L’Encyclopédie/1re édition/VICOMTE

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VICOMTE, s. m. (Gram. Hist. & Jurisprud.) vice-comes, signifie en général celui qui tient la place de comte, quasi vice comisis, seu vicem comitis gerens.

Quoique le titre de comte fût usité chez les Romains, & que quelques auteurs comparent les vicomtes à ces commissaires ou députés que chez les Romains on appelloit legati proconsulum, il est certain néanmoins que l’on ne connoissoit point chez eux le titre de vicomte, lequel n’a commencé à être usité qu’en France.

Les comtes des provinces avoient sous eux les comtes des villes : par exemple le comte de Champagne avoit pour ses pairs les comtes de Joigny, Retel, Brienne, Portien, Grandpré, Roucy, & Braine ; quelques-uns y ajoutent Vertus.

Ces comtes des villes n’étoient point qualifiés de vicomtes.

Il y avoit cependant certaines provinces où le comte avoit sous lui, soit dans sa ville capitale, soit dans les principales villes de son gouvernement, des vicomtes, au-lieu de comtes particuliers, comme le comte de Poitiers ; ce comté étant composé de quatre vicomtés, qui sont Châtelleraut, Thouars, Rochechouart, & Brosse.

Il y a encore beaucoup de seigneuries qui ont le titre de vicomtés, & principalement en Languedoc, en Guyenne, & ailleurs.

Les comtes qui avoient le gouvernement des villes étant chargés tout-à-la-fois du commandement des armes & de l’administration de la justice, & étant par leur état beaucoup plus versés dans l’art militaire que dans la connoissance des lettres & des lois, se déchargeoient des menues affaires de la justice sur des vicaires ou lieutenans, que l’on appella vicomtes ou viquiers, quasi vicarii, & aussi châtelains, selon l’usage de chaque province.

Il y a apparence que l’on donna le titre de vicomte singulierement à ceux qui tenoient dans les villes la place du comte, soit que ces villes n’eussent point de comte particulier, soit que les comtes de ces villes n’y fissent pas leur demeure ordinaire, ou enfin pour suppléer en l’absence & au défaut du comte ; aussi ces sortes de vicomtes tenoient-ils à peu-près le même rang que les comtes, & étoient beaucoup plus que les autres vicaires ou lieutenans des comtes que l’on appelloit viquiers, prevôts, ou châtelains.

De ces vicomtes, les uns étoient mis dans les villes par le roi même, comme gardiens des comtés, soit en attendant qu’il y eût mis un comte, soit pour y veiller indéfiniment en l’absence & au défaut du comte qui n’y résidoit pas ; les autres étoient mis dans les villes par les ducs ou comtes de la province, comme dans toutes les villes de Normandie, où il y eut des vicomtes établis par les ducs.

L’institution des vicomtes remonte jusqu’au tems de la premiere race ; il en est fait mention dans le chap. xxxvj. de la loi des Allemands, laquelle fut, comme l’on sait, publiée pour la premiere fois, par Thierry ou Théodoric, fils de Clovis, & roi de Metz & de Thuringe ; ils y sont nommés missi comitum, parce que c’étoient des commissaires nommés par les comtes pour gouverner en leur place, soit en leur absence, soit dans des lieux où ils ne résidoient pas : on les surnommoit missi comitum, pour les distinguer des commissaires envoyés directement par le roi dans les provinces & grandes villes que l’on appelloit missi dominici. Dans la loi des Lombards ils sont nommés ministri comitum ; ils tenoient la place des comtes dans les plaids ordinaires & aux grandes assises ou plaids généraux, appellés mallum publicum.

Dans les capitulaires de Charlemagne, ces mêmes officiers sont nommés vicatrii comitum, comme qui diroit lieutenans des comtes ; ils étoient au-dessus des centeniers.

On les appella aussi vice comites, d’où l’on a fait en françois le titre de vicomtes.

Ils étoient d’abord élus par les comtes mêmes, le comte de chaque ville étoit obligé d’avoir son vicomte ou lieutenant, & comme le pouvoir du comte s’étendoit non-seulement dans la ville, mais aussi dans tout le canton ou territoire dépendant de cette ville, le pouvoir que le vicomte avoit en cette qualité s’étendoit aussi dans la ville & dans tout son territoire.

Cependant en général la compétence des comtes étoit distincte de celle de leurs vicomtes ou lieutenants : les premiers connoissoient des causes majeures, les vicomtes jugeoient en personnes les affaires légeres ; de-là vient sans doute qu’encore en plusieurs lieux, la justice vicomtiere ne s’entend que de la moyenne justice, & qu’en Normandie les juges appellés vicomtes, qui tiennent la place des prevôts, ne connoissent pas des matieres criminelles.

Mais en l’absence ou autre empêchement du comte, le vicomte tenoit les plaids ordinaires du comte, & même présidoit aux plaids généraux.

La fonction du comte embrassant le gouvernement & le commandement militaire aussi-bien que l’administration de la justice ; celle du vicomte s’étendoit aussi à tous les mêmes objets au défaut du comte.

Vers la fin de la seconde race, & au commencement de la troisieme, les dues & comtes s’étant rendus propriétaires de leurs gouvernemens, qui n’étoient auparavant que de simples commissions ; les vicomtes à leur exemple firent la même chose.

Les offices de vicomtes furent inféodés, de même que les offices de ducs, de comtes, & autres ; les uns furent inféodés par le roi directement, les autres sous-inféodés par les comtes.

Les comtes de Paris qui avoient sous eux un prevôt pour rendre la justice, avoient aussi un vicomte, mais pour un objet différent ; ils sous-inféoderent une partie de leur comté à d’autres seigneurs qu’on appella vicomtes, & leur abandonnerent le ressort sur les justices enclavées dans la vicomté, & qui ressortissoient auparavant à la prévôté. Une des fonctions de ces vicomtes, étoit de commander les gens de guerre dans la vicomté, droit dont le prevôt de Paris jouit encore en partie, lorsqu’il commande la noblesse de l’arriere-ban.

Le vicomte de Paris avoit aussi son prevôt pour rendre la justice dans la vicomté, mais on croit que s’il exerçoit la justice, c’étoit militairement, c’est-à-dire sur le champ, & par rapport à des délits qui se commettoient en sa présence ; dans la suite la vicomté fut réunie à la prevôté.

Présentement en France, les vicomtes sont des seigneurs dont les terres sont érigées sous le titre de vicomte.

En Normandie les vicomtes sont des juges subordonnés aux baillifs, & qui tiennent communément la place des prevôts. Loiseau prétend que ces vicomtes sont les juges primitifs des villes ; mais Basnage fait voir qu’en Normandie, comme ailleurs, les comtes furent les premiers juges, qu’ils avoient leurs vicomtes ou lieutenans, & que quand les comtes cesserent de faire la fonction de juge, les ducs de Normandie établirent à leur place des baillifs, auxquels les vicomtes se trouverent subordonnés de même qu’ils l’étoient aux comtes ; il croit pourtant que les vicomtes furent ainsi appellés tanquam vicorum comites, comme étant les juges des villes.

En quelques villes de Normandie, l’office de maire est réuni à celui de vicomte, comme à Falaise & à Bayeux.

En quelques autres il y a des prevôts avec les vicomtes, comme dans le bailliage de Gisors.

La coutume de Normandie, tit. de jurisdict. art. 5. porte qu’au vicomte, ou son lieutenant, appartient la connoissance des clameurs de haro civilement intentées ; de clameur de plege pour chose roturiere ; de vente & dégagement de biens, d’interdits entre roturiers, d’arrêts, d’exécutions, de matiere de namps, & des oppositions qui se mettent pour iceux namps, de dations de tutelle & curatelle de mineurs, de faire faire les inventaires de leurs biens, d’ouir les comptes de leurs tuteurs & administrateurs, de vendue des biens desdits mineurs ; de partage de succession, & des autres actions personnelles, réelles, & mixtes, en possessoire & propriété, ensemble de toute matiere de simple desrene entre roturiers, & des choses roturieres, encore que esdites matieres échée, vue & enquête. Voyez Brodeau sur Paris ; Loiseau, des seigneuries ; Basnage, & les autres commentateurs de la coutume de Normandie, sur l’article 5. du tit. de jurisdict. & le mot Comte, Comté, & ci-après le mot Vicomté. (A)

Vicomte des aides, il est parlé des vicomtes des aides dans une ordonnance de Charles VII. du premier Mars 1388. qui porte que les trésoriers ne pourront voir les états des grenetiers & receveurs & vicomtes des aydes, avant la rendue de leurs comptes.

M. Secousse croit qu’il y a faute en cet endroit, & qu’il faut lire grenetiers & receveurs des aides & vicomtes, parce que, dit-il, les vicomtes qui recevoient les revenus ordinaires du roi, ne se mêloient point de la levée des aides.

Cependant il n’est pas étonnant que l’on ait appellé vicomtes des aides ceux qui faisoient la recette des aides, de même que l’on appelloit vicomtes du domaine ceux qui faisoient la recette du domaine ; il est parlé de ces vicomtes des aides dans Monstrelet, vol. l. ch. xcix. Voyez aussi le glossaire de M. de Lauriere, au mot vicomte.

Vicomte du domaine, étoit celui qui faisoit au-lieu du comte la recette du domaine, de même que les vicomtes des aides faisoient la recette des aides. Voyez Monstrelet, ch. xcix du premier volume, Lauriere au mot vicomte, & le mot Vicomte des aides.

Vicomte de l’eau, est un juge établi en la ville de Rouen, lequel se qualifie conseiller du roi, vicomte de l’eau à Rouen, juge politique, civil & criminel par la riviere de Seine, & gardes des étalons, poids, & mesures de la ville.

Sa jurisdiction s’étend tant en matiere civile que criminelle, sur les rivieres de Seine & d’Eure, chemins & quais le long desdites rivieres, depuis la pierre du poirier au-dessous de Caudebec, jusqu’au ponteau de Blaru, au-dessus de Vernon, faisant la séparation de la Normandie d’avec le pays de France. Voyez l’hist. de la ville de Rouen, édit. de 1738. le coutumier général des anciens droits dûs au roi, qui se percoivent au bureau de la vicomté de Rouen, & le recuail d’arrêts du parlement de Normandie, de M. Froland.

Vicomte extraordinaire, étoit celui qui étoit commis extraordinairement pour la recette du domaine, ou bien pour la recette des aides, lesquelles ne se levoient autrefois qu’extraordinairement ; il en est parlé dans une ordonnance de Charles VI. du 3 Avril 1388. Voyez Vicomte des aides, & Vicomte ordinaire.

Vicomte fermier, étoit celui qui tenoit à ferme la recette de quelque vicomté ; il est parlé des vicomtes fermiers du vicomté d’Abbeville, dans des lettres de Charles V. du 9 Mai 1376. Voyez le recueil des ordonnances de la troisieme race.

Vicomte ordinaire étoit celui qui étoit chargé de la recette du domaine, ou bien on les appelloit ordinaires, parce que la recette du domaine étoit ordinaire, à la différence de celle des aides, qui ne se tenoit qu’extraordinairement. Voyez l’ordonnance de Charles VI du 3 Avril avant Pâques 1388.

Vicomte-receveur, dans la plûpart des anciennes ordonnances, les vicomtes sont appellés vicomtes ou receveurs, ou bien vicomtés & receveurs, parce qu’ils étoient alors chargés de faire la recette du domaine dans l’étendue de leur vicomté. Voyez Vicomtes des aides & du domaine.

Sous-vicomte est le nom que l’on donne en quelques endroits au lieutenant du vicomte comme chez les Anglois. Voyez Cowel, Spelman.