L’Encyclopédie/1re édition/VALOGNE ou VALOGNES

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VALOGNE ou VALOGNES, (Géog. mod.) en latin moderne Valoniæ ; ville de France, dans la basse Normandie, au diocèse de Coutances, sur un petit ruisseau, à 3 lieues de la mer. Il y a un bailliage, une sénéchaussée, une maîtrise des eaux & forêts, une collégiale, & quelques couvens. Long. 16. 15. latit. 49. 27.

C’est au village de Valdésie, près de Valogne, qu’est né, au commencement du dernier siecle, Jean de Launoi, en latin Launoius, prêtre & célebre docteur en Théologie dans l’université de Paris, savant d’un ordre supérieur, infatigable dans le travail, & critique intrépide. Homme d’un desintéressement à toute épreuve, insensible à toute ambition, il refusa tous les bénéfices qu’on lui offrit, content de ses livres & de sa fortune qui étoit très-médiocre. Sa vie fut simple, & son ame toujours bienfaisante.

La préface de son testament est remarquable. Après les paroles ordinaires, au nom du Pere, &c. il y avoit : « J’aurai bientôt fait, car je n’ai pas beaucoup de biens, ayant détourné mon esprit de leur recherche par de plus nobles soins, & m’étant convaincu de bonne heure qu’un chrétien a beaucoup plus de peine à faire un bon usage des richesses qu’à s’en passer ». On peut dire qu’il est mort la plume à la main : car non-seulement il avoit un livre sous la presse (défense des intérêts du roi), pendant sa derniere maladie, mais même il en corrigea les épreuves un jour avant son décès.

Il mourut à l’hôtel d’Etrée l’an 1678, âgé de plus de 77 ans. Le cardinal d’Etrée n’étant encore qu’évêque de Laon, s’étoit en quelque maniere approprié M. de Launoi. « Et certes ayant un tel personnage auprès de lui, il ne le pouvoit conserver ni chérir avec trop de soins », dit M. de Marolles. Il fut enterré aux minimes, comme il l’avoit ordonné par son testament ; mais on n’eut pas la liberté de mettre sur son tombeau l’épitaphe qu’on lui avoit préparée, parce que cette épitaphe attribuoit au défunt la louange d’avoir soutenu l’orthodoxie ; & quelque tems après, les minimes déclarerent que les deux puissances, la royale & l’ecclésiastique, leur avoient enjoint de ne souffrir aucune inscription à la gloire de M. de Launoi.

Ses œuvres ont été recueillies par l’abbé Granet, & imprimées à Genève en 1731, en dix volumes infolio. Ses lettres, qui en font la partie principale, avoient déja paru à Cambridge en 1689, in-fol. Tous les ouvrages de ce savant sont remplis de lecture & de science ecclésiastique. Il y défend avec force les droits du roi, les libertés de l’église gallicane, & la juste autorité des évêques. Son style n’est pas assez orné, & ses raisonnemens ne sont peut-être pas toujours justes ; mais on est amplement dédommagé en le lisant, par la variété des sujets qu’il traite, l’étendue de son érudition, & quantité de traits ingénieux.

Le public lui a certainement de grandes obligations. Quand il n’auroit publié que le livre de autoritate negantis argumenti, il auroit rendu service à la république des lettres ; car il a donné, par cet ouvrage, de belles ouvertures, pour discerner le vrai & le faux dans les matieres historiques.

Il attaqua, dans ses écrits, plusieurs fausses traditions, entr’autres l’arrivée de Lazare & de Magdeleine en Provence ; l’apostolat des Gaules de Denys l’aréopagite ; la cause de la retraite de S. Bruno, fondateur des chartreux ; la vision de Simon Stoch ; les privileges de la bulle sabbatine, &c. Il crut aussi devoir démontrer la fausseté des prétendus privileges des moines, en vertu desquels ils ne vouloient pas reconnoître la jurisdiction des évêques ; & il réfuta les raisons qu’ils alléguoient pour s’attribuer l’administration du sacrement de pénitence. « Ceux qui aiment la vérité, dit M. de Marolles, lui surent autant de gré de ses belles recherches, que les gens qui sont incapables d’honorer la raison, crurent avoir de sujet de se plaindre de ce savant pour avoir fait de telles conquêtes ; & si la superstition s’en afflige, l’Eglise pure doit s’en glorifier ».

