, le plus souvent de la figure d’un croissant, comme on l’observe au microscope. Ces fleurs sont stériles. Les fruits naissent dans d’autres endroits du même arbre : ce sont des cones oblongs presque ovoïdes, plus courts & plus gros que ceux de la pesse ou picea : ils sont composés d’écailles larges à leur partie supérieure, attachés à un axe commun, sous lesquelles se trouvent deux semences garnies d’un feuillet membraneux, blanchâtres, remplies d’une humeur grasse & âcre. Ces cônes sont verds au commencement de l’automne, & donnent beaucoup de résine ; & vers le commencement de l’hiver ils parviennent à leur maturité. Cet arbre est très commun en Allemagne, & dans les pays du nord.

On tire la résine ou l’huile de sapin, non-seulement de la tige & des branches, mais encore de quelques tubercules qui sont placées entre l’écorce. Celle qui découle de sa tige par l’incision que l’on y fait est moins odorante & moins précieuse : lorsqu’elle est seche, elle ressemble un peu à l’encens par sa couleur & son odeur ; c’est pourquoi quelques-uns la lui substituent ; mais la résine qui découle des tubercules auxquels on a fait une incision, est fort estimée ; on l’appelle spécialement larme de sapin, huile de sapin, & communément bigion. Voici la maniere de tirer cette résine.

Les bergers, pour ne pas être oisifs pendant le jour, vont dans les forêts des sapins, portant à la main une corne de vache creuse. Lorsqu’ils rencontrent de jeunes sapins revêtus d’une écorce luisante, & remplis de tubercules, car les vieux sapins ridés n’ont point de tubercules, ils conjecturent aussitôt qu’il y a de l’huile sous ces tubercules ; ils les pressent avec le bord de leur corne, & en font couler toute l’huile. Ils ne peuvent pas cependant par cette manœuvre recueillir plus de trois ou quatre onces de cette huile en un jour ; car chaque tubercule n’en contient que quelques gouttes : c’est ce qui rend cette résine rare & chere. Mais on tire une bonne quantité de térébenthine de la tige des sapins & des picea par des incisions qu’on leur fait au mois de Mai.

Les paysans commencent le plus haut qu’il peuvent atteindre avec leurs coignées à enlever l’écorce de l’arbre, de la largeur de trois doigts depuis le haut, sans cependant descendre plus bas qu’à deux piés de terre : ils laissent à côté environ une palme d’écorce, à laquelle ils ne touchent point ; & ils recommencent ensuite la même opération, jusqu’à ce qu’ils aient ainsi enlevé toute l’écorce de distance en distance, depuis le haut jusqu’en-bas. La résine qui coule aussitôt est liquide, & elle s’appelle térébenthine de Strasbourg ; cette térébenthine s’épaissit avec le tems ; & deux ou trois ans après les plaies faites aux arbres, sont remplies d’une résine plus grossiere ; alors ils se servent de couteaux à deux tranchans, recourbés, attachés à des perches pour enlever cette seconde résine, qu’ils conservent pour en faire de la poix. La pure térébenthine de Strasbourg a les mêmes principes que celle de Venise, & elle a presque les mêmes vertus.

La térébenthine commune, la grosse térébenthine, resina pinea, est une substance résineuse, visqueuse, tenace, plus grossiere & plus pesante que celle du sapin ou du mélese. Elle est blanchâtre, presque de la consistance de l’huile un peu condensée par le froid, d’une odeur résineuse, désagréable, d’un goût âcre, un peu amer, & qui cause des nausées.

Cette résine découle d’elle-même, ou par l’incision, de différentes especes de pin ; mais on la tire sur-tout dans la Provence près de Marseille & de Toulon, & dans la Guyenne près de Bordeaux, du pin appellé pinus sylvestris, vulgaris genevensis, par J. B. 1. 253, & pinus sylvestris, par C. B. P. 491. Cet arbre n’est pas différent du pin ordinaire. Il est seulement moins élevé, ses feuilles sont plus courtes, & ses fruits plus petits.

Il découle deux sortes de résine de ces arbres, l’une nommée résine de cones, parce qu’elle en suinte naturellement ; l’autre qui est tirée par l’incision que l’on fait à l’arbre, est appellée résine de pin. Lorsque cet arbre est plein de résine, il est nommé torche, tæda en latin. La trop grande abondance de résine, est une maladie propre & particuliere au pin sauvage. Elle consiste en ce que non-seulement la substance interne, mais encore la partie externe du tronc, abonde tellement en suc résineux, que cet arbre est comme suffoqué par la trop grande quantité de suc nourricier. On en coupe alors, sur-tout près de la racine, des lattes grasses, & propres pour allumer le feu, & pour éclairer. La pesse & le mélese deviennent aussi torches, mais très-rarement. Dans la Provence non-seulement on recueille cette résine tous les ans ; mais on tire encore de l’arbre des sucs résineux, dont on fait ensuite diverses sortes de poix. Voyez Poix.

Les médecins emploient rarement la térébenthine commune tirée du pin sauvage & du piæa, quoiqu’elle ait les mêmes qualités que celle de Strasbourg ; mais plusieurs ouvriers en font usage. (Le Chevalier de Jaucourt.)

