L’Enfance et la jeunesse de Joubert

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L’Enfance et la jeunesse de Joubert
Revue des Deux Mondes6e période, tome 17 (p. 342-381).
L’ENFANCE
ET
LA JEUNESSE DE JOUBERT[1]

Voici l’histoire d’un jeune garçon qui appartenait à la petite bourgeoisie provinciale sous Louis XV et au commencement de Louis XVI.

Joseph Joubert naquit à Montignac-le-Comte, en Guyenne, le 7 mai 1754. Au contraire de son ami Chateaubriand, frivole et qui volontiers oubliait son âge, il se souvint de cette date. En 1817, répondant à une circulaire administrative, il écrivait : « Mon prénom est Joseph, le lieu de ma naissance Montignac-sur-Vézère, département de la Dordogne ; je suis né le 7 mai 1754...[2]. » Montignac avait perdu son titre de noblesse à l’époque de la révolution, quand il fallut que les villes fussent égales entre elles, comme les gens. Le 1er mai 1822, âgé de soixante-huit ans, et à deux ans de mourir, Joubert écrivait à Mme de Vintimille : « C’est le mois où je suis né, et le mois où je vous ai connue, il y a vingt ans... » Il goûtait alors le plaisir de la mélancolie et de la rêveuse tendresse.

Il fut baptisé le 8 mai, dans l’église Saint-Georges-de-Brenac, l’une des paroisses de Montignac. Le prêtre fut l’abbé Martel, vicaire ; le parrain, Joseph Queyroy, bourgeois et habitant de ladite ville ; la marraine, Marie Darchaud. Le parrain signa ; non la marraine, « pour ne savoir. » Ces noms importent peu ; mais on aime à tirer de l’immense oubli ce qu’en ramène le hasard[3].

Il était, comme disent les actes d’alors, fils « naturel et légitime » de Jean Joubert, bourgeois et maître chirurgien. Ce Jean Joubert, natif de Montignac, avait été chirurgien dans les armées du Roi ; et il épousa en premières noces une demoiselle Françoise Pugnaire, qui mourut à Grasse le 13 novembre 1746. Après cette mort, il quitta les armées du Roi, revint au pays natal ; et il épousa Marie-Anne Gontier, qui fut la mère de Joseph Joubert. Son père (et ainsi te grand-père de Joseph Joubert) était un Claude Joubert, de Montignac ; et, sa mère, une Thoinette Queyroy[4]. Les Joubert, les Queyroy et les Gontier, trois familles nombreuses et dont les noms reviennent souvent, sur les registres de l’état civil et dans les procès-verbaux des assemblées municipales ou autres, à Montignac, vers la fin du XVIIIe siècle.

Montignac était alors une petite ville de quelque deux mille âmes et, sinon la plus importante, la plus jolie du Sarladais, au dire d’un estimable voyageur, François de Paule Latapie, inspecteur des manufactures et qui, l’année 1778, fit une tournée en Guyenne[5].

Une charmante petite ville : aujourd’hui encore, en la dégageant des bâtisses neuves, on la retrouve. Il reste beaucoup de maisons que Joubert a connues. Elles sont en pierre grise, solides et coiffées d’ardoises : les longs toits, avant d’arriver aux murailles, s’inclinent et se courbent gracieusement. La couleur des toits et de la pierre est en harmonie avec la teinte du paysage. Autrefois, quand la facilité des transports n’avait pas dérangé toutes choses, on bâtissait avec les matériaux de la région : et ainsi les villages ne faisaient pas de taches dans la nature. Les vieilles maisons de Montignac témoignent d’une vie simple, tranquille et assez riche.

La gaieté de la ville, sa vive animation, le point de ses péripéties principales, c’était la rivière, la Vézère jolie et redoutable. Il y a des rivières douces, il y en a de languissantes, il y en a de furieuses. Chacune a son caractère ; et, comme elles sont l’âme remuante des cités, elles donnent au voisinage leur esprit. Montignac n’est pas somnolent. La Vézère y fait une course rapide et preste. Elle a une allure gaillarde. Elle se précipite. L’hiver, affolée des cadeaux que lui jettent les collines, elle déborde. Elle est sinueuse ; elle est coquette ; elle a des caprices de calme et de soudaine frénésie. Elle coupe en deux Montignac, dans le sens de la perpendiculaire. La rive gauche appartenait au diocèse de Sarlat, et la rive droite au diocèse de Périgueux, Du reste, les deux rives se détestaient, ou peu s’en faut. Les gens du diocèse de Sarlat, qui étaient de plus ancienne bourgeoisie, méprisaient leurs voisins de droite ; et il ne se faisait pas de mariages, d’une rive à l’autre.

Mais, quand Joubert avait une douzaine d’années, l’intendant de Guyenne, M. Boutin, riche manufacturier qui employait cent cinquante fileuses, diocésaines de Périgueux et de Sarlat, et qui sans doute avait à pâtir de leurs rivalités natales, eut l’idée de construire un pont. Aussitôt, les deux rives, pouvant communiquer facilement, se connurent mieux, se mêlèrent : et la bonne intelligence régna dans les deux paroisses de Montignac. François de Paule Latapie, en le constatant, s’attriste à observer que nos goûts et nos passions dépendent de petits faits.

Le pont, du côté où vient l’eau, est muni de contreforts pareils à des proues de bateaux. La Vézère y grimpe ; elle s’y fend, passe et galope.

Elle est, par les beaux jours, claire autant qu’un miroir. Elle reflète deux couleurs, celle du ciel et celle des arbres, et les mille nuances des arbres et du ciel. Les arbres sont, aux alentours de Montignac, d’une essence foncée qui a une beauté grave ; des cyprès y dressent leurs fuseaux noirs parmi la verdure inégale des sapins, des chênes et des châtaigniers. Mais, au bord de la rivière, il y a le frisson des peupliers gris et le tremblement argenté des saules. Dans la rivière, après un bout de quai, suite du pont, trempe une troupe de maisons très anciennes, pauvres, qui ont, sous l’auvent, des fenêtres larges, carrées, de forme renaissance, et qui font sécher des linges au soleil. On les a construites sur de hauts pilotis ; et, quand la rivière est basse, elles ont l’air de filles qui troussent leurs cotillons et montrent leurs longues jambes.

Le site est noble et ravissant, sous les jeux de la lumière qui s’y répand bien, avec variété, sans désordre. Une vallée, un bel entourage de collines ; au fond, l’Arzème, qui est une colline un peu plus élevée que les autres : et l’arzème est, là-bas, le nom d’une sorte de muguet, de bon augure aux amoureux.

Montignac avait aussi son château féodal, jadis très puissant et abandonné dès avant la révolution. Henri IV y avait logé, quand il n’était que roi de Navarre et, à ce titre, comte de Périgord. Le château de Montignac campait sur une forte éminence ses tours carrées, ses murailles à mâchicoulis. Il dominait la ville ; et il était anodin, beau, comme un reste des âges lointains et comme un témoignage de la durée. D’autres châteaux, dans les environs, La Faye, La Filolie, Balcayre, Losse, Clérant, Sauvebœuf, étaient de magnifiques demeures, solides comme des forteresses, élégantes comme des œuvres d’art. Et l’aristocratie du Périgord y passait, bien étourdiment, ses dernières années paisibles, y menait une existence fastueuse et campagnarde. Chacun de ces châteaux avait ses légendes, ses contes poétiques, ses histoires d’amour chevaleresque et populaire où les castes qu’on lancera bientôt l’une contre l’autre collaboraient gentiment. Il y avait aussi, a quelque distance, des abbayes, comme à Saint-Amand-de-Coly, des abbayes construites pour la guerre ; et, tout près de Montignac, à Montignac même, des monastères pacifiques, des couvens dont, le soir, à l’angélus tintaient les clochettes sans nombre.

Montignac était là, petite ville où survivait le passé ; petite ville assez turbulente, un peu méridionale et sans la légèreté futile des pays où le perpétuel soleil rend les journées si bonnes qu’on les amuse et qu’on ne veut pas les troubler ; petite ville prompte à se fâcher, soudaine comme la Vézère ; petite ville de passions qui, aux mauvais jours, la hérissent ; petite ville habituellement sage et que suscite peu de chose.

Quand on y vient de Périgueux, on descend par une rue escarpée et tortueuse. On débouche sur une place et voici le pont, voici la grand’rue qui va jusqu’à l’autre bout de Montignac. Il y a des rues transversales, et des ruelles de village, et des chemins qui se terminent dans les champs, les prés et les bois.

Le rendez-vous était, alors comme aujourd’hui, sur le pont. Il fallait qu’on s’y rencontrât sans cesse, le voulant ou non. Et l’on a, dans les petites villes, du loisir ; on baguenaude et l’on bavarde. Les moins occupés attendaient, comme aujourd’hui, les autres en regardant l’eau couler. La petite ville avait, dans les maisons grises, ses retraites de vie cachée ; mais, sur le pont, elle se montrait ; elle épiait le prochain, le commentait ; elle épiloguait en patois sur les nouvelles, sur les potins. Et elle s’exaltait facilement, si le vent tournait au vif.

Il y avait, dans tout cela, une aimable bonhomie et la simplicité que les petites villes gardent du temps où elles étaient encore des villages. La campagne n’est pas loin, la benoîte nature.

La nuit que Chateaubriand naquit, à Saint-Malo, la tempête d’hiver faisait rage : il le raconte ; en outre, c’est la vérité. Pour le 7 mai 1754, jour de la naissance de Joseph Joubert, il nous plaît d’imaginer un pur et beau printemps, parfumé des fleurs de l’arzème, avec un ciel limpide, une raisonnable Vézère, une lumière douce qui ne met pas d’ombres dans le paysage et qui en éclaire tout le détail comme une intelligence attentive.


Les Joubert n’habitaient pas une des maisons opulentes de Montignac, une de celles qui ont à leurs angles, à leurs pignons ou à leurs lucarnes, des motifs de sculpture, des coquilles Louis XIV et, sous le toit, des lignes de pierre dentelée ; mais une bonne maison, dans la rue montante, avec deux corps de logis, l’un au fond d’une cour, l’autre en avant et qui portait (et porte encore) une terrasse à l’italienne.

Les chambres, au premier étage, sont grandes, tapissées de boiseries et ornées de belles cheminées de pierre, très longues, devant lesquelles on pouvait être beaucoup de monde à se chauffer. En bas, une pièce plus grande encore et qui devait être la salle à manger, une cuisine, et puis une resserre ; une écurie, une remise, pour le cabriolet du maître-chirurgien.

La maison est accotée à la colline ; le rez-de-chaussée n’a d’ouverture que sur la cour. Les pièces d’en haut donnent, en arrière, sur un étroit balcon ; et, par un escalier de bois, on grimpe à un jardin qui n’est qu’une bande de sol, taillée dans la colline comme un chemin de montagne, de la longueur de la maison, de la largeur de quatre pas. Ce jardinet, la maison l’emprisonne d’un côté : de l’autre, la colline abrupte. Il est sombre, enfermé, humide. Il a pourtant de petits arbres, une allée, des fleurs, et de gros buis, aux troncs noueux, que Joubert a connus.

Ce n’est pas un jardin joyeux où pût beaucoup se démener une allégresse enfantine. Je me figure la maison un peu austère.

Les registres du temps signalent des payemens faits à des collègues de Jean Joubert pour leurs fournitures : et je crois qu’il s’agit des médicamens qu’ils avaient préparés. Un registre signale aussi l’attestation qui fut demandée à un maître-chirurgien, touchant la démence d’un pauvre diable que le district de Montignac faisait enfermer[6]. Une autre fois, des épidémies s’étant produites dans la paroisse de Châlus, on consulte les « chirurgiens » sur l’origine, peut-être paludéenne, du fléau[7]. Ainsi, les fonctions du maître-chirurgien avaient leur importance, et leur responsabilité d’où résulte la considération.

Les Joubert, sans être riches, possédaient cependant quelque chose[8]. Leur famille était ancienne le pays. Jean Joubert devait gagner honnêtement sa vie. Mais les enfans arrivèrent, très vite et nombreux : il y en eut treize.