M. de Launoi étendit encore sa critique sur le trop grand nombre de saints canonisés dans le calendrier, & les abus qui en résultent. Vigneul Marville rapporte que le curé de S. Eustache de Paris disoit : « Quand je rencontre le docteur de Launoi, je le salue jusqu’à terre, & ne lui parle que le chapeau à la main, & avec bien de l’humilité, tant j’ai peur qu’il ne m’ôte mon S. Eustache qui ne tient à rien ». Il avoit raison, dit M. de Valois, car la vie de S. Eustache est un tissu de fables entassées les unes sur les autres ; & je suis fort surpris, continue-t-il, que la plus grosse paroisse de Paris ait quitté le nom d’une des plus célebres & illustres martyres que nous ayons pour prendre celui d’un saint inconnu & fort suspect.

Godefroi l’historiographe étant sorti de son logis de grand matin le premier jour de l’an, rencontra dans la rue de la Harpe M. de Launoi qui s’en alloit en Sorbonne. Il l’aborda, & lui dit en l’embrassant : « Bon jour & bon an, monsieur ; quel saint dénicherez-vous du ciel cette année » ? M. de Launoi, surpris de la demande, lui répondit : « Je ne déniche point du ciel les véritables saints que Dieu & leur mérite y ont placés, mais bien ceux que l’ignorance & la superstition des peuples y ont fait glisser sans qu’ils le méritassent, & sans l’aveu de Dieu & des savans ».

C’est là-dessus que Ménage fit une bonne épigramme greque, dans laquelle il compare M. de Launoi au Jupiter d’Homere, qui chassa du ciel toute la racaille des faux dieux qui s’y étoit glissée parmi les véritables, & qui leur donnant du pié au cul, les fit tomber du haut de son trône & des étoiles en terre.

  • TO\N *LAUNOI(/ON O(RA=S2, OW/NWN

PNYE, PODO\S2 TEAGW/N A)W=O\ BHLOU= *QESW=ESI/OIO

Rome cria contre l’entreprise de M. de Launoi, comme contre un horrible sacrilege ; elle le déclara un destructeur de la religion, & mit tous ses livres à l’inquisition, ne pouvant y faire traîner l’auteur ; mais l’histoire de l’Eglise de Basnage, publiée l’an 1699, en deux volumes in-fol. a bien dû autrement émouvoir la bile des inquisiteurs. C’est-là qu’on trouve la destruction de tant de faux saints & de tant de faux martyrs, qu’en comparaison de cet océan l’entreprise de M. de Launoi n’est qu’un petit ruisseau.

Il étoit cependant difficile que ce docte théologien de Sorbonne écrivît beaucoup de choses contre les maximes des flatteurs du pape, contre les superstitions & contre les prétendues exemptions des moines, sans s’attirer beaucoup d’ennemis. Il éprouva sur ses vieux jours qu’il avoit choqué un parti fort redoutable. On lui défendit de tenir des assemblées dans sa chambre, quoiqu’elles fussent très-innocentes, puisqu’il n’y recevoit que des amis, & qu’on n’y conversoit que de sciences ; enfin on fit des affaires à son libraire qui imprimoit son livre de la simonie, où entr’autres choses il attaque les annates & réfute le jésuite Azorius.

M. de Launoi supporta patiemment cette espece de persécution, & se trouvant d’ailleurs protégé par des gens du premier mérite, il continua de travailler pour l’Eglise, pour son prince & pour le plus grand bien de la religion. Il a éclairé l’esprit d’une infinité de gens, sans que tous les abus ayent été corrigés ; c’est parce que trop de personnes sont intéressées à les maintenir. Il y a bien de la différence entre les particuliers & le public. Il vient des tems où la plûpart des particuliers se trouvent désabusés, & néanmoins la pratique du public demeure la même. Enfin il semble que la cour de Rome ait adopté la religion du dieu Termus de la république romaine. Ce dieu ne cédoit à rien, non pas même à Jupiter. (Le chevalier de Jaucourt.)