Térébentine, huile de, (Chimie.) l’inflammation des huiles par les acides paroît d’abord avoir été découverte par Glauber, qui en a parlé assez au long dans plusieurs de ses ouvrages ; Becher l’a aussi connue ; mais il y a près de quatre-vingt-dix ans que Borrichius proposa dans les journaux de Copenhague, ann. 1671. d’enflammer l’huile de térébenthine par l’esprit de nitre, suivant un procédé qu’il donnoit. Son problème chimique a pendant long-tems exercé le génie & l’adresse des plus grands artistes. A l’envi les uns des autres, ils ont fait plusieurs tentatives sur cette inflammation ; ils ont d’abord été peu heureux ; il y en a même qui ont eu si peu de succès, qu’ils ont regardé ce phénomene comme un problème très-difficile à résoudre, parce que l’auteur n’a pas assez détaillé des circonstances, qu’il a peut-être ignorées lui-même. D’autres moins modérés ont traité cette expérience de paradoxe.

Le mauvais succès sur l’huile de térébenthine, loin de décourager plusieurs autres artistes, les a au contraire conduits à tenter le mélange de l’acide nitreux avec d’autres huiles essentielles ; ils ont non-seulement réussi à enflammer les huiles essentielles pesantes, mais encore quelques huiles empyreumatiques, telles que celles de Gayac.

Dippelius, Hoffman & M. Geoffroi sont parvenus à enflammer l’huile de térébenthine, & un nombre d’huiles essentielles légeres par l’acide nitreux, mais avec le concours de quelques portions d’acide vitriolique concentré. Enfin M. Rouelle a trouvé le secret du procédé de Borrichius, consistant à enflammer l’huile de térébenthine par l’acide nitreux seul, & c’est une chose assez curieuse ; voici l’essentiel du procédé de Borrichius.

Il emploie quatre onces d’huile de térébenthine & six onces d’eau-forte, ou d’acide nitreux. Il demande que l’huile de térébenthine soit nouvellement distillée, que l’eau-forte soit bonne, récente, & que le vaisseau soit ample ; il les méle ensemble & les agite ; il couvre le vaisseau, & au bout d’une demi-heure, il le découvre ; alors les matieres produisent ensemble une effervescence des plus violentes, accompagnée d’une fumée très-épaisse, & elles s’enflamment en surmontant le vaisseau & se répandant.

Ce n’est pas de la force de l’esprit de nitre que dépend absolument le succès de l’expérience de Borrichius ; il faut cependant que l’esprit de nitre soit au moins assez fort pour agir sur l’huile aussi-tôt qu’il lui est mêlé ; plus foible il ne feroit aucun effet ; mais plus il sera fort & concentré, plus le succès de l’opération sera assuré. A l’égard de l’huile de térébenthine, il n’y a aucun choix à en faire ; ancienne ou nouvelle, elle est également bonne.

Il faut verser peu d’acide nitreux à la fois sur le champignon : s’il arrive qu’il ne s’enflamme pas, on attend que le charbon paroisse davantage & soit plus considérable ; alors on verse de nouvel acide, & avec un peu d’usage, il est rare qu’on ne réussisse pas.

Les vaisseaux doivent être larges d’ouverture, afin que le mélange présente une plus grande surface à l’air, qui aide beaucoup au succès de cette expérience.

On doit employer parties égales d’acide & d’huile de térébenthine ; mais quand on mettroit plus d’acide, on ne nuiroit aucunement à l’inflammation. L’on observera seulement que le succès de l’opération est plus assuré, quand on emploie des doses un peu considérables.

M. Rouelle ayant trouvé cette clé, a réussi dans les mêmes expériences sur d’autres huiles essentielles ; savoir, celles de cédra, de genievre & de lavande ; cette derniere demande seulement un acide un peu plus fort.

Mais l’huile de girofle, quoique de même espece que les deux autres, a offert une singularité remarquable, & qui fait une exception à la regle que nous avons donnée, de prendre toujours par préférence l’acide le plus fort, pour assurer le succès de l’opération : mêlée avec de l’esprit de nitre trop fort, l’effervescence est si vive, qu’il se fait une espece d’explosion, & que l’huile est jettée hors du vaisseau. M. Rouelle n’a pu réussir à l’enflammer, qu’en employant le plus foible & le moins concentré des trois esprits de nitre dont il s’est servi dans ses expériences.

Quant aux huiles par expression, les unes comme les huiles de lin, de noix, d’œillet & de chenevis, s’enflamment comme les huiles essentielles, par l’acide nitreux seul, pourvu qu’on le mêle avec elles en plus grande proportion, & qu’il soit récent, & très-concentré. D’autres huiles par expression, telles que celles d’olive, d’amande douce, de fêne & de navette, ne s’enflamment point par l’acide nitreux seul, quelque concentré qu’il puisse être, & en quelque dose qu’on le mêle avec elle ; il faut pour qu’elles s’enflamment, ajouter l’acide vitriolique à celui du nitre. Ainsi par le moyen de l’acide nitreux, & de l’acide vitriolique, on peut enflammer presque toutes les huiles.

Un artiste pourroit imaginer des vaisseaux & des especes de grenades qui puissent contenir ces feux liquides, comme disoit Glauber, & les mettre en usage dans les opérations militaires. Mais quand on viendroit à-bout de disposer à son gré d’un élément aussi terrible que le feu, quel avantage en résulteroit-il ? Pourroit-il demeurer secret ? Les hommes n’ont trouvé malheureusement que trop de moyens de se détruire. Mémoires de l’acad. des Sciences, année 1747. (D. J.)