L’Encyclopédie/1re édition/UTRECHT

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UTRECHT, (Géog. mod.) ville des Pays-bas, capitale de la province de même nom, sur l’ancien canal du Rhin, au centre, entre Nimegue, Arnheim, Leyde, & Amsterdam. Elle est à environ huit lieues de distance de chacune de ces villes, & à douze lieues nord-ouest de Bois-le-duc.

On croit qu’elle a été bâtie par les Romains, qui la nommerent Trajectum, parce qu’on y passoit le Rhin. De l’ancien nom Trajectum, on a fait Trecht, & on la nommoit encore ainsi sur la fin du treizieme siecle, comme on le voit par l’historien Froissart. Pour distinguer néanmoins cette ville de celle de Maestricht, nommée Trajectum superius, on appella l’autre Trajectum Rheni, Trajectum inferius, & ulterius Trajectum ; comme on le voit par la chronique de Saint-Tron. Enfin de ulterius Trajectum, on a fait Ultrajectum, d’où est venu le mot Utrecht. Longitude, suivant Harris, 22. 26. 15. latit. 52. 50.

Après la ruine de l’empire romain, cette place qui n’étoit alors qu’un château (castellum), fut tantôt occupée par les Francs, & tantôt par les Frisons. Sur la fin du septieme siecle, Pepin, maire du palais, s’empara d’Utrecht, & y établit pour évêque S. Willibrod. Au commencement du neuvieme siecle, cet évêché fut mis sous la métropole de Cologne, & a subsisté de cette maniere jusqu’au seizieme siecle.

La ville d’Utrecht avoit d’abord été bâtie sur le bord septentrional du Rhin, du côté de la Frise ; mais le nombre des habitans s’étant augmenté, on bâtit la nouvelle ville sur le bord meridional du Rhin, dans l’ile & le territoire des Bataves. La puissance de ses évêques s’accrut aussi par la libéralité des empereurs. En 1559, le pape Paul IV. érigea cet évêché en métropole, & lui donna pour suffragant les nouveaux évêchés de Harlem en Hollande, de Middelbourg en Zélande, de Leuwarde en Frise, de Déventer dans l’Over-Issel, & de Groningue dans la province de même nom. Le premier archevêque fut Frédéric Skenk de Tautenberg, président de la chambre impériale de Spire en 1561. Après sa mort, arrivée en 1580, les états généraux appliquerent à divers usages les revenu, de cet archevêché qui se trouvoient dans l’étendue de la généralité.

La ville d’Utrecht s’est extrémement agrandie, embellie, & peuplée, depuis la réformation, ensorte qu’on peut la mettre actuellement au rang des belles villes de l’Europe ; elle est de figure ovale, & peut avoir cinq milles de circuit ; elle a quatre gros faux-bourgs, & quatre paroisses ; mais elle n’est pas forte, quoique munie de quelques bastions & demi-lunes pour sa défense ; ses environs sont charmans, & le long du canal qui mene de cette ville à Amsterdam, on ne voit qu’une suite de belles maisons de plaisance, & de jardins admirablement entretenus.

La magistrature de cette ville est composée d’un grand bailli, de deux bourgmestres, de douze échevins, d’un trésorier, d’un intendant des édifices, d’un président, de trois commissaires des finances, & d’un sénateur ; cette magistrature est renouvellée tous les ans le 12 d’Octobre, & tient ses assemblées à la maison de ville, qui est un bel hôtel.

Utrecht est remarquable par le traité d’union des Provinces Unies, qui s’y fit en 1579 ; par le congrès qui s’y tint en 1712, & dans lequel la paix de l’Europe fut conclue, le 11 d’Avril 1713, le 13 de Juillet suivant, & le 16 de Juin 1714 ; enfin par son université, l’une des plus célebres de l’Europe. Les états de la province l’érigerent le 16 de Mars 1636 ; & elle a produit un grand nombre d’hommes illustres dans les sciences.

