L’Encyclopédie/1re édition/TRÉBISONDE

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TRÉBISONDE, (Géog. mod. & Hist.) anciennement Trapezus, ville des états du turc, dans l’Anatolie, sur le bord de la mer Noire, & la capitale de la province de Jénich, au pié d’une montagne qui regarde le septentrion. Long. 53. 37. lat. 40. 34.

Cette ville, que les Turcs appellent Tarabosan, étoit regardée anciennement pour être une colonie de Sinope, à laquelle même elle payoit tribut ; c’est ce que nous apprenons de Xénophon, qui passa par Trébisonde, en reconduisant le reste des dix mille, & qui rapporte la triste aventure qui leur arriva pour avoir mangé trop de miel.

Comme il y avoit plusieurs ruches d’abeilles, dit cet auteur, les soldats n’en épargnerent pas le miel : il leur prit un dévoiement par haut & par bas, suivi de rêveries, ensorte que les moins malades ressembloient à des ivrognes, & les autres à des personnes furieuses ou moribondes. On voyoit la terre jonchée de corps : personne néanmoins n’en mourut, & le mal cessa le lendemain ; de-sorte que les soldats se leverent le troisieme jour, mais en l’état qu’on est après avoir pris une forte médecine. Voyez les remarques de M. Tournefort, dans son voyage du Levant, sur cette sorte de miel, & sur les fleurs dont il devoit être composé.

Les dix mille furent reçus à Trébisonde avec toutes les marques d’amitié que l’on donne à des gens de son pays, lorsqu’ils reviennent de loin ; car Diodore de Sicile remarque que Trébisonde étoit une ville grecque fondée par ceux de Sinope qui descendoient des Milésiens. Le même auteur assure que les dix mille séjournerent un mois dans Trébisonde ; qu’ils y sacrifierent à Jupiter & à Hercule, & qu’ils y célébrerent des jeux.

Trébisonde apparemment, tomba sous la puissance des Romains, dès que Mithridate se trouva dans l’impuissance de leur résister. Il seroit inutile de rapporter de quelle maniere elle fut prise sous Valérien par les Scythes, que nous connoissons sous le nom de Tartares, si l’histoire qui en parle n’avoit décrit l’état de la place. Zozime donc remarque, que c’étoit une grande ville, bien peuplée, fortifiée d’une double muraille : les peuples voisins s’y étoient refugiés avec leurs richesses comme dans un lieu où il n’y avoit rien à craindre. Outre la garnison ordinaire on y avoit fait entrer dix mille hommes de troupes ; mais ces soldats dormant sur leur bonne foi, & se croyant à couvert de tout, se laisserent surprendre la nuit par les Barbares, qui, ayant entassé des fascines contre la muraille, entrerent par ce moyen dans la place, tuerent une partie des troupes, renverserent les temples & les plus beaux édifices ; après quoi, chargés de richesses immenses, ils emmenerent un grand nombre de captifs.

Les empereurs grecs ont posséde Trébisonde à leur tour. Du tems de Jean Comnène, empereur de Constantinople, Constantin Gabras s’y étoit érigé en petit tyran. L’empereur vouloit l’en chasser ; mais l’envie qu’il avoit d’ôter Antioche aux Chrétiens, l’en détourna. Enfin Trébisonde fut la capitale d’une principauté dont les empereurs de Constantinople disposoient ; car Alexis Commène, surnommé le Grand, en prit possession en 1204, avec le titre de duc, lorsque les François & les Vénitiens se rendirent maîtres de Constantinople, sous Baudouin, comte de Flandre.

L’éloignement de Constantinople, & les nouvelles affaires qui survinrent aux Latins, favoriserent l’établissement de Comnène ; mais Nicétas observe qu’on ne lui donna que le nom de duc, & que ce fut Jean Comnène qui souffrit que les Grecs l’appellassent empereur de Trébisonde, comme s’ils eussent voulu faire connoître que c’étoit Comnène qui étoit leur véritable empereur ; puisque Michel Paléologue qui faisoit sa résidence à Constantinople, avoit quitté le rit grec pour suivre celui de Rome : il est certain que Vincent de Beauvais appelle simplement Alexis Comnène seigneur de Trébisonde.

Quoi qu’il en soit, la souveraineté de cette ville, si l’on ne veut pas se servir du nom d’empire, commença en 1204, sous Alexis Comnène, & finit en 1461, lorsque Mahomet II. depouilla David Comnène. Ce malheureux prince avoit épousé Irène, fille de l’empereur Jean Cantacuzène : mais il implora fort inutilement le secours des Chrétiens pour sauver les débris de son empire ; il fallut céder au conquérant, qui le fit passer à Constantinople avec toute sa famille, qui fut massacrée quelque tems après : ainsi finit l’empire de Trébisonde, après avoir duré plus de deux siecles & demi.

