L’Enfant du bordel/Texte entier

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(p. 1-152).

L’ENFANT
DU
BORDEL.

CHAPITRE PREMIER.





LE fils du potentat comme celui du savetier sont l’ouvrage d’un coup de cul, et tel occupe un trône qui doit la naissance au laquais qui le sert. Grands de ce monde, ne vantez pas si haut votre illustre origine, car moi qui vous parle ; je suis père d’un duc et de deux marquises ; et que suis-je cependant ? l’enfant du bordel.

Ma création fut le coup d’essai d’un page de seize ans, beau comme l’amour, et d’une petite marchande de modes de quinze, fraîche comme la plus jeune des Grâces.

Le comte de B..... mon père, étoit depuis un mois dans les pages du roi. Élevé en province par son père, janséniste outré, il avoit, en arrivant à Versailles, la pudicité d’une Agnès ; mais un mois de la vie de page lui fit perdre sa précieuse innocence ; ses chastes confrères surent si bien l’endoctriner, que quinze jours après son arrivée la théorie de l’amour n’avoit plus rien de nouveau pour lui. Au bout d’un mois de service, il eut deux jours de liberté, et prenant pour compagnon d’armes un de ses camarades plus instruit que lui, il vint à Paris pour mettre en pratique les précieuses leçons que l’on avoit gravées dans son cœur.

Le projet de nos deux étourdis étoit d’abord, d’aller à un bordel situé rue St.-Martin, vis-à-vis la rue Grenier-St.-Lazare : ils arrivèrent par la rue Michel-le-Comte ; déjà ils appercevoient de loin à une des fenêtres du chaste couvent, une ex-beauté qui montroit aux passans les trois quarts de ses flasques tettons qui, repliés et soutenus par un large ruban ; sembloient avoir un air de fraîcheur que démentoit la figure jaune et maigre de la Vénus à vingt-quatre sous par tête. La beauté plâtrée se voyant fixée par deux jeunes gens, leur sourit ; ils y répondent : elle leur fait un signe de tête et quitte la fenêtre ; ils s’élancent, ils vont franchir le seuil de la porte ; tout-à-coup Théodore, c’est le nom de mon père, Théodore, dis-je, retient son camarade… Qui peut les empêcher de satisfaire leur desir ?… qui ? une petite marchande de modes qui est sur le pas de sa boutique.

Imaginez ce que la nature peut former de plus mignard et de plus séduisant, et vous aurez une idée de la jolie Cécile ; quinze ans, de grands cheveux blonds, un de ces minois arrondis qui prolonge l’enfance, même au-delà du terme ordinaire ; petite mais formée, des contours moëlleux, une gorge naissante qu’un double linon voiloit exactement, sans cependant en cacher la forme ; voilà ce que Théodore apperçut du premier coup-d’œil, et ce qui lui fit dédaigner la beauté bannale et ses charmes flétris. Ah ! la charmante créature, s’écria Théodore ! À quel endroit, lui dit son camarade ? — Ici — Cette petite marchande de modes ? — Oui. — En effet, elle n’est pas mal. — Oh ! qu’un aussi aimable enfant doit être délicieux à voir tout nu. — Bah ! souvent ce que cache le linge ne vaut pas la peine d’être vu. — Je suis certain que celle-ci est parfaite de toutes les manières. — Je conçois qu’une jolie petite motte bien brune doit relever encore les charmes de cette jolie blonde. — Moi j’aimerois mieux que cette charmante motte fût blonde. — Je suis certain qu’elle est brune. — Je suis persuadé qu’elle est blonde. — Parions. — Parions. Et voilà nos deux étourdis à parier un déjeûné à discrétion que les appas secrets de Cécile étoient recouverts d’une perruque blonde ; mais comment s’en éclaircir ! Après un instant d’incertitudes l’ami de mon père lui dit : Je m’en rapporte à toi, et je suis certain que tu auras assez de bonne foi pour convenir si tu as perdu. — Parole d’honneur. — En ce cas regarde. Alors sans s’embarrasser des suites, il s’élance auprès de Cécile, la saisit par un pied, la fait tomber moitié dans la boutique et moitié dans la rue ; relève lestement ses jupons presque sur la figure, se sauve et disparoît.

Mon père qui suivoit son ami de près vit des beautés qui devoient faire d’autant plus d’impression sur ses sens et sur son cœur, que c’étoit la première fois que les appas secrets d’une femme étoient offerts à ses yeux. Il vit aussi que son ami avoit deviné juste quant à la couleur de la motte, et que la charmante blonde, loin d’y perdre, y gagnoit au contraire de nouveaux charmes.

Cependant un coup-d’œil avoit suffi à mon père pour faire ses découvertes ; mais l’immobilité de Cécile qui restoit exposée aux regards du peuple l’alarma. Il la recouvrit, elle étoit sans connoissance ; il la prit dans ses bras, la rentra dans la boutique, ferma la porte, et tira les rideaux ; les curieux qui crurent que Théodore étoit de la maison s’éclipsèrent peu-à-peu, et laissèrent mon fortuné père avec sa jolie proie.

L’état de Cécile demandoit de prompts secours ; mon père voulant la desserrer, détacher le voile qui couvroit son sein, Dieux ! quel spectacle pour lui ! une gorge naissante qui auroit pu le disputer en blancheur à la neige, sans la légère teinte rosée qui corrigeoit ce que les lys avoient de trop blanc, et empêchoit qu’on ne les prît pour deux blocs de marbre. Un léger bouton de rose effeuillé l’embellissoit encore.

Théodore oubliant que la jeune beauté avoit plus besoin de secours que de caresses s’amusoit à promener ses mains sur la jolie gorge de Cécile. Oh ! pouvoir de l’attraction. À peine Théodore eut-il chatouillé quelques instans le bouton naissant qu’il avoit sous les yeux, que Cécile tressaille, soupire, et semble revenir à elle ; Théodore redouble, elle ouvre ses grands yeux bleux et les fixe sur mon père ; mais bientôt s’appercevant de son désordre, elle rougit, le repousse doucement, et rajuste ses vêtemens.

Combien votre état m’a inquiété, lui dit mon père d’une voix émue et tremblante. — Monsieur.... — Un mauvais sujet a pensé vous blesser dangereusement, en occasionnant la chûte qui a causé l’évanouissement dont j’ai eu le bonheur de vous tirer. — Je suis bien reconnoissante, monsieur, de vos soins obligeans. — Mais comment se fait-il que vous soyez seule dans cette maison ? — C’est aujourd’hui dimanche, ma mère et mes compagnes sont sorties et je suis seule gardienne de la boutique.

Théodore, certain que des importuns ne l’interrompront pas, commence à conter à Cécile tout ce que lui avoit fait éprouver la vue de ses charmes. La jeune Cécile fut déconcertée de l’éloge brûlant que mon père en fit. Elle ne put cependant refuser un sourire à la délicatesse de ses louanges ; bientôt elle en vint jusqu’à lui avouer qu’elle n’y étoit pas insensible.

Cependant Cécile paroissoit souffrir, Théodore s’informe avec l’accent de l’intérêt, quelle en étoit la cause. Après s’être fait presser quelques instans, elle avoua qu’elle se croyoit les reins un peu écorchés par la chûte qu’elle avoit faite. Théodore lui dit, qu’étant chirurgien, il lui étoit facile d’ordonner les remèdes nécessaires, si elle vouloit lui montrer l’endroit où étoit le mal ; et Cécile de se récrier, et Théodore d’assurer qu’il en avoit assez vu pour que l’on pût sans crainte lui laisser voir le reste : combat de part et d’autre ; enfin Théodore est vainqueur.