Jean Joubert avait épousé Marie-Anne Gontier, le 14 juin 1752. Le 26 avril 1753, naquit une Catherine. Joseph est le deuxième. Un frère lui survint le 28 août 1756 : on l’appela Joseph encore ; mais il prit ensuite le surnom de Beauregard, nom d’un village de là-bas où probablement il fut en nourrice. Le 6 décembre 1757, naquit Marie Joubert ; et, le 22 mai 1759, Louise Joubert. Le 27 mai 1761, « autre » Catherine ; mais elle ne vécut pas. Et, le 9 avril 1762, un garçon, Elle. De 1763 à 1766, quatre fils, un troisième Joseph, un Bernard, un quatrième Joseph, un Jacques : ils vécurent seulement quelques jours ou quelques semaines. Enfin deux enfans, qui accomplirent leur destinée : Arnaud, dit Joubert-Laffond (du nom, je crois, de son parrain), né le 2 décembre 1767 ; et une seconde Marie, née le 8 novembre 1769.

Les treize enfans s’échelonnent, presque d’année en année, de 1753 à 1769, et ils occupent à peu près toute la jeunesse de Marie-Anne Joubert. Ne faut-il pas ajouter, les années où il ne naît pas d’enfant, les grossesses manquées ? Et quel résumé d’une existence dévouée aux inquiétudes et aux souffrances de la continuelle maternité 1 Après la naissance d’Elie Joubert et avant elle, la série des cinq enfans qui ne vécurent pas indique assez la fatigue de la mère, qui pourtant continue son métier maternel.

Quant à notre Joseph Joubert, il a pour compagnons de ses jeux puérils ses trois sœurs, Catherine, Marie et Louise, ses deux frères, Joseph et puis Elie, mais de huit ans plus jeune. Arnaud et la seconde Marie, beaucoup plus jeunes, arrivèrent au moment de son adolescence où il quitta Montignac pour les Doctrinaires de Toulouse. Ils sont, en somme, six enfans, et de toutes les tailles, à prendre leurs ébats dans la maison grande et restreinte par le nombre des berceaux et des lits qu’on entasse tous les ans davantage, et dans le jardin tout petit. Alors, il faut évidemment qu’on se serre un peu, qu’on se serre de plus en plus ; et il faut qu’on vive, le mieux possible, avec beaucoup d’économie. La maison n’était pas uniquement gaie.

Le 27 mars 1761, sur l’acte de baptême de la seconde Catherine, Jean Joubert est dit « aubergiste. » L’année suivante, à la naissance d’Elie, comme précédemment et comme ensuite, il est « maître-chirurgien. « Sans doute n’a-t-il pas tenu auberge, avec enseigne, dans sa maison de la rue dite du Cheval blanc. Mais, pour subvenir aux besoins de la famille, il dut à l’occasion recevoir des hôtes de passage, prendre pour quelque temps un pensionnaire ou deux : telle était, à la campagne, la simplicité de l’ancien usage. Il n’en gardait pas moins son titre de « bourgeois » et les privilèges de sa profession médicale. En 1778, pendant sa tournée d’inspection, Latapie écrit : « J’ai logé chez le sieur Joubert, qui est fort honnête et au-dessus de son état. »

Jean Joubert prisait assurément l’orgueil d’avoir été chirurgien dans les armées du Roi, d’avoir accompagné les belles troupes élégantes et victorieuses. Il en parlait, le soir, — et non de Françoise Pugnaire, son jeune amour défunt, — mais de l’aventure des camps et des garnisons. Là-dessus, nous avons un témoignage : c’est Elie Joubert qui, plus tard, continuant l’allure paternelle, devint à son tour chirurgien des armées, — non du Roi, mais de l’Empereur, — en Italie, à Piombino, ailleurs, dans toutes les grandes guerres, dans les troupes de Flandre, de Champagne, de Belgique, de Sambre-et-Meuse, du Rhin, de Hollande et de Cisalpine. Il épousa une belle Italienne, — en souvenir inconscient de Françoise Pugnaire, méridionale.

Mais Joseph Joubert ?... Il nous serait agréable de savoir l’enfant qu’il a été, de le voir un peu nettement parmi les siens. Je ne me le figure pas sensible autant qu’Elie au récit belliqueux. Doux et casanier, sage, il demeure plus que les autres auprès de sa mère. Il est touché de la venue et des brusques départs des frères et des sœurs qui n’ont fait que passer un instant à la maison, et qui sont morts, et qui laissent après eux comme un émoi déconcerté. Il est, de tous les garçons, l’aîné. Il a pour sa mère une tendresse infinie ; il devient, avant sa quatorzième année, un petit confident pour elle : ce qu’on lui dit, d’une tremblante voix, il le comprend et, le reste, il le devine.

Ces détails, je ne les invente pas ; je les déduis de quelques pages qu’il a écrites en 1799, quand, après sept années d’absence, il retourna dans sa province, retrouva sa mère et, avec elle, la mémoire la plus éloignée et la plus chère de sa vie. Sans doute alors, ayant quarante-cinq ans, mêlait-il de nouvelles impressions a la mémoire ancienne. Mais on sépare sans trop de peine l’une et les autres ; ou, plutôt, on aperçoit toute l’ancienne vérité dans le miroir nouveau qui la reflète.

Ces quelques pages ne sont qu’un brouillon. Peut-être les destinait-il à Pauline de Beaumont ; cependant elles ne sont pas entrées dans une des lettres qu’on ait conservées. Ecrivait-il pour lui tout seul ou bien pour la jeune femme qu’il savait si intelligente aux sentimens et aux idées ? En tout cas, il écrivait exactement selon son cœur.

Donc, en 1799, Mme Joubert racontait à Joseph Joubert qu’il avait été un enfant doux. Et il note : « Je rends grâce à la nature, qui m’avait fait un enfant doux. » Sa mère l’avait allaité. Elle lui raconta que jamais il ne lui avait mordu le sein ; et, s’il pleurait, il ne persistait pas à pleurer, sitôt qu’il entendait la voix de sa mère : « un mot d’elle, une chanson arrêtoit sur-le-champ mes cris et tarissoit toutes mes larmes, même la nuit et endormi. » Joubert ajoute : « Jugez combien est tendre une mère qui, lorsque son fils est devenu homme, aime à entretenir sa pensée des minuties de son berceau. » Et puis : « Mon enfance a pour elle d’autres sources de souvenirs maternels qui semblent devenir tous les jours plus délicieuses et plus nombreuses. Elle me cite une infinité de traits de ma tendresse, dont elle ne m’avoit jamais parlé et dont elle me rappelle fort bien tous les détails. A chaque moment que le temps ajoute à mes années, sa mémoire me rajeunit ; ma présence aide à sa mémoire. »

Et Marie-Anne Joubert, femme très simple et très sensible, sort peu à peu, ainsi, de l’ombre où elle était cachée, l’ombre du temps et de l’oubli. Elle se révèle dans la pénombre où l’a tendrement amenée son fils. Elle y apparaît comme sur un daguerréotype à demi effacé. Les traits du visage ne se voient plus ; on ne saurait les distinguer, à travers la brume pâle qui les enveloppe. Il faut regarder longtemps l’image, et complaisamment, avec le soin qu’on met à examiner le daguerréotype que je disais, en l’écartant de la lumière trop vive, en l’inclinant de telle sorte qu’y vienne un rayon de jour atténué. Alors, faute des lignes nettes, se dessine au moins la physionomie, le sourire de la bonté, l’aimable tristesse, le sentiment d’heureux et tremblant amour qui dure chez les femmes et qui tardivement avive leur amour maternel. Une grâce jolie et touchante émane de cette figure.

Rajeunissons de quarante années Marie-Anne Joubert, ainsi qu’elle-même le faisait par le fidèle artifice de la mémoire, auprès de son fils, en 1799. Tâchons d’écarter les dizaines d’années qui ont accumulé sur elle plus de la moitié d’une longue vie, et de la retrouver en deçà, telle qu’elle était auprès de ses enfans petits et turbulens, auprès de l’ainé des garçons, plus sage, encore enfant, et parmi l’occupation d’une maison qui est nombreuse et qui n’est pas riche.

Elle est jeune ; elle est jeune sans l’être. Sa jeunesse n’a pas résisté aux fréquentes maternités, aux promptes relevailles et à tous les soucis quotidiens. Et, la jeunesse, les petites villes ne la prolongent pas ; en outre, jadis, on ne l’épargnait pas : les femmes y renonçaient vite, par un usage de dure dignité. Le bonnet quasi religieux des bonnes femmes couvre les cheveux de Marie-Anne Joubert avant qu’ils n’aient commencé de blanchir.

Elle fait tous les jours la même chose ; elle est assidue aux mêmes besognes de toutes les heures. Et les heures passent, variées d’incidens souvent cruels, analogues entre eux, si bien que la monotonie des semaines et des mois n’en est pas interrompue, et que les heures défilent sans qu’on remarque leur passage. Maladies des enfans et mort de plusieurs nouveau-nés, inquiétudes pour l’argent et chefs-d’œuvre d’économie, quelques achats, lesquels sont des événemens, des scrupules et des plaisirs, quelques soirées de fête avec la parenté réunie pour des anniversaires ou les commandemens du calendrier.

Tout cela, dans l’atmosphère de la religion. Marie-Anne Joubert est extrêmement pieuse. Nous le savons. Joubert a écrit, dans ce brouillon de 1799 : « Je lui ai donné de grands chagrins par ma vie éloignée et philosophique. » Il ajoute : « Elle en a eu beaucoup d’autres. »

Sa vie éloignée : — éloignée d’elle, car il l’a quittée de bonne heure, à l’appel de l’ambition ; éloignée d’elle, et aussi de la religion qui, pour elle, était l’indispensable et seule idée d’une vie normale.

Il y avait des philosophes à Paris. Marie-Anne Joubert, fidèle au mode ancien d’une existence que Dieu mène, zélée à la messe et au chapelet, zélée à consacrer tous ses momens, tranquilles ou non, par les vertus théologales de la foi, de l’espérance et de la charité, baume de ses journées, Marie-Anne Joubert ne sut pas qu’il y eût des philosophes à Paris avant que son fils ne subît leur tentation périlleuse.

Et la constante piété, par l’examen de conscience et la confession, qui demande une délicate analyse de soi, l’affine ; la pratique de la communion met de sublimes épisodes parmi ses travaux journaliers.

Elle est pieuse, par l’habitude et l’obéissance ; puis elle est pieuse comme l’est une femme très supérieure à son entourage et à sa destinée qui, dans sa piété, trouve l’idéal d’une rêverie qu’elle a toute seule.

Joubert, écrivant à Mole le 30 mars 1804, lui disait : « La première fois que je vous ai vu, je perdais en ce moment ma mère, la meilleure, la plus tendre et la plus parfaite des mères ! Ma tendresse pour elle fut toujours, au milieu même de mes innombrables passions, mon affection la plus vive et la plus entière ! »

Maintenant, il me semble que nous voyons très bien Marie-Anne Joubert au milieu de ses enfans. Nous ne savons presque rien des filles : Catherine et Marie devaient se marier, l’une à vingt-six ans, l’autre seulement à trente-cinq ans ; et Louise devait rester fille, soignant sa mère et, après la mort de sa mère, demeurant toute seule à Montignac jusqu’à sa mort en 1837. Mais, des trois fils, — ne parlons pas encore du petit Arnaud, — Joseph dit Beauregard et puis Elie étaient du côté paternel : tous deux seront médecins. Joseph Joubert était, lui, plus proche de sa mère ; et l’on imagine, entre lui et elle, ces analogies d’âme, ces affinités qui font les préférences involontaires, les subtiles et profondes intimités. Marie-Anne Joubert était plus instruite que, de coutume, ne l’étaient, en ce temps-là, dans une petite ville périgourdine, les femmes de la petite bourgeoisie. Elle put suivre les études de ce jeune garçon, participer à son premier émoi de littérature.

Il y avait, à Montignac, l’une de ces modestes écoles où un brave homme, paré du titre de « maître ès arts, » enseignait aux gamins l’art de lire, d’écrire et de compter, moyennant deux livres par mois[9]. Il les conduisait jusqu’à la prime adolescence en leur donnant aussi des leçons un peu plus fortes de géographie et d’histoire, de style et de religion. Le maître de Joseph Joubert était un bon vieux pédagogue. Ensuite et du temps d’Arnaud, vint s’établir à Montignac un jeune professeur, tout fringant, tout vif et qui d’abord fut accueilli très volontiers. Il apportait une façon nouvelle ; mais il abusa de la nouveauté, suscita des jalousies et déplut. Il eut la vogue et la perdit. Il se vengea, un jour de distribution de prix en faisant jouer par ses élèves une comédie où les notables de la ville étaient ridiculisés. On le rossa ; on l’obligea de quitter le pays. Il partit pour Paris, où le reçut avec indulgence Joseph Joubert. Mais Joseph Joubert, à Montignac, avait eu pour maître le vieil homme qui suivait la pratique ancienne[10].

