L’Encyclopédie/1re édition/WEEN

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WEEN, (Géog. mod.) ou HUENE, île de Suede, dans le détroit du Sund. Après que le Danemarck eût cédé à la Suede la Scanie, les Suédois réclamerent encore Ween comme une dépendance, & les Danois la réclamoient comme appartenante à la Sélande. Ils étoient fondés sur la raison, & les Suédois sur la supériorité de leurs forces qui les fit triompher. Depuis ce tems, ils possedent cette île remarquable par les ruines du fameux château d’Uranibourg, autrefois la demeure de Tycho-Brahé. Voici ce qu’en dit le comte de Plelo, dans une lettre au chevalier de la Vieuville, écrite en 1732.

« C’est-là que ce divin génie,
» Sous les auspices d’Uranie,
» Avoit établi son séjour.
» Là se remarquoit cette tour
» Aux astres par lui consacrée,
» D’où, perçant la voûte azurée,
» Il tenta de voler aux dieux
» Le secret de l’ordre des cieux.

» C’est-à-dire, pour m’exprimer plus simplement, que ce fut dans ce lieu qu’il composa son système du monde, & où il fit bâtir le château d’Uranibourg, avec l’observatoire de Stellesbourg, dont les descriptions nous donnent une si belle idée, si l’on s’en rapporte a ce qu’elles disent.

» L’île de Ween étoit alors l’asyle, ou plutôt le temple de tous les arts ; car outre les endroits destinés aux études astronomiques, l’on y voyoit aussi des laboratoires, des manufactures, & des atteliers de différens genres, tous si bien disposés, que sans se gêner dans aucunes de leurs fonctions particulieres, ils concouroient tous au but commun de se perfectionner les uns les autres, par une étroite correspondance.

» Il n’y avoit pas jusqu’aux Muses, graves ou badines, qui n’eussent là leur place ; mais ce qui m’en auroit touché davantage, c’est que le maître du lieu, continuellement entouré d’une foule de disciples que sa réputation lui attiroit de tous côtés, n’épargnoit rien pour leur faire trouver dans sa retraite, toutes les douceurs & toutes les commodités de la vie, en même tems qu’il leur faisoit trouver dans sa conversation, & dans ses lumieres, tous les secours qui pouvoient applanir le chemin des sciences les plus relevées ; c’étoit partout des promenades, des jardins & des bosquets charmans.

» Tels on nous peint, dans nos vieux âges,
» Les Socrates & les Platons,
» Sous de délicieux ombrages,
» Donnant leurs sublimes leçons.

» Il est vrai qu’à la honte du pays, ou pour mieux dire de la nation, on ne laissa pas long-tems jouir ce grand homme d’un loisir si noble & si bien employé. Il se vit bientôt dépouillé de son île, forcé peu-à-peu à quitter tout-à-fait sa patrie, & l’on poussa la rage jusqu’à faire abattre tout ce qu’il avoit fait construire, de sorte

» Qu’il n’en reste aucun fondement,
» Et qu’à peine aujourd’hui sur l’herbe
» D’une demeure si superbe,
» Reconnoît-on l’emplacement ;
» Mais, malgré toute la furie
» Qu’ont exercé contre ces lieux
» L’injustice & la barbarie,
» Ils resteront toujours fameux.
» Toujours de leur antique gloire
» Ils rappelleront la mémoire ;
» Et toujours à leur seul aspect,
» On sera saisi de respect.

» C’est du-moins ce qui nous arrive chaque fois que nous tournons les yeux de leur côté, & ce que l’on éprouve bien plus sensiblement encore, quand on les va voir de près, comme nous fîmes ces jours passés. Je ne sai même s’il n’y a pas quelque chose à gagner pour eux dans l’état où ils sont, & si, en général, un air un peu délâbré ne sied pas mieux à des endroits célebres, que s’ils étoient dans tout leur lustre ; car alors l’imagination, grande embellisseuse de son métier, travaille seule à nous les peindre, ne manque guere à leur prêter des charmes que peut-être ils n’ont jamais eu ». Nous rapportons ce morceau pour confirmer le détail que nous avons dejà fait d’après les historiens du tems, au mot Uranibourg. (D. J.)