L’Encyclopédie/1re édition/TORPILLE

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TORPILLE, s. f. (Hist. nat. Ichthyolog.) l’engourdissement causé par ce poisson est une de ces merveilles qui ont cours depuis plusieurs siecles, qui ont été souvent célébrées, & que les esprits-forts en physique ont été tentés de ne pas croire ; en effet plusieurs anciens & modernes ont parlé de cet engourdissement avec des exagérations révoltantes. D’autres au contraire qui ont vu & manié ce poisson dans certaines circonstances, sans en ressentir d’engourdissement, en ont parlé comme d’un fait fabuleux ; mais il n’a plus été permis d’en révoquer en doute la réalité, après les témoignages de Lorenzini, de Redi & de Borelli ; quelque certain néanmoins que soit le fait, la cause n’en est pas évidente. On n’est point d’accord d’où dépend la stupeur que produit cet animal dans ceux qui le touchent, en quoi consiste précisément cette stupeur, & quelles sont les circonstances qui l’accompagnent. Entre les physiciens qui en ont écrit, les uns font imaginer l’engourdissement beaucoup plus fort, les autres beaucoup plus foible ; les uns veulent que le poisson ne l’opere que lorsqu’on le touche immédiatement ; d’autres prétendent que sa vertu soit même à craindre de loin. Nous verrons à quoi l’on peut s’en tenir sur cette matiere, après une courte description du poisson même.

Description de la torpille mâle & femelle. On la nomme torpille sur les côtes de Provence, tremble sur les côtes de Poitou, d’Aunis & de Gascogne. Les Anglois l’appellent the cramp-fish, & les Italiens torpilla. On sait que torpedo est le mot latin que lui donnent tous les anciens à commencer par Cicéron. Les modernes en font de même ; Aldrovand. de pisc. 415, Rondelet de pisc. 1. 358. Charleton pisc. 9, Salvianus de aquatilibus 142, Bellon de aquat. 988, Rai ichth. 81, Synop pisc. 28, &c.

Il suffiroit pour suggérer une idée de la torpille à ceux qui ne la connoissent point, de leur dire que c’est un poisson plat tout semblable à la raie, ou plutôt une espece de raie. Elle est mise au nombre des poissons plats & cartilagineux avec le turbot, la sole & la pastenaque. Son corps est à-peu-près rond, si on ôte la queue ; sa tête est tellement enfoncée entre ses épaules, qu’elle ne paroit aucunement. Elle a deux petits yeux & deux trous en forme de croissant toujours ouvert, une petite bouche garnie de dents aiguës, & au-dessus deux pertuis qui lui servent de naseaux. Elle a cinq ouiës de chaque côté, & deux ailes sur la queue. La peau de dessus est molle, déliée, blanchâtre, celle de dessous jaunâtre, tirant sur la couleur du vin. Il y en a qui ont sur le dos des taches noires, rondes, disposées en pentagone, ou sans ordre.

On connoit plusieurs especes de torpilles ; nous ne nous arrêterons point à les décrire ; c’est assez d’observer que la petite espece pese peut-être six onces, tandis que celles de la grande vont depuis 18 jusqu’à 28 livres. On en voit communément sur nos côtes, qui ont un pié & demi de long ; on en pêche aussi quelquefois de plus grandes. Ce poisson se met au rang des vivipares, quoiqu’il ait des œufs. On trouve sa figure dans la plûpart des auteurs que j’ai cités ci-dessus, & en particulier dans l’excellent traité sur ce poisson par Lorenzini, imprimé à Florence en 1678 ; Rédi a fait de son côté une exacte description d’une torpille femelle qui pesoit 15 livres, & qu’on lui apporta vivante ; il remarque entr’autres particularités, que son cœur qui n’avoit qu’une oreillette, continua ses battemens sept heures après avoir été séparé du corps, & que cette torpille donna des signes manifestes de mouvement & de sentiment trois heures après qu’on lui eût arraché le cœur. Ses yeux étoient élevés en-dehors comme deux petites bouteilles malfaites, & sa prunelle n’étoit pas ronde ; elle avoit deux ovaires ou deux pépinieres d’œufs attachées immédiatement aux deux lobes du foie. Il y avoit dans chacune de ces pépinieres plusieurs œufs, dont les cinq plus gros pesoient chacun environ une once. C’en est assez pour faire connoître la torpille européenne ; venons aux effets qu’elle produit sur ceux qui la touchent, & à la cause dont ils dépendent.