Une déclaration royale du 14 mai 1724 enjoignait aux pères, mères et tuteurs d’envoyer les enfans, jusqu’à l’âge de quatorze ans, à l’école[11]. La déclaration royale fut obéie mollement : le nombre des gens qui, dans les actes, ne signent pas, faute de savoir, est assez considérable au XVIIIe siècle. Mais Jean et Marie-Anne Joubert veillaient à la belle éducation de leurs fils qui tous devinrent des hommes très distingués. A quatorze ans, Joseph Joubert était probablement aussi lettré que son bonhomme de maitre es arts. Il quitta Montignac pour aller aux Doctrinaires de Toulouse.

Avait-il dès lors une vocation ; ou bien, comme il arrive, ses parens en avaient-ils une pour lui ? M. Paul de Raynal, gendre d’Arnaud Joubert et qui a recueilli les traditions de la famille, dit qu’on pensait diriger le jeune garçon vers le barreau[12]. C’est assez probable. S’il montrait de l’éloignement pour la médecine et de l’amitié pour le beau langage, ses aptitudes devaient être ainsi interprétées. Qui aurait déjà deviné que, dans toute sa vie, il dédierait tout son effort au seul plaisir de rendre son esprit parfait ?

Il quitta Montignac en 1768, probablement au début de l’automne. L’année scolaire commençait, chez les Pères de la Doctrine, à la Saint-Luc (18 octobre)[13]. Il laissait dans sa petite ville son père et sa mère, les frères et les sœurs dont j’ai parlé, puis son frère Arnaud qui n’avait pas trois ans, sa dernière sœur Marie qui n’avait pas tout à fait un an.

Surtout, il s’écartait de sa mère. Et, plus on étudiera l’histoire des grands hommes, — je ne dis pas les célébrités auxquelles les circonstances sont quelque temps favorables, je dis les maîtres de la vie mentale, — plus on connaîtra la dépendance où ils furent à l’égard de leurs mères, femmes parfois très simples et d’apparence ordinaire, mais nobles d’esprit, fines de cœur et, souvent, sublimes en secret comme eux le sont visiblement. Leurs mères ne leur ont pas toujours communiqué idées, croyances et opinions. N’importe, ils ont subi cette influence ; mieux qu’une influence : ils valent un peu ce qu’ont valu leurs mères. C’est la même qualité de l’âme ; on a le sentiment qu’essayées, ces deux âmes rendraient le même son.

Ces enfans ne sont pas libres ; un doux attachement les tient. S’ils se libèrent, ils le feront avec douleur et, presque toujours, à leur dam.

Il y aura, dans toute l’existence de Joseph Joubert, le souvenir alarmant, le rappel de la bonne femme exquise, Marie-Anne Gontier, femme Joubert, de qui j’ai voulu tracer ce fragile portrait, comme celui de l’âme qu’avait préparée à Joseph Joubert la Providence, afin qu’il l’embellit encore par la souffrance, l’amour et la méditation, par l’erreur elle-même et le repentir.


Au mois d’octobre, à la Saint-Luc, il fait encore très beau dans le Sud de la France. Le petit Joseph Joubert fit les deux cent cinquante kilomètres qui séparent Montignac de Toulouse dans la splendeur déroulée d’une nature en or léger. Il vit, de relais en relais, s’agrandir et se multiplier l’idée qu’il avait du monde. Les villages qu’il traversait et les villes qu’il apercevait, Cahors et Montauban, lui annoncèrent que la géographie enseignée par le bon vieil homme de Montignac désignait des réalités.

Puis il arriva dans la ville rose, Toulouse. A peine eut-il le temps de la regarder au passage ; et on l’enferma dans le collège de l’Esquille, sa prison de briques roses.

Le collège de l’Esquille existe encore ; il achève d’exister. Le nom qu’il garde veut dire la cloche (esquilo, en patois). Mais la cloche ne sonne plus les étapes du temps. L’âme de ce beau lieu est morte : on l’a tuée. Après le départ des Doctrinaires, l’Esquille abrita le petit séminaire de Toulouse. Puis l’Etat ne manqua point de chaparder le collège. Il le possède ; il l’a vidé ; il n’en fait absolument rien, ne le soigne pas ; il le laisse avilir, il le laissera tomber en décombres. C’est un jeu de sauvages cupides et gaspilleurs.

Une population de gardiens et de leurs camarades, ceux-ci appelés à l’aubaine, loge dans les coins et les recoins du gracieux monument où le culte des lettres avait son asile savant et calme. L’herbe pousse dans la cour rectangulaire, où vient le soleil jouer sur les murailles roses. La saleté gagne le cloitre rose, ses grandes arcades régulières, son promenoir qui entendit la conversation latine des humanistes en soutane. Elle grimpe le large escalier de pierre ; elle rouille sa rampe de fer. Elle se cache ou bien s’étale dans les chambres, dans les « écoles, » dans les cuisines. C’est un spectacle d’abandon morne et honteux.

Si nous tâchons d’écarter cette laideur nouvelle, le monument a un charme doux et noble. Sa couleur rose de brique ancienne ajoute une aimable gaieté aux lignes sévères de l’architecture. Si l’on s’y promène un peu de temps et en songeant au passé plus qu’à notre époque, on en goûte le silence et la tranquillité pleine de souvenir. On y devient sensible à une impression de vie réglée et qui, pour avoir limité ses plaisirs, ne connaît que mieux son bonheur. Et la cloche, fréquente, bornait, comme aussi les murailles hautes, les velléités d’un chacun ; mais la pratique des littératures variées élargissait l’horizon de l’esprit : et l’âme avait, à la chapelle, mieux que l’espace des siècles, l’éternité. L’âme et l’esprit, tous deux amis, bien mariés, faisaient ensemble bon ménage ; la piété de l’une s’accordait aux profanes curiosités de l’autre, et ne les empêchait pas, et les sanctifiait.

Les Pères de la Doctrine furent, avec les jésuites, les zélateurs d’un enseignement qui unissait à l’éducation chrétienne l’amour des lettres païennes. Ce mélange exquis, l’ancienne France qui l’avait composé le savourait avec délices ; dans les dernières années de la monarchie, il commença de se défaire.

La chapelle est toute dévastée. Mais, auprès de l’autel, à droite, on remarque un portrait du jeune saint Louis de Gonzague, vêtu de noir, les yeux bas, adolescent grave et à qui ressemblait Joubert. Du moins, il y a quelque analogie entre ce portrait et le seul portrait qu’on ait de Joubert, imparfaits l’un et l’autre ; et la ressemblance est peut-être celle qu’invente l’imagination préoccupée. Le pâle visage du saint nous invite pourtant à nous figurer le collégien dévot à la table de communion.

Le petit Joubert avait à se lever, chaque matin, dès l’aube. Il faisait son lit et, à la seconde cloche, il se rendait aux exercices de l’oraison. Les maîtres y accompagnaient leurs élèves ; et le préfet donnait sa vigilance à maintenir dans les rangs un bel ordre silencieux[14]. Tous les mois, la confession : singulis mensibus sua peccata déponent ; et c’est une obligation, mais on veille à ce que la volonté religieuse coïncide, pour un tel acte de piété, avec le règlement. Les enfans sont engagés à la communion fréquente ; pour les acheminer là, on leur recommande cette piété plus familière, moins intimidante et plus facile, la dévotion à la Vierge. Le petit Joubert connut les messes matinales, la fraîcheur du réveil à la chapelle et, dans le voisinage du mystère, la demi-défaillance du corps à jeun que la présence et puis la possession de Dieu redresse.

Doctrina et veritas : c’était la devise des Doctrinaires, et elle concilie avec la rigueur de la doctrine avérée la vérité qu’on cherche. Il y a là et la discipline et l’audace, l’une maîtrisant et l’autre excitant les ardeurs de l’intelligence. D’ailleurs, on les a vus hardis, touchés un instant de jansénisme et, pour ce, tenus par l’Église en quelque suspicion. Plus tard, et particulièrement, vers le milieu du XVIIIe siècle, ils subirent la tentation des nouveautés.

En 1762, six ans avant l’arrivée de Joubert à Toulouse, l’Académie des Jeux floraux avait mis au concours ce problème : « Quel serait en France le plan d’études le plus avantageux ? » Le P. Navarre, professeur de philosophie à l’Esquille, traita le sujet ; et son discours fut couronné. 1762, c’est l’année de l’Émile. Et, comme Rousseau, le P. Navarre présentait une vive réforme de l’enseignement. Il veut que la pédagogie soit docilement adaptée à la nature des enfans, soumise à leur caractère, à leur impatience, à leur inconstance, à leur curiosité. Qu’on leur offre des vérités sensibles, qu’on les amuse avec des réalités pittoresques et qu’on enchante leur fougueuse imagination. Foin de la routine ! II n’est pas divertissant d’apprendre la grammaire grecque ou latine : on lira les philosophes d’Athènes et de Rome dans les traductions françaises[15].

Les Doctrinaires ne craignaient pas d’aller de l’avant ; et l’utopie du P. Navarre, je crois qu’ils l’avaient lancée comme un essai qui n’était pas sans les séduire. Ce fut un scandale. Les Doctrinaires, avertis, renoncèrent aux ingénieuses fantaisies de leur P. Navarre ; et l’on s’en tint à l’usage dûment consacré.

Celui-là était, sans nulle innovation, charmant. Cura religionis prior et potior habenda est, non tamen unica. Vigeant simul necesse est artes et scientiæ. La religion n’était pas reléguée à la chapelle ; mais elle pénétrait dans les classes, où chaque jour on préludait par la récitation et le commentaire du catéchisme, la lecture d’un passage des livres sapientiaux ou du Nouveau Testament : et, la matière des déclamations, on l’empruntait volontiers aux préceptes de la morale chrétienne. Puis le temps était libre pour un très large enseignement des humanités.

Unir exactement, et sans péril pour l’une ni pour l’autre, la culture païenne et la foi chrétienne : les Doctrinaires ont excellé à cette réussite, qui a semblé paradoxale après que fut défait ce bel accord. Les intelligences dans lesquelles se combinait élégamment la double pensée antique et moderne possédaient la somme du rêve européen et jouissaient du chef-d’œuvre total qu’avaient élaboré pour elles Athènes, Rome deux fois et Paris. Elles omettaient seulement ce que l’âme occidentale n’avait pas accueilli. Elles s’épanouissaient au gré des siècles fleurissans.