Hadrien VI. nommé auparavant Hadrien Florent, naquit à Utrecht l’an 1459, ou d’un tisserand, ou d’un brasseur de biere, ou d’un faiseur de barques, qui s’appelloit Florent Boyens. Ce pere destina son fils aux études, quoiqu’il n’eût pas le moyen de l’entretenir dans les écoles ; mais l’université de Louvain suppléa à cette indigence domestique ; elle donna gratis à Florent le bonnet de docteur en théologie, l’an 1491, & dans la suite il devint vice-chancelier de l’université.

En 1507, on le tira de cette vie collégiale pour le faire précepteur de l’archiduc Charles, alors âgé de sept ans ; cette place lui valut des recompenses magnifiques, car il fut envoyé ambassadeur en Espagne auprès du roi Ferdinand ; & selon quelques historiens, il ménagea les choses avec plus d’adresse que l’on n’en devoit attendre d’un homme qui avoit humé si long-tems l’air de l’université. Après la mort de Ferdinand il eut une petite part à la régence avec le cardinal Ximenes ; & dans la suite son autorité devint plus grande que celle de ce fameux ministre. L’archiduc Charles partant pour l’Allemagne, lui donna le gouvernement de ses royaumes d’Espagne, en lui associant pour collegues le connétable & l’amirante d’Espagne. Léon X. le nomma cardinal en 1517, & Charles-quint eut le crédit de l’élever à la papauté l’an 1622, après la mort de Léon X.

Le sacré college lui-même en fut surpris, & le peuple de Rome ne goûta point l’élection d’un barbare, qui témoignoit en toutes choses un éloignement du faste & des voluptés contre lequel la prescription étoit déja surannée. Les Italiens disoient publiquement que ce n’étoit qu’un tartufe incapable de gouverner l’Eglise. Il n’est pas jusqu’à sa sobriété dont on n’ait fait des railleries. La cour de Rome passa sous son pontificat d’une extrémité à l’autre. On sait qu’il n’y eut jamais de pape dont la table fut aussi délicate que celle de Léon X. On s’insinuoit dans ses bonnes graces par l’invention des ragoûts, & il y eut quatre grands maîtres en bon morceaux qui devinrent ses mignons ; ils inventerent une sorte de saucisse qui jetta dans l’étonnement Hadrien VI. lorsqu’il examina la dépense de son prédécesseur en ce genre. Il se garda bien de l’imiter, & prit tellement le contrepié, qu’il ne dépensoit que douze écus par jour pour sa table. On ne se mocqua pas moins de la préférence qu’il donnoit à la biere sur le vin, que de celle qu’il donnoit à la merluche sur tous les autres poissons.

Une autre chose le décria chez les Italiens, c’est qu’il n’estimoit ni la poésie, ni la beauté du style ; deux talens dont on se piquoit le plus dans ce pays-là depuis cinquante ans. La fable dont les poëtes embellissoient leurs ouvrages, ne contribua pas peu à la froideur que ce pape leur témoigna, car il n’entendoit point raillerie là-dessus. Il détourna les yeux lorsqu’on lui montra la statue de Laocoon, & dit que c’étoit un simulacre de l’idolatrie du paganisme. Jugez si les amateurs des beaux arts, si les Italiens qui admiroient ce chef-d’œuvre de sculpture, pouvoient concevoir de l’estime pour un tel homme. Les poëtes lui prouverent qu’on n’avoit pas dit sans raison, genus irritabile vatûm. Voici une épigramme dont Sannazar le régala.

Classe, virisque potens, domitoque oriente superbus
Barbarus in latias dux quatit arma domos,
In vaticano noster latet ; hune tamen alto,
Christe, vides cælo (proh dolor !) & pateris.

Tous les savans de son tems se promettoient de l’avancement à son avènement au pontificat, à cause qu’il devoit aux lettres son exaltation, & ce qu’il avoit de bonne fortune ; mais ils demeurerent confondus en voyant qu’il étoit plein de mauvaise volonté contre ceux qui se plaisoient à la belle littérature, les appellant Terentianos, & les traitant de telle sorte qu’on croit qu’il eût rendu les lettres tout-à-fait barbares, s’il ne fût mort dans la deuxieme année de sa suprème dignité. Valérianus dit gentiment, qu’il usoit de ce mauvais traitement contre les plus beaux esprits de son siecle, avec le même goût dont il préféroit la merluche de ses Pays-bas, aux meilleurs poissons qui se mangeassent en Italie.