De l’engourdissement que produit la torpille. Quand on touche la torpille avec le doigt, il arrive assez souvent qu’on sent une espece d’engourdissement douloureux dans la main & dans le bras jusqu’au coude, & quelquefois jusqu’à l’épaule. Sa plus grande force est dans l’instant qu’il commence ; il dure peu, diminue insensiblement, & se dissipe au bout de quelque tems. Il ressemble à cette sensation douloureuse qu’on éprouve dans le bras, lorsqu’on s’est frappé le coude un peu rudement contre quelque corps dur.

Si l’on ne touche point le tremble, quelque près qu’on en ait la main, on ne sent jamais rien ; si on le touche avec un bâton, on sent très-peu de chose ; si on le touche par l’interposition de quelque corps mince, l’engourdissement est assez considérable ; si on le presse en appuyant avec force, l’engourdissement en est moindre, mais toujours assez considérable pour obliger à lâcher prise ; si on le touche quand il est mort, il ne survient aucune stupeur. Mais comment ce poisson, quand il est en vie, opere-t-il l’engourdissement dont nous parlons ? c’est ce qu’il s’agit de rechercher.

Explication de la cause de cet engourdissement. On a entrepris jusqu’ici d’en rendre raison par deux explications différentes ; car il ne faut compter pour rien la plus ancienne explication, qui donne à la torpille une vertu torporifique ; si on peut compter cette opinion pour quelque chose, ce n’est qu’en cas qu’on veuille la faire revenir au même que la premiere des deux opinions ; je veux dire qu’en cas qu’on la confonde avec celle qui prétend que l’effet que produit la torpille, dépend d’une infinité de corpuscules qui sortent continuellement de ce poisson, & plus abondamment dans certaines circonstances que dans d’autres. C’est l’opinion qu’ont adoptée MM. Redy, Perrault & Lorenzini. Ils croyent que, comme le feu envoie une quantité de corpuscules propres à nous échauffer, de même la torpille envoie quantité de petits corps propres à engourdir la partie dans laquelle ils s’insinuent, soit parce qu’ils y entrent en trop grande quantité, soit parce qu’ils trouvent des routes peu proportionnées à leur figure.

La seconde explication est de Borelli ; sur son simple exposé, elle sera plus du goût des méchaniciens. Il regarde l’émission des corpuscules comme imaginaire ; il dit que lorsqu’on touche ce poisson, il est agité lui-même d’un si violent tremblement, qu’il cause dans la main qui le touche, un engourdissement douloureux. M. de Réaumur a eu beau examiner la torpille dans le tems qu’elle se venge d’être touchée, il n’a pu lui voir aucun mouvement, aucune agitation sensible ; mais il est vrai qu’il se fait alors sur la surface de son corps un changement qui est la cause de l’engourdissement ; voici en quoi consiste ce changement.

La torpille, comme tous les poissons plats, n’est pas néanmoins absolument plate ; son dos ou plutôt tout le dessus de son corps, est un peu convexe ; pendant qu’elle ne produit, ou ne veut produire aucun engourdissement dans ceux qui la touchent, son dos garde la convexité qui lui est naturelle ; mais quand elle veut se disposer à agir, elle diminue insensiblement la convexité des parties de son dos, & les applatit ; quelquefois de convexes qu’elles sont, elle les rend concaves ; c’est précisément dans l’instant suivant qu’on se sent frappé de l’engourdissement.

On voit bien la surface convexe de ce poisson devenir plate ou concave par degrés, mais on ne la voit point devenir convexe ; on voit seulement qu’elle est redevenue telle quand on en est frappé ; on n’apperçoit pas le passage de l’un à l’autre état ; peut-être que le mouvement d’une balle de mousquet n’est guere plus prompt que celui des chairs de cet animal, qui reprennent leur premiere situation ; l’un du moins n’est pas plus aisé à appercevoir que l’autre. C’est de ce coup si subit que naît l’engourdissement qui saisit le bras ; voilà la cause du fait ; il s’agit maintenant de considérer le merveilleux arrangement des ressorts que la nature a employés pour produire cet effet. M. de Réaumur a développé cette admirable méchanique.