La belle passe en rougissant dans l’arrière-boutique, se place dans un coin, pour n’être pas vue de la rue, s’agenouille sur le bord d’une chaise, baisse le haut du corps en avant, et livre le reste au trop heureux Théodore. Ses mains tremblantes soulèvent deux jupons d’une blancheur éblouissante, une chemise plus blanche encore, et découvrent le plus joli petit cul que l’on puisse imaginer. Oh ! M....., si ce cul délicieux eût frappé une seule fois tes regards, tu aurois sans peine renoncé pour lui aux appas masculins de tes Ganimèdes. Peignez-vous une chûte de reins délicieuse, des fesses rebondies sur lesquelles on ne pouvoit appuyer la main sans qu’elle ne fût repoussée par l’élasticité des chairs, deux cuisses moulées et qui alloient en mourant jusqu’à un genouil parfaitement fait, le tout soutenu par une jambe d’une perfection admirable ; recouvrez tous ces appas d’une peau fraîche et veloutée comme celle de la pêche, et vous aurez une idée du cul de Cécile.

Théodore, extasié à la vue de tant de charmes, ne savoit sur lesquels arrêter ses yeux ; d’un côté le cul charmant dont nous venons de parler, un peu plus bas la jolie grotte ombragée de la mousse d’ébène qui fuyoit entre les cuisses d’albâtre de la jeune beauté.

Théodore admiroit ce spectacle enchanteur, lorsque la porte de la boutique s’ouvre brusquement, Cécile reconnoît avec effroi la voix de la vieille Géneviève, servante de la maison. Un mouvement plus prompt que l’éclair fait retomber les jupes de Cécile sur la tête de Théodore, et le couvre tout entier. Géneviève entre, comme Théodore étoit entre la muraille et Cécile. La vieille servante ne put appercevoir le volume qu’il faisoit sous les jupons de la jeune fille.

Le motif du retour de Géneviève étoit son chien. Il avoit aboyé dans l’église pendant tout le salut, et notamment pendant la bénédiction du saint-sacrement. Géneviève le rapportoit en grondant, dans la crainte qu’il ne fût battu par les suisses de la paroisse, qui ont la haute police sur tous les quadrupèdes que le hasard amène dans leur église.

Géneviève en entrant dans l’arrière-boutique, voit Cécile à genoux sur sa chaise ; car elle n’avoit pas quitté cette position. La voilà qui se persuade que Cécile récitoit ses prières. Ah ! la chère demoiselle, grommelle-t-elle entre ses dents… C’est un ange… C’est un ange… Continuez, mon enfant… Continuez. Vous êtes dans la voie du salut, tâchez de ne vous en écarter jamais…
Pigault-Lebrun, L’Enfant du bordel, Tomes 1 et 2, 1800, fig., p. 30. Continuez, vous êtes dans la voye du salut.
Pigault-Lebrun, L’Enfant du bordel, Tomes 1 et 2, 1800, fig., p. 30. Continuez, vous êtes dans la voye du salut.
Oui, ma bonne, dit en syncopant la jolie Cécile. — Restez, mon enfant, dans les dispositions où vous êtes ; je retourne à l’église achever mes prières ; mais j’aurai beau faire, je vois à votre ton pénétré qu’elles ne seront jamais aussi ferventes que les vôtres. Et la vieille Géneviève de regagner en clopinant le dieu de miséricorde qu’elle avoit quitté pour son chien.

Que faisoit Théodore pendant la conversation ? Ses lèvres s’étoient d’abord collées sur deux fesses charmantes. Il avoit voulu déposer aussi un baiser sur le bijou frisé de Cécile ; elle avoit serré le derrière, de manière que sa bouche n’y pouvant atteindre, sa langue avoit machinalement cherché à y pénétrer ; elle avoit trouvé moyen de s’y introduire. Cécile n’osoit pas repousser son agresseur, de peur d’être découverte ; et c’étoient les titillations de cette langue agile qui avoient causé dans les sens de Cécile ce désordre que Géneviève avoit pris pour un élan de dévotion.

À peine Géneviève fut-elle dehors, que Cécile s’arracha aux lèvres amoureuses que les desirs brûlans attachoient sur ses charmes. Elle fut se jeter dans un fauteuil à quelques pas de là, le trop heureux Théodore fut aussitôt à ses genoux. Elle se plaignit avec amertume, de la trahison qu’il lui avoit faite. Il se défendit avec cette éloquence voluptueuse que son émotion rendoit encore plus persuasive. La jeune vierge fut bientôt appaisée ; elle pardonna, et finit par convenir de tout le plaisir qu’elle avoit éprouvé.

Bref, on sentit le besoin de se revoir, et Cécile laissa à Théodore le soin d’en faire naître les occasions.



CHAPITRE II.

Théodore ne put rejoindre son ami que le soir à Versailles. Il convint franchement qu’il avoit perdu le pari ; mais il garda un profond silence sur les suites délicieuses de son aventure.

La nuit qui suivit cet heureux jour, fut employée toute entière à rêver aux charmes de Cécile. Et comme il tournoit tant bien que mal des couplets, voici ceux qu’il fit sur son aventure : j’en ignore l’air, mais ils peuvent se chanter sur l’air charmant que chante madame Saint-Aubin dans le Chapitre Second.

Si la déesse des amours
Vouloit obtenir notre hommage,
De ma Cécile pour toujours,
Elle emprunteroit le visage ;
Si parfaits que soient les appas,
Que lui donne un crayon habile,
Son cul si vanté ne vaut pas
Le joli cul de ma Cécile.

Interprète du sentiment,
Qui réside au fond de mon ame,
Ma bouche sur ce cul charmant,
Déposa cent baisers de flamme ;
Vous qui nous vantez la vertu,
Si votre ame reste tranquille,
Ah ! c’est que vous n’avez pas vu
Le joli cul de ma Cécile.


Objet charmant et précieux,
Cécile, garde-toi de croire,
Qu’un jour ce cul délicieux
S’effacera de ma mémoire ;
Mais s’il faut renoncer pourtant
À mon existence fragile,
Grands dieux ! que j’expire en baisant
Le joli cul de ma Cécile.

Cependant, ce n’étoit pas le tout de chanter Cécile, il falloit songer à la revoir. Théodore ne trouva rien de plus à son gré que de s’ouvrir à son ami. En payant le lendemain le déjeûner du pari, il lui raconta de point en point tout ce qui s’étoit passé la veille. Celui-ci ne manquoit pas de mauvaises connoissances, il adressa Théodore à une certaine dame Florimont, espèce de catin intrigante, qui savoit se faire un revenu passable en protégeant les amours d’autrui. Théodore, muni d’un billet de son ami, fit connoissance avec la Florimont. Cette femme se chargea d’y attirer Cécile. Elle remplit sa promesse ; et huit jours après celui de leur première entrevue, Théodore se trouva tête-à-tête avec sa jolie conquête, à qui un mensonge adroit laissoit à-peu-près trois ou quatre heures de liberté.

Représentez-vous quelle dût être l’ivresse de l’heureux Théodore en serrant entre ses bras, en pressant contre son cœur, la jeune et intéressante vierge qui venoit de se livrer à lui. Ses lèvres brûlantes se joignirent à celles de son amante. Sa langue amoureuse chercha celle de Cécile qui, les yeux chargés d’un nuage de volupté, se laissa mollement aller dans les bras de Théodore. Il la porta sur un lit élégant qui n’étoit pas la pièce la moins nécessaire de l’appartement. Il eut bientôt vaincu la foible résistance que lui opposoit la pudeur mourante de Cécile. Il la débarrassa de ses vêtemens ; et jusqu’à sa chemise, tout lui fut enlevé.

Théodore, bouillant d’ardeur, travaille, de son côté, à se mettre dans le costume de notre premier père. Je vais profiter du tems qu’il emploie à se déshabiller pour tracer rapidement les beautés de Cécile.