Autre sujet de haine, c’est qu’il ne dissimula point les abus introduits dans l’Eglise, & qu’il les reconnut publiquement dans son instruction au nonce qui devoit parler de sa part à la diete de Nuremberg. Il y déplora la mauvaise vie du clergé, & la corruption des mœurs qui avoit paru dans la personne de quelques papes. Quand il canonisa Antonin & Bennon, non-seulement il retrancha les dépenses ordinaires dans ces sortes de cérémonies, mais il les défendit comme contraires à la sainteté de l’Eglise. Ses successeurs n’ont pas été de son sentiment, ils ont toléré dans les canonisations la pompe mondaine jusqu’à des excès qui ont choqué le menu peuple.

L’histoire nous apprend, pour en citer un exemple, que tout le monde fut scandalisé dans Paris, l’an 1622, de la magnificence avec laquelle les carmes déchaussés y célébrerent la canonisation de sainte Thérese. Voyez le petit livre qui parut alors, & qui est intitulé le caquet de l’accouchée. « Pour moi, (dit dans ce livre la femme d’un avocat du grand conseil) j’eusse été d’avis de mettre toutes ces superfluités à la décoration de l’église de ces moines ; à tout le moins cela leur fût demeuré, & les eût-on estimé davantage ; sans faire évaporer tant de richesses en fumée, cela eût allumé le feu de dévotion dans le cœur de ceux qui les eussent visités ».

On peut dire qu’à tous égards, Hadrien eut très peu de satisfaction de la couronne papale ; elle étoit pour lui très-pesante, & il connoissoit trop mal le génie des Italiens, pour ne leur pas déplaire en mille choses. Les nouvelles qu’il apprenoit tous les jours des progrès des Ottomans, & son peu d’expérience dans les affaires, le chagrinerent au point de s’écrier qu’il avoit eu plus de plaisir à gouverner le college de Louvain, que toute l’égsise chrétienne. L’ambassadeur de Ferdinand lui ayant demandé audience, commença ainsi sa harangue : Fabius maximus, sanctissime pater, rem romanam cunctando restituit, tu verò pariter cunctando, rem romanam, simulque europam perdere contendis. Ce début déconcerta le pontife, & les cardinaux qui ne l’aimoient pas penserent éclater de rire. Il mourut le 14 de Septembre 1523. Sa vie a été amplement décrite par Moringus, théologien de Louvain.

Hadrien a mis au jour, avant son exaltation, quelques ouvrages, entr’autres un commentaire sur le maitre des sentences. Il soutenoit dans ce commentaire que le pape peut errer même dans les choses qui appartiennent à la foi, & l’on prétend qu’il ne changea point d’opinion quand il fut assis sur la chaire de S. Pierre (comme fit Pie II.) car il laissa subsister cet endroit de son livre, dans l’édition qui s’en fit à Rome durant son pontificat.

Henri V. est mort à Utrecht en 1125, à 44 ans, sans laisser de postérité. Voici le précis de sa vie par M. de Voltaire. Après avoir détrôné & exhumé son pere, en tenant une bulle du pape à la main, il soutint dès qu’il fut empereur, les mêmes droits de Henri IV. contre l’Eglise. Réuni d’intérêt avec les princes de l’empire, il marche à Rome à la tête d’une armée, fait prisonnier le pape Paschal II. & l’oblige de lui rendre les investitures, avec serment sur l’évangile de les lui maintenir. Paschal étant libre, fait annuller son serment par les cardinaux ; nouvelle maniere de manquer à sa parole. Henri se propose d’en tirer vengeance ; il est excommunié ; les Saxons se soulevent contre lui, & taillent ses troupes en pieces près de la forêt de Guelphe. Enfin craignant de périr aussi misérable que son pere, & le méritant bien davantage, il s’accommode en 1523, avec le pape Calixte II. & lui cede ses prétentions. Cet accommodement consistoit en ce que l’empereur consentit à ne plus donner l’investiture que par le sceptre, c’est-à-dire par la puissance royale, au-lieu qu’auparavant il la donnoit par la crosse & par l’anneau.