Elle dépend de deux muscles fort singuliers qui ont été décrits par ceux qui ont donné l’anatomie de la torpille. Redi & Lorenzini les nomment musculi falcati, muscles faits en maniere de faulx. Concevons la torpille partagée en longueur depuis la tête jusqu’à la queue ; deux grands muscles égaux & pareils qui ont une figure de faulx, l’un à droite, l’autre à gauche, occupent la plus grande partie de son corps, en naissant où la tête finit, & en se terminant où la queue commence. Leurs fibres sont elles-mêmes bien sensiblement des muscles ; ce sont des tuyaux cylindriques, gros comme des plumes d’oie, disposés parallelement, tous perpendiculaires au dos & au ventre, conçus comme deux surfaces paralleles, ainsi qu’ils le sont à-peu-près ; enfin divisés chacun en 25 ou 30 cellules, qui sont aussi des tuyaux cylindriques de même base & de moindre hauteur que les autres, & qui sont pleins d’une matiere molle & blanche.

Quand l’animal s’applatit, il met toutes ces fibres en contraction, c’est-à-dire qu’il diminue la hauteur de tous ces cylindres, & en augmente la base ; quand ensuite il veut frapper son coup, il les débande toutes ensemble, & en leur rendant leur premiere hauteur, les releve très-promptement. Qu’un doigt touche alors la torpille, dans un instant il reçoit un coup, ou plutôt plusieurs coups successifs de chacun des cylindres sur lesquels il est appliqué. Ces coups prompts & réitérés ébranlent les nerfs ; ils suspendent ou changent le cours des esprits animaux ; ou, si l’on aime mieux encore, ces coups produisent dans les nerfs un mouvement d’ondulation, qui ne s’accommode pas avec celui que nous devons leur donner pour mouvoir le bras : de-là naît l’impuissance où l’on se trouve d’en faire usage, & le sentiment douloureux.

Il paroît résulter de cette explication, que la torpille n’est en état d’engourdir, que lorsqu’on la touche vis-à-vis des deux grands muscles composés des grosses fibres cylindriques ; aussi tous les physiciens ont-ils expérimenté que c’est vis-à-vis de ces muscles que se font les engourdissemens les plus considérables. Plus les endroits où l’on touche la torpille en sont éloignés, & moins la force du poisson est à craindre. On peut le prendre par la queue sans éprouver d’engourdissement ; & c’est ce que les pêcheurs savent bien : ils ne manquent pas de le saisir par-là. Il faut pourtant avouer qu’à quelque distance des muscles en question, on peut encore être attaqué d’un foible engourdissement. La peau du poisson doit se ressentir du coup des muscles ; elle reçoit un ébranlement qu’elle communique aux parties qui la touchent, du moins si elle est touchée près de l’endroit où elle reçoit l’impression.

L’opinion de ceux qui font dépendre l’engourdissement de l’émission des corpuscules torporifiques faite par le tremble, paroît détruite par les expériences suivantes.

1°. Pour peu que la main ou le bras soient distans de la torpille, on ne ressent aucun engourdissement, comme Lorenzini lui-même en convient. 2°. Si cet engourdissement étoit causé par des corpuscules torporifiques, que la contraction exprime des muscles dont nous avons parlé, l’engourdissement se feroit pendant que les parties du poisson sont contractées, au-lieu qu’il ne commence que quand la contraction cesse. 3°. Si l’engourdissement provenoit de l’émanation des corpuscules torporifiques, il se feroit par degré. comme la main s’échauffe par degré, on comme les piés s’engourdissent par degre. Il croîtroit à mesure que les corpuscules s’insinueroient dans les doigts, dans la main, dans le bras. Il seroit foible au commencement, & deviendroit ensuite plus considérable. Tout le contraire arrive ; l’engourdissement n’est jamais plus fort que lorsqu’il commence, comme le sont toutes les douleurs produites par des coups subits ; & il va toujours en diminuant. 4°. Enfin ce qui démontre que l’émanation des corpuscules torporifiques ne contribue en rien à l’engourdissement, c’est que le doigt distant du poisson d’une ligne, n’en reçoit jamais d’impression, lorsque l’espace qui est entre le doigt & lui, n’est rempli que par un liquide, comme de l’eau ou de l’air. Il faut que cet espace soit occupé par un corps solide que l’on tient, pour que la torpille fasse impression sur le doigt ; ce qui n’arrive que parce que le corps solide communique au doigt l’impression qu’il a reçue de la torpille.

Quoique nous n’ayons parlé jusqu’ici que de l’engourdissement du bras, on voit bien qu’il peut de même se faire sentir à d’autres parties. Le tremble engourdira les jambes, lorsqu’on marchera dessus à piés nuds. Les pêcheurs assurent assez unanimément que cela leur arrive quelquefois en pêchant à la seine, c’est-à dire avec une espece de filet qui se traîne sur les greves, & qu’alors la torpille leur engourdit la jambe, & même les renverse du coup.