Les premières impressions du petit collégien Joubert nous manquent ; mais nous savons le souvenir que lui laissa l’enseignement de l’Esquille. En 1809, quand il collaborait avec Fontanes à l’organisation de l’université impériale, qu’on tirait du néant révolutionnaire, il écrivait au Grand Maître, son ami : « Regrettons nos anciens collèges ! » Et, se rappelant l’Esquille rose de Toulouse, il traçait, de nos anciens collèges, un tableau tout paré de sa tendresse reconnaissante. « Nos collèges étoient de petites universités où l’enfance étoit dressée à distinguer et à goûter tout ce qui doit charmer l’imagination et le cœur. Des hommes qui faisoient leurs délices de l’étude de ces beautés les enseignoient : jeunes eux-mêmes, ils portoient dans l’exercice de leurs fonctions un zèle épuré par le désintéressement le plus parfait et égayé par de riantes perspectives. Ils voyoient dans leur avenir, dès que leur âge seroit mûr, une retraite studieuse, les dignités du sacerdoce ou les honneurs et les faveurs de toute espèce qu’obtenoient alors leurs talens. Le temps de leur professorat étoit pour eux un enchantement continu. De ces dispositions des jeunes régens naissoit en eux une aménité de goûts et de manières qui se communiquoit à leurs élèves... Dans nos collèges, on enseignoit tout. L’éducation littéraire y étoit complette... » L’éducation littéraire, Joubert la définit comme suit : elle donnait « aux esprits et aux âmes une teinture de ce que les poètes, les orateurs, les historiens et les moralistes de l’antiquité ont eu de plus exquis, teinture qui certes embellissoit les mœurs, les manières et la vie entière... » Il insiste : « C’est par l’effet d’une telle éducation, c’est par cette succession non interrompue de générations, non pas scavantes, mais amies du scavoir et habituées aux plaisirs de l’esprit, que s’étoient multipliés en France, pays du monde où cette éducation étoit le mieux donnée et peut-être le mieux reçue à cause de la tournure d’esprit naturelle à ses habitans, ces caractères où rien n’excelloit, mais où tout étoit exquis dans son obscurité ; cette réunion de qualités où tout charmoit, sans que rien y fût distingué ; ce tempérament singulier, que le philosophe suisse de Murait croyoit particulier à nos climats, et qui servoit à former ce qu’on appeloit proprement des hommes de mérite, « espèce d’hommes, dit-il, commune en France et presque inconnue partout ailleurs ; espèce d’hommes si nécessaire à l’ornement du monde et à l’honneur du genre humain que les siècles où aucune nation ne pourra se vanter d’en posséder un très grand nombre seront tous des siècles grossiers[16]. »

En 1809, Louis de Hollande avait pris au sérieux sa récente qualité de souverain ; et il s’efforçait d’organiser les études dans son royaume : il s’était adressé à Fontanes, pour un bon avis, et Fontanes à Joubert. Ce fut l’occasion des notes qu’on vient de lire. En 1809, principalement, on instaurait l’université impériale. Joubert l’aurait voulu rattacher à l’usage des bons pédagogues, dressés à leur métier par les congrégations enseignantes. Vive audace ! Et il montre là, implicitement, que, dans une vieille nation qui a les bénéfices de sa durée, on n’improvise pas : il faut continuer.

Le succès de l’ancienne éducation, ce n’est pas aux méthodes que Joubert l’attribue, mais surtout « aux hommes qui enseignoient. » Il se souvenait des professeurs qu’il avait eus à l’Esquille. A la façon qu’il a de parler d’eux et de leur existence paisible, ornée de littérature, embellie de contentement, adoucie de sécurité, l’on n’a pas de peine à concevoir qu’il ait désiré de suivre leur exemple.

C’est ce qui arriva, quand il eut terminé ses classes, à dix-huit ans. Il omit l’ambition, qu’avait conçue pour lui le maître-chirurgien, d’être un jour avocat au parlement de Toulouse. Il ne connaissait rien de la vie fastueuse que menaient, dans la ville rose, les beaux conseillers et, près d’eux, aux degrés divers de la hiérarchie, les tribunaux et le barreau. Il connaissait tout uniment le collège et son recueillement. Il était pieux et docile, même de loin, à l’influence de sa mère. Bref, cessant d’être élève, après sa rhétorique, il entra dans la congrégation des Doctrinaires.

Le 17 mai 1772, « M. Joseph Joubert, fils de M. Jean Joubert et de Marie-Anne Gontier, du lieu de Montignac-le-Comte, diocèse de Sarlat, âgé de dix-huit ans, a pris la soutane de la congrégation. En foi de quoi, (signé) Castaing, de la Doctrine, maître des novices[17]. » Joseph Joubert est inscrit en ces termes au registre des vêtures.

Le voici habillé de la soutane des clercs, cousue à la hauteur de deux pieds, le reste boutonné jusqu’au menton, la soutane des prêtres séculiers, plus un petit collet large de deux doigts ; pour l’hiver, un manteau de la longueur de la soutane. A tous les exercices de la journée, il porte le bonnet carré. A la chapelle, le surplis[18].

Il se lève à quatre heures du matin. Il récite chaque jour le bréviaire, l’office de la Vierge et le chapelet. Il ne demeure plus à l’Esquille, au moins les premiers temps, mais à la maison-mère, plus voisine du Capitole, où les probationnistes se préparent au noviciat. Il prend ses repas avec ses collègues, assis tous du même côté d’une table longue, n’ayant devant lui personne, en silence, tandis qu’un lecteur à la bonne voix corrige par l’énoncé de pensées pieuses et de conseils spirituels la grossière concupiscence de la nourriture. Mais il ne fait pas abstinence de viande. La règle qu’il accepte est rigoureuse, non ascétique.

Il est alors un adolescent délicat, très mince et grand : je suppose qu’il atteint le bout de sa croissance : or, un passeport daté de 1822 et qu’il s’était procuré pour aller de Villeneuve à Paris, donne son signalement et lui attribue la taille d’un mètre quatre-vingts centimètres. Il n’était pas le petit homme qu’on imagine ; et il n’était pas du tout l’homme que d’habitude on représente. La soutane encore l’allongeait ; et, même étroite, elle faisait des plis dans la longueur de son corps maigre. Un visage pâle, sans poil. Des cheveux noirs. L’œil, placé un peu haut, très vif ; le nez long ; la bouche fine, aux lèvres pincées, très mobiles ; les joues creuses ; et l’air d’un jeune sage, très chimérique[19].

Tel je me le figure dans les rangs des apprentis novices, exact à ses devoirs, cheminant avec les autres, l’un d’eux, et différent, mais sans qu’on s’en aperçoive et peut-être sans qu’il s’en doute.

Les Doctrinaires, jaloux de recruter les talens dont ils avaient besoin, prenaient à l’occasion des professeurs dans le siècle. A l’époque même de Joubert, une demi-année avant lui, un certain Vital Bouvier, âgé de trente ans, prit la soutane de la congrégation « pour y être en qualité de frère laïque. » Le laïque, aux Doctrinaires, faisait son métier de pédagogue ; il devait quotidiennement dire l’office de la Vierge ou le chapelet. Mais il ne prononçait pas de vœux ; et il portait la soutane comme un uniforme.

Telle ne fut pas, le 17 mai 1772, la situation de Joseph Joubert ; et la mention de « frère laïque, » qui est inscrite auprès du nom de Vital Bouvier, ne l’est pas auprès du sien. Il avait la qualité de probationniste, ou de postulant, qui implique chez lui, à ce moment, le projet d’entrer bel et bien dans la congrégation. Pour cela, on devait avoir plus de quinze ans et moins de quarante, certifier de bonnes études, être indemne de tout défaut canonique, ne pas venir d’un couvent et postuler pendant quelques mois.

A plusieurs reprises, dans l’année, il y avait des « balottes, » et autant dire des examens à la fois intellectuels et moraux, des scrutins à la suite desquels on était, ou l’on n’était pas, admis à continuer ses preuves. Or, à la date du 17 septembre 1772, je lis dans le registre des vêtures : « La communauté s’est assemblée pour délibérer sur l’admission des novices à continuer leur probation. Les confrères Bessières, Richard, Saint-Marc, Dupuy et Delor ont été admis pour la seconde fois à continuer leur noviciat. Les confrères Coralx, Rudelle, Joubert, Drouailhes ont été admis pour la première fois. » La situation religieuse de Joubert se trouve ainsi très nettement définie. Il est novice. Commence-t-il ou continue-t-il, le 17 septembre 1772, son noviciat ? Le texte ne semble point assez rigoureusement rédigé pour que, dans cette alternative, on choisisse avec assurance. Mais il est novice. Or, les balottes ne montraient pas une extrême indulgence ; et il suffit de parcourir le registre du P. Castaing pour y découvrir nombre de confrères que l’assemblée de la communauté renvoya. Auprès du nom de Joseph Joubert, en marge, il y a ces mots, de la main du P. Castaing : « il s’est retiré. » A quelle date s’est-il retiré ? Le P. Castaing ne le dit pas. Mais le registre des vêtures signale une balotte qui fut tenue le 21 avril 1773. Plusieurs camarades de Joubert, — et, par exemple, Drouailhes et Coralx, — sont admis à la prolongation de leur noviciat. Joubert, non : il n’est pas question de lui.

Je conjecture que Joubert, novice dans le second semestre de l’année 1772, s’est retiré avant le 21 avril 1773.

A-t-il quitté alors les Doctrinaires ? Non pas. J’ai sous les yeux un petit feuillet écrit par lui et qui, de sa main, porte cette mention : « En 1774. A l’Esquille. » Donc, en 1774, et c’est-à-dire une année au moins après qu’il eut abandonné le noviciat, Joubert était encore aux Doctrinaires.

Sans doute s’est-il retiré du noviciat au moment où il lui aurait fallu faire profession, prononcer les trois vœux de pauvreté (non qu’il aimât les richesses), de chasteté (non qu’il fût bien concupiscent), d’obéissance (non qu’il eût le goût de la révolte), et promettre de rester dans la congrégation tout le temps qu’il vivrait. Pourquoi se retira-t-il ? Peut-être sa frêle santé ne se prêtait-elle point aisément à la règle assez dure des levers matinaux, des fréquens offices et à la discipline de couvent qui réclame une vive énergie du corps. Peut-être avait-il déjà cet amour d’une liberté, certes casanière, mais qui s’impose elle-même ses bornes. Et peut-être, à la veille de s’engager, éprouva-t-il les scrupules d’une certaine incertitude dogmatique : on l’admet volontiers, quand on sait que bientôt les philosophes de Paris le séduiront. Peut-être même le petit novice fut-il touché de quelque velléité mondaine. Sans doute y eut-il, dans les motifs de sa retraite, un peu de tout cela ; et tel est, en somme, notre cœur : il se décide rarement pour une seule raison.

Mais Joubert, qui se retirait du noviciat et qui, sans avoir prononcé de vœux, abandonnait les ordres sacrés, demeura cependant à l’Esquille. Il y fut dès lors, je suppose, en qualité de frère laïque et portant toujours la soutane de la congrégation, comme le confrère Vital Bouvier.

Il est évidemment professeur et, selon l’usage constant des Doctrinaires qui veulent que les professeurs fassent (de même que, les élèves, le cours de leurs études) leur apprentissage de maîtres en suivant toute la série des classes, il enseigne d’abord aux tout petits. Il écrivit plus tard : « Enseigner, c’est apprendre deux fois[20]. » Cette pensée a toute sa pleine signification, commentée par le système qu’on observait au collège de l’Esquille.

La plupart des pensées qui, dans les notes de Joubert, ont trait à l’éducation datent de l’époque où il était inspecteur général de l’université, de 1808 à 1815 ; et elles proviennent de ses nouvelles méditations, mais aussi de son expérience de pédagogue. Le paragraphe que voici et qui porte la date du 21 février 1812, se réfère évidemment au souvenir de l’Esquille : « Et ces écoles de piété que l’on trouvoit partout, jusque sur les vitraux du cloître, etc., et dans l’aspect des monastères ; et ces prîdieu au pied d’un crucifix qui formoient dans chaque maison, à la tête du lit du maître, une chapelle domestique, etc. Des écoles de piété ! Elles nous paroîtroient (si nous élions grandement sages) indispensables à cet âge qui a besoin qu’on le dresse à aimer le devoir, car il va aimer le plaisir[21]. » Ces idées sont précisément celles qui, au collège de l’Esquille, inspiraient et gouvernaient l’enseignement du jeune professeur Joubert. Ses qualités exquises de douceur et de bonté, son attention fine, la netteté de son esprit durent l’aider et lui rendre aussi la besogne agréable.

Pendant le loisir de ses classes, il travaille beaucoup, mène d’énormes lectures avec tranquillité ; c’est alors, et tout seul, aux alentours de ses vingt ans, qu’il acquiert sa grande et intelligente érudition.

Quels furent ses camarades, ses confrères, à l’Esquille ? Les meilleurs étaient probablement ceux qui n’ont pas laissé de nom, braves gens, modestes et doux, savans, qui faisaient leur métier, sans bruit, et qui accomplissaient une existence pieuse et obscure.