Ayant terminé à son préjudice cette longue querelle avec les pontifes de Rome, il entre en Champagne, pour se venger d’un affront qu’il prétendoit y avoir reçu dans un concile tenu à Rheims, où il avoit été excommunié à l’occasion des investitures. Le roi rassemble tous ses vassaux : tout marcha, jusqu’aux ecclésiastiques ; & Suger, abbé de saint-Denis, s’y trouva avec les sujets-de cette abbaye ; l’armée étoit de plus de deux cens mille hommes ; l’empereur n’ose pas se commettre contre de si grandes forces ; il se retire à la hâte, & se rend à Utrecht, où il finit ses jours, détesté de tout le monde, accablé des remords de sa conscience, & rongé d’un ulcère gangréneux qu’il avoit au bras droit.

Je me hâte de passer aux savans nés à Utrecht ; mais je dois me borner à faire un choix entre eux, dont M. Gaspard Burman a donné la vie dans son ouvrage intitulé : Trajectum eruditum, Traj. ad Rhenum, 1738. prem. édit. & 1750. in-4o. Cet ouvrage est plein de recherches, & personne n’ignore combien messieurs Burman, tous nés à Utrecht, brillent dans la littérature.

Heurnius (Jean & Otto), pere & fils, étoient deux savans médecins du seizieme siecle. Jean naquit à Utrecht en 1543, & mourut de la pierre en 1601, âgé de cinquante-huit ans. Il étudia à Louvain, à Paris, à Padoue, à Pavie, & revint dans sa patrie après une absence de douze années. Lorsque l’université de Leyde eut été fondée en 1581, Heurnius y fut appelle pour remplir une chaire de médecine ; & c’est dans ce poste qu’il a passé les vingt dernieres années de sa vie, avec beaucoup de réputation.

Un historien hollandois rapporte une anecdote curieuse sur son esprit dans la pratique de la médecine. Il s’agissoit de la princesse Emilie, qui épousa dom Emanuel de Portugal, fils du roi Antoine de Portugal, dépossedé par Philippe II. roi d’Espagne. Ce prince Emanuel, qui étoit catholique, gagna l’esprit d’Emilie de Nassau, par ses cajolleries & par sa gentillesse ; elle le prit pour mari, tout pauvre qu’il étoit, & de religion contraire ; & quoique le prince Maurice son frere s’opposât fortement à ce mariage, qu’il ne croyoit pas avantageux ni à l’un ni à l’autre.

Après l’avoir fait, la princesse tomba malade, refusant de prendre aucune nourriture, de-sorte qu’on craignit qu’elle ne se laissât mourir de faim. Les états généraux appellerent Heurnius, pour veiller à la vie de la princesse. Il ne gagna d’abord rien sur son esprit ; mais comme il étoit doux, honnête & ingénieux, il tint à la princesse le discours suivant.

Je suis désesperé, madame, de votre état & du mien ; V. G. qui est pleine de bonté, pourroit me rendre un service, & s’en rendre à elle-même. En quoi ? lui dit-elle. Ce seroit, reprit-il, en suivant mes avis ; je souhaiterois que V. G. voulût prendre quelque chose pour se fortifier, & qu’elle se mît l’esprit en repos, pour rétablir sa santé. Hé quel avantage vous en reviendroit-il, repliqua la princesse ? Très-grand, madame, répondit l’adroit médecin ; c’est une opinion générale que l’amour est une espece de phrénesie incurable ; de-sorte que si V. G. goûtoit mon conseil, votre cure me mettroit en réputation ; bientôt tous les amoureux auroient recours à moi, & je guérirois la plûpart de ceux qui suivroient mes ordonnances. Je crois bien, mon bon docteur, que vous pourriez réussir sur plusieurs gens, lui répliqua la princesse ; mais personne ne peut guérir mon mal que le prince de Portugal, mon légitime époux, qu’on tient éloigné de moi contre tout droit, & par la plus grande tyrannie du monde, puisque je suis une personne libre, d’un âge mûr, & qui ne dépends de personne. J’ai choisi un époux qui ne déshonore point ma famille ; s’il a le malheur d’être privé de ce qui lui appartient, j’en suis contente, & je saurai me borner, jusqu’à ce qu’il plaise à Dieu d’en disposer autrement ; cependant voulant vous faire plaisir, je prendrai de la nourriture en attendant l’arrivée de mon frere, pour voir s’il en agira envers moi en frere, ou en tyran.

