L’Encyclopédie/1re édition/TULIPE

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TULIPE, s. f. (Hist. nat. Bot.) tulipa ; genre de plante à fleur liliacée, composée de six pétales disposés de façon qu’elle ressemble à un vase par sa forme. Le pistil occupe le milieu des pétales, & devient dans la suite un fruit oblong qui s’ouvre en trois parties, & qui est divisé en trois loges. Ce fruit renferme deux rangées de semences plates, & placées les unes sur les autres. Ajoutez aux caracteres de ce genre, que la racine est composée de plusieurs tuniques, & qu’elle est fibreuse à sa partie inférieure. Tournefort. I. R. H. Voyez Plante.

Personne n’ignore que le nom de tulipe se donne également à la plante & à sa fleur ; mais les Botanistes, laissant aux curieux le plaisir de cultiver la fleur, s’attachent à caractériser la plante entiere, & ils ont bien su le faire d’une maniere aussi nette que solide.

La tulipe, disent-ils, est un genre de plante bulbeuse, qui pousse une seule tige à la hauteur d’environ un pié, ronde, moëlleuse, accompagnée de deux ou trois feuilles longues, assez larges, épaisses, dures, ondoyées à leurs bords, terminées en pointe. Cette tige porte en son sommet une seule fleur, grande, belle, à six pétales, peu évasés, formant souvent un ventre plus large que l’ouverture, ornée de couleurs magnifiques, jaune, ou blanche, ou purpurine, ou rouge, ou variée. Lorsque cette fleur est passée il paroit un fruit oblong & triangulaire, divisé en trois loges, remplies de semences orbiculaires, rougeâtres, fort applaties. La racine de la tulipe est une grosse bulbe jaunâtre ou noirâtre, composée de plusieurs tuniques qui s’emboîtent les unes dans les autres, & cette bulbe est garnie de fibres en sa partie inférieure.

On voit clairement par cette description les caracteres de la tulipe ; sa fleur est en forme de lis exapétale, en godet, nue, seule au sommet de la tige, droite, garnie de six étamines ; elle embrasse l’ovaire qui dégénere en un fruit oblong, chargé de semences applaties, couchées les unes sur les autres, formant un double rang ; ce fruit est garni d’un tube sensiblement velu ; la tige de la plante est environnée de feuilles larges ; sa racine est bulbeuse, & revêtue d’une tunique ; sa partie fibreuse se divise en filets.

Ce genre de plante est des plus étendus en especes. Tournefort en compte quatre-vingt-treize, qui produisent tous les jours quelques nouvelles variétés de couleur. Gesner a décrit la premiere tulipe qui fut apportée de Constantinople en Europe en 1590. Aussi le nom tulipe paroit turc. Ménage dit que cette plante s’appelle en Turquie tulibent, à cause de la ressemblance qu’elle a avec la figure du tulbent, que nous appellons ici turban ; mais une remarque plus curieuse, c’est qu’on observe dans le mois d’Octobre au fond de l’oignon des tulipes, une tulipe entiere ; sur la tige de cette tulipe qui n’a pas encore trois lignes de haut, on découvre déjà la fleur qui ne doit paroître que dans le mois d’Avril suivant : on compte les six pétales de cette fleur, les étamines, les sommets, le pistil ou le jeune fruit, les capsules, & les semences qu’elles renferment. Qui ne croiroit après tout cela, que toutes ces parties étoient renfermées dans un espace encore plus petit, qui n’a pû se rendre visible qu’à mesure que le suc nourricier en a dilaté les moindres parties ? (D. J.)

Tulipe, (Jardin des Fleuristes.) les curieux ne considerent la tulipe que comme fleur, & disent qu’il ne lui manque qu’une odeur agréable pour en faire la plus belle fleur du monde, qui en déployant ses variétés infinies, efface toutes les autres depuis le mois de Mars jusqu’à la fin de Mai.