Parmi les autres, citons l’un des singuliers gaillards de l’époque, un Philippe-François-Nazaire Fabre, fils d’un marchand drapier de Carcassonne. Il était de quatre ans plus âgé que Joubert. Bien doué, pourvu de quelque poésie, mais aventureux, porté à la galanterie, porté aux femmes et, de naissance, un fol. Très laid, malpropre ; avec cela, de l’agrément ; une adresse à prendre la mode ; et capable d’une sorte de piété sincère, mais incapable de résister à des élans qui le conduisaient à leur gré. Il fut élève, ensuite professeur. Il n’avait pas de zèle, mais un charme de prime-saut. En 1771, il écrivit un sonnet « à l’honneur de la sainte Vierge, » — un sonnet un peu emphatique et dont les vers ne sont pas mal frappés ; — il l’envoya, somme toute, à l’Académie des Jeux floraux. Et, entre temps, il se sauva, ému d’amour, et se perdit dans la bohème, fut comédien dans une troupe qui ambulait de ville en ville. Pour le tirer de là et pour faire de lui un personnage, il fallut la Révolution, qui repêcha pas mal de ces vagabonds, les illustra et puis, cédant à sa manie, les tua. Je crois qu’il jeta le froc aux orties dans les premiers mois de l’année 1771 : l’année suivante, son père lui écrivait comme à un enfant perdu qui a fait mille sottises déjà, mille sottises qui demandent un peu de temps. Et l’Académie des Jeux floraux gratifia du lys le « Sonnet à l’honneur de la Vierge. » Mais Fabre était loin, sans doute : car il négligea de se révéler ; et le sonnet languit, sans nom d’auteur, dans les recueils imprimés de l’Académie. Il sut pourtant qu’on l’avait couronné par défaut. L’Académie florale décernait des églantines et des lys, des églantines à l’éloquence, des lys à la poésie. Il oublia de s’informer ; et, fier avec nonchalance, il prit le nom sous lequel il demeure étourdiment célèbre. le nom de Fabre d’Églantine. C’est à lui qu’on doit la poétique niaiserie du calendrier républicain et la charmante chanson de la bergère à qui l’on dit et l’on répète qu’il pleut, bergère.

Joubert ne parle pas de lui : mépris, oubli ?... Mais il le connut certainement ; du moins, il le rencontra et le vit, dans la cour de l’Esquille, petit professeur ensoutané qui menait sa classe à la chapelle et qui ne savait pas encore qu’il tournerait mal ; qui écrivait, en épigraphe au sonnet de la Vierge tueuse du serpent : Ipsa conter et caput tuum, et ne prévoyait pas que, sa tête à lui, la guillotine la couperait.

Un autre confrère du novice Joubert : Noël-Gabriel-Luce de Villar, un homme assez distingué, une sorte de brave homme, qui avait le goût de l’éloquence un peu ornée. Ce P. Villar, Joubert le retrouva, au temps de l’université impériale. Il l’eut pour collègue d’inspection, en 1808 et en 1809, et ne fut pas toujours de son avis[22]. Dans l’intervalle, le P. Villar avait esquissé une belle carrière, non exempte de tout reproche. Il était devenu, sous les Doctrinaires, recteur de leur collège de La Flèche ; en 1791, évêque constitutionnel de la Mayenne ; en 1792, député de la Mayenne à la Convention. Et il n’avait pas voté la mort du Roi, mais sa détention, et son bannissement, et le sursis (tout compte fait) à son exécution. Les honneurs l’avaient récompensé : membre de l’Institut, membre du corps législatif, il était de nouveau l’abbé Villar ; on lui savait gré d’une bonne réorganisation de la Bibliothèque Nationale.

Il y avait encore, à l’Esquille, une vingtaine d’années avant la Révolution, un jeune homme qui donnait de grandes espérances, Pierre de Laromiguière. Il avait pris la soutane treize mois après Joubert. Et il aimait la musique ; il aimait aussi l’émoi d’un cœur tendre. A la maison des novices, il jouait de la flûte, le soir, pour enchanter une novice, dans le couvent de Saint-Pantaléon, tout proche[23]. C’était un jeune philosophe, très attaché à la doctrine de saint Thomas, si bien muni de dialectique qu’on l’appelait avec admiration « le petit Aristote. » Mais il lut Condillac et, féru de clarté simple, adopta le système ingénieux des sensualistes. Comme il avait la vogue, il s’enhardit., A l’Esquille, il ne craignit pas d’enseigner la philosophie, non plus en latin, suivant l’école, en français. Voire, dans une séance de fin d’année, il fit scandale et inquiéta le parlement de Toulouse, ayant proposé cette thèse que l’impôt, fixé sans l’aveu public, est une atteinte au droit de propriété. En 1791, — et, il faut le dire, avec la plupart des Doctrinaires, — il accepta volontiers de prêter le serment à la Constitution. C’était un homme extrêmement fin, qui écrivait à merveille, qui avait une ironique douceur de l’esprit et qui plus tard sut, à force de prudence industrieuse, réparer ses primes audaces sans repentir et combiner des idées vives avec des manières rassurantes.

Tel est à peu près le milieu dans lequel Joubert eut ses vingt ans ; un milieu très intelligent, très peu fermé aux influences du dehors, et suffisamment pittoresque. D’ailleurs, il n’a rien dit de ces différens personnages. Je ne sais pas s’il les aima ; je lui suppose d’autres amis, et je les lui suppose volontiers parmi ceux qui ont fait le moins de bruit.

L’un d’eux est Dardenne, qui mourut jeune et que Joubert a beaucoup aimé. « Dardenne est mort. Quelle mort ! et quelle perte ! que d’erreurs il eût détruites, que de vérités il eût enseignées. Je mourrai peut-être à son âge, hélas et l’expérience de deux hommes de bien sera perdue pour leurs semblables. » Ces lignes de mélancolique admiration, je les trouve sur un feuillet où il y a d’autres pensées, écrites dans tous les sens. Aucune date. Mais ces lignes sont évidemment de la jeunesse de Joubert : « je mourrai peut-être à son âge... » Quel frémissement de chagrin ! Et l’ami désolé fait un retour sur lui-même. Ainsi, le jeune homme qui voit mourir auprès de lui un homme très jeune encore est déçu dans son espérance d’une durée indéterminée. Son émoi passera quand il aura, pour tout arranger, — car le désir de vivre vous suggère la dialectique dont vous avez besoin, — conçu qu’un tel accident ne dérange pas l’économie générale de la destinée ; alors il ne gardera que la tristesse d’un regret. Mais, d’abord, il a senti l’insécurité d’être jeune.

Qui était ce Dardenne ? S’il est mort avant. d’avoir détruit les erreurs et enseigné les vérités, avant même d’avoir essayé de le faire, ne le cherchons pas dans les célébrités de l’époque. Son génie perdu, Joubert est peut-être le seul qui ne l’ait point ignoré. Ce jeune homme fut anéanti.

Mais, dans le registre des vêtures, voici, à la date du 25 octobre 1768, un Grégoire Dardenne qui prend la soutane à dix-sept ans ; puis, le 30 janvier 1769, un Raymond Dardenne qui prend la soutane à vingt et un ans. Tous deux ont été à l’Esquille en même temps que Joubert. Je crois que le Dardenne de Joubert fut Raymond Dardenne, fils de Jean Dardenne et de Jeanne Scieau, de Cadours, qui avait presque sept ans de plus que lui : « Je mourrai peut-être à son âge... » Ce n’est qu’un très petit renseignement, précieux néanmoins, s’il écarte, ne fût-ce qu’à peine, l’ombre qui couvre le premier ami de Joubert, sa tendresse désenchantée et sa douleur. Nous imaginons plus facilement ce jeune sage, armé de philosophie et qui promettait d’enseigner le monde.

Nous allons le connaître mieux. Sur un feuillet sans date (et qui n’est peut-être pas de l’époque où Joubert déplorait la mort de son ami) Joubert a noté ceci : « Dardenne disoit : La barbarie n’est qu’un sentiment faux de la justice. » Et puis, (c’est assurément Dardenne qui parle encore) : « Le génie universel vient des passions universelles. » Ailleurs enfin : « D... (c’est évidemment Dardenne) me disait un jour : Je voudrois qu’on donnât au peuple tous les jours un bon dîné, un bon soupe, un bon habit ; un bon lit toutes les nuits, et tous les matins des coups de bâton. » Voilà Dardenne. Et il nous apparaît avec un vif caractère ; un garçon qui a de l’esprit, et caustique : il est habile aux formules originales, bien frappées et qui se marquent dans la mémoire. Les philosophes, pendant ces années où la Révolution se prépare, ont passionnément répandu le souci du peuple. Et, sous les arceaux du cloître rose, à l’Esquille, on est sensible à ces idées. Mais Dardenne, qui ne les méconnaît pas, intervient et impose, ne riant pas, souriant à part lui, cette restriction : les coups de bâton, pour corriger l’excès périlleux d’une philanthropie qu’il a consentie de grand cœur. Il est un homme d’ordre et de discipline. La Révolution ne l’aurait pas surpris : elle l’eût seulement décapité.

Joubert ajoute un peu plus loin, et pour son compte : « Le peuple est vil ?... C’est qu’il est peuple. Plaignés-le donc d’être peuple et désirés un autre état de choses où il ne se trouve ni grands ni petits. » Joubert est plus jeune que Dardenne ; il a moins de précaution politique et il cède davantage à la séduisante philosophie.

Sur le même feuillet où il y a : « Dardenne est mort... » il y a aussi (parmi toutes sortes de choses) le passage suivant : « Idée profonde et qui servoit comme de baze à un sistème qu’il méditoit sur la législation... » Cette idée « importante et neuve qui (selon Joubert) découvre le vice de toutes les institutions politiques, » la voici : « Toutes ont sacrifié une partie de l’homme à l’autre et ne se sont pas moins opposées à son bonheur qu’à son achèvement. Au lieu de hâter et de conduire le développement de ses affections sociales, toutes les ont égarées ou perdues. Toutes l’ont empêché de croître, de s’élever et s’étendre, comme ces arbres malheureux qu’on mutile dans tous leurs rameaux et qu’on ploie avec effort en cent manières pour un usage qui ne dut pas être le leur. L’homme n’est imparfait et méchant que parce qu’il a quelques passions et ne les a pas toutes. Ses passions ne sont mauvaises que lorsqu’elles sont détournées de l’objet fait pour elles ou qu’elles ne sont pas combinées les unes avec les autres dans leur proportion convenable. Selon lui... » Joubert n’a point achevé sa phrase. Il reprend : « En effet, l’homme éclairé aïant des jouissances plus nombreuses, plus étendues et mieux dirigées que celles des autres hommes a plus qu’eux toute sa nature, comme celui qui a tous ses sens existe plus que celui-qui n’en a qu’un ou deux. Aussi il faisoit consister « le principe unique de la félicité d’un être » dans le développement entier de toutes ses facultés. »

Voilà ce que Joubert nous a conservé du système de Raymond Dardenne. C’est le système d’un homme qui tient de son époque ; d’un homme qui, avec ses contemporains, est finalement optimiste et, de principe, eudémoniste ; d’un homme plein de jeunesse et de santé qui a du plaisir à l’épanouissement de tout son être et qui, à ce plaisir, emprunte sa notion du bonheur ; d’un homme ingénieux et très intelligent qui, devançant les psycho-physiologistes, envisage de même l’harmonie morale et la santé des organes, laquelle résulte, on le sait, de leur équilibre. Mais Dardenne mourut avant d’avoir promulgué son évangile, avant de l’avoir vu se perdre comme d’autres qui devaient sauver le monde et ont laissé le monde incurable.

Cette espérance de l’universelle guérison, comment la concilier avec la pessimiste rigueur de ce théoricien qui, tous les matins, donne au peuple la bastonnade ? Joubert semble s’être aperçu de cette contradiction, quand il écrit, sur le même feuillet : « Ceux qui veulent tout ramener à l’égalité naturelle ont tort. Il n’y a point d’égalité naturelle. La force, l’industrie, la raison élèvent des différences entre les hommes à chaque pas. C’est le chef-d’œuvre de la raison humaine. » Sans doute n’at- tendait-il pas une prompte réussite des nouveaux idéologues ; il écrivait : « O noble espèce humaine, combien d’années, de lustres et de siècles s’écouleront avant que tu touches au point au delà duquel est la perfection ? » Puis : « Il n’est presque point de philosophe qui ait de principe. Parcourant leurs écrits, vous verrés des vérités isolées, des ruines çà et là répandues d’un édifice dont on ne trouve aucune pierre fondamentale... » Belle phrase et magnifique image de l’idéologie que jonchent les ruines éparpillées et jolies des systèmes !... Mais Dardenne avait un principe ; et il bâtissait l’édifice : seulement, il est mort.

Nous avons là l’écho des causeries que le cloître de l’Esquille entendait et qui animaient, une vingtaine d’années avant la révolution, ces jeunes têtes de lettrés et de dogmatistes, exaltés dans la retraite, touchés des souffles du dehors, grands architectes de programmes pour l’esprit.


Pendant les deux ou trois dernières années de son séjour à l’Esquille, Joubert eut, comme il convient à un moraliste qui prélude, sa période mondaine.