Il ne s’agit point ici de parler des suites de ce mariage d’amour, mais seulement des conseils d’Heurnius, qui réussirent effectivement à rétablir la princesse. Elle se retira à Genève l’an 1623, avec six filles qu’elle avoit, & l’année suivante elle y mourut de mélancholie. Voilà tout ce qu’en rapportent les auteurs ordinaires ; mais il faut lire l’historien hollandois, dont j’ai parlé, & qui est inconnu à ceux qui n’entendent pas la langue du pays. Cet historien est P. Bor, Ver volg van de Nederlantsche Oorlogen, l. XXXIV. fol. 22. & suiv.

Les œuvres médicinales de Jean Heurnius ont paru à Leyde en 1609, en deux volumes in-4o. à Amsterdam, en 1650, in-fol. & à Geneve, en 1657, in-fol. Il y a dans ce recueil une dissertation qui fait honneur à l’auteur ; elle regarde l’épreuve de l’eau pour ceux qui sont accusés de sortilége, & la décision de ce médecin fit abolir cette épreuve par la cour de Hollande.

Heurnius (Otto), fils de Jean, naquit à Utrecht en 1577. Il pratiqua la médecine avec honneur, & prit pour devise cito, tuto, jucunde, morbi curandi ; on doit guérir promptement, sûrement, & agréablement ; mais le tuto seul est une assez belle besogne. Heurnius le fils a mis au jour une histoire de la philosophie barbare, de barbaricâ philosophâ, libri duo. Leydæ 1600, in-12 ; cet ouvrage n’a pas eu l’approbation des connoisseurs ; il est rempli de choses communes ou étrangeres au sujet.

Leusden (Jean) naquit à Utrecht l’an 1624, & mourut en 1699, âgé de 75 ans. Il s’attacha particulierement à l’étude des langues orientales, & mit au jour un grand nombre d’ouvrages. Ses éditions de la Bible en hébreu, & du nouveau Testament en grec, sont estimées. Il a eu soin de l’édition du synopsis criticorum de Polus, faite à Utrecht ; il a partagé avec Villemandius la peine de l’édition des œuvres de Lightfoot ; sans parler du nouveau Testament syriaque imprimé à Leyde en 1708, en deux tomes in-4o. auquel il a travaillé conjointement avec Schaaf.

De Roy (Henri), en latin Regius, médecin & philosophe cartésien, naquit à Utrecht en 1598, & mourut en 1679. Il enseigna la nouvelle philosophie de Descartes, mais d’une maniere qui lui attira la haine des théologiens, & des partisans d’Aristote. Les curateurs de l’université furent obligés de se mêler de cette querelle, & eurent bien de la peine à l’appaiser. Regius eut encore des disputes avec Primerose & Silvius sur la circulation du sang qu’il admettoit ; cette question médicinale fut traitée de part & d’autre par des discours injurieux & outrageans ; aujourd’hui l’on rit des disputes élevées sur un fait aussi démontré.

Schoockius (Martin), littérateur, naquit à Utrecht en 1614, & mourut à Francfort-sur-l’Oder l’an 1665, âgé de 51 ans. Il a publié quantité de dissertations sur des sujets assez curieux ; par exemple, de naturâ soni ; de ovo & pullo ; de hellenistis ; de harengis ; de scepticismo ; de inundationibus ; de turfis, seù de cespitibus bituminosis ; de butyro ; de ciconiis ; de extasi ; de cerevisiâ ; de sternutatione ; de lino ; de tulippis, &c. Voyez le pere Niceron, mém. des homm. illustres, tom. XII. p. 364. 388.

Mais les Tollius freres (Corneille, Jacques & Alexandre), se sont acquis dans la littérature une réputation fort supérieure à celle de Schoockius.