Il semble encore qu’on ne peut guere refuser à la torpille la force d’engourdir plus ou moins lorsqu’on la touche avec un bâton ; ce qui s’explique très-bien par la loi de la communication des mouvemens ; &, suivant la longueur du bâton, la vigueur du poisson, la sensibilité dans la personne qui le touche de cette maniere, la sensation de l’engourdissement sera plus ou moins vive.

Les torpilles de l’Amérique produisent l’engourdissement comme les nôtres. L’Amérique a des torpilles ou des poissons d’un autre genre, semblables aux nôtres par leurs effets. Dans les mém. de l’acad. de M. du Hamel, année 1677, il est fait mention d’une torpille qu’on compare aux congres, c’est-à-dire qui est d’une figure approchante de celle des anguilles. M. Richer de qui est cette relation, assure que ce poisson engourdit le bras lorsqu’on le touche même avec un bâton, & que ses effets vont jusqu’à donner des vertiges ; ce qu’il dit avoir expérimenté : dès-lors qu’il n’y va que du plus au moins, nous n’avons pas de peine à donner croyance aux faits de physique.

Le tremble ne feroit pas un grand usage de la faculté qu’il a d’engourdir, si elle ne lui servoit qu’à se défendre des pêcheurs ; il est rare qu’il se sauve de leurs mains. Aristote, Pline & la plûpart des naturalistes se persuadent qu’elle lui est utile pour attraper des poissons ; une chose sûre, au rapport des pêcheurs, c’est que les torpilles en mangent, & qu’on en rencontre fréquemment dans leur estomac. Cependant pourquoi se tient-elle ordinairement sur le sable ou sur la vase ? y est-elle en quelque maniere à l’affut pour y attraper les petits poissons qui la toucheroient ? Mais les autres poissons plats qui se tiennent sur la vase, ne s’y tiennent point par le même motif. Si la torpille engourdit les petits poissons qui la touchent, & les prend ensuite, ne pouvoit-elle pas les prendre également bien sans cela ? Elle a la même vîtesse que mille autres poissons de sa taille, qui savent bien attraper les petits poissons sans les engourdir. Nous sommes trop prompts à assigner les causes finales ; elles ne sont pas toujours aussi démontrées qu’on le prétend. Pour s’assurer du fait dont il est ici question, il faudroit par plusieurs expériences mettre des torpilles avec divers autres petits poissons en vie, & en examiner l’événement ; c’est ce que quelque physicien fera peut-être un jour.

On pourroit encore être curieux de savoir de quelle épaisseur doit être un corps placé entre la torpille & la main, pour mettre la main à-l’abri de l’action du poisson. Il y a beaucoup d’autres expériences à tenter sur cet animal.

La torpille ne pouvoit guere avoir une vertu engourdissante si fort exaltée, sans manquer de lui attribuer la même vertu contre plusieurs maladies. Aussi Dioscoride prétend que la torpille sur la tête engourdit le mal, & qu’elle remédie à la chute de l’anus en l’appliquant sur le fondement. D’autres en recommandent l’application à la plante des piés pour calmer l’ardeur de la fievre. Nos pêcheurs font mieux, ils en mangent le foie qui a le même goût que celui de la raie.

Description de la torpille du golfe Persique par Kæmpfer. Je n’aurois rien à ajouter sur ce poisson, si Kæmpfer ne me fournissoit, dans ses Amœnités, une description trop exacte de la torpille du golfe Persique, pour la passer sous silence.

Les plus grandes torpilles de cette mer, qui en produit beaucoup, ont deux pans de diametre au centre, qui est sans os ; elles ont deux doigts d’épaisseur, & de-là elles diminuent insensiblement jusqu’aux bords qui sont cartilagineux, & qui font l’office de nageoires. Leur peau est glissante, sans écaille & tachetée. Les taches du dos sont blanches & brunes ; celles de la queue plus foncée ; mais le ventre est tout-à-fait blanc, comme dans la plûpart des poissons plats. Des deux côtés la surface est inégale, particulierement sur le dos, dont le milieu s’enfle comme un petit bouclier. Cette élévation continue jusqu’à l’extrémité de la queue, qui s’étend de la largeur de la main au-delà du corps. Sa tête est applatie ; ses yeux sont petits & placés dessus la tête à la distance d’un pouce l’un de l’autre. Ils ont une double paupiere dont la supérieure est assez forte, & se ferme rarement ; l’inférieure est mince, transparente, & se ferme lorsque le poisson est dans l’eau.

