L’Encyclopédie/1re édition/TROPHONIUS
TROPHONIUS, (Mythol.) fils d’Erginus roi des Orchoméniens, est bien célebre dans l’histoire par son oracle en Béotie, lequel se rendoit avec plus de cérémonies que ceux d’aucun dieu, & qui subsista même assez longtems après que tous ceux de la Grece eurent cessé. Voyez donc Oracle de Trophonius.
Trophonius, bois sacré de, (Géog. anc.) le bois sacré de Trophonius étoit dans la Béotie, à une petite distance de la ville de Lébadée. On disoit, selon Pausanias, l. IX. c. xxxix. qu’un jour Hercine jouant en ce lieu avec la fille de Cérès, laissa échapper une oie qui faisoit tout son amusement ; Proserpine ayant couru après, attrapa cette oie qui s’étoit allé cacher dans un antre sous une grosse pierre, de dessous laquelle on vit aussi-tôt couler une source d’eau, d’où se forma un fleuve qui, à cause de cette avanture, eut aussi nom Hercine. On voyoit encore du tems de Pausanias, sur le bord de ce fleuve, un temple dédié à Hercine, & dans ce temple la statue d’une jeune fille, qui tenoit une oie avec ses deux mains. L’antre où ce fleuve avoit sa source, étoit orné de deux statues qui étoient debout, & qui tenoient une espece de sceptre, avec des serpens entortillés à l’entour, de sorte qu’on les auroit pris pour Esculape & Hygéia. Mais peut-être que c’étoit Trophonius & Hercine, car les serpens ne sont pas moins consacrés à Trophonius qu’à Esculape. On voyoit aussi sur le bord du fleuve le tombeau d’Arcésilas, dont on disoit que les cendres avoient été apportées de Troie par Léitus.
Dans le bois sacré de Trophonius voici ce qu’il y avoit de plus curieux à voir ; premierement le temple de Trophonius, avec sa statue qui étoit de Praxitele. Cette statue, aussi-bien que la premiere dont il a été parlé, ressembloit à celle d’Esculape ; en second lieu, le temple de Cérès surnommée Europe, & une statue de Jupiter le pluvieux, qui étoit exposée aux injures du tems. En descendant, & sur le chemin qui conduisoit à l’oracle, on trouvoit deux temples ; l’un de Proserpine conservatrice, l’autre de Jupiter roi : ce dernier étoit demeuré imparfait, soit à cause de son excessive grandeur, soit à cause des guerres qui étoient survenues, & qui n’avoient pas permis de l’achever ; dans l’autre on voyoit un Saturne, un Jupiter & une Junon ; Apollon avoit aussi son temple dans ce bois.
Quant à l’oracle de Trophonius, on en trouvera l’article à-part, au mot Oracle. (D. J.)
Trophonius, oracle de, (Hist. des oracles.) oracle fameux dans la Béotie, lequel se rendoit avec plus de cérémonie que ceux d’aucun dieu, & subsista même assez long-tems après que tous ceux de la Grece eurent cessé.
Trophonius dont l’oracle portoit le nom, n’étoit cependant qu’un héros, & même suivant quelques auteurs, un brigand & un scélérat. Il étoit fils ainsi qu’Agamede, d’Erginus roi des Orchoméniens : ces deux freres devinrent de grands architectes. Ce furent eux qui bâtirent le temple d’Apollon à Delphes, & un édifice pour les trésors d’Hyriéus. En construisant ce dernier bâtiment, ils y avoient pratiqué un secret, dont eux seuls avoient connoissance : une pierre qu’ils savoient ôter & remettre sans qu’il y parût, leur donnoit moyen de voler chaque nuit l’argent d’Hyriéus, lequel le voyant diminuer sans qu’on eût ouvert les portes, s’avisa de tendre un piege au-tour des vases qui renfermoient son trésor, & Agamede y fut pris. Trophonius ne sachant comment le dégager, & craignant que s’il étoit mis le lendemain à la question, il ne découvrit le mystere, lui coupa la tête.