Tollius (Corneille), mort en 1662, a donné quelques ouvrages, & entr’autres, I. palæphat. de incredibilibus cùm notis, Amsterdam, 1649, in-12. II. Joannis Cinnami de rebus gestis imperat. Constantinop. comnenorum histor. l. IV. Utrecht, 1652, in-4o. Tollius a été le premier qui ait publié cet auteur avec une version latine ; mais du Fresne en a donné une magnifique édition à Paris, 1670, in fol. de l’imprimerie royale.

Tollius (Jacques) mena une vie fort errante, tantôt en Hollande, tantôt en Allemagne, tantôt en Italie ; enfin il mourut très-pauvre dans sa patrie en 1696 ; voici ses ouvrages. I. Une édition d’Ausone, Gondæ, 1668 ; II. Fortuita, Amsterdam, 1687, in-8o. L’auteur se propose de faire voir dans ce livre, que presque toute la mythologie de l’antiquité, ne contient que des mysteres de la chimie ; rien n’est comparable à cette folie, & à son entêtement pour la pierre philosophale. III. En 1694, il publia à Utrecht son Longin. in-4o. Cette édition est très-belle & très bonne. Tollius s’est servi d’un exemplaire collationné sur un ms. de la bibliotheque du roi à Paris, & des leçons des trois mss. de la bibliotheque du Vatican. La version latine est entierement de lui. En 1710, M. Hudson donna à Oxford une nouvelle édition de Longin, in-8o. dans laquelle il a conservé la version de Tollius corrigée en quelques endroits. L’année suivante Lchurtzfleisch publia une nouvelle édition de Longin, Wittebergæ, 1711, in-4o. & cette derniere mérite la préférence pour les choses sur celle d’Angleterre, mais l’impression en est détestable.

En 1696, Jacques Tollius donna un ouvrage de Bacchini, traduit de l’italien, de sistris, eoiumque figuris, cum notis, Utrecht, in-4o. inséré dans le trésor d’antiquités romaines de Grævius, tome VI. La même année notre savant publia : insignia itinerarii Italici, quibus continentur antiquitates sacræ, Utrecht, 1696. Ce volume contient cinq anciennes pieces importantes, tirées des bibliotheques de Vienne & de Léipzig. Quatre ans après sa mort, M. Henninius a donné au public la relation des voyages de Tollius sous ce titre : Jacobi Tollii epistolæ itinerariæ, Amsterdam, 1700, in-4o. Il y a bien des choses curieuses dans ces lettres, sur-tout dans la cinquieme, qui contient la relation du voyage de Hongrie.

Tollius (Alexandre), mort en 1675, est connu par son édition d’Appien : Appiani Alexandrini roman. histor. Amsterdam 1670, in-8o. deux volumes. Cette édition d’Appien est belle, & d’un caractere fort net.

Utenbogaert (Jean), célebre théologien parmi les remonstrans, naquit à Utrecht en 1557, & mourut à la Haye en 1644, dans la 88e année de son âge. C’étoit un homme très-savant, dont l’esprit, la conduite & les manieres gagnerent d’abord le cœur de Maurice ; mais ce prince finit par le maltraiter sans aucun sujet légitime, ainsi qu’il paroît en ce que Louise de Coligni, & Fréderic Henri son fils, eurent toujours une estime singuliere pour Utenbogaert, étant bien convaincus que le prince d’Orange lui avoit fait tort.

Utenbogaert écrivoit en sa langue avec beaucoup de sagesse & de précision ; c’est ce qui se prouve par son histoire des contreverses d’alors, par sa vie, & par plusieurs autres écrits hollandois qu’il publia. S’il n’avoit pas l’étendue & la pénétration de génie d’Episcopius, il le surpassoit peut-être en netteté & en simplicité de style. Mais ils eurent toute leur vie une très-grande déférence l’un pour l’autre, & il n’y eut jamais aucune diminution dans leur amitié, parce que la vertu en serroit les nœuds.

Il nous reste diverses lettres françoises d’Utenbogaert à Louise de Coligni. Si on les compare avec des lettres écrites en ce même tems par nos françois, on les trouvera aussi-bien tournées, & peut-être mieux ; & pour les choses même, on verra qu’il n’y a rien que de sage, & qui ne convienne au caractere d’un homme de bien, prudent & retenu.