Au-dessous des yeux, il y a deux conduits de respiration qui se couvrent dans l’eau d’une petite pellicule, de sorte qu’on les prendroit pour d’autres yeux, comme a fait Borrichius. La gueule est au-dessous de la tête dans l’endroit opposé aux yeux. Elle paroît très-petite lorsqu’elle est fermée, mais elle devient fort grande en s’ouvrant. Les levres sont entourées de petites pointes qui servent à retenir ce que l’animal y fait entrer. Dans la cavité des mâchoires, on apperçoit une petite rangée de dents aiguës. Sur le long du ventre qui est doux, mince & spongieux, il y a deux rangées de petits trous oblongs, cinq de chaque côté, placés transversalement. L’anus est aussi de figure oblongue, & percé exactement à la naissance de la queue. On ne sauroit presser cette partie sans en faire sortir quelques fœces entremêlées comme de vers de terre. La queue est épaisse, & de figure pyramidale. Elle se termine par une nageoire dont les pointes sont obliques, & présentent assez bien la forme de la lettre X.

Au-dessus & à peu de distance, sont deux autres nageoires plus grandes vers le dos que du côté de la queue, & terminées en rond. A l’endroit où commence la queue, il se trouve encore de chaque côté une nageoire plate & charnue. Dans les mâles, elle se termine à un penis cartilagineux d’un pouce de long, creux & percé à l’extrémité de deux trous, dont la moindre pression fait sortir une humeur grasse & visqueuse.

Le péritoine est ferme, les vertebres du dos cartilagineuses, & garnies de divers tendons qui en sortent. Le premier se dirige vers les yeux, & le dernier vers le foie. Les autres prennent différentes directions assez près de leur origine. Le cœur qui est situé dans le plus petit creux de la poitrine, a la forme d’une figue. L’abdomen est accompagné d’un large ventricule musculaire. Il y a plusieurs veines, dont la plus considérable s’étend jusqu’au lobe droit du foie, & s’entortille au-tour de la vésicule du fiel. Le foie est d’une substance rouge, pâle, composé de deux lobes, dont l’un remplit toute la cavité du côté droit. Ces deux lobes sont formés de glandes serrées les unes contre les autres, & qui partent peut-être du penis.

Après avoir vuidé les intestins & les ventricules, on découvre contre le dos, un petit sac inégal, tortu, transparent, auquel tient une substance charnue qui ressemble beaucoup aux aîles de la chauve souris ; c’est l’utérus ou l’ovaire. Kæmpfer y trouva plusieurs œufs posés sur le lobe gauche du foie. Ils étoient renfermés dans une mince pellicule, couleur de soufre pâle, & attachée au foie ; du reste ils ressembloient exactement aux œufs de poule, & nageoient dans une liqueur mucilagineuse.

La torpille du golfe Persique paroîtroit fort différente de celle de la Méditerranée, si l’on jugeoit de celle-ci par les descriptions d’Aristote, de Pline & de Galien. La qualité que celle du golfe a d’engourdir, n’est point une vertu qui l’accompagne toujours. Elle ne s’exerce que dans certaines occasions ; comme lorsque ce poisson ressent l’impression de quelque chose qui le blesse, & qu’on arrête sa fuite au moment qu’il veut la prendre. Il se fait alors un mouvement convulsif dans son corps.

Enfin Kæmpfer a remarqué qu’en mettant la torpille dans une même cuve avec d’autres poissons, elle ne leur a point fait sentir sa qualité torporifique, soit par crainte, soit parce qu’elle n’est pas en liberté, soit par d’autres raisons.

Telles sont les observations de Kæmpfer sur la torpille étrangere. Pour m’instruire encore plus complétement de la nature de ce poisson dans toutes les mers du monde, j’ai parcouru les autres relations des voyageurs qui en ont parlé ; celles de Windus, de Jobson, d’Atkius, de Moore, de Kolben, de Ludolf, &c. mais j’ai perdu mes peines, je n’ai rien trouvé d’exact & de satisfaisant dans aucun de ces écrivains ; d’où je conclus qu’il faut s’en tenir aux lumieres que nous en ont donné les physiciens que j’ai cités dans ce mémoire. (Le chevalier de Jaucourt.)