Les murailles de Trébisonde sont presque quarrées, hautes, crenelées ; & quoiqu’elles ne soient pas des premiers tems, il y a beaucoup d’apparence qu’elles sont élevées sur les fondemens de l’ancienne enceinte, laquelle avoit fait donner le nom de Trapèse à cette ville. Tout le monde sait que trapèse en grec signifie une table, & que le plan de cette ville est un quarré long, assez semblable à une table. Les murailles ne sont pas les mêmes que celles qui sont décrites par Zozime : celles d’aujourd’hui ont été bâties des débris des anciens édifices, comme il paroit par les vieux marbres qu’on y a enclavés en plusieurs endroits, & dont les inscriptions ne sont pas lisibles parce qu’elles sont trop hautes.

La ville est grande & mal peuplée ; on y voit plus de bois & de jardins que de maisons ; & ces maisons n’ont qu’un simple étage. Le château, qui est fort négligé, est situé sur un rocher plat & dominé ; mais les fossés en sont taillés la plûpart dans le roc. L’inscription que l’on lit sur la porte de ce château, dont le centre est un demi-cercle, marque que l’empereur Justinien renouvella les édifices de la ville. Il est surprenant que Procope n’en ait pas fait mention, lui qui a employé trois livres entiers à décrire jusqu’aux moindres bâtimens que ce prince avoit fait élever dans tous les coins de son empire : cet historien nous apprend seulement que Justinien fit bâtir un aqueduc à Trébisonde, sous le nom de l’aqueduc de saint Eugene le martyr.

Le port de Trébisonde appellé Platane, est à l’est de la ville : l’empereur Adrien le fit réparer, comme nous l’apprenons par Arrien. Il paroît par les médailles de la ville, que le port y avoit attiré un grand commerce. Goltzius en rapporte deux à la tête d’Apollon. On sait que ce dieu étoit adoré en Cappadoce, dont Trébisonde n’étoit pas la moindre ville. Sur le revers d’une de ces médailles est une ancre, & sur le revers de l’autre la proue d’un navire. Ce port n’est bon présentement que pour des saïques ; le mole que les Génois y avoient fait bâtir, est presque détruit, & les Turcs ne s’embarrassent guere de réparer ces sortes d’ouvrages ; peut-être que ce qui en reste est le débris du port d’Adrien, car de la maniere qu’Arrien s’explique, cet empereur y avoit fait faire une jettée considérable pour y mettre à couvert les navires, qui auparavant n’y pouvoient mouiller que dans certains tems de l’année, & encore étoit-ce sur le sable.

Trébisonde jouit aujourd’ui du vain titre d’archevêché. Long. suivant le pere de Beze, 62d. 49′. 15″. latit. 41d. 4′.

George de Trébisonde & le cardinal Bessarion, sont sortis de cette ville de l’Anatolie ; on convient pourtant que George n’étoit qu’originaire de Trébisonde, & qu’il étoit né en Candie. Quoi qu’il en soit, il vivoit dans le quinzieme siecle, & mourut en 1480, sous le pontificat de Nicolas V. de qui il fut secrétaire. Il avoit auparavant enseigné la rhétorique & la philosophie dans Rome du tems du pape Eugene IV. mais son entêtement pour Aristote lui attira de grosses querelles avec Bessarion, qui ne juroit que par Platon.

Il est vrai que Bessarion quitta bien-tôt les disputes de l’école pour se tourner aux légations. Il devint patriarche de Constantinople, archevêque de Nicée, cardinal, & presque pape. Il aima les savans, & forma une très-belle bibliotheque qu’il laissa par son testament au sénat de Venise. Puisqu’on la conserve avec tant de soin qu’on n’en veut communiquer les manuscrits à personne, il faut regarder ce beau recueil comme un trésor enfoui & inutile à la république des lettres. Bessarion mourut à Ravenne en 1462, après une fort mauvaise réception que lui fit Louis XI. parce qu’il avoit rendu visite au duc de Bourgogne avant lui.

Amyrutzes, philosophe péripatéticien, vit aussi le jour à Trébisonde : il s’acquit une grande considération à la cour de l’empereur David son maître, & signala sa plume en faveur des Grecs contre les décisions du concile de Florence ; mais il ternit sa gloire par l’apostasie où il tomba. Il fut un de ceux qui accompagnerent l’empereur David à Constantinople, lorsque Mahomet II. l’y fit transporter après la prise de Trébisonde, en l’année 1461. Ce philosophe, se laissant gagner aux promesses du sultan, abjura le christianisme, & se fit turc avec ses enfans, l’un desquels, sous le nom de Mehemet-Beg, traduisit en arabe plusieurs livres des Chrétiens par ordre de Mahomet II. Ce prince donna des emplois considérables dans le serrail à Amyrutzes, & s’entretenoit quelquefois sur les sciences, & sur des matieres de religion avec lui, ou avec Mehemet-Beg. Amyrutzes a publié la relation du concile de Florence ; il assure dans un ouvrage que le patriarche de Constantinople fut étranglé pendant la tenue de ce concile, & que les médecins attesterent ce fait sur l’examen du cadavre. Tantùm religio. . . . . (D. J.)