La plus ancienne pensée de lui qu’il ait datée lui-même porte cette inscription : « En 1774. — A l’Esquille. » La voici, sur un petit bout de papier : « Les âmes vives se dégoûtent des plaisirs parce qu’elles y trouvent du mécompte dans leur calcul ; si le plaisir est mauvais, profites du premier moment pour les en arracher ; si elles y reviennent tout est perdu, elles prendront l’objet tel qu’il est et s’en contenteront. » Cette pensée atteste la précocité d’un moraliste de vingt ans qui, sans doute, ne fait pas une découverte, mais enfin qui, autour de lui, regarde et qui sait conclure, avec finesse, avec justesse, avec une jolie gravité. Les mots sont charmans ; il y a, dans la phrase, la volupté qu’y met, venant et revenant, le mot de « plaisir : » une volupté qui se contracte et qui, sévère, refuse son plaisir. Le jeune clerc veille sur le jeune homme.

Cependant le jeune homme, fût-il austère, et il l’est, a vu, ne l’eût-il que vu, le plaisir et il a deviné les séductions qui atteignent les âmes vives. Il a vu le monde ; il en a connu les attraits.

Le règlement, rigoureux pour les novices, se relâchait en faveur des confrères laïques. Les religieux ne pouvaient pas sortir sans permission ; et ils sortaient deux ensemble, avec défense de se séparer jamais ; et ils n’allaient que chez des personnes « très distinguées et très édifiantes, » reconnues pour telles par les supérieurs ; en nulle circonstance, ils ne sortaient le soir, ils ne dînaient en ville.

Hormis les heures de classe, le confrère laïque allait et venait plus librement. Il portait, je l’ai dit, la soutane. Mais on lui défendait de laisser paraître à ses manches des poignets de linge et de dentelle et d’orner son vêtement noir avec des boutons d’or ou d’argent : « cela ne sied pas à la modestie cléricale. » On le lui défendait : et la défense même signale quelque élégance mondaine. Je ne crois pas que Joubert eût éprouvé de ces tentations. Néanmoins, il a toujours conseillé qu’on fût bien mis, considérant que les hommes assortissent inévitablement leurs manières à leur habit. Et, sans vaine parure, je le vois très attentif au bel aspect de sa soutane, très soigneux de sa personne et capable d’une juste coquetterie.

En tout cas, il sortait : et alors Toulouse l’enchantait par sa beauté rose. Il sortait de l’Esquille par la grande porte sculptée de Bachelier qui donne dans la rue du Taur, non loin de Saint-Sernin. Toulouse était gaie comme aujourd’hui, animée d’ardeur méridionale, et fastueuse. Son parlement faisait sa gloire et sa richesse, son luxe. Les conseillers y menaient un magnifique train de vie opulente et intelligente. Il y avait de splendides fêtes, dans les hôtels que les arts, si bien florissans, avaient ornés ; il y avait une société fort délicate et qui pratiquait à merveille les rites de la conversation française ; il y avait les grâces d’autrefois et de nouvelles libertés, mélange délicieux qui est le charme de l’ancien régime à son déclin, mélange périlleux et qui ne dura guère, mais qui est l’agrément des plaisirs menacés.

Qu’on se figure ce garçon de vingt ans, grave sans doute, mais aimable et qui a pour plaire, avec l’éducation parfaite qu’une mère charmante lui a donnée, de la lecture, de l’esprit, une âme facile et curieuse, une âme qui ne dédaigne rien encore de ce qu’elle voit, de ce qu’elle apprend, une âme hier enclose et que sa prime indépendance amuse.

N’est-ce pas alors qu’il s’éprit, et pour toute sa vie, de l’amitié des femmes ; d’une amitié, a leur égard, infiniment respectueuse et modeste, charmée et qui avait un peu l’émoi de l’amour, l’émoi, non la folie ?... Et n’est-ce point alors, dans une compagnie très fine, qu’il trouva et qu’il adopta, pour le reste de ses jours, ce ton de cérémonie assez galante et assez prude à la fois, ce ton bénin, d’une douceur quasi ecclésiastique, d’une gaieté soignée, d’une légèreté attentive, ce ton de badinage pensif et de rêverie obligeante ?... Et n’est-ce point alors qu’il commença de gaspiller en causeries le trésor de ses idées, au lieu de l’enfermer dans des livres, et qu’il se mit à ne vouloir qu’être meilleur et plus exquis, au détriment de son travail d’écrivain ?... Sans nulle fatuité, d’ailleurs, mais avec le désir de divertir et d’enchanter un petit nombre de personnes.

Une maison lui fut particulièrement accueillante, celle du baron de Falguière, qu’il avait connu à l’Esquille, et qui, un peu plus âgé que lui, s’étant marié, tenait un bel étal.

Joubert, un jour, envoie à Mme de Falguière un gâteau de Savoie. Il a toujours aimé la bonhomie de tels présens. Et il avait en haute estime « ce mets aux plis doux et savans. ; » Mme de Chateaubriand, plus tard, le taquinera là-dessus et, à la veille de dîner chez les Joubert, écrira : « Pas de gâteau de Savoie, je vous prie. » En retour, elle promettra « du blanc manger, » car Joubert affirmait sa prédilection d’une nourriture légère. Mme de Falguière avait, quant à elle, l’estomac faible ; et Joubert ajoute à son léger gâteau ces petits vers, légers eux-mêmes :


C’est aux esprits sensés et fins
Que l’art doit offrir son ouvrage,
Et les douleurs sont l’apanage
Des estomacs pieux et saints.
On a porté dans ma célule
Ce mets aux plis doux et savans ;
De le garder j’aurois scrupule,
On s’est mépris, je vous le rends.


Sa cellule : sa chambre de l’Esquille. Et n’est-il pas sur le point de tourner au petit poète un peu fade ; de tourner, avec sa soutane, au petit abbé qui donne aux dames de petits vers ; de mal tourner ?

Mme de Falguière s’appelait Anne. Or, un jour de Sainte-Anne, — c’est le 26 juillet ; et ce dut être en 1774 ou en 1775, — Joubert lui adressa ce compliment, mêlé de prose et de vers : « La première chose que j’ai faite, madame (votre grondeur de mari ne m’en croira pas) mais il est très certain que c’est une prière... « Ainsi, le jeune Joubert s’était un peu dissipé : son laïque ami le rappelait à la pratique de la dévotion... « c’est une prière, et même plus longue qu’à l’ordinaire, en faveur de sainte Anne ; c’est aujourd’hui sa fête, quoi que vous en disiez, et je vous envoie mes pièces justificatives. Je me suis donc adressé à votre sainte patronne et lui ai dit avec effusion de cœur :


 O vous Sainte Anne Joachin,
Qu’en ce jour partout on révère,
Veuillez d’un visage serein
Accueillir mon humble prière.
Obtenez pour Anne Falguière,
Elle le mérite si bien,
La fleur d’une santé prospère ;
Il ne lui manquera plus rien
De ce qui peut la satisfaire ;
Vertu, santé font les heureux
Et, si son estomac digère,
Pour sa félicité plénière
Je n’ai plus à former de vœux. — Amen.


« Après cette courte et fervente prière, j’ai pensé qu’il faudroit aussi vous envoyer un bouquet ; mais nous n’avons ici que des fleurs de rhétorique. Ces fleurs, madame, sont comme le fard qui gâte le teint et cache les rides : qu’en pourriez-vous faire ?


Votre mérite sans parure
Est plus aimable et plus charmant ;
Le vernis d’un faux ornement
Enlaidit la belle nature.


« Faute de bouquet, j’ai voulu faire un beau parallèle de vous et de sainte Anne, j’ai comparé pied à pied vos belles qualités et les siennes :


De part et d’autre le détail
Eût sans doute été long à faire,
Mais je ne plains pas mon travail
Quand je travaille pour vous plaire.


» Il s’est trouvé une petite difficulté à cela qui n’a pas laissé 

de me faire abandonner mon projet ; personne n’a su me dire quelles belles qualités distinguèrent votre patronne, quelles actions admirables elle fit.


Tous les auteurs ont sur ce point
Gardé le plus profond silence ;
Dans le monde on le ne sait point
Et voilà votre différence.


» Aussi permettez-moi, madame, d’être, sans bouquet et sans 

compliment, votre [...] Joubert. »

C’est la plus ancienne lettre qu’on ait de Joubert. Gentille, assurément, et dans sa manière déjà. Mais, plus tard il saura mettre, sous la plaisanterie, plus de pensée ; sous l’amitié familière, plus de tendresse ; sous l’esprit, plus d’âme.

Puis il y a, vers la fin de la lettre, du libertinage : le jeune Doctrinaire s’est amusé. Ce parallèle qui ne tourne point à l’avantage de sainte Anne, si ce n’est pas une impiété, c’est un badinage assez libre. L’Écriture ne parle pas longuement de sainte Anne ; elle atteste, en peu de mots, ses vertus. Mais sainte Anne était la mère de la Sainte Vierge, à qui le règlement de la congrégation décernait un zèle privilégié. Confrère laïque des Pères de la Doctrine, Joubert ne devait-il pas réciter chaque jour l’office de la Vierge ou les ave Maria du chapelet ?…, Joubert s’éloigne de sa piété. En outre, avec sainte Marie, sainte Anne était la patronne d’une Marie-Anne Gontier, femme Joubert, bonne femme et pieuse, qui demeurait à Montignac-le-Comte, sur les bords de la Vézère. Joubert, qui s’éloigne de sa piété, n’oublie-t-il pas un peu cette autre piété, sa maman ?…


En 1776, Joubert quitta décidément l’Esquille et les Doctrinaires. Je crois qu’il demeura, un peu de temps, chez ses amis de Falguière, à Toulouse et à la campagne. Sur un feuillet daté « 1776, chez Falguière, » on lit ces lignes : « La parfaite innocence, c’est la parfaite ignorance. Elle n’est ni prudente ni défiante ; on ne peut faire aucun fond sur elle : c’est une aimable qualité qu’on aime plus et qu’on révère presque autant que la vertu. » Sauf quelque hésitation de la forme, voilà déjà le tour des véritables pensées de Joubert, leur subtilité ravissante. L’idée a des facettes qui, l’une après l’autre, brillent différemment. Ces facettes : les mots d’innocence, d’ignorance et de vertu. Elles passent vite ; leur jeu est joli. Mais ce n’est pas du tout la pensée d’un innocent, cette pensée qui distingue si bien l’ignorance et la vertu, cette pensée vertueuse et qui goûte, comme de loin, l’amabilité naïve de l’ignorance : on n’est plus naïf, quand on ressent les délices de la naïveté.

Joubert est, à cette époque, troublé. Peut-être son calme visage et la réserve habituelle de ses manières n’en trahissent-elles rien : il a toujours eu la discrète élégance et l’honnête principe de garder pour lui son émoi. Quand il écrit, à propos de sa mère : « Ma tendresse pour elle fut toujours, au milieu de mes innombrables passions, mon affection la plus vive et la plus entière, » on est prêt à sourire de ces « innombrables passions, » si l’on connait peu Joubert, si on le connaît comme firent ceux qui le virent si poli, tranquille et affable. Mais il avait une âme toute pleine de passions qu’il y contenait et qui, enfermées, ne le tourmentaient que davantage.

Il souffrit, durant sa vingt-deuxième année, amèrement et, si je ne me trompe, dans un très pénible désordre du cœur et de l’esprit.