Il a publié un grand nombre d’ouvrages tous en hollandois : les deux principaux sont, son histoire ecclésiastique, depuis l’an 400, jusqu’en 1619, imprimée en 1646 & 1647, in-fol. & l’histoire de sa vie, qu’il acheva en sa 82e année, en 1638. Cet ouvrage a paru après sa mort, en 1645, in-4°. & a été réimprimé en 1646. L’article de ce savant théologien, si long-tems persécuté dans sa patrie, a été fait avec grand soin par M. de Chaufepié dans son dictionnaire historique, & c’est un article extrémement curieux.

Je finis cette courte liste par un homme de goût, écrivain poli, Van-Effen (Juste), né à Utrecht en 1684, & mort à Bois-le-Duc en 1735, étant alors inspecteur des magasins de l’état dans cette ville. Il cultiva de bonne heure la langue françoise, dans laquelle il a composé tous ses ouvrages, & qu’il écrit aussi-bien que peut le faire aucun étranger. Un esprit philosophique, des connoissances diversifiées, une assez grande vivacité d’imagination, & beaucoup de facilité, mirent M. Van-Effen en état de travailler avec distinction sur toutes sortes de matieres. Il a eu beaucoup de part au journal littéraire ; & comme il entendoit fort bien l’anglois, il a donné la traduction entiere du Mentor moderne. Son parallele d’Homere & de Chapelain, qui se trouve à la suite du chef d’œuvre de l’Inconnu, par M. de Saint-Hyacinthe, est un badinage heureux, & très-bon dans son genre ; mais le principal ouvrage de cet ingénieux écrivain, est son Misantrope, qu’il fit à l’imitation du spectateur anglois. Cet ouvrage est mêlé de prose & de vers, & l’on peut dire qu’en général, le jugement y domine partout. La meilleure édition est celle de la Haye, en 1726, en deux volumes in-8°. (Le Chevalier de Jaucourt.)

Utrecht, seigneurie d’, (Géog. mod.) province des Pays-bas, & l’une des sept qui composent la république des Provinces-Unies, entre lesquelles ellé a le cinquieme rang. Elle est bornée au nord par la Hollande & le Zuiderzée ; au midi par le Rhein, qui la sépare de l’île de Betau ; à l’orient par le Veluwe & la Gueldre ; à l’occident par la Hollande encore. Ce pays étoit autrefois si puissant, qu’il pouvoit mettre sur pié une armée de quarante mille hommes, & quoiqu’il fût continuellement attaqué par les Bataves, par les Frisons, & par les Gueldrois, qui l’environnent de tous côtés, il se défendit néanmoins vaillamment contre de si puissans ennemis.

On divise aujourd’hui la province d’Utrecht en quatre quartiers, qui sont le diocèse supérieur & inférieur, l’Emsland, & le Montfort-land. On y respire un air beaucoup plus sain qu’en Hollande, parce que le pays est beaucoup plus élevé, & moins marécageux.

Son gouvernement est semblable à celui de la province de Zélande. Il a néanmoins cela de particulier, que huit députés laïcs, représentant l’ordre du clergé, ont séance dans l’assemblée des états de la province avec les députés des nobles, & de villes d’Utrecht, d’Amerfort, de Wyck, de Rhenen, & de Mont-fort.

Ce sont les cinq anciens chapitres de la ville d’Utrecht, qui fournissent les députés représentans le clergé. Les deux autres ordres élisent leurs députés, & c’est pour cela qu’on les nomme élus.

En 1672 les François se rendirent maitres de toute la seigneurie d’Utrecht ; mais ils furent obligés l’année suivante, d’en abandonner la conquête. Les Etats-Généraux mécontens de la conduite de cette province, & de son aversion pour le prince d’Orange, l’exclurent du gouvernement de la république, de même que les provinces de Gueldres & d’Over-Issel ; cependant ces trois provinces furent réunies à la généralité le 29 de Janvier 1674, & cette réunion a subsisté jusqu’à ce jour. (D. J.)