Dieu ! quel spectacle enchanteur ! Quelle richesse et quelle pureté de formes ! Les yeux à demi fermés, et recouverts par son bras gauche, elle étoit étendue sur le dos ; ses jolies petits tettons haletans de desirs, sembloient avoir acquis plus de perfection que la première fois. Le délicieux bouton de rose qui en faisoit ressortir l’extrême blancheur paroissoit s’efforcer de sortir de son enveloppe de neige, et inviter les lèvres amoureuses de Théodore à y pomper l’ivresse de la volupté. Un ventre, des hanches telles qu’on peut les supposer à la jeune Hébé : mais ce qui, surtout, fixoit les regards, c’étoit cette toison charmante, dont le noir éclatant contrastoit d’une manière si piquante avec le blond cendré de ses beaux cheveux. Elle n’étoit pas encore aussi fournie qu’elle promettoit de l’être un jour ; mais son peu d’épaisseur offroit un spectacle encore plus attrayant, un spectacle fait pour porter le délire dans l’ame la plus indifférente aux plaisirs de l’amour.

À travers ce jeune taillis, on appercevoit une fente dont l’extrême petitesse prouvoit la fraîcheur et la virginité. Cécile qui, par son attitude, avoit les cuisses à demi écartées, laissoit appercevoir l’intérieur du sanctuaire où brilloit l’incarnat le plus vif. Un léger mouvement convulsif qui agitoit le ventre et les cuisses de la jolie victime, démontroit assez qu’elle jouissoit par anticipation des plaisirs qu’elle va connoître avec un peu plus d’étendue.

Le spectacle enivrant de tant de charmes avoit mis Théodore dans un état voisin de la fureur. Mais, me diront mes lecteurs, comment Théodore, qui ne connoît point encore de femmes, va-t-il s’y prendre pour dépuceler Cécile. Vous auriez raison, lecteur, s’il arrivoit de sa province : mais songez, de grace, qu’il y a six semaines qu’il est dans les pages du roi ; et qu’à cette chaste école un néophite est bientôt passé maître ; d’ailleurs, Théodore a déjà eu sous les yeux, plusieurs actes de priapisme, de la part de ses vertueux camarades ; et sans avoir jamais, lui-même, participé à l’acte de virilité, il sait parfaitement comment il doit s’y prendre. Avant de venir au rendez-vous, Théodore qui prévoyoit ce qui alloit arriver, a eu soin de se faire donner de nouvelles instructions ; et s’il n’est pas encore passé maître, il a toutes les connoissances nécessaires pour le devenir. Pardon de la digression, mais je l’ai crue nécessaire.

Théodore, ivre de desirs, s’élance sur sa jolie proie, la prend dans ses bras, la place sur le pied du lit, et veut faire pénétrer la flèche de l’amour dans l’étui que lui a destiné la nature. Mais de vives douleurs font disparoître le nuage de bonheur qui environnoit Cécile. Des cris firent arrêter Théodore ; il parvint, à force de caresses, à engager Cécile à supporter encore un essai. Et se précipitant avec fureur dans le détroit du plaisir, il brisa tous les obstacles, malgré les gémissemens et les plaintes de sa complice. Bientôt, cependant, les cris devinrent moins violens : Cécile parut éprouver une étincelle du plaisir qui dévoroit son amant. Ses yeux se troublèrent, et une copieuse éjaculation de part et d’autre consomma le sacrifice.

Ah ! que vous êtes cruel, dit Cécile en reprenant ses sens : étoit-ce pour me plonger dans le précipice que vous me témoigniez tant d’attachement. Théodore la rassura par ces caresses brûlantes, si persuasives quand on aime. Bientôt, oubliant et les douleurs passées et les chagrins à venir, ils perdirent de nouveau dans les bras l’un de l’autre le sentiment et la vie.

Bref, après que Théodore eut donné à Cécile une demi-douzaine de preuves de sa vigueur, ils se séparèrent, non sans avoir concerté les moyens de se revoir.

Quatre mois se passèrent. La complaisante Florimont que Théodore payoit grassement, prêtoit toujours sa vertueuse entremise pour favoriser les entrevues des deux amans. Leurs ébats eurent les suites ordinaires ; et un jour la désolée Cécile vint annoncer à son bien-aimé qu’elle avoit la certitude d’être enceinte. Peignez-vous la joie insensée de Théodore à cette nouvelle. Il alloit être père, et par qui ? par le seul objet qui lui fût cher, par sa jolie et intéressante Cécile. Ah ! c’étoit plus que le bonheur.

Théodore qui, par un sentiment de jalousie, avoit jusqu’à ce moment caché sa conquête à tous les yeux ; persuadé que l’état respectable où elle se trouvoit devoit éteindre les desirs de tout ce qui n’étoit pas lui, ne fit plus de difficulté d’avouer tout à St.-Firmin, cet ami qu’il avoit dans les pages, et à qui il étoit redevable de la connoissance de Cécile. Il ne fit, dis-je, aucune difficulté de lui tout avouer.

St.-Firmin promit d’être le parrain de l’enfant futur et de donner pour commère à Cécile, la jolie fille d’un hocqueton de la garde avec qui il étoit en intrigue réglée. Il voulut voir la petite femme de son ami ; mais une chose à laquelle Théodore ne s’étoit pas attendu, c’est que St.-Firmin, qui avoit des principes comme un page, devint amoureux de Cécile.

Il ne trouva pas de moyen plus commode pour se satisfaire, que de mettre la Floricourt dans ses intérêts ; ce qu’il fit à l’aide de quelques louis ; car cette femme, de la famille des Bazile, ne savoit pas résister à des argumens de cette espèce. La Floricourt attira Cécile chez elle, sous prétexte d’une entrevue avec Théodore : à la place de son bien-aimé, elle trouva le sacripant St.-Firmin qui d’un air fort honnête, lui fit des propositions très-malhonnêtes ; elle les rejeta avec indignation. Après plusieurs tentatives inutiles, il se jeta sur Cécile ; et aidé de la Floricourt, il la viola.


Pendant ce tems, que faisoit le pauvre Théodore ? Occupé de son service, il étoit loin de penser que l’amitié le trahissoit d’une manière aussi infame. Il repassoit dans son imagination la perfection des appas de sa Cécile, le bonheur constant dont elle seroit désormais la source pour lui ; enfin les plaisirs toujours nouveaux qu’il avoit connus avec elle, et dont il espéroit encore le surlendemain moissonner une ample provision.

La veille du jour où il espéroit voir la jolie mère de sa progéniture à venir ; il fut demandé à sept heures du matin, et un commissionnaire lui remit le billet suivant :

» Mon bien-aimé,

« Ton amie n’existe plus pour toi ; elle a perdu pour jamais le bonheur, et elle espère bientôt perdre la vie. Ah ! qui m’eût dit que notre union eût été de si courte durée ! Les barbares !… Tâche de te trouver cette après-midi, à quatre heures, chez madame D......y, rue neuve des Petits-Champs. Cette dame est une des pratiques de ma mère, qui veut bien se prêter à une entrevue… hélas ! sans doute la dernière ! »

Ton amie fidelle,
Cécile de B…

Théodore, étonné de cette missive, ne put imaginer autre chose, sinon que la mère de Cécile avoit découvert son intrigue avec sa fille. Il se proposa de rassurer sa jeune amie, et même de s’en emparer totalement pour la soustraire aux mauvais traitemens de sa famille. Il se faisoit déjà une idée délicieuse de la vie patriarchale qu’il alloit mener avec elle.

Il obtint facilement du gouverneur des pages la permission de s’absenter jusqu’au lendemain, et, montant à cheval, il galoppa vers Paris.