Un feuillet, tout chargé de son écriture (et qui, à vrai dire, ne porte pas de date, mais que j’attribue sans trop de crainte à ce moment) témoigne de sa souffrance. Il y a, d’un côté, une citation de Montaigne, puis une remarque relative à la tragédie grecque (donc, il travaille) ; puis ceci : « C’est une chose naturelle que les hommes se rassemblent aux approches de la nuit, » — quelle pénétrante impression du soir, telle que l’éprouve un sensible garçon qui n’a point sa maison, sa lampe à lui, vers l’heure d’entre chien et loup ! — puis : « Il n’est pas indifférent de voir une femme à la ville ou à la campagne, le matin ou le soir, dans un temps de soleil ou de pluye, aux flambeaux ou à la lumière. » Il n’avait quitté sa mère et sa petite ville que pour aller au collège de l’Esquille ; et il était entré au noviciat des Pères de la Doctrine : or, le voici bien attentif aux nuances que prend la beauté des femmes, leur beauté, leur attrait. Chateaubriand écrira : « Le souvenir de Mme de Lévis est pour moi celui d’une silencieuse soirée d’automne. » Mais il l’écrira plus âgé, fort de l’expérience féminine de toute sa vie sentimentale. Joubert n’en est pas là. Ce qu’il note, il vient de l’apercevoir ; c’est la découverte de sa jeunesse, un peu guindée jusque-là. Il en est ému ; il le note avec simplicité, veillant seulement à ce que soient justes et mélodieux les mots qui serviront à une remarque si précieuse, si alarmante. Et, au revers de ce feuillet, ceci : « Ma chère maman, ma chère maman ! Voulés-vous ma mort et ma damnation !... ah maman, donnés moi la mort et pas la damnation !... Si cela est, j’en mourrai de chagrin et votre pauvre âme répondra de la pauvre mienne !... J’élève les mains aux cieux. Elles retombent sur votre col, sur vos épaules, comme sur l’appui que le ciel leur accorde. — Chère... elle rend insensés les hommes qui se sont attachés à elle. — Heureux !... ! Oui. J’avois le bonheur d’un misérable qui s’est ennivré. — La floraison des seigles. La lune brilloit. L’air le plus pur et le charme qu’on éprouve sur les sites élevés. — Je n’ai jamais eu de bonheur qu’avec toi. »

C’est un cri de chagrin, c’est un cri éperdu dans la solitude. Il y a là un peu de rhétorique ; au moins, de la littérature empruntée. Un jeune lettré qui sort de l’école n’a pas trouvé encore, pour rendre son plus sincère tourment, la simplicité parfaite. La simplicité, il l’a dans le calme, non dans la véhémence : il ne possède pas le langage de la passion et il prend ses phrases dans les livres qu’il vient de lire. Mais que de véritable émoi dans ces lignes ainsi arrangées, coupées brusquement et comme suffoquées !

Mme Joubert n’avait-elle pas écrit à son fils ? Elle employait les argumens de la religion et elle avertissait l’enfant prodigue de songer à la mort, à l’éternel supplice des damnés. Elle employait aussi les tyranniques argumens de la tendresse ; et la tendresse du fils lui répondait avec des larmes. Allait-il se déprendre de la vie qui l’avait enlizé, de la vie du monde, incrédule et voluptueuse, qui vous rend insensé, qui vous tient comme une ivresse ? Des souvenirs passent encore dans son imagination possédée : « La floraison des seigles... La lune brilloit... » Mais, songeant à sa mère, plus tard, il se souviendra de n’avoir jamais eu un vrai attachement que pour elle.

Ce sont les drames secrets de la famille, les misères du sentiment le plus intime. C’est le malentendu éternel des mères et des fils, qui ont l’âme pareille, non la chair et l’esprit. Sans doute se révéla-t-il avec plus de vivacité à cette époque où la philosophie toucha d’abord les jeunes hommes, et les démoralisa, — je veux dire les lança dans les hasards nouveaux, — quand leurs mères n’avaient pas bougé de l’ancienne coutume. Le petit Joubert de vingt-deux ans nous apparaît comme l’un des premiers de ces garçons qu’une aube mauvaise éclaira et sépara de leurs entours. Il a devant lui toute une longue postérité aimante et cruelle.

Joseph Joubert revint à Montignac-le-Comte, petite ville qui le tenait bien et qui mit deux années encore à le laisser partir, petite ville où étaient sa mère et sa maison.

Il arriva tout alarmé, sa tête lui chantant des chimères ; il arriva pour de la joie et de l’ennui. La quiétude n’est pas douce très vite au fol qui vient de l’aventure.,

Et il était fort désœuvré. N’eut-il point à subir les reproches du maître-chirurgien, qui avait compté l’établir dans la magistrature ou le barreau ? N’eut-il point surtout à subir les regards tristes de sa mère ? Il n’avait pas eu envie de rendre la justice ou de la réclamer ; et sa velléité religieuse était tombée en peu de temps.

Que ferait-il, lui l’aîné, de qui l’on attendait la plus belle réussite ? Et, quant à lui, que ferait-il au jour le jour, dans la petite ville qui avait l’air de ne plus être la même pour lui, quand lui seul n’était plus le même ? dans la petite ville qui le déconcertait, avec son extrême silence et la paix de ses rues ? dans la petite ville qui, s’étant bien passée de lui, avait cicatrisé son absence et le recevait comme un étranger ?

Il ne trouvait de place que parmi les siens, dans sa famille où il languissait. De ses frères, je ne sais où était Beauregard, pour étudier la médecine ; Elie, à quatorze ans, était aux Doctrinaires de Brive ; et le petit Arnaud de neuf ans allait chez le nouveau maître d’école. Catherine approchait du jour où elle coifferait sa sainte patronne ; Marie avait dix-neuf ans ; Louise dix-sept, et la cadette, Marie, se préparait, en étant sage, aux puérils devoirs de l’âge de raison. La parenté, le voisinage, tout avait grandi ou vieilli.

Montignac, après Toulouse, lui offre peu de conversation. Il est entouré de personnes très bonnes et qui ne comprennent pas beaucoup ses volontés originales. C’est la solitude dans la tendresse.

Un jour que la tension de sa vie mentale se relâche, il commence, pour ses amis de Falguière, un petit poème frivole :


Des bords fleuris de la Vézère
Aux rives fertiles du Tarn,
Ma muse, d’une aile légère,
Prend son essor, s’envole et part,
La tendre amitié l’y rappelle :
A ses accens...


Et il ne continue pas : cette frivolité ne l’amuse pas, désormais. Il est occupé de durs tracas. Cependant, il travaille et il écrit. Il esquisse un petit roman ; — un roman, c’est trop dire : — un court récit dont on n’a que les premières lignes.

Le feuillet, du reste, n’est pas daté. Mais il me semble trouver là des signes de jeunesse. Puis le paysage est celui de Montignac, de la Vézère et de l’Arzème. La nonchalance de la plume et son habileté lente sont assez bien de qui a, quelque temps, cessé d’écrire et s’y remet. Surtout le ton des phrases marque l’attendrissement qu’éprouve un jeune homme sensible, à rentrer chez soi, dans l’horizon natal qu’il découvre à la faveur de l’absence et du retour. Latapie, l’inspecteur des manufactures, qui a vu Joseph Joubert à cette époque-là, note qu’il était fort curieux de son pays où, disait-il, les mœurs périgourdines se conservaient mieux, avec leur singularité, que dans le resté de la Guyenne. Il aimait les chansons populaires ; et il observait que celles des laboureurs étaient lentes et pesantes, celles des mariniers plus gaies, celles des bergers plus tendres.

Voici le petit roman : « Il y a trois choses dans mon pais que le temps seul y blanchit : le lin, le chanvre et les cheveux... » 0n voit encore, aux bords de la Vézère, de grands champs où pousse le chanvre et des prés de lin aux fleurettes bleues qui se fanent ; les brins, qui sèchent au soleil, blanchissent. Autrefois, à Montignac et dans les environs, il y avait des fabriques de fil et de toile. Et, sur les tempes de sa mère, Joubert avait aperçu les cheveux qui devenaient blancs... « C’est à son vêtement de toile blanche que le jeune solitaire reconnoissoit depuis cinq ans chaque matin une jeune fille sur le sommet éloigné de l’Arzéem. Les yeux accoutumés aux grands intervalles aperçoivent au loin : et le regard de l’homme est plus perçant quand il considère une femme. Il y a trois mille de distance entre l’Arzéem et le monastère. Le monastère étoit debout sur la pointe d’une colline. On y monte encore par trente chemins, monumens de cent mille orages. Tous ont été creusés par des ravins. C’est le lit des torrens où l’homme pose le pié aussitôt que les torrens ont passé, en coulant du haut du ciel sur la colline, de la colline dans la plaine et de la plaine dans l’Avezer et de l’Avezer dans l’Océan. — O vous que je vais célébrer et dont je ne scais pas même les noms, je ne vous en donnerai pas, jeunes amans ! Qui pourroit souffrir le changement du nom de son amant et qui pourroit souffrir le changement du nom de son amante ?... Aïons pour les morts cette pitié de ne rien faire de ce qui eût pu les affliger s’ils eussent pu le prévoir. Mille fois on m’a raconté cette histoire dans mon enfance ; mais jamais ni les épousées ni leurs mères ou leurs vénérables aïeules (car ces récits étoient les récits des femmes : jamais les jeunes filles n’en firent dans ma patrie et les hommes n’en firent jamais de semblables), jamais, dis-je, aucunes d’elles ne donèrent de noms aux deux amans... » C’est une légende de son pays que Joubert a prise pour sujet de ce conte inachevé. La légende, je l’ai cherchée en vain dans les livres et, à Montignac, dans le bavardage des bonnes gens qui volontiers commencent : — Nos anciens disaient...

La légende est-elle perdue ? D’autres ont duré ; des légendes d’amour et de châteaux : celle d’Alice de Sauvebœuf, amoureuse d’un troubadour et qui, plutôt que d’épouser le châtelain de Losse, se jette dans la Vézère, au jour fixé pour son mariage ; celle de Bertrand de Born, qui aimait la belle Maënz, châtelaine de Montignac ; et beaucoup d’autres. Je n’ai pas trouvé celle du moinillon qui s’est épris d’une petite paysanne. D’ailleurs, à peine Joubert l’a-t-il indiquée, dans ce court préambule. Je ne crois pas qu’il l’ait inventée.

Cette esquisse abandonnée d’un petit conte prouve le souci de littérature qu’avait alors Joubert. Son pays natal lui était devenu, par l’effet de l’absence, très pittoresque ; l’horizon familier divertit les yeux qui, s’étant éloignés, le regardent à leur retour, après qu’ils se sont dépaysés : et Joubert essaya d’une littérature (si l’on peut ainsi parler) natale. Mais il ne renonçait pas à la philosophie. Au revers du feuillet sur lequel est écrite la première moitié de cette esquisse, il y a les notes qu’il prenait en lisant le Traité de la nature humaine, de Thomas Hobbes.

Assurément, Joubert travaille. Mais que fait-il ? Sans doute avait-il déjà le goût d’acquérir avec ardeur des connaissances nouvelles et, acquises, de les élaborer avec soin : ayant ramassé ce que les livres lui offraient, il se retirait tout seul avec son butin ; il examinait ses belles emplettes, les rangeait et connaissait enfin sa richesse de faits et d’idées.

Mais l’avenir ?... Il n’y songeait pas : telle était son imprévoyance de jeune idéologue. Il ne songeait pas à un métier : il n’avait cure, véritablement, que de son esprit à cultiver. Voilà de quoi mettre en colère le chirurgien qui a peiné pour ses enfans, et pour l’aîné plus que pour les autres ; et voilà de quoi mettre en tourment la pauvre Mme Joubert. Elle, nous le savons ; le chirurgien, je le suppose : Joubert ne parle pas de son père, dans les papiers qu’on a gardés de lui. Mais, dans ce brouillon de 1799 que j’ai cité, il dit de sa mère :. « Ma jeunesse fut plus pénible pour elle... » Plus pénible que son enfance... « Elle me trouva si grand dans mes sentimens, si éloigné de toutes les routes ordinaires de la fortune, si net de toutes les petites passions qui la font chercher, si hardi à espérer, si intrépide dans mes espérances, si dédaigneux de prévoir, si négligent à me précautionner, si inflexible dans mes plans, si prompt à donner, si inhabile à acquérir, si juste en un mot et si peu prudent... « Il parle ainsi, longtemps après, du jeune homme qu’il a été. Il note les propos de sa mère. Il a quarante-cinq ans. Il évoque ce jeune homme ainsi qu’un étranger qui, tout de même, était lui ; et il retourne à ses origines mentales avec un poignant plaisir. S’il mentionne ses vertus, sans nul embarras, on peut s’en étonner un instant. Plus tard encore, en 1804, se souvenant de sa rencontre avec Pauline de Beaumont, il écrira, — et à Molé : — « Nous nous étions liés dans un temps où elle et moi étions bien près d’être parfaits. » Il n’a jamais été modeste, selon la modestie habituelle, qui est un tour de langage. Il était curieux de lui et de sa vérité, quitte à ne pas s’enorgueillir, et cela par gentillesse de l’esprit.

