L’Encyclopédie/1re édition/WOLSTROPE

La bibliothèque libre.

WOLSTROPE, (Géog. mod.) bourg d’Angleterre, dans le comté de Lincoln, où naquit Isaac Newton, le jour de noël, v. s. de l’an 1642.

C’est dans cet homme merveilleux, que l’Angleterre peut se glorifier, d’avoir produit le plus grand & le plus rare génie, qui ait jamais existé pour l’ornement & l’instruction de l’espece humaine. Attentif à n’admettre aucun principe qui n’eût l’expérience pour fondement, mais résolu d’admettre tous ceux qui porteroient ce caractere, tout nouveaux, tout extraordinaires qu’ils fussent ; si modeste qu’ignorant sa supériorité sur le reste des hommes, il en étoit moins soigneux de proportionner ses raisonnemens à la portée commune ; cherchant plus à mériter un grand nom qu’à l’acquérir ; toutes ces raisons le firent demeurer long-tems inconnu ; mais sa réputation à la fin se répandit avec un éclat, qu’aucun ecrivain pendant le cours de sa propre vie, n’avoit encore obtenu.

Il leva le voile qui cachoit les plus grands mysteres de la nature. Il découvrit la force qui retient les planetes dans leurs orbites. Il enseigna tout ensemble à distinguer les causes de leurs mouvemens, & à les calculer avec un exactitude qu’on n’auroit pu exiger que du travail de plusieurs siecles. Créateur d’une optique toute nouvelle & toute vraie, il fit connoitre la lumiere aux hommes, en la décomposant. Enfin il apprit aux physiciens, que leur science devoit être uniquement soumise aux expériences & à la géométrie.

Il fut reçu en 1660 dans l’université de Cambrldge à l’âge de 18 ans. Etant dans sa vingt & unieme année, il achepta (comme il paroît par les comptes de sa dépense) les Miscellanea de Schooten, & la géométrie de Descartes qu’il avoit lue il y avoit déja plus de 6 mois, conjointement avec la clavis d’Ougthred. Il acquit dans le même tems les œuvres du docteur Wallis. En lisant ces derniers ouvrages, il y faisoit ses remarques, & poussoit ses découvertes sur les matieres qui y étoient traitées ; car c’étoit sa maniere d’étudier. C’est par le moyen des remarques que fit ainsi ce beau génie, & de quelques autres papiers originaux, dont quelques-uns sont datés, qu’il est aisé de désigner en quelque façon, par quels degrés il inventa la méthode des suites ou fluxions ; c’est ce qui paroitra par les observations suivantes du savant M. Guillaume Jones, membre de la société royale, qui a eu ces papiers de M. Newton entre les mains.

En 1655, Wallis publia son arithemica infinitorum, dans laquelle il quarra une suite de courbes, dont les ordonnées étoient , &c. & il démonttra que si l’on pouvoit interpoler au milieu les suites de leurs aires, l’interpolation donneroit la quadrature du cercle. En lisant cet ouvrage pendant l’hiver des années 1664 & 1665, M. Newton examina comment on pourroit interpoler les suites des aires ; & il trouva que l’aire du secteur circulaire, élevé sur l’arc dont le sinus est x & le rayon l’unité, peut être exprimée par cette suite , &c. & de-là il déduisit bien-tôt la suite , &c. pour la longueur de l’arc, dont le sinus est X, par cette seule raison, que cet arc est en même proportion avec son secteur, que tout le quart avec un arc de 90 degrés.

Dans le même tems, & par la même méthode, il découvrit que la suite , &c. est l’aire hyperbolique, dans l’hyperbole rectangulaire, interceptée entre la courbe, son asymptote & deux ordonnées, dont le diamettre est X, & que cet aire est parallele à l’autre asymptote.

Durant l’été de l’année 1665, la peste l’ayant obligé de quitter Cambridge, il se retira à Boothby, dans la province de Lincoln, où il calcula l’aire de l’hyperbole par cette suite, jusqu’à cinquante-deux figures. Dans le même tems, il trouva moyen d’énoncer tout différemment, & d’une maniere plus générale la cinquante-neuvieme proposition que Wallis n’avoit démontrée que par degrés, en réduisant tous les cas en un, par une puissance dont l’exposant est indéfini. Voici de quelle maniere.

Si l’abscisse d’une figure courbe quelconque, est appellée X, que m & n représentent des nombres ; que l’ordonnée élevée à angles droits, soit , l’aire de la figure, sera  ; & si l’ordonnée est composée de deux, ou de plusieurs ordonnées semblables, jointes par les figures + ou -+, l’aire sera composée aussi de deux ou de plusieurs autres aires semblables, jointes par les signes + ou-.

Au commencement de l’année 1665, il trouva une méthode de tangentes, semblable à celle de MM. Hudde, Gregory ou Slusius ; & une méthode de déterminer la courbure d’une courbe, à un point donné quelconque. En continuant à pousser la méthode de l’interpolation, il découvrit la quadrature de toutes les courbes, dont les ordonnées sont les puissances de binomes avec des exposans entiers, ou rompus ou sourds, positifs ou négatifs : il trouva aussi le moyen de réduire une puissance quelconque de tout binome, en suite convergente ; car en interpolant la suite des puissances d’un binome , &c. il découvrit que , &c. où l’exposant () de la puissance, pouvoit être aussi un nombre quelconque, entier ou rompu, ou sourd, ou positif, ou négatif ; a & x des quantités quelconques.

Au printems de cette même année, il trouva le moyen de faire la même chose par la division & l’extraction continuelle des racines. Peu de tems après, il étendit cette méthode à l’extraction des racines des équations. Il introduisit le premier dans l’analyse, des fractions & des quantités négatives & indéfinies, pour être les exposans des puissances ; & par ce moyen il réduisit les opérations de la multiplication, de la division & de l’extraction des racines, à une seule maniere commune de les envisager. Par-là, il recula les bornes de l’analyse, & posa les fondemens nécessaires pour la rendre universelle. Environ trois ans après, le vicomte Brouncker publia la quadrature de l’hyperbole, par cette suite , &c. qui n’est autre chose que la suite que M. Newton avoit déja trouvée, , &c.

Peu de tems après, Nicolas Mercator publia une démonstration de cette quadrature, par le moyen de la division, que le docteur Wallis avoit employé le premier dans son opus arithmeticum, publié en 1657, où il avoit réduit la fraction par une division perpétuelle à la suite , &c.

On voit donc que Mercator n’avoit aucun droit de prétendre à l’honneur de la découverte de la quadrature de l’hyperbole, puisque le docteur Wallis avoit découvert la division long-tems auparavant, de même que la quadrature de chaque partie du produit ; ce que Mercator auroit dû reconnoître, quand il joignit ces deux découvertes ensemble.

C’étoit une grande richesse pour un géometre, de posséder une théorie si féconde & si générale ; c’étoit une gloire encore plus grande, d’avoir inventé une théorie si surprenante, & si ingénieuse ; il étoit naturel de s’en assurer la propriété qui consiste dans la découverte ; mais M. Newton se contenta de la richesse, & ne se picqua point de la gloire. Son manuscrit sur les suites infinies, fut simplement communiqué à M. Collins, & au lord Brouncker, & encore ne le fut-il que par le docteur Barrow, qui ne permit pas à l’auteur d’être tout-à-fait aussi modeste qu’il l’eût voulu. Ce manuscrit tiré en 1669 du cabinet de M. Newton, porte pour titre, méthode que j’avois trouvée autrefois, &c. & quand cet autrefois ne seroit que trois ans, il auroit donc trouvé avant l’âge de vingt-quatre ans, toute la belle théorie des suites ; mais il y a plus, ce même manuscrit contenoit, & l’invention & le calcul des fluxions ou infiniment petits, qui ont causé une si grande contestation entre M. Leibnitz & M. Newton, ou plutôt entre l’Allemagne & l’Angleterre.

En 1669, Newton fut nommé professeur en mathématique à Cambridge, & y donna bientôt des leçons d’optique. Il avoit déja fait des découvertes sur la lumiere & sur les couleurs en 1666. Il en avoit même communiqué un abregé à la société royale, en 1671 ; & cet abregé fut inséré dans les Trans. philos. du 19 Février 1672, n° 80. l’ouvrage auroit paru peu de tems après, sans quelques disputes qui s’éleverent à cette occasion, & dans lesquelles M. Newton refusa de s’engager.

Il publia dans les Transactions du 28 Mars 1672, n°. 81. la description d’un nouveau télescope catadioptrique de son invention. On trouve encore dans les mêmes Transactions, ann. 1673, 1674, 1675, & 1676, plusieurs autres pieces de sa main, relatives à son télescope, & à sa théorie de la lumiere & des couleurs.

En 1672, il fit imprimer à Cambridge la géographie de Varenius, avec des notes. Dans l’hiver de 1676 & 1677, il trouva que par une force centripete en raison réciproque du quarré de la distance, une planete doit se mouvoir dans une ellipse autour du centre de force, placé dans le foyer inférieur de l’ellipse, & décrire par une ligne tirée à ce centre, des aires proportionnelles aux tems. Il reprit en 1683, l’examen de cette proposition, & y en ajouta quelques autres sur les mouvemens des corps célestes.

En 1684, il informa M. Halley, qu’il avoit démontré la fameuse regle de Kepler, « que les planetes se meuvent dans les ellipses, & qu’elles décrivent des aires proportionnelles aux tems, par des lignes tirées au soleil, placé dans le foyer intérieur de l’ellipse ». Au mois de Novembre suivant, il envoya la démonstration au même Halley, pour la communiquer à la societé royale, qui la fit insérer dans ses registres.

Ce fut à la sollicitation de cette illustre société, que Newton travailla à ses principes, dont les deux premiers livres furent montrés à la même société en manuscrit. Le docteur Pemberton nous apprend que les premieres idées qui donnerent naissance à cet ouvrage, vinrent à M. Newton, lorsqu’il quitta Cambridge en 1666, à l’occasion de la peste. Etant seul dans un jardin, il se mit à méditer sur la force de la pesanteur ; & il lui parut que, puisqu’on trouve que cette force ne diminue point d’une maniere sensible à la plus grande distance du centre de la terre où nous puissions monter, ni au haut des édifices les plus élevés, ni même au sommet des plus hautes montagnes, il étoit raisonnable de conclure, que cette force s’étend beaucoup au-delà de ce qu’on le croit communément ; pourquoi pas aussi loin que la lune, se dit-il à lui-même ? Et si cela est, cette force doit influer sur son mouvement : peut-être est-ce-là ce qui la retient dans son orbite ? Cependant, quoique l’action de la pesanteur ne souffre aucune diminution sensible à une distance quelconque du centre de la terre, où nous pouvons nous placer, il est très-possible que son action differe en force à une distance, telle qu’est celle de la lune.

Pour faire une estimation du degré de cette diminution, M. Newton considéra que si la lune est retenue dans son orbite par l’action de la pesanteur, on ne peut douter que les planetes du premier ordre ne se meuvent autour du soleil par la même cause. En comparant ensuite les périodes des diverses planetes avec leur distance du soleil, il trouva, que si une force telle que la pesanteur les retient dans leurs cours, cette action doit diminuer dans la raison inverse des quarrés des distances. Il supposa dans ce cas, qu’elles se meuvent dans des cercles parfaits, concentriques au soleil, & les orbites de la plûpart ne different pas effectivement beaucoup du cercle. Supposant donc que l’action de la pesanteur, étendue jusqu’à la lune, décroît dans la même proportion, il calcula si cette action seroit suffisante pour retenir la lune dans son orbite.

Comme il n’avoit point de livres avec lui, il adopta dans son calcul celui qui étoit en usage parmi les Géographes & parmi nos mariniers, avant que Norwood eût mesuré la terre ; c’est que soixante milles anglois font un degré de latitude sur la surface du globe. Mais comme cette supposition est fausse, chaque degré contenant environ 69 demi-milles, son calcul ne répondit pas à son attente ; d’où il conclut qu’il falloit du-moins qu’il y eût quelque autre cause, outre l’action de la pesanteur sur la lune ; ce qui le fit résoudre à ne pousser pas plus loin dans ce tems-là, ses réflexions sur cette matiere.

Mais quelques années après, une lettre du docteur Hooke l’engagea à rechercher, selon quelle ligne un corps qui tombe d’un lieu élevé, descend, en faisant attention au mouvement de la terre autour de son axe. Comme un tel corps a le même mouvement que le lieu d’où il tombe par une révolution de la terre, il est considéré comme projetté en-avant, & en même tems attiré vers le centre de la terre. Ceci donna occasion à M. Newton, de revenir à ses anciennes méditations sur la lune.

Picart venoit de mesurer en France la terre, & en adoptant ses mesures, il parut à M. Newton que la lune n’étoit retenue dans son orbite, que par la force de la pesanteur ; & par conséquent, que cette force en s’éloignant du centre de la terre, décroît dans la proportion qu’il avoit auparavant conjecturée. Sur ce principe, il trouva que la ligne que décrit un corps qui tombe, est une ellipse, dont le centre de la terre est un des foyers. Et comme les planetes du premier ordre tournent autour du soleil dans des orbites elliptiques, il eut la satisfaction de voir qu’une recherche qu’il n’avoit entreprise que par pure curiosité, pouvoit être d’usage pour les plus grands desseins. C’est ce qui l’engagea à établir une douzaine de propositions relatives au mouvement des planetes du premier ordre autour du soleil.

Enfin, en 1687, M. Newton révéla ce qu’il étoit ; & ses principes de philosophie virent le jour à Londres, in-4°. sous le titre de philosophiæ naturalis principia mathematica. Il en parut une seconde édition à Cambridge en 1713, in-4°. avec des additions & des corrections de l’auteur, & M. Cotes eut soin de cette édition. On en donna une troisieme édition à Amsterdam, en 1714, in 4°. La derniere beaucoup meilleure que les précédentes, a été faite à Londres en 1726, in 4°. sous la direction du docteur Pemberton.

Cet ouvrage, dit M. de Fontenelle, où la plus profonde géométrie sert de base à une physique toute nouvelle, n’eut pas d’abord tout l’éclat qu’il méritoit, & qu’il devoit avoir un jour. Comme il est écrit très-savamment, que les paroles y sont fort épargnées, qu’assez souvent les conséquences y naissent rapidement des principes, & qu’on est obligé à suppléer de soi-même tout l’entre deux ; il falloit que le public eût le loisir de l’entendre. Les grands géometres n’y parvinrent qu’en l’étudiant avec soin ; les médiocres ne s’y embarquerent qu’excités par le témoignage des grands ; mais enfin, quand le livre fut suffisamment connu, tous ces suffrages qu’il avoit gagnés si lentement, éclaterent de toutes parts, & ne formerent qu’un cri d’admiration. Tout le monde fut frappé de l’esprit original qui brille dans l’ouvrage de cet esprit créateur, qui dans tout l’espace du siecle le plus heureux, ne tombe guere en partage qu’à trois ou quatre hommes pris dans toute l’étendue des pays savans. Aussi M. le marquis de l’Hôpital disoit que c’étoit la production d’une intelligence céleste, plutôt que celle d’un homme.

Deux théories principales dominent dans les principes mathématiques, celle des forces centrales, & celle de la résistance des milieux au mouvement ; toutes deux presque entierement neuves, & traitées selon la sublime géometrie de l’auteur.

Kepler avoit trouvé par les observations célestes de Ticho Brahé 1. que les mêmes planetes décrivent autour du soleil, des aires égales en des tems égaux ; 2. que leurs orbites sont des ellipses, le soleil étant dans le foyer commun ; 3. qu’en differentes planetes les quarrés des tems périodiques, sont en raison des cubes des axes transverses de leurs orbites. Par le premier de ces phénomenes, M. Newton démontra que les planetes sont attirées vers le soleil au centre ; il déduisit du second, que la force de l’attraction est en raison inverse des quarrés des distances des planetes de leur centre ; & du troisieme, que la même force centripete agit sur toutes les planetes.

En 1696, M. Newton fut créé garde des monnoies, à la sollicitation du comte d’Hallifax, protecteur des savans, & savant lui-même, comme le sont ordinairement la plûpart des seigneurs anglois Dans cette charge, Newton rendit des services importans à l’occasion de la grande refonte, qui se fit en ce tems là. Trois années après, il fut nommé maître de la monnoie, emploi d’un revenu très-considérable, & qu’il a possédé jusqu’à sa mort. On pourroit croire que sa charge de la monnoie ne lui convenoit que parce qu’il étoit excellent physicien ; en effet, cette matiere demande souvent des calculs difficiles, outre quantité d’expériences chimiques, & il a donné des preuves de ce qu’il pouvoit en ce genre, par sa table des essais des monnoies étrangeres, imprimée à la fin du livre du docteur Arbuthnot. Mais il falloit encore que son génie s’étendît jusqu’aux affaires purement politiques, & où il n’entroit nul mêlange des sciences spéculatives.

En 1699, il fut nommé de l’académie royale des Sciences de Paris. En 1701, il fut pour la seconde fois choisi membre du parlement pour l’université de Cambridge. En 1703, il fut élu président de la société royale, & l’a été sans interruption jusqu’à sa mort pendant vingt-trois ans. Il a eu le bonheur, comme le dit M. de Fontenelle, de jouir pendant sa vie de tout ce qu’il méritoit. Les Anglois n’en honorent pas moins les grands talens, pour être nés chez eux ; loin de chercher à les rabaisser par des critiques injurieuses ; loin d’applaudir à l’envie qui les attaque, ils sont tous de concert à les élever ; & cette grande liberté qui les divise sur des objets du gouvernement civil, ne les empêche point de se réunir sur celui-là. Ils sentent tous, combien la gloire de l’esprit doit être précieuse à un état, & celui qui peut la procurer à leur patrie, leur devient infiniment cher.

« Tous les savans d’un pays qui en produit tant, mirent M. Newton à leur tête par une espece d’acclamation unanime, & le reconnurent pour leur chef. Sa philosophie domine dans tous les excellens ouvrages qui sont sortis d’Angleterre, comme si elle étoit dejà consacrée par le respect d’une longue suite de siecles. Enfin, il a été révéré au point que la mort ne pouvoit plus lui produire de nouveaux honneurs ; il a vu son apothéose.

Tacite qui a reproché aux Romains leur extrème indifférence pour les grands hommes de leur nation, eût donné aux Anglois la louange toute opposée. En vain, les Romains se seroient-ils excusés sur ce que le grand mérite leur étoit devenu familier ; Tacite leur eût répondu, que le grand mérite n’étoit jamais commun ; ou que même il faudroit, s’il étoit possible, le rendre commun par la gloire qui y seroit attachée ».

En même tems que M. Newton travailloit à son grand ouvrage des principes, il en avoit un autre entre les mains, aussi original, aussi neuf, moins général par son titre, mais aussi étendu par la maniere dont il devoit traiter un sujet particulier. C’est son Optique, ou Traité des réflexions, réfractions, inflexions, & couleurs de la lumiere. Cet ouvrage pour lequel il avoit fait pendant le cours de 30 années, les expériences qui lui étoient nécessaires, parut à Londres pour la premiere fois en 1704, in-4°. La seconde édition augmentée, est celle de 1718, in-8°. & la troisieme de 1721, aussi in-8°. Le docteur Samuel Clarke en donna une traduction latine sur la premiere édition, en 1706, in-4°. & sur la seconde édition en 1719 aussi in-4°. La traduction françoise de M. Coste, faite sur la seconde édition, a été imprimée à Amsterdam en 1720, en 2 vol. in-12.

L’objet perpétuel de l’optique de M. Newton, est l’anatomie de la lumiere, comme le dit M. de Fontenelle. L’expression n’est point trop hardie, ce n’est que la chose même : un très-petit rayon de lumiere qu’on laisse entrer dans une chambre parfaitement obscure, mais qui ne peut être si petit, qu’il ne soit encore un faisceau d’une infinité de rayons, est divisé, disséqué, de façon que l’on a les rayons élémentaires qui le composoient séparés les uns des autres, & teints chacun d’une couleur particuliere, qui après cette séparation ne peut plus être altérée. Le blanc dont étoit le rayon total avant sa dissection, résultoit du mêlange de toutes les couleurs particulieres des rayons primitifs.

« On ne sépareroit jamais ces rayons primitifs & colorés, s’ils n’étoient de leur nature tels qu’en passant par le même milieu, par le même prisme de verre, ils se rompent sous différens angles, & par-là se démêlent quand ils sont reçus à des distances convenables. Cette différente réfrangibilité des rayons rouges, jaunes, verts, bleus, violets, & de toutes les couleurs intermédiaires en nombre infini (propriété qu’on n’avoit jamais soupçonnée, & à laquelle on ne pouvoit guere être conduit par aucune conjecture), est la découverte fondamentale du traité de M. Newton. La différente réfrangibilité amene la différente réflexibilité.

Il y a plus, les rayons qui tombent sous le même angle sur une surface, s’y rompent, & refléchissent alternativement ; espece de jeu qui n’a pu être apperçu qu’avec des yeux extrèmement fins, & bien aidés par l’esprit. Enfin, & sur ce point seul, la premiere idée n’appartient pas à M. Newton ; les rayons qui passent près des extrémités d’un corps, sans le toucher, ne laissent pas de s’y détourner de la ligne droite, ce qu’on appelle inflexion. Tout cela ensemble forme un corps d’optique si neuf, qu’on peut désormais regarder cette science comme entierement dûe à l’auteur ».

M. Newton mit d’abord à la fin de son optique, deux traités de pure géométrie ; l’un de la quadrature des courbes, l’autre un dénombrement des lignes, qu’il appelle du troisieme ordre. Il les en a retranchés depuis, parce que le sujet en étoit trop différent de celui de l’optique, & on les a imprimés à-part quelques années après. Ce ne seroit plus rien dire, que d’ajouter ici, qu’il brille dans tous ses ouvrages une haute & fine géométrie qui appartenoit entierement à M. Newton.

En 1705, la reine Anne le fit chevalier. Il publia en 1707 à Cambridge, in-8°. son Arithmetica universalis, sive de compositione & resolutione arithmetica, liber. En 1711 son Analysis per quantitatum series, fluxiones & differentias, cum enumeratione linearum tertii ordinis, parut à Londres, in-4°. par les soins de M. Guillaume Jones, membre de la société royale, qui avoit trouvé le premier de ces ouvrages parmi les papiers de M. Jean Collins, qui l’avoit eu du docteur Barrow en 1669. En 1712 on imprima plusieurs lettres de M. Newton dans le Commercium epistolicum D. Joannis Collins, & aliorum de analysi promotâ, jussu societatis regiæ editum. Londres, in-4°.

Il fut plus connu que jamais à la cour, sous le roi Georges I. La princesse de Galles, depuis reine d’Angleterre, a dit souvent en public qu’elle se tenoit heureuse de vivre de son tems, & de le connoître. Il avoit composé un ouvrage de chronologie ancienne, qu’il ne songeoit point à publier ; mais cette princesse à qui il en confia les vues principales, les trouva si neuves & si ingénieuses, qu’elle voulut avoir un précis de tout l’ouvrage, qui ne sortiroit jamais de ses mains, & qu’elle posséderoit seule. Il s’en échappa cependant une copie, qui fut apportée en France par l’abbé Conti, noble vénitien ; elle y fut traduite, & imprimée à Paris, sous le titre d’Abrégé de chronologie de M. le chevalier Newton, fait par lui-même, & traduit sur le manuscrit anglois, avec quelques observations. Cette chronologie abrégée n’avoit jamais été destinée à voir le jour ; mais en 1728 l’ouvrage entier parut à Londres, in-4°. sous ce titre, la chronologie des anciens royaumes, corrigée par le chevalier Isaac Newton, & dédié à la reine par M. Conduit.

Le point principal de ce système chronologique, est de rechercher (en suivant avec beaucoup de subtilité, quelques traces assez foibles de la plus ancienne astronomie grecque), quelle étoit au tems de Chiron le centaure, la position du colure des équinoxes, par rapport aux étoiles fixes. Comme on sait aujourd’hui que ces étoiles ont un mouvement en longitude, d’un degré en soixante-douze ans ; si on sait une fois qu’aux tems de Chiron, le colure passoit par certaines étoiles fixes, on saura, en prenant leur distance à celles par où il passe aujourd’hui, combien de tems s’est écoulé depuis Chiron jusqu’à nous. Chiron étoit du fameux voyage des Argonautes, ce qui en fixera l’époque, & nécessairement ensuite celle de la guerre de Troie, deux grands événemens, d’où dépend toute l’ancienne chronologie. M. Newton les met de 500 ans plus proche de l’ere chrétienne, que ne le font ordinairement les autres chronologistes.

Ce système fut attaqué peu de tems après en France par le P. Souciet, & en Angleterre par M. Shuckford. M. Newton trouva en France même un illustre défenseur, M. la Nauze, qui répondit au P. Souciet dans la continuation des mémoires de littérature & d’histoire. Halley, premier astronome du roi de la grande-Bretagne, répondit à M. Shuckford, dans les Transact. philosoph. n°. 397. & soutint tout l’astronomique du système ; son amitié pour l’illustre mort, & ses grandes connoissances dans la matiere dont il s’agit, tournerent de son côté les regards attentifs des gens de lettres les plus habiles, qui n’ont point encore osé prononcer ; & quand il arriveroit que les plus fortes raisons fussent d’un côté, & de l’autre le nom seul de Newton, peut-être le public resteroit-il encore quelque tems en suspens.

La santé de ce grand homme fut toujours ferme & égale jusqu’à l’âge de 80 ans ; alors il commença à être incommodé d’une incontinence d’urine, qui l’attaqua par intervalles ; mais il y remédioit par le régime, & ne souffrit beaucoup que dans les derniers 20 jours de sa vie. On jugea surement qu’il avoit la pierre ; cependant, dans des accès de douleurs si violens que les gouttes de sueur lui en couloient sur le visage, il conserva toujours sa patience, son courage & sa gaieté ordinaire. Il lut encore les gazettes le 18 Mars, & s’entretint long-tems avec le docteur Mead ; mais le soir il perdit absolument la connoissance, & ne la reprit plus, comme si les facultés de son ame n’avoient été sujettes qu’à s’éteindre totalement, & non pas à s’affoiblir. Il mourut le lundi suivant 20 Mars, âgé de 85 ans.

Son corps fut exposé sur un lit de parade, dans la chambre de Jérusalem, endroit d’où l’on porte au lieu de leur sépulture, les personnes du plus haut rang, & quelquefois les têtes couronnées. On le porta dans l’abbaye de Westminster, le poêle étant soutenu par le lord grand chancelier, par les ducs de Montrose & Roxburgh, & par les comtes de Pembrocke, de Sussex, & de Maclesfield. Ces six pairs d’Angleterre qui firent cette fonction solemnelle, font assez juger quel nombre de personnes de distinction grossirent la pompe funebre. L’évêque de Rochester fit le service, accompagné de tout le clergé de l’église. Le corps fut enterré près de l’entrée du chœur. Il faudroit remonter chez les anciens grecs, si l’on vouloit trouver des exemples d’une aussi grande vénération pour le savoir. La famille de M. Newton a encore imité la Grece de plus près, par un monument qu’elle lui a fait élever en 1731, & sur lequel on a gravé cette épitaphe :

H. S. E. Isaacus Newton, eques auratus : qui animi vi prope divinâ planetarum motus, figuras, cometarum semitas, Oceanique æstus, suâ mathesi facem præferente, primus demonstravit. Radiorum lucis dissimilitudines, colorumque indè nascentium proprietates, quas nemo suspicatus erat, pervestigavit. Naturæ, antiquitatis, S. scripturæ, sedulus, sagax, interpres. Dei O. M. majestatem philosophiâ aperuit. Evangelii simplicitatem moribus expressit. Sibi gratulentur mortales tale tantumque extitisse humani generis decus. Natus xxv. Dec. A. D. M. DC. XLII. Obiit Mart. xx. M. DCC. XXVI.

M. Newton avoit la taille médiocre, avec un peu d’embonpoint dans ses dernieres années. On n’appercevoit dans tout l’air & dans tous les traits de son visage, aucune trace de cette sagacité & de cette pénétration qui regnent dans ses ouvrages. Il avoit plutôt quelque chose de languissant dans son regard & dans ses manieres, qui ne donnoit pas une fort grande idée de lui à ceux qui ne le connoissoient point. Il étoit plein de douceur, & d’amour pour la tranquillité. Sa modestie s’est toujours conservée sans altération, quoique tout le monde fût conjuré contre elle. Il ne regnoit en lui nulle singularité, ni naturelle, ni affectée. Il étoit simple, affable, & ne se croyoit dispensé ni par son mérite, ni par sa réputation, d’aucun des devoirs du commerce ordinaire de la vie.

Quoiqu’il fût attaché à l’église anglicane, il jugeoit des hommes par les mœurs, & les non-conformistes étoient pour lui, les vicieux & les méchans. L’abondance où il se trouvoit, par un grand patrimoine & par son emploi, augmentée encore par sa sage économie, lui offroit les moyens de faire du bien, & ses actes de libéralité envers ses parens, comme envers ceux qu’il savoit dans le besoin, n’ont été ni rares, ni peu considérables. Quand la bienséance exigeoit de lui en certaines occasions, de la dépense & de l’appareil, il étoit magnifique, & de bonne grace. Hors delà tout faste étoit retranché dans sa maison, & les fonds reservés à des usages plus solides. Il ne s’est point marié, & a laissé en biens meubles, environ 32 mille livres sterling, c’est-à-dire 700 mille livres de notre monnoie.

Le docteur Pemberton nous apprend que le chevalier Newton avoit lu beaucoup moins de mathématiciens modernes qu’on ne le croiroit. Il condamnoit la méthode de traiter les matieres géométriques par des calculs algébraïques ; & il donna à son traité d’algebre, le titre d’Arithmétique universelle, par opposition au titre peu judicieux de Géométrie, que Descartes a donné au traité dans lequel il enseigne comment le géometre peut s’aider de cette sorte de calculs, pour pousser ses découvertes. Il louoit Slusius, Barrow & Huyghens, de ne se laisser point aller au faux goût qui commençoit alors à prévaloir, Il donnoit aussi des éloges au dessein qu’avoit formé Hugues d’Omérique, de remettre l’ancienne analyse en vigueur ; & il estimoit beaucoup le livre d’Apollonius, De sectione rationis, parce qu’il y donne une idée plus claire de cette analyse qu’on ne l’avoit auparavant.

M. Newton faisoit un cas particulier du génie de Barrow pour les découvertes, & du style d’Huyghens, qu’il regardoit comme le plus élégant écrivain parmi les mathématiciens modernes. Il fut toujours grand admirateur de leur goût, & de leur maniere de démontrer. Il témoigna souvent son regret d’avoir commencé ses études mathématiques par les ouvrages de Descartes & d’autres algébristes, avant que d’avoir lu les écrits d’Euclide avec toute l’attention que cet auteur méritoit.

M. Leibnitz ayant proposé aux Anglois comme un défi, la solution du fameux problème des trajectoires, cette solution ne fut presque qu’un jeu pour M. Newton. Il reçut ce problème à quatre heures du soir, & le résolut dans la même journée.

Au retour de la paix stipulée par le traité d’Utrecht, le parlement se proposa d’encourager la navigation par des récompenses, & M. Newton ayant été consulté sur la détermination des longitudes, il remit à ce sujet, à un commité de la chambre des communes, le mercredi 2 Juin 1714, le petit mémoire dont voici la traduction.

« On fait divers projets pour déterminer la longitude sur mer, qui sont vrais dans la théorie, mais très-difficiles dans la pratique.

« Un de ces projets a été d’observer le tems exactement, par le moyen d’une horloge ; mais jusqu’à présent on n’a pu faire encore d’horloge qui ne se dérangeât point par l’agitation du vaisseau, la variation du froid & du chaud, de l’humidité & de la sécheresse, & par la différence de la pesanteur en différentes latitudes.

« D’autres ont essayé de trouver la longitude, par l’observation des éclipses des satellites de Jupiter ; mais jusqu’à présent on n’a pu réussir à les observer sur mer, tant à cause de la longueur des télescopes dont on a besoin, qu’à cause du mouvement du vaisseau.

« Une troisieme méthode a été de découvrir la longitude par le lieu de la lune ; mais on ne connoît pas encore assez la théorie de cette planete pour cela. On peut bien s’en servir pour déterminer la longitude à deux ou trois degrés près, mais non à un degré.

La quatrieme méthode est le projet de M. Ditton ; cette méthode est plutôt bonne pour tenir registre de la longitude sur mer, que pour la trouver lorsqu’on l’auroit une fois perdue, ce qui peut arriver aisément dans un tems couvert. Ceux qui entendent la marine, sont le mieux en état de juger jusqu’où ce projet est praticable, & ce qu’il couteroit à l’exécuter. En faisant voile, selon cette méthode, il faudroit, quand on auroit à traverser une grande étendue de mer, naviger droit à l’orient ou à l’occident, & d’abord prendre dans la latitude du lieu le plus voisin de celui où on doit aller au-delà, & ensuite faire cours à l’est ou à l’ouest jusqu’à ce qu’on y arrive.

« Dans les trois premieres méthodes, il faut avoir une horloge réglée par un ressort & rectifiée chaque fois au lever & au coucher du soleil, pour marquer l’heure, le jour & la nuit. Dans la quatrieme méthode on n’a pas besoin d’horloge. Dans la premiere, il en faut avoir deux, celle-ci, & l’autre mentionnée ci dessus.

« Dans quelqu’une des trois premieres méthodes il peut être de quelque usage de trouver la longitude à un degré près, & d’une plus grande utilité encore, de la trouver à 40 min. ou à un demi-degré près, s’il est possible, & à proportion du succès on mérite récompense.

« Par la quatrieme méthode il est plus aisé de mettre le marinier en état de connoître à 40, 60 ou 80 milles, l’éloignement où il se trouve des côtes, que de traverser les mers. On pourroit bien accorder une partie de la récompense à l’inventeur, quand la chose se seroit exécutée sur les côtes de la grande-Bretagne pour le salut des vaisseaux qui reviennent, & le reste lorsqu’on auroit trouvé moyen par-là d’aller à un port éloigné, sans perdre sa longitude, si cela se peut ».

Après la mort de M. Newton on trouva dans ses papiers quantité d’écrits sur l’antiquité, sur l’histoire, sur la chimie, sur les mathématiques, & même sur la théologie. En 1727, il parut à Londres in-8°. une traduction angloise de son traité du système de l’univers.

En 1733, on imprima dans la même ville in-4°. ses remarques sur les prophéties de Daniel & sur l’apocalypse de S. Jean. Cet ouvrage a été traduit en latin par M. Suderman, & publié à Amsterdam en 1737 in-4°. avec de savantes notes. Le docteur Gray attaqua sans ménagement, & d’une maniere qui n’étoit pas honorable, les observations de Newton sur les prophéties de Daniel. Quoiqu’on puisse entendre d’une autre maniere les écrits du prophete, il n’y a rien néanmoins que de sensé dans l’hypothèse de Newton, & ses raisonnemens à cet égard sont bien éloignés d’être d’une nature à faire pitié, comme le docteur Gray a osé l’avancer.

En 1736, M. Colson mit au jour à Londres in-4°. la méthode des fluxions & des suites infinies, avec l’application de cette méthode à la géométrie des lignes courbes. C’est une traduction du latin du chevalier Newton, dont l’original n’a jamais été imprimé.

M. Birch ayant fait imprimer à Londres en 1737 in-8°. les œuvres mêlées de Jean Greaves, y a inséré la traduction angloise d’une dissertation latine de M. Newton sur la coudée sacrée des Juifs, qui étoit à la suite d’un ouvrage intitulé Lexicon propheticum, mais que M. Newton n’avoit pas fini.

Enfin ceux qui voudront ne rien négliger sur la connoissance des œuvres philosophiques de ce grand homme, doivent lire l’ouvrage profond de M. Colin Mac-Laurin, intitulé, histoire des découvertes philosophiques du chevalier Is. Newton, en quatre livres, Londres 1748, in-4°. (Le Chevalier de Jaucourt.)