Arrivé près de Cécile, il apprit avec horreur ce qui s’étoit passé. Pressé par la soif de la vengeance, il embrasse tendrement Cécile et sort avec un calme apparent pour ne pas effrayer sa bien-aimée, à laquelle il promit d’être bientôt de retour.

Il vole chez la Florimont, l’oblige le pistolet sur la gorge, à écrire un billet à St.-Firmin qui étoit à Paris, ayant obtenu la permission d’y rester huit jours. St.-Firmin arrive deux heures après. Théodore lui reproche son attentat avec fureur, lui fait mettre l’épée à la main, le blesse mortellement, lâche un coup de pistolet à la Florimont, qui malheureusement ne lui brise que le poignet, et se retire en laissant les deux coupables nageant dans leur sang.

Pour finir en peu de mots cette série de scènes tragiques, St.-Firmin mourut de sa blessure. La Florimont fut quitte de la sienne pour un poignet estropié. Théodore fut obligé de passer dans les pays étrangers. Cécile ne voulut point retourner chez sa mère, et madame D......y qui n’étoit autre chose qu’une maquerelle déjà passablement fameuse, lui offrit un asile, espérant tirer parti de ses charmes lorsqu’elle seroit relevée de couche. Mais cette espérance fut trompée, car la malheureuse Cécile, après avoir langui pendant quatre mois ; mourut en mettant au monde un enfant extrêmement délicat… Cet enfant, c’est moi.

CHAPITRE III.


Voila donc le pauvre enfant du bordel, privé au moment de sa naissance, de celle qui lui donna le jour. Vous croyez peut-être que livré à l’indigence il va grossir la liste trop nombreuse de ces enfans infortunés qui, après avoir passé une jeunesse malheureuse dans d’obscurs hôpitaux, traînent une vie languissante et meurent souvent à la fleur de l’âge, sans avoir connu autre chose que l’infortune. Détrompez-vous, le ciel me destine à courir une carrière plus brillante ; et si elle est semée de beaucoup d’épines, j’y pourrai de tems en tems moissonner quelques roses.

Quoique la mort de ma mère eût détruit les spéculations que madame D…y avoit établies sur ses charmes, elle n’eut pas la pensée de m’abandonner. Au contraire, elle pourvut à tous les besoins de mon enfance ; mais comme les quatorze premières années de ma vie ne sont pas très-récréatives, je saute pardessus à pieds joints ; je dirai seulement que je reçus une éducation passable, et qu’affublé d’un équipage de jokei fort joli, je me rendis utile dans la maison de ma bienfaitrice. Bref ; j’ai quatorze ans, de jolis traits, une figure spirituelle, de grands yeux noirs, qui ne promettent rien moins que la chasteté. Je commence déjà à sentir que je suis bon à quelque chose ; les scènes dont j’ai été le témoin jusqu’à ce moment m’ont précocé le tempérament. Seul dans mon lit, je ne me rappelle pas impunément les charmes des prêtresses de Vénus, auxquelles j’ai l’habitude d’obéir, et ma main me procure des jouissances qui me font soupirer après de plus réelles.

De son côté, ma maîtresse paroît ne plus me voir avec la même indifférence. Elle a trente-six ans, c’est l’âge où l’on commence à aimer les fruits verds ; elle est encore très-fraîche ; elle voit le feu que la vue de ses charmes fait naître dans mes yeux : aussi, sous mille prétextes, elle offre à ma vue, tantôt un tetton encore passablement ferme et d’une extrême blancheur ; tantôt une jambe très-bien faite, et la majeure partie d’une cuisse moulée ; quelquefois elle change de chemise devant moi ; elle se met absolument nue, et ne reprend sa chemise blanche, qu’après avoir donné à mon œil le tems de la parcourir dans tous les sens.

Enfin, un matin, elle résolut d’en passer sa fantaisie ; elle me sonne à sept heures du matin. Quoique nous fussions dans les plus beaux jours d’été, toute la maison étoit encore ensévelie dans un profond sommeil.

J’entre donc chez Mad. D......y ; elle étoit au lit. Approche, Chérubin, me dit-elle, voici une chanson qu’on m’a donnée hier ; chante-la-moi. Comme j’avois une fort jolie voix, je ne me fis pas prier. Je vais rapporter cette chanson que l’on pourra chanter sur l’air : Il faut quitter ce que j’adore. (du Jokei).


Mainte femme ici-bas demande,
Ou la richesse ou la grandeur,
Moi, je sens que l’homme qui bande,
A seul quelques droits sur mon cœur ;
Au foutre les grands de la terre,
Tout homme est égal à mes yeux,
Et le héros que je préfère
C’est celui qui me fout le mieux.


Le foutre est mon bonheur suprême,
Jouir est ma première loi ;
Et le vit de l’homme que j’aime
Fut toujours un sceptre pour moi ;
Du ciel avec grand étalage,
On vante le bonheur constant ;
Ce bonheur ne vaut pas, je gage,
Celui que je goûte en foutant.

Du Dieu qui gouverne la terre,
Si j’avois un instant les droits,
Je m’en servirois pour me faire
Un vit de chacun de mes doigts ;
Et pour contenter mon envie,
Je voudrois avant de mourir,
Foutre mon sang, foutre ma vie,
Et foutre mon dernier soupir.

Qu’on juge de mon état pendant que je chantois cette chanson ; j’étais rouge, mes artères battoient avec violence. Madame D......y, qui du coin de l’œil calculoit les progrès de mon trouble, avoit déjà découvert, sous prétexte de la chaleur, cette paire de tettons, dont j’avois tant envié la jouissance ; le simple drap qui couvroit son lit, s’étoit aussi dérangé ; Sa jambe et sa cuisse étoient sous mes yeux. Lorsque j’eus fini la chanson, je la posai sur sa table de nuit. Tu chantes comme un ange, me dit-elle, en prenant ma tête dans ses deux mains et en appuyant sa bouche sur la mienne. Enhardi par cette marque d’amitié, je lui rendis les baisers qu’elle me prodiguoit. Bientôt sa langue s’ouvrit un passage, et fut s’unir à la mienne. Il est impossible de peindre ce que j’éprouvai dans ce moment.

Cependant mes mains tremblantes de desirs, erroient sur la gorge de ma belle maîtresse. Je sentis bientôt une des siennes qui se glissoit le long de ma cuisse, et sembloit chercher à découvrir si j’étois bon à quelque chose : elle dût être contente, car je bandois...... je bandois..... comme quand on bande pour la première fois. Je hasardai de porter à mon tour mes mains vers le centre des plaisirs. Après les avoir promenés sur un ventre ferme et poli, je les guidai entre les cuisses de ma déesse ; j’y rencontrai une épaisse toison, où mes doigts s’égarèrent : elle-même prit mon doigt et le plaça sur une petite éminence charnue. Ce doigt, guidé par la nature, se mit à remuer avec une agilité inconcevable ; bientôt mon institutrice tourne les yeux, balbutie quelques mots inintelligibles, roidit ses membres, et fait la plus copieuse décharge que de mémoire de femme on ait faite.


Sa main cependant qui avoit déboutonné ma culotte, n’avoit pas quitté le dard de l’amour dont la roideur extrême annonçoit les besoins. Oh ! mon Chérubin, me dit-elle, viens dans mes bras, viens sur mon cœur, que je te fasse connoître les plaisirs dont tu viens de m’enivrer.

En peu de secondes je fus dépouillé de tous mes vêtemens, et me voilà dans le lit de madame D......y. Peu de secondes après, elle prit la peine de m’initier elle-même dans les plus secrets mystères de l’amour. Elle se chargea de me placer et de m’introduire dans le temple du plaisir ; la nature fit le reste, et j’offris mon premier sacrifice à Vénus, à la grande satisfaction de la moderne messaline qui servit d’autel.