Sans entrer dans la critique de cette histoire, qui semble être une copie de celle qu’Hérodote raconte au long d’un roi d’Egypte, & de deux freres qui lui voloient son trésor par un semblable stratageme, je dois observer que Pausanias ne nous apprend rien de la vie de Trophonius, & qu’il dit seulement que la terre s’étant entr’ouverte sous ses piés, il fut englouti tout vivant dans cette fosse, que l’on nomma la fosse d’Agamede, & qui se voyoit dans un bois sacré de Lebadée, avec une colonne que l’on avoit élevée au-dessus.
Son tombeau demeura quelque tems dans l’oubli, lorsqu’une grande sécheresse affligeant la Béotie, on eut recours à l’oracle de Delphes ; mais Apollon qui vouloit reconnoitre le service que lui avoit rendu Trophonius en bâtissant son temple, répondit par sa Pythie que c’étoit à Trophonius qu’il falloit avoir recours, & l’aller chercher à Lébadée. Les députés s’y rendirent en effet, & en obtinrent une réponse qui indiqua les moyens de faire cesser la stérilité. Depuis ce tems on consacra à Trophonius le bois dans lequel il étoit enterré. & au milieu de ce bois on lui éleva un temple où il recevoit des sacrifices, & rendoit des oracles. Pausanias qui avoit été lui-même consulter l’oracle de Trophonius, nous en a laissé une description fort ample, dont voici l’abregé.
Lébadée, dit cet historien, est une ville de Béotie au-dessus de Delphes, & aussi ornée qu’il y en ait dans toute la Grece : le bois sacré de Trophonius n’en est que fort peu éloigné, & c’est dans ce bois qu’est le temple de Trophonius, avec sa statue de la main de Praxitele.
Lorsqu’on vient consulter son oracle, il faut pratiquer certaines cérémonies. Avant que de descendre dans l’antre où l’on reçoit la réponse, il faut passer quelques jours dans une chapelle dédiée au bon Génie & à la Fortune. Ce tems est employé à se purifier par l’abstinence de toutes les choses illicites, & à faire usage du bain froid, car les bains chauds sont défendus ; ainsi on ne peut se laver que dans l’eau du fleuve Hercine. On sacrifie à Trophonius & à toute sa famille, à Jupiter surnommé Roi, à Saturne, à une Cérès Europe, qu’on croyoit avoir été nourrice de Trophonius, & on ne vit que de chairs sacrifiées.
Il falloit encore consulter les entrailles de toutes les victimes, pour savoir si Trophonius trouvoit bon qu’on descendît dans son antre ; sur-tout celles du bélier, qu’on immoloit en dernier lieu. Si les auspices étoient favorables, on menoit le consultant la nuit au fleuve Hercine, où deux enfans de douze ou treize ans lui frottoient tout le corps d’huile. Ensuite on le conduisoit jusqu’à la source du fleuve, & on l’y faisoit boire de deux sortes d’eau ; celle de Léthé qui effaçoit de l’esprit toutes les pensées profanes, & celle de Mnémosyne qui avoit la vertu de faire retenir tout ce qu’on devoit voir dans l’antre sacré. Après tous ces préparatifs, on faisoit voir la statue de Trophonius, à qui il falloit adresser une priere : on étoit revétu d’une tunique de lin, ornée de bandelettes sacrées ; ensuite de quoi on étoit conduit à l’oracle.
Cet oracle étoit sur une montagne, dans une enceinte de pierres blanches, sur laquelle s’élevoient des obélisques d’airain. Dans cette enceinte étoit une caverne de la figure d’un four, taillée de main d’homme. Là s’ouvroit un trou assez étroit, où l’on ne descendoit point par des degrés, mais avec de petites échelles. Lorsqu’on y étoit descendu, on trouvoit encore une petite caverne, dont l’entrée étoit assez étroite : on se couchoit à terre ; on prenoit dans chaque main certaines compositions de miel, qu’il falloit nécessairement porter : on passoit les piés dans l’ouverture de cette seconde caverne, & aussi-tôt on se sentoit entraîné au-dedans avec beaucoup de force & de vîtesse.
C’étoit-là que l’avenir se déclaroit, mais non pas à tous de la même maniere ; les uns voyoient, les autres entendoient. On sortoit de l’antre couché à terre, comme on y étoit entré ; & les piés les premiers. Aussi-tôt on étoit mis dans la chaise de Mnémosyne, où l’on demandoit au consultant ce qu’il avoit vu ou entendu : de-là on le ramenoit, encore tout étourdi, dans la chapelle du bon génie, & on lui laissoit le tems de reprendre ses sens ; enfin il étoit obligé d’écrire sur un tableau, tout ce qu’il avoit vu ou entendu, ce que les prêtres apparemment interprétoient à leur maniere.
Ce pauvre malheureux ne pouvoit sortir de l’antre qu’après avoir été extrèmement effrayé ; aussi les anciens tiroient de la caverne de Trophonius, la comparaison d’une extrème frayeur, comme il paroît par plusieurs passages des Poetes, & entr’autres d’Aristophane. Ce qui augmentoit encore l’horreur de la caverne, c’est qu’il y avoit peine de mort pour ceux qui osoient interroger le dieu sans les préparatifs nécessaires.
Cependant Pausanias assure qu’il n’y avoit jamais eu qu’un homme qui fût entré dans l’antre de Trophonius, & qui n’en fût pas sorti. C’étoit un espion que Démétrius y avoit envoyé, pour voir s’il n’y avoit pas dans ce lieu saint quelque chose qui fût bon à piller. Son corps fut trouvé loin de-là, & il y a apparence que son dessein étant découvert, les prêtres le massacrerent dans l’antre même, & le firent sortir par quelque issue, par laquelle ils entroient eux-mêmes dans la caverne sans qu’on s’en apperçût. Pausanias ajoute à la fin : « ce que j’écris ici, n’est pas fondé sur un ouï-dire ; je rapporte ce que j’ai vu arriver aux autres, & ce qui m’est arrivé à moi-même ; car pour m’assurer de la vérité, j’ai voulu descendre dans l’antre, & consulter l’oracle ».
Il faut terminer ce récit par les réflexions dont M. de Fontenelle l’accompagne dans son Histoire des oracles. Quel loisir, dit-il, n’avoient pas les prêtres pendant tous ces différens sacrifices qu’ils faisoient faire, d’examiner si on étoit propre à être envoyé dans l’antre ? Car assurément Trophonius choisissoit ses gens, & ne recevoit pas tout le monde. Combien toutes ces ablutions, ces expiations, ces voyages nocturnes, & ces passages dans des cavernes étroites & obscures, remplissoient-elles l’esprit de superstition, de frayeur & de crainte ? Combien de machines pouvoient jouer dans ces ténebres ? L’histoire de l’espion de Démétrius nous apprend qu’il n’y avoit pas de sureté dans l’antre, pour ceux qui n’y apportoient pas de bonnes intentions ; & de plus qu’outre l’ouverture sacrée, qui étoit connue de tout le monde, l’antre en avoit une secrette qui n’étoit connue que des prêtres. Quand on s’y sentoit entraîné par les piés, on étoit sans doute tiré par des cordes, & on n’avoit garde de s’en appercevoir en y portant les mains, puisqu’elles étoient embarrassées de ces compositions de miel qu’il ne falloit pas lâcher. Ces cavernes pouvoient être pleines de parfums & d’odeurs qui troubloient le cerveau ; ces eaux de Léthé & de Mnémosyne pouvoient aussi être préparées pour le même effet. Je ne dis rien des spectacles & des bruits dont on pouvoit être épouvanté ; & quand on sortoit de-là tout hors de soi, on disoit ce qu’on avoit vu ou entendu à des gens qui profitant de ce désordre, le recueilloient comme il leur plaisoit, y changeoient ce qu’ils vouloient, ou enfin en étoient toujours les interpretes. (Le Chevalier de Jaucourt.)