Mme Joubert, quand il revint à Montignac et se montra tel qu’il le dit, l’admira : toutes les qualités qu’il relève en lui, elle les voyait ; et elle les voyait telles qu’il les dit. Mais aussi, et comme il est naturel, « l’avenir l’inquiéta. » Joubert ajoute : « Mes vertus la firent trembler ; elles paroissoient déplacées. » On devine la justesse de son souvenir : à Montignac, il apparut comme un garçon fort singulier, trop différent de tous les autres et, pour la mère la plus tendre, admirable, oui, mais déconcertant.

A vingt-deux ans, il avait déjà ce désir qu’il ne perdra pas et qui a conduit toute son existence, et qui l’a embellie et qui, en apparence, l’a stérilisée, l’unique désir de la suprématie morale. Il écrira : « Excelle et tu vivras. » Entendons-le : il n’admet de vie que dans l’excellence et par elle. Toutes ses journées, il les a ensuite consacrées à une sorte d’émulation qu’il avait organisée entre lui et lui-même, non pas entre lui et les autres. Il ne convoite pas l’assentiment de son prochain. C’est à l’égard de lui qu’il cherche la perfection.

Il dédiera tout son effort à un idéal caché. Un tel vœu isole un être. On n’a pas de camarades pour une entreprise de ce genre ; et la perfection, lorsqu’on l’a conçue de cette manière, est la sœur de la solitude. Une telle idée de la vie écarte qui l’a une fois adoptée de cette activité nombreuse qui ordinairement compose l’étoffe d’une existence. Le jeune Joubert, qui ne rêve que d’être parfait, agit avec imprudence. Ses parens l’avertissent ; mais ils n’obtiendront de lui rien du tout. Vieux, ses amis le presseront d’achever son œuvre et de la publier ; il sourira de tant de hâte et répondra : « Quand je serai grand[24] ! » Il n’aura pas imprimé un volume ; il n’aura pas fait de carrière. Il sera, pendant quelques années, par l’amitié de Fontanes et presque par hasard, inspecteur général et conseiller de l’université impériale ; puis, au lendemain du jour où les Bourbons revenus l’auront mis à pied, il inscrira sur son carnet : « Premier jour de la liberté recouvrée[25]. » Et il continuera, plus tranquillement, de lire saint François de Sales, qui est la lecture où il cherche alors ses parures mentales. Il n’aura plus d’autre tâche que celle qui l’a sans relâche requis : le soin de la beauté intérieure.

A cette époque tardive de son âge, il observait assidûment la règle qui s’impose à tout homme singulier : c’est (dit à peu près Renan) de se faire pardonner sa singularité à force de simplicité, de ménagemens et de bonhomie ; il pratiquait la bonhomie comme une vertu sociale.

Mais, à vingt ans, on n’en est pas là. Et, le jeune Joubert, il faut nous le figurer plus cassant, plus vif en son propos, plus fier de sa volonté, peu accommodant.

Bref, dans les derniers temps qu’il passa parmi les siens, à Montignac, n’y eut-il pas quelques scènes où il se montra sublime avec une excessive impétuosité ? Un jour, ses parens lui reprochaient sa générosité prodigue. Il répondit — et, assure- t-il,en propres termes — « qu’il ne vouloit pas que l’âme d’au- cune espèce d’hommes eût de la supériorité sur la sienne ; que c’étoit bien assez que les riches eussent par-dessus lui les avan- tages de la richesse, mais que certes ils n’auroient pas ceux de la générosité. » Il disait « les riches, » sur un ton que l’on devine ; et c’est déjà l’accent des revendications : mais, lui, sa revendication tourne ailleurs que vers la richesse.

Il ne faut douter aucunement de l’épisode. Ce jeune homme qui n’a pas d’autre désir que d’être, — et de le savoir, — plus généreux que les riches est bien le même qui, ensuite, n’accomplissant pas de hauts faits, se réjouira de se sentir (et peu lui importe qu’on l’ignore) meilleur que les héros et, ne publiant pas de livres, se contentera (mais avec une satisfaction délicieuse) d’éprouver qu’il invente des idées et ordonne des phrases telles que d’autres n’en font pas.

Moins la douceur et moins les façons très conciliantes auxquelles vous engagent les jours après les jours, il est déjà ce qu’il sera.

La scène que sa générosité amena et dans laquelle, s’il avait raison, ses parens n’avaient pas tort, précède de peu son départ de Montignac. Elle en fut peut-être l’occasion ; elle fut l’un des signes du malaise et de la juvénile impatience qu’il éprouvait depuis deux années dans cette petite ville, trop petite (il se le figurait) pour l’ambition de son âme.

A la date de 1775, il a écrit : « L’accent et le caractère national ont un rapport naturel. La manière de s’exprimer diffère selon le caractère. Il en est de même de la manière de prononcer. » Le jeune Périgourdin s’est récemment aperçu de l’accent de sa province ; et il s’est aperçu de sa province. Il a le sentiment des particularités locales. Et il va se lancer à la recherche de l’absolu.

Or, l’absolu, — mettons les choses au point où les voit un jeune provincial féru d’idéologie, — l’absolu est, en quelque sorte, à Paris : à Paris, indemne des particularités locales ; à Paris où des philosophes, qui se sont affranchis de toutes servitudes spirituelles, suivent uniquement l’universelle raison, laquelle plane au-dessus des nations et des villages sans connaître leurs différences, et laquelle n’a ni patois ni accent.

Joseph Joubert, en 1775 et jusqu’à son exode parisien, est livré à cette erreur, la même qui, pendant la Renaissance, menait en Italie, à Rome où ils se perdaient, les peintres adolescens de chez nous, de Flandre et d’Allemagne. Il se repentit et fut, en sa maturité, le maître de l’autre idée, vraie et féconde, qui recommande au sage de vivre dans le coin où la destinée l’a mis, de s’y enfermer, comme une graine dans le sol qui lui convient : et la fleur s’épanouira, la seule qu’on pût attendre.

Le 5 mai 1778, François de Paule Latapie, qui a logé chez le sieur Joubert, écrit : « Son fils est un jeune homme qui a de l’esprit, de la littérature et du ressort. Il part pour Paris, dans le dessein d’y faire fortune ! il serait très possible qu’il réussît, s’il se livrait à quelque profession lucrative. « Il y a là un doute ; et François de Paule Latapie n’est pas bête, qui, ayant vu un jour seulement ce jeune homme intelligent et chimérique, se demande si, pour faire fortune, il aura soin de prendre une profession lucrative.

Joubert, après avoir conté ce que j’ai résumé, dont sa mère eut beaucoup de peine, ajoute : « Elle me vit partir dans ces sentimens. Et, depuis que je l’eus quittée, je ne me livrai qu’à des occupations qui ressemblent à l’oisiveté et dont elle ne connoissoit ni le but ni l’espèce. Elles m’ont procuré quelquefois des témoignages d’estime, des possibilités d’élévation, des hommages et des suffrages... » La phrase s’arrête là. Il allait dire qu’à tout cela sa mère ne pouvait rien comprendre et qu’elle n’a pas eu la consolation de savoir approuvé par d’autres son fils étonnant. Il ne le dit pas. Il a regardé sa mère, vieille maintenant, très vieille ; et il note : « Dans tous les changemens qui se sont faits sur son visage, on voit évidemment les traits d’une âme qui a souffert. » Il aperçoit et il démêle avec désespoir la souffrance qui vient de lui.

Mais ne devançons pas le temps. A vingt-quatre ans, au mois de mai 1778, il partit pour Paris. Il s’en alla, un jour, avec la désinvolture qu’ont, pour quitter la maison paternelle, les jeunes fols tentés par les routes, les jeunes saints déjà marqués du signe céleste. Peu d’années avant sa mort, au souvenir de ces événemens, il s’excusera : « En Périgord, rien n’est spacieux..., » Il ne pouvait plus se confiner dans le paysage de son enfance ; il réclamait de l’espace. L’enfant doux était devenu un jeune homme très décidé. ;

Il partit. Et sa mère pleurait.

Beaucoup plus tard, après la mort de Joubert, on a trouvé, parmi les objets qu’il avait toujours auprès de lui, un petit paquet. C’est un ruban, d’un bleu pâle, un peu passé, un ruban de faille, bordé d’un picot, roulé soigneusement et entouré d’une bande de papier sur laquelle le fils pieux et tendre a écrit ces mots : « Serre-tête de maman. ; »


ANDRE BEAUNIER.

  1. Les documens sur lesquels j’ai composé cette étude sont, presque tous, inédits. Les uns proviennent des archives de M. Paul du Chayla et de Mme Henri de Lander, pieux héritiers de Joseph Joubert, et qui ont bien voulu me donner communication de leurs trésors ; les autres sont le résultat des recherches que j’ai faites à la mairie de Montignac, aux archives de la Haute-Garonne et de la Dordogne, ailleurs aussi.
  2. Archives nationales, F 17e, J 25.
  3. Registre des actes de l’état civil de la paroisse Saint-Georges-de-Brenac, (Mairie de Montignac.)
  4. Acte de partage du 15 mai 1752 entre les enfans de Claude Joubert et de Thoinette Queyroy. (Étude de Me Boisselit, notaire à Montignac.)
  5. Le journal de tournée de François de Paule Latapie a été publié par M. Léon Cosme, dans les Archives historiques du département de la Gironde, t. XXXVllI.
  6. Archives de la Dordogne, série L, registre 518 (18 avril 1792).
  7. Archives de la Dordogne, série L, registre 519.
  8. Il y a, pour l’indiquer, l’acte de partage que j’ai cité plus haut.
  9. Cf. A. Dujarric-Descombes, Aperçu de l’instruction publique en Périgord avant 1789 (t. VIII, p. 489 du « Bulletin de la Société historique et archéologique du Périgord, » année 1881).
  10. Souvenirs inédits d’Arnaud Joubert (Archives de M. Paul du Chayla).
  11. Actes royaux, 1724. Bibliothèque nationale, F 23 623.
  12. Voir Pensées, etc. de Joubert ; édit. de 1850, tome Ier, p. 8.
  13. Constitutiones congregationis Doctrinæ Christianæ in comitiis generalibus Lutetiæ Parisiorum, anno 1782. (Parisiis, 1783.)
  14. Constitutiones, etc. Caput XVI, De collegiorum regimine, art. 7 et sq.
  15. Je dois plusieurs de ces renseignemens à M. l’abbé Vielle, curé de l’Immaculée Conception, à Toulouse, qui prépare une étude sur les Doctrinaires.
  16. Ce morceau, que je donne ici d’après l’original de Joubert, a été introduit, par l’éditeur de la Correspondance, dans une lettre à Fontanes du 8 juin 1809, mais avec quelques changemens. La citation de Murait, Joubert l’emprunte aux Lettres sur les Anglais et les Français. Elles ont paru en 1725 ; mais leur composition date de la fin du XVIIe siècle. C’est donc l’éducation française du temps de Louis XIV que juge ce Bernois : de cette époque à la jeunesse de Joubert, la tradition s’était maintenue.
  17. Registre 69 de la série D (fonds des Doctrinaires) aux Archives de Toulouse. Ce registre m’a été signalé par M. Félix Pasquier, archiviste de la Haute-Garonne.
  18. Cf. Migne, Dictionnaire des ordres religieux, t. Il (t. XXI de l’ « Encyclopédie théologique, » p. 16 et suiv.).
  19. Il n’existe qu’un seul portrait de Joubert : un dessin de Mme Paul de Raynal, fille d’Arnaud Joubert. Encore l’original est-il perdu. Mais on a conservé la lithographie : plus exactement, il y a deux lithographies, l’une où le profil est tourné à droite, l’autre à gauche ; ce sont deux états du même dessin.
  20. Cette pensée est datée du 22 février 1793.
  21. Cette pensée a été publiée, mais inexactement, par M. de Raynal, titre XIX, § 33.
  22. Correspondance inédite de Joubert et d’Ambroise Rendu. (Archives de Mme Eugène Rendu.)
  23. Tradition recueillie par M. l’abbé Vielle.
  24. J’emprunte ce détail à une lettre qu’adressa, le 12 décembre 1825, un M. Durrans de Tours, à Arnaud Joubert. (Archives de M. Paul du Chayla.)
  25. J’emprunte ce détail à une lettre qu’adressa, le 12 décembre 1825, un M. Durrans de Tours, à Arnaud Joubert. (Archives de M. Paul du Chayla.)