Quatre fois je renouvelai mon hommage, et madame D......y ne me fit retirer que lorsqu’elle vit que je n’avois plus que peu de chose à lui dire. Pouvant à peine me soutenir sur mes jambes, je remontai dans ma chambre, et me jetai sur mon lit, et un sommeil réparateur versa à pleines mains ses pavots sur ma tête.

Je dormois depuis à-peu-près une heure, lorsque je fus reveillé. C’étoit madame D......y qui m’apportoit elle-même des restaurans dont elle savoit que je devois avoir un grand besoin. Un consommé, une perdrix froide et d’excellent vin de Pomard. Voilà ce qui composoit mon modeste déjeûné ; je le mangeai en homme qui l’avoit bien gagné, c’est-à-dire, en affamé.

Pendant mon repas, madame D......y me prodigua les plus doux propos et les caresses les plus séduisantes : c’est en ce moment qu’elle m’apprit l’histoire de mon origine, la disparition de mon père et la fin de mon infortunée mère. Je donnai quelques larmes à leur souvenir, et un doux sourire à ma bienfaitrice. Je reçus d’elle un tendre baiser ; ce baiser fit renaître mes forces ; madame D......y fut sensible au pouvoir de ses charmes ; mais elle ne voulut pas profiter de ma bonne volonté, et se retira en m’invitant à prendre un repos qui m’étoit nécessaire.

Pendant quelques jours je fus fidèle à madame D......y mais enfin mon caractère volage l’emporta. Je fis attention à ce qui m’entouroit, je vis des figures enchanteresses qui paroissoient me sourire. Mon intrigue avec madame D......y que je croyois un secret impénétrable, étoit sue de toute la maison : cette intrigue sembloit me donner du prix aux yeux de celles qui, jusqu’à ce moment, avoient à peine daigné faire attention à moi. Je m’apperçus enfin que le premier bonheur pour une femme, est d’enlever un amant à sa compagne, et que la désolation d’une rivale est une de ses principales jouissances.

Au milieu de la foule des jolis minois qui m’environnoient, je distinguai particulièrement celui d’une jeune brune de dix-huit ans. Jamais œil plus noir et plus brillant ne para une jolie tête. Enfin je puis dire sans exagération, qu’il étoit difficile de soutenir l’éclat des yeux de Félicité ; grasse, potelée, mais de cet embonpoint qui ne fait que donner plus de volupté à l’ensemble de sa personne ; enfin de la tête aux pieds, Félicité étinceloit de desirs ; c’étoit la jeune Hébé parée de la ceinture de Vénus.

Félicité étoit une des plus ardentes à ma poursuite, depuis qu’on avoit pénétré ma liaison avec madame D......y, elle trouva plaisant de se donner à moi devant sa rivale, et sans que celle-ci se doutât de rien. Voici comme elle s’y prit pour y parvenir.

Un matin que j’étois dans la chambre de madame D......y, à ranger différentes choses, et que cette dame, encore couchée, causoit de choses indifférentes, Félicité entra, ferma la porte avec soin, et me fit, sans que madame D......y s’en apperçût, un signe de discrétion, en mettant son doigt sur sa bouche. Elle fut au lit de madame D......y, l’embrassa en lui disant qu’elle avoit quelque chose à lui confier. Mad. D......y me dit de sortir. Non, reprit Félicité, Chérubin peut rester : je vous parlerai bas. Alors tirant les rideaux, elle se plaça de manière que son buste étoit dans l’alcove, mais que sa croupe étoit de mon côté. Par ses soins, les rideaux se croisoient exactement sur ses reins ; ensuite, par un mécanisme sans doute préparé d’avance, son unique jupon tomba à ses pieds ; elle n’avoit point de chemise. Ah ! quel cul !… quel délicieux cul !… Le marbre n’est pas plus ferme… L’albâtre n’est pas plus blanc.

Devenu frénétique par cette vue, j’allai doucement m’agenouiller devant ce cul divin, j’y appliquai sans bruit de tendres baisers, j’écartai la superbe toison qui couvroit la grotte de l’amour ; j’en écartai les lèvres mignonnes et vermeilles, ma langue libertine y pénétra et fut y pomper le nectar brûlant de la volupté.

Je passai bientôt à des plaisirs plus solides : je dirigeai mon dard dans cet antre charmant ; il y pénétra sans peine, grace à la salive qu’y avoit déposé ma langue. De ma vie, je crois n’avoir foutu avec tant de délices ; l’espèce de contrainte que j’étois obligé de m’imposer, sembloit y ajouter un degré de plus. Je fus cependant assez maître de moi, pour ne pas me trahir ; mais il n’en fut pas ainsi de Félicité ; elle avoit continué à s’entretenir avec madame D......y : à l’instant suprême, elle déraisonna si visiblement, que madame D......y lui demanda en riant, si elle étoit folle. Pour toute réponse, Félicité colla sa bouche sur celle de sa rivale, et se mit à la branler pour détourner son attention. Cette dernière qui n’étoit jamais rebelle à une telle attaque, s’y livra entièrement, et nous arrivâmes tous les trois presqu’en même tems, à la fin de la carrière.

À peine fus-je revenu à moi, que je ramassai le jupon de Félicité, et que je le lui rattachai le moins mal-adroitement possible. Elle reprit sa conversation avec madame D......y, que j’entendis la terminer par ces mots : « Ah ! ma chère, que tu as de tempérament ! » Félicité rouvrit les rideaux, et sortit en riant comme une folle de la réussite de son extravagante entreprise. Quant à moi, marmottant quelques mots de chanson, j’avois pris un air calme et froid, qui en eût imposé aux yeux les plus exercés.

Je partageai donc mes faveurs entre Félicité et madame D......y, jusqu’à l’évènement qui nous sépara, et ce fut cette folle de Félicité qui occasionna notre rupture.

Madame D......y projetoit de me donner une nuit toute entière, afin vraisemblablement de se livrer sans contrainte à son caprice amoureux. Mais par une fatalité inconcevable, la chaste Félicité avoit aussi résolu de passer la nuit avec moi. Félicité avoit une tête, et ce que cette tête avoit résolu, étoit toujours un décret irrévocable qui devoit avoir sa pleine et entière exécution. J’eus beau lui remontrer qu’il m’étoit impossible de me dérober à madame D......y, de qui mon existence dépendoit absolument ; rien ne put lui faire changer de résolution.

Il y avoit vis-à-vis la maison de madame D......y, un payeur de rentes, dont le portier, savetier de profession, étoit à-peu-près de ma taille, quoiqu’âgé d’environ quarante-cinq ans. Ce laid monsieur, car il étoit hideux, étoit un véritable satyre, poursuivant toutes les nymphes potagères du quartier.

Ce fut à cet Adonis de nouvelle fabrique, que l’extravagante Félicité destina les faveurs de madame D......y. Mes remontrances les plus vives ne servirent de rien. Jacquet le savetier, endoctriné par Félicité, promit avec joie de traiter madame D......y en nouvelle mariée. En effet, depuis son premier acte de virilité, le restaurateur des chaussures humaines n’avoit pas encore goûté d’une jouissance aussi relevée.

À deux heures du matin, Jacquet bien décrassé, en chemise blanche, fut introduit dans le lit de madame D......y ; par qui ? par Félicité elle-même. Elle voulut même être témoin auriculaire ; car tout cela s’étoit fait sans chandelle : elle voulut, dis-je, être témoin des tendres ébats de ce couple mal assorti.

Ce ne fut qu’au bout d’une heure et demie, et lorsque l’illustre Jacquet en fut à son septième assaut, que ma folle compagne revint prendre place à mes côtés ; elle me parodia les tendres discours du couple qu’elle venoit de quitter, avec tant d’esprit, tant de gaîté, que je fus obligé d’en rire avec elle ; nous nous livrâmes ensuite à notre delire amoureux, non sans remords de ma part, d’avoir contribué par ma foiblesse à jouer un tour aussi sanglant à une femme qui, non-seulement m’avoit donné les premières leçons amoureuses ; mais encore à qui je devois les douceurs dont mon existence avoit été environnée depuis le premier de mes jours.

Le fatal lendemain arriva ; M. Jacquet, à force de donner des preuves de ses prolifiques talens à sa compagne, étoit tombé avec elle dans un sommeil léthargique ; ils furent surpris par le grand jour. Mad. D......y se réveilla la première : « Chérubin, Chérubin », s’écria-t-elle. En disant ces mots, ses yeux se portent sur le malencontreux savetier.... Dieux.... quelle métamorphose..... ce n’est plus le frais, le leste, le joli Chérubin ; c’est une vilaine figure noire et grêlée, que décorent deux yeux ronds et bordés de rouge ainsi qu’une bouche meublée de cinq ou six chicots.

La foudre tombée en éclats sur le lit de Mad. D......y l’auroit moins terrifiée que cette étrange apparition. Maître Jacquet de son côté, réveillé par les mouvemens de Mad. D......y s’étoit mis sur son séant, et la regardoit de toute la grandeur de ses petits yeux, pour chercher à lire dans les siens, l’effet que produisoit sa présence.

Interrogé par Mad. D......y sur ce que signifioit tout cela ; le suppôt de St.-Crépin ne crut pas devoir ménager son introductrice ; il déclara donc que Mlle. Félicité lui avoit proposé de coucher avec Mad. D......y ; que cette proposition étoit trop honorable pour lui, pour qu’il osât s’y refuser ; qu’il avoit accepté ; que Mlle. Félicité l’avoit amené elle-même jusque dans le lit de madame, et qu’il avoit fait tous ses efforts pour reconnoître une faveur dont il s’avouoit indigne.

On juge de la fureur de Mad. D......y, à cette étrange découverte ; elle parvint cependant à la maîtriser, ordonna froidement à maître Jacquet de s’habiller, lui mit un louis dans la main, et lui recommanda le silence, sous peine de la vie ; ce que Jacquet promit autant par crainte que par nécessité.

Mad. D......y monta ensuite dans ma chambre ; ne m’y trouvant pas, elle vint à celle de Félicité, et nous surprit dans les bras l’un de l’autre ; c’est alors que sa fureur éclata, elle nous accabla des reproches les plus outrageans, que nous écoutâmes, moi très-déconcerté, Félicité en lui riant au nez. Elle nous signifia que nous ayions à sortir sur-le-champ de chez elle ; ce que nous exécutâmes, après avoir fait un paquet exigu de nos effets communs.

Félicité se retira dans une chambre garnie, rue d’Argenteuil ; je m’y établis avec elle. Me voilà donc à quatorze ans et demi, le tenant en chef d’une des jolies filles de Paris.

CHAPITRE IV.

Le dessein de Félicité, en s’établissant rue d’Argenteuil, avoit été d’y continuer son commerce habitué dès l’enfance, à l’image de la prostitution. Je ne m’opposai point à ses projets ; mais ne voulant pas que l’on vît avec elle un jeune homme dont la tournure étoit suffisante pour effaroucher les pratiques, Félicité résolut de m’habiller en femme, et de déguiser mon sexe sous l’accoutrement féminin. Ce projet me parut très-plaisant, et je consentis avec joie à la métamorphose ; elle sut même si bien me tourner, qu’elle me décida à la seconder dans un commerce, dont j’avois déjà une connoissance approfondie.

Me voilà donc en fourreau de linon rose, chapeau et souliers blancs, et trottant avec elle sous les galeries du Palais-Royal. Mon coup d’essai fut le recrutement d’un vieux chevalier de St.-Louis ; nous le conduisîmes chez nous ; c’étoit moi qui avois plu à cet homme ; il voulut prendre mes tettons, et parut étonné de ne rien trouver ; Félicité lui dit que j’étois trop jeune pour être formée. Le chevalier fut surpris d’une non-formation qui contrastoit avec ma taille élancée, et mes membres fortement constitués ; il voulut visiter mes appas les plus secrets ; mais Félicité qui étoit fille de précaution, avoit affublé cette partie d’un large bandeau, et arrêta le téméraire, en lui disant que je n’étois pas sûre de ma santé. Alors le chevalier s’empara de ma compagne, et, malgré ses cinquante ans, l’exploita vigoureusement, au grand mal de cœur du pauvre Chérubin, qui n’étoit pas du tout satisfait d’une jouissance à laquelle il ne participoit pas. Le chevalier se retira, en promettant de venir nous revoir, et laissa deux louis sous le chandelier.

Je ne rapporterai pas les différentes aventures qui nous arrivèrent pendant les trois mois que nous exerçâmes notre chaste commerce ; elles se ressemblent trop pour que je me donne la peine de les raconter ; je n’en citerai que trois, en comptant celle qui me rendit à mon état naturel ; elles sortent du cadre ordinaire des aventures, et leur originalité leur fait seule obtenir la préférence.

Un grand jeune homme, d’environ trente-deux ans, vint un jour chez nous ; nous fûmes étonnées à l’inspection de ses pièces, de voir qu’elles étoient aussi flétries, aussi usées que celles d’un homme de soixante et dix ans. Nous employâmes en vain tout notre art pour le ressusciter, car j’étois devenu expert dans celui de procurer des jouissances à autrui. Enfin notre jeune invalide nous avoua que le seul moyen de lui rendre une partie de ses forces, étoit de l’instrumenter lui-même avec un de ces outils de religieuses, que l’on nomme godemichés.

Félicité qui ne perdoit pas une occasion de s’amuser aux dépens des sots qui tomboient dans nos filets, lui fit la confidence que j’étois ce qui lui convenoit le mieux, que la nature m’avoit fait un double présent, en me donnant les deux sexes, qu’en un mot j’étois hermaphrodite. J’étois resté immobile à cette singulière déclaration ; mais notre jeune homme enchanté, me sauta au col, en me disant que j’étois la femme qu’il cherchoit inutilement depuis bien long-tems. Il me renversa sur le lit, me troussa, arracha le bandeau préservateur dont j’étois toujours muni, et découvrit l’outil le plus roide et le mieux conditionné.

Il tomba à genoux devant ce superbe morceau, y porta les mains et la bouche, et sans s’amuser à visiter si les deux sexes y étoient effectivement, il me pressa de me servir avec lui de celui qu’il avoit sous les yeux.

Il fallut donc bon gré mal gré le contenter. Il se plaça commodément, et pour la première fois, je fis mon entrée triomphante dans la ville de Sodôme. Mais, ô prodige ! à peine eus-je donné trois ou quatre coups de cul, que la cheville de notre héros commença à prendre de la consistance, et il fallut peu de minutes pour la faire arriver au comble de la gloire. Félicité se plaça sur le pied du lit, mon homme l’embroche, je me remets à l’instrumenter de nouveau, et nous arrivons tous les trois, presqu’en même tems, au comble du bonheur.

La seconde aventure est peut-être encore plus originale, quoique la même ruse ait été mise en jeu.

Nous nous promenions un soir au Palais-Royal, lorsque nous fûmes abordés par une très-jolie fille à-peu-près de l’âge de Félicité ; elle témoigna une grande joie de la voir, lui demanda son adresse, et promit de lui rendre visite le lendemain matin.

Je demandai à Félicité quelle étoit cette jeune personne qui, à la richesse de ses vêtemens, à l’éclat des bijoux qui la couvroient, et surtout à sa tournure honnête, ne me paroissoit pas une fille publique. Elle m’apprit qu’elle en avoit fait la connoissance chez Mad. D......y où elle venoit souvent, mais avec d’extrêmes précautions, pour n’être pas compromise, et que c’étoit par une suite de ces précautions que je ne l’avois pas vue pendant mon séjour dans la maison, qu’elle étoit tribade, que trompée par un amant qu’elle avoit adoré ; elle détestoit les hommes, et se livroit aux femmes avec passion. Laisse-moi faire, continua Félicité ; je veux que demain tu t’amuses comme tu ne t’es pas encore amusé.

Effectivement, le lendemain nous entendîmes une voiture s’arrêter à la porte de la maison ; peu d’instans après on frappa à celle de notre chambre. Félicité étoit encore au lit, j’étois levé, et je fus ouvrir. C’étoit l’inconnue, elle fut se jeter dans les bras de Félicité, lui donna plusieurs baisers sur la bouche, avec une ardeur qui dénotoit la force de sa passion, et celle de son tempérament.

Félicité riposta tendrement à ces vives accolades, et je vis avec étonnement qu’elle prenoit goût au jeu. L’inconnue fut bientôt dépouillée de tous ses vêtemens ; la voilà nue dans les bras de Félicité, à qui elle arrache corset et chemise. Est-ce que cette grande fille ne vient pas avec nous, dit l’étrangère, que je nommerai Julie ? Elle n’est point encore initiée dans nos mystères, reprit Félicité. — Est-ce faute de goût ? — Non, c’est faute d’usage. — Comment, faute d’usage ? — Oui… Elle n’est pas conformée comme nous ; et quoiqu’infiniment plus propre que moi, à notre genre d’exercice, elle y est encore inhabile. — Expliquez-vous plus clairement ? — Telle que vous la voyez, elle est douée d’un clitoris à faire honte à la plus belle cheville humaine ! — C’est étonnant. — Figurez-vous, ma bien-aimée, le plaisir que doit goûter une femme que l’on enfile avec un clitoris de six pouces de long, et d’une raisonnable grosseur ! — Six pouces de long ?......... — Six pouces. Ajoutez que la bisarre nature s’est plue à donner à ce clitoris la forme d’un membre viril. — Vous ne plaisantez pas ? — Nullement ; je vous dis l’exacte vérité. Il faut vérifier cela, dit la curieuse Julie. Viens ici, me dit Félicité. Je m’approche alors d’un air gauche et timide qui fait rire mes deux folles aux éclats. Je suis troussé jusqu’au milieu des reins ; mon prétendu clitoris est baisé avec transport par la tribade Julie ; elle le met dans sa bouche, et le chatouille amoureusement avec sa langue. Devenu presque frénétique par cette espèce de caresses que je ne connoissois pas encore, je me jetai sur elle, je la plaçai à ma fantaisie, et je me mis à la travailler d’importance.

Pigault-Lebrun, L’Enfant du bordel, Tomes 1 et 2, 1800, fig., p. 93. Mon prétendu clitoris est baisé avec transport, par la tribade Julie.
Pigault-Lebrun, L’Enfant du bordel, Tomes 1 et 2, 1800, fig., p. 93. Mon prétendu clitoris est baisé avec transport, par la tribade Julie.

Les difficultés que j’éprouvai ne firent que m’irriter encore davantage ; elle jeta quelques cris que lui arracha la douleur ; mais bientôt enivrée elle-même par le plaisir, elle ne fit plus que de seconder, et peu d’instans après, nous tombâmes, sans mouvemens, dans les bras l’un de l’autre.

Félicité, qui craignoit que notre ruse ne fût découverte, me fit signe de me rajuster promptement, pendant que Julie n’avoit pas encore recouvré ses sens.

Je fus bientôt prêt, et telles supplications que me fit Julie pour avoir encore quelques caresses, je tins bon et la refusai absolument.

Félicité la décida, non sans peine, de remettre la partie à une autre fois. Hélas ! ce fut le lendemain de ce jour que nous arriva la catastrophe affligeante qui me sépara de Félicité.

Nous traversions tous deux la rue de Richelieu, à huit heures et demie du soir, pour nous rendre à notre domicile, lorsque nous fûmes abordés par deux élégans petits-maîtres qui nous firent des propositions très-séduisantes, que nous acceptâmes. Ils nous offrirent le bras ; à peine l’eûmes-nous pris, qu’ils se mirent à tousser. Au même instant, nous fûmes environnés par plusieurs mouches, et par deux escouades du guet qui s’emparèrent de nous. Félicité étoit tremblante, moi furieux ; et au moment où les deux mauvais sujets qui nous avoient fait arrêter, rioient de notre surprise, je donnai un coup de pied dans le ventre de l’un d’eux, qui le fit tomber sans connoissance au milieu de la rue. Deux gardes se jetèrent sur mes mains ; toute la bande délibéra s’il n’étoit pas nécessaire de me mettre les menottes ; cependant, par égard pour mon sexe, on n’en vint point à cette extrémité : les deux plus forts s’emparèrent de moi, et nous fûmes conduits au corps-de-garde de la barrière des Sergens.

Le corps-de-garde étoit déjà occupé par une douzaine de filles qui avoient été arrêtées comme nous. On nous conduisit à pied à St.-Martin. Le vendredi suivant, nous passâmes à la police ; nous fûmes condamnés..... Voilà l’Enfant du Bordel à l’hôpital.

À peine eûmes-nous passé deux jours dans cette maison de douleurs, qu’on procéda à la visite de celles qui étoient malades. Ce moment étoit redoutable pour moi ; je pouvois être reconnu pour un homme, et une détention aussi longue qu’ignominieuse, devoit être le fruit de mon travestissement. Eh bien ! ce fut encore Félicité qui me sauva de ce mauvais pas. Elle subit l’examen une des premières, et me faisant adroitement prendre sa place, elle y passa une seconde fois sous mon nom.

Quelle singulière fille que cette Félicité ! Elle étoit au désespoir, maudissoit la lumière ; ses yeux se tournoient-ils de mon côté, elle oublioit aussitôt sa douleur, et éclatoit de rire comme une extravagante.

J’étois déjà depuis huit jours dans cette redoutable maison, lorsque parut au milieu de nous un homme d’environ quarante ans, qui paroissoit être homme de condition. Il promena long-tems ses regards sur mes compagnes, ensuite il les arrêta sur moi, et après m’avoir fixé pendant quelques instans : c’est celle-là, dit-il à la sœur qui l’accompagnoit. Suivez-nous, mademoiselle, reprit la sœur, et remerciez monsieur le baron de ses bontés pour vous. Je fis une profonde révérence au baron qui y répondit par un léger sourire. J’embrassai Félicité, en lui disant à l’oreille : si je suis libre, tu le seras bientôt. Je suivis la sœur et le baron, et nous arrivâmes chez la supérieure.

Approchez, mademoiselle, me dit cette supérieure, et rendez grace à monsieur le baron. Il est dans l’habitude de retirer du vice, pour en faire d’honnêtes femmes, des infortunées dont la figure promet quelque chose. Remerciez le ciel de ce que son choix est tombé sur vous ; allez en paix et ne péchez plus. Après cet éloquent discours, la grave supérieure me fit mettre à genoux, me donna sa bénédiction, et me remit entre les mains de M. le baron, qui sortit d’un pas léger de cette enceinte de douleur, et me fit monter avec lui dans le carosse de remise qui l’avoit amené.


M. le baron de Colincourt jouissoit d’une fortune brillante, grace à un mariage de convenance qu’il avoit contracté avec la fille d’un riche financier. Depuis huit ans, il étoit engagé dans les nœuds du mariage, et n’avoit guère de commun avec son épouse, que le logement et la table. Cette épouse étoit alors une femme de trente ans, parfaitement belle, qui avoit commencé par s’affliger de la froideur de son époux, et avoit fini par s’en consoler avec des co-adjuteurs aimables.

Ce n’est pas que M. le baron fût ennemi du beau sexe, au contraire ; mais il ne pouvoit se consoler de s’être mésallié, et en dépit de l’aisance dont il jouissoit, il conservoit pour sa femme une froideur extrême ; de simples égards étoient tout ce qu’elle obtenoit de lui. Cependant, le baron avoit des besoins ; il ne vouloit point afficher de ses beautés à la mode, sa méthode étoit différente ; il avoit obtenu du ministre, la permission de tirer des maisons de force, de jeunes filles entraînées dans le vice, dans un âge sans expérience, afin, disoit-il, de les ramener aux mœurs et à l’honnêteté. Il se servoit de cette permission pour avoir de jolis minois de fantaisie, dont il se débarrassoit ensuite facilement.

À peine le baron fut hors de la vue de l’hôpital, qu’il me détailla ses projets sur moi, et me proposa de demeurer auprès de lui en qualité de jokey. Je lui répondis que j’étois une infortunée que la méchanceté d’un tuteur avoit réduite à cet état de misère ; que cependant, j’acceptois sa proposition, persuadé qu’il étoit trop honnête pour abuser du hasard malheureux qui me mettoit à sa merci.

Le baron eut l’air de me promettre tout ce que je lui demandai. Il me mena dans une maison tierce, où je fus confinée jusqu’au moment où mon équipage seroit prêt ; ce que l’on promit pour le lendemain. Il voulut prendre certaines libertés ; mais je sus le contenir, et il me remit une lettre que je fus chargé de lui porter aussitôt que mon costume seroit prêt. Cette lettre devoit être censée celle de recommandation qui me plaçoit près de lui.

Je ne manquai pas le lendemain d’aller présenter ma lettre au baron ; il la décacheta gravement, me dit que les recommandations, dont j’étois porteur, lui paroissoient suffisantes, et qu’il m’admettoit à son service. Je vis un sourire diabolique se peindre sur la figure de quelques domestiques qui étoient présens. Il me parut que la gravité du baron n’en imposoit à personne sur le compte du jokey, et que tout le monde étoit à-peu-près dans la confidence de la métamorphose.

Je fus présenté à madame de Colincourt, par le maître-d’hôtel. Elle me reçut assez dédaigneusement, m’engagea ironiquement à bien contenter mon maître, et me tourna le dos. Jusqu’à ce moment, je n’avois pas été habituée aux dédains des femmes, et je fus très-sensible à l’air de mépris de madame de Colincourt.

Le maître-d’hôtel voulut me conter fleurette en me ramenant, et se permit différens quolibets sur mon déguisement ; mais je le reçus si vertement que, craignant que je ne portasse des plaintes à notre maître commun, il finit par me prier de garder un profond silence sur tout cela, et je le lui promis.

Cependant, il m’étoit plus difficile de me débarrasser des poursuites du baron que de celles de son maître-d’hôtel. Mon lit étoit dans un petit cabinet à côté de sa chambre à coucher. Après que son valet-de-chambre l’eût mis au lit, je me retirai dans mon cabinet et je me couchai. Il y avoit environ une heure que je dormois d’un sommeil paisible, lorsque je fus réveillé par les attouchemens d’une main qui s’égaroit sur ma poitrine ; je la repoussai vertement. Mais, mon enfant, tu n’y penses pas, me dit monsieur de Colincourt, car c’étoit lui. Je ne veux pas, lui répondis-je. — Ma toute belle, sois sensible à mon amour, aux obligations que tu m’as. — Ne souillez point vos bienfaits par une action à laquelle je ne consentirai jamais. — Je me charge du soin de ta fortune. — Je ne veux rien que la tranquillité. — De grace ! — Je suis inflexible, repris-je en élevant la voix. — Silence, reprit-il tout bas, l’appartement de ma femme est ici près. — Eh bien ! retirez-vous chez vous, ou craignez tout de mon ressentiment. — Mais, ma bonne amie, tu ne songes pas que tu es entièrement à ma disposition, et que rien ne peut m’empêcher de me satisfaire ! — Il n’en sera rien. — C’est ce que nous allons voir..... Alors, le baron, beaucoup plus fort que moi, s’empare tellement de ma personne, que je vis le moment où mon sexe étoit découvert. Croyant n’avoir plus rien à ménager, je criai au secours de toutes mes forces. Une porte placée au fond de mon cabinet, s’ouvre brusquement, et madame la baronne, un bougeoir à la main, s’offre à nos regards.

Ah ! madame, m’écriai-je en l’appercevant ; sauvez-moi des attentats de votre époux. Il me paroît, mademoiselle, dit la baronne, que vous êtes plus honnête que je ne l’avois soupçonné d’abord. Passez dans mon appartement, vous y resterez. Soyez certaine que c’est un asile que qui que ce soit n’osera violer.

Cependant le baron étoit resté stupéfait de la brusque apparition de son épouse. La baronne me prit par la main, me fit passer dans son appartement, et s’y renferma avec moi, avant que monsieur de Colincourt eût retrouvé la force de changer de place.

CHAPITRE V.


LA baronne de Colincourt étoit vraiment une superbe femme, grande, majestueuse, les traits réguliers, une peau de satin, et des cheveux d’ébène, le bras, la jambe parfaits, et un pied tel qu’on pourroit le desirer à la Chine.

Mademoiselle, me dit Mad. de Colincourt, dès que nous fûmes chez elle, vous partagerez mon lit pour cette nuit, et je donnerai des ordres demain pour que vous soyez logée plus commodément. — L’honneur que vous me faites, madame, et le danger dont vous me tirez, vous assure pour ma vie, des droits à mon respect et à ma reconnoissance ; et je lui baisai la main d’un air pénétré. — Vous avez le cœur sensible aux bienfaits ; tant mieux, vous en sentirez plus vivement ce que je veux faire pour vous… Mais couchons-nous, car il est tard. Par ordre de la baronne, je me mis au fond du lit, et peu de minutes après, elle vint se placer auprès de moi.

Une veilleuse allumée sur une table de nuit dans l’alcove, y repandoit une douce clarté ; une femme divine, taillée comme la Vénus de Médicis, étoit à mes côtés ; je voyois une partie de ses charmes, j’avois sous les yeux un sein d’albâtre ; un bras et une épaule qui eussent servi de modèles à Praxitèle, étoient à six pouces de moi ; aurois-je pu y être insensible. Un profond soupir s’élança du fond de mon cœur, et fut mourir presque sur les lèvres de la belle Eugénie. (C’étoit le nom de fille de la baronne). Qu’avez-vous, ma bonne amie, me dit-elle ? — Hélas ! — Confiez-moi le sujet de vos chagrins ; voyez en moi une consolatrice, une amie. — Hélas, madame, il m’est impossible de vous avouer une chose comme celle-là. — Pourquoi, ma chère ? — Vous me chasseriez aussitôt de votre présence. — Avez-vous succombé aux attaques du baron ? c’est malheureux ; mais enfin, il n’y a pas de votre faute. — M. le baron n’est pour rien dans ma crainte ; il lui étoit impossible de rien obtenir de moi. — Expliquez-vous plus clairement. — C’est de vous seule, madame, que j’ai tout à redouter. — De moi ? — Je ne suis pas ce que je parois. — Vous n’êtes pas… et qui êtes-vous donc ? — Un malheureux jeune homme… — Un homme… et la main de madame