Les caracteres des bonnes tulipes consistent selon les Fleuristes, dans leur nouveauté, la beauté de leurs couleurs, la force & la hauteur de leur tige, la forme de leur fleur qui doit être ovoïde, sans finir en pointe ; une belle tulipe doit donc avoir :

1°. Une forte tige, qui ne soit ni trop haute ni trop basse ; la portée ordinaire du plus grand nombre des belles tulipes regle la taille de sa tige, elle doit être assez forte dans sa hauteur, & cependant n’être pas trop grosse.

2°. La fleur doit être composée de six pétales, trois dedans & trois dehors ; les pétales de dedans doivent être plus larges que ceux de dehors, autrement ce seroit un défaut.

3°. Le fond de la fleur doit être proportionné au sommet, & les bords des pétales doivent être arrondis & non pointus.

4°. On n’estime point la tulipe dont la forme est belle en entrant en fleur, mais qui deux ou trois jours après s’alonge & se gâte.

5°. On dédaigne celles qui étant fleuries renversent leurs feuilles par-dedans ou par-dehors, qui se gaudronnent ou confinent.

6°. Le pétale de la fleur doit être épais & étoffé pour durer long-tems en fleur ; une tulipe qui dure peu n’est point considérée, quelque beauté qu’elle ait ; & les tulipes dont les pétales sont minces, grillent par l’ardeur du soleil avant que d’être fleuries.

7°. Quoique toutes les tulipes aient du dos, celles qui en ont le moins sont le plus estimées.

8°. Les couleurs bisarres passent pour les plus belles ; les plus nuancées font les plus beaux panaches. Plus leurs couleurs s’éloignent du rouge, plus elles sont à priser, parce que les fleurs font de plus beaux effets, avec cette exception néanmoins que les rouges à fond blanc ont leur mérite. Parmi les rouges, les couleurs de feu & de grenade sont les plus belles. Les sortes bisarres à fond tout blanc, & les grises à fond tout jaune sont fort recherchées. Plus le coloris est satiné, plus il est estimé ; s’il est terne, c’est un très grand défaut. Les tulipes qui étant fleuries ne conservent point leurs belles couleurs pendant dix ou douze jours, ne doivent guere être prisées ; celles qui les gardent jusqu’à la fin de la fleur le sont beaucoup.

9°. Les plus petits fonds sont les meilleurs pour faire de beaux panaches. Les fonds qui panachent le mieux sont d’une même couleur, tant dedans que dehors. Il faut bien comprendre cette regle ; c’est tout le fin de la connoissance pour le jugement le moins incertain de ce que doivent faire les couleurs.

Le dehors du fond sont les plaques cerclées ou étoilées, qui sont au-bas des feuilles dans le vase ; le dedans du fond, c’est l’épaisseur même du bas des feuilles qui est couverte par la plûpart, de sorte que si les plaques sont blanches, & qu’en les levant avec l’ongle, ce dedans qu’elles couvrent soit jaune, ce jaune en montant dans le panache, s’éteint en passant par le blanc de la plaque.

10. Les étamines doivent être brunes & non pas jaunes, mais il importe peu de quelle couleur sont les pivots.

On divise généralement les tulipes en deux classes, prises du tems qu’elles fleurissent. La premiere classe est composée des tulipes printanieres, & la seconde des tulipes tardives. Il se trouve d’autres tulipes qu’on appelle méridionales, parce qu’elles fleurissent entre les printanieres & les tardives, mais il n’est pas besoin d’en faire une classe séparée.

Les tulipes printanieres ne sont ni si belles, ni si hautes, ni aussi diversifiées que les tardives, car les fleuristes qui les élevent d’oignons de Flandre & de Hollande, les bornent à quarante & une, qui sont connues chacune par un nom du pays.

La classe des tulipes tardives est si nombreuse, qu’il n’est pas possible d’en faire une liste ; il s’en trouve de si diversement colorées, qu’il est impossible aux Peintres d’en imiter la variété ; & quoique leur couleur, comme couleur, soit des moindres en beauté, néanmoins ce sont les plus estimées, comme seules capables de se changer en mieux, & comme les meilleures pour cueillir les graines.

On distingue aussi diverses sortes de tulipes panachées, auxquelles on a donné les noms de paltodi, morillon, agathe, marquetrine, &c. cette derniere emporte le prix sur les autres, sur-tout quand ses panaches détachés sans aucune diminution, naissent en leurs couleurs, & sont arrêtés par un petit bord, comme un filet de soie.

Il se trouve aussi des tulipes jaspées, c’est-à-dire dont les diverses couleurs sont mélangées ensemble, comme dans le jaspe. Il se voit des tulipes que l’on peut dire doubles, parce qu’elles portent jusqu’à plus de vingt petales. Il s’en voit qui ont les pétales de la fleur de deux couleurs. Les parangonées sont celles qui reviennent tous les ans nettement panachées.

Les tulipes panachées doivent avoir les mêmes qualités que les simples couleurs, quant au verd, à la tige, à la forme, & au fond. Le premier panache est celui qui vient par grands traits, de différentes figures, bien coupées, & séparées de leurs couleurs, & qui ne prend point de fond. Le second est le panache qu’on nomme à yeux, qui est par de grandes pieces emportées nettement & qui ne vient point du fond. Le troisieme est celui qui vient en grande broderie bien détachée de ses couleurs, & qui ne prend point du fond. Il est parfaitement beau quand il vient sur des bisarres bien nuancés. Le quatrieme est celui de petite broderie ; quand il est net & qu’il perce bien ses couleurs, il est agréable ; mais il ne l’est que sur les bisarres qui ont plusieurs nuances, quand il vient sur les autres couleurs il ressemble trop au drap d’or ou au drap d’argent. Les autres panachées, dont le panache prend du fond, ne laissent pas d’être quelquefois assez belles, quand elles sont bien nettes, & partagées de leurs couleurs. Toutes les panachées qui sont également partagées & entrecoupées de panaches & de couleurs sont les plus agréables, chacune en son espece.

Je n’entrerai point dans la culture des tulipes, ce détail me meneroit trop loin, & d’ailleurs il a été épuisé par Miller dans son Dictionaire du jardinage, & par Morin dans son livre de la culture des fleurs, imprimés à la fin des ouvrages de la Quintinie. Je ne parle point des traités publiés en flamand & en hollandois, les deux peuples du monde les plus curieux en ce genre.

On sait en particulier avec quel amour les Hollandois ont autrefois cultivé les tulipes, avant leur goût pour les œillets & les oreilles d’ours. Dans l’année 1634, & les cinq suivantes, on vit en Hollande, & particuliérement à Harlem, un trafic de tulipes si singulier, qu’il ressembloit assez à celui qu’eurent les actions en 1719 & en 1720. On fit monter le prix de ces fleurs à des sommes si exorbitantes, que s’il n’en restoit des monumens indubitables, la postérité auroit peine à croire une pareille extravagance. Plusieurs bourgeois quitterent leur boutique & leur commerce pour la culture des tulipes. Munting nous a laissé les détails d’un marché fait par un particulier pour une seule tulipe nommée le vice-roi ; l’acheteur n’ayant point d’argent, donna pour cette rare tulipe deux lasts de froment (trente-six septiers mesure de Paris), quatre lasts de riz, quatre bœufs gras, douze brebis grasses, huit cochons engraissés, deux muids de vin, quatre tonneaux de bierre, deux tonneaux de beurre, mille livres pesant de fromage, un lit, des habits, & une grande tasse d’argent, le tout estimé à deux mille cinq cens florins, c’est-à-dire à plus de cinq mille livres de notre monnoie.

Dans le même tems, un autre particulier offrit 12 arpens de bonnes terres pour un oignon de tulipe, qu’on ne voulut pas lui céder. On fit dans une vente publique neuf mille florins d’une collection de tulipes d’un fleuriste Un habitant de Bruxelles avoit un petit jardin, dans lequel, par une vertu singuliere (apparemment celle de gravats bien pilés) les tulipes simples se changeoient en belles tulipes panachées ; on apporta à cet homme des racines de toutes parts en pension à un très-haut prix, pour être élevées chez lui. Enfin la folie des tulipes fut si grande, que les Etats-généraux prirent cette affaire en considération, & ayant trouvé qu’elle étoit également nuisible aux particuliers & au commerce en général, ils arrêterent cette folie par des lois expresses des plus sérieuses. (Le Chevalier de Jaucourt.)