L’Encyclopédie/1re édition/WORCESTER

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WORCESTER, (Géog. mod.) ville d’Angleterre, capitale du Worcestershire, sur la pente d’une colline, au bord de la Saverne, qu’on y passe sur un pont, à 80 milles au nord-ouest de Londres.

Cette ville fut bâtie par les Romains, qui en firent une place forte contre les Bretons ou Gallois ; c’est le Branonium d’Antonin, & le Bronogenium de Ptolomée. Les Saxons la nommerent Woger-Cester, Weogorna-Cester & Wire-Cester, peut-être de la forêt de Wire, qui en est voisine. Les Gallois l’appellent Car Wrangon ; & les latins modernes l’ont nommée Vigornia.

Cette ville a beaucoup souffert de la part des Danois, qui la pillerent, & la réduisirent en cendres, en 1041. Elle souffrit encore la même désolation en 1113, par un incendie fortuit qui consuma, entr’autres édifices, le château & l’église cathédrale.

Worcester s’est néanmoins relevée de ses pertes ; c’est aujourd’hui une grande & belle ville, partagée en dix paroisses, bien bâtie, fermée de murailles, excepté dans la partie qui est bordée de la Saverne, & qui n’a pas besoin de murs. On y entre par sept portes, & l’on y compte douze églises, entr’autres la cathédrale, où est le tombeau du roi Jean, & celui du prince Arthur, fils aîné du roi Henri VII. Les habitans ont trois marchés par semaine, & font un grand négoce de draperies.

Le siege épiscopal de Vorcester a été établi en 680, par Sexwulphe, évêque des Merciens. Le diocese comprend toute la province, & une partie de Warwickshire. Long. 15. 24. latit. 52. 25.

Somers (Jean), grand-chancelier d’Angleterre, a fait honneur à Worcester, lieu de sa naissance, en l’année 1652. Peu après l’avénement du roi Guillaume & de la reine Marie à la couronne, il fut nommé solliciteur-général, ensuite procureur-général, bien-tôt après garde du grand sceau, enfin grand-chancelier, & l’un des régens du royaume pendant l’absence du roi ; mais au commencement de l’année 1700, il fut dépouillé de sa dignité de grand-chancelier, par le crédit du parti des torys. N’ayant plus d’emplois publics, il consacra son tems aux muses, & fut élu président de la société royale. Il mourut en 1716, à 64 ans. Il joignit à l’étude de la jurisprudence & de la politique, celle des belles-lettres, qu’il possédoit parfaitement, comme il paroît par sa traduction de la vie d’Alcibiade de Plutarque ; mais M. Addisson loue fortement son mérite à bien d’autres égards ; écoutons-le.

Il arrive ordinairement, dit-il, qu’en voulant étouffer l’amour de la gloire, qui a jetté de profondes racines dans les ames nobles, on détruit en même tems plusieurs vertus ; & qu’il n’y a rien de plus propre à plonger l’homme dans l’indolence, que d’arracher de son cœur le desir de la réputation. Mais lorsque sans aucun aiguillon de vanité, un homme est zélé pour le bien du genre-humain, & qu’il n’est pas moins soigneux à cacher qu’à faire de belles actions ; nous pouvons être assurés que c’est un cœur plein de bonté & de magnanimité. L’histoire, continue Addisson, nous offre un grand exemple de ce beau caractere dans mylord Somers, dont la devise étoit, prodesse quam conspici.

Il s’est usé par son application aux études propres à le rendre utile au public, en formant des desseins pour le bien de sa patrie, & en appuyant les mesures qui pouvoient les faire réussir. Mais ce qu’il a fait, n’a été que dans la vue du bien public ; tous ses généreux efforts n’ont eu d’autre but ; le desir d’acquérir de la réputation n’y est entré pour rien.

Toute sa vie a été décorée d’une aimable modestie, qui a relevé d’autant plus ses vertus, qu’elles étoient comme cachées sous cette ombre estimable. Son application à ce qu’il y a d’épineux dans l’étude du droit, ne l’avoit point rendu décisif. Il ne savoit ce que c’étoit que de disputer sur des choses indifférentes, pour faire parade de la supériorité de ses lumieres. A une grande politesse, qu’il tenoit de l’éducation, il joignoit une grande force de raison.

Ses principes étoient soutenus par la vertu, & par cela même, ils ne varioient point au gré de l’ambition, de l’avarice ou de la haine. Ses idées n’étoient pas moins fermes que droites. Il a fini sa carriere dans une parfaite union avec les amis choisis auxquels il s’étoit lié en la commençant. Le grand homme ne paroissoit pas davantage en lui, comme patriote & ministre d’état, que comme savant universel. En partageant son tems entre les affaires publiques & la retraite, il se perfectionna non-seulement dans la connoissance des hommes & des affaires, mais encore dans celle des arts & des sciences.

Quoiqu’il passât par les divers degrés des honneurs de la robe, on le regarda toujours comme un homme qui méritoit un poste plus élevé que celui qu’il occupoit, jusqu’à ce qu’il fut parvenu à la plus haute dignité, à laquelle cette sorte d’étude puisse conduire. Il possédoit deux talens, qui se trouvent rarement réunis dans une même personne, un fond de bon sens, & un goût exquis. Sans le premier, la science n’est qu’un fardeau, & sans le dernier, elle est désagréable.

Son éloquence étoit mâle & persuasive. Son style étoit pur, vif & poli. On a ose comparer pour la capacité, cet illustre seigneur avec le lord Vérulam, qui a été, comme lui, grand-chancelier d’Angleterre. Mais la conduite de ces deux grands hommes dans les mêmes circonstances, a été fort différente. Tous deux ont été accusés par la chambre des communes ; l’un qui avoit donné prise sur lui, succomba, & fut réduit à une humiliation, qui ternit beaucoup l’éclat d’un caractere si élevé : mais mylord Somers avoit un trop sûr garant dans son intégrité, pour craindre une impuissante attaque contre sa réputation ; & quoique ses accusateurs eussent été bien aises de laisser tomber leurs griefs, il les pressa de les soutenir, & voulut que l’affaire fût décidée : car la même grandeur d’ame, qui lui faisoit mépriser la gloire, l’empêchoit de souffrir patiemment un injuste blâme.

Il n’y a pas de doute que cet homme rare ne figure dans l’histoire de notre nation ; mais nous ne devons pas nous attendre à y voir briller son mérite dans tout son jour, parce qu’il a écrit plusieurs choses, sans se faire connoître ; qu’il a eu la principale part à d’excellens conseils, sans qu’il y parût ; qu’il a rendu des services à plusieurs personnes, sans qu’elles aient su d’où ils partoient ; & qu’il en a rendu de très grands à sa patrie, dont d’autres ont eu l’honneur ; en un mot, parce qu’il a tâché de faire de belles actions, plutôt que de s’acquérir un grand nom.

Je sai qu’on pourroit attribuer ce magnifique éloge du lord Somers à l’amitié d’Addisson ; mais il faut du-moins accorder, que les grandes qualités de ce seigneur ont été bien frappantes, puisque ses ennemis même les reconnoissent, & que madame Manley n’a pu s’empêcher de mêler des louanges parmi les traits satyriques dont elle le noircit. « Il avoit, dit-elle, du feu & de la modération, de l’esprit & de la complaisance, des lumieres étendues, réunies à un jugement solide. Le dieu de l’éloquence, continue-t-elle, étoit maître de sa langue. Minerve elle-même avoit son domicile dans son cerveau pour l’inspirer, aussi bien que dans son cœur pour lui donner du feu. Sa sagesse & la sérénité de son tempérament, entretenoient l’union dans la cabale. Enfin, il n’y avoit que lui qui pût retenir le furieux Cethégus (mylord Sunderland), aussi bien que l’inconsidéré Catilina (le marquis de Warton)». (Le chevalier de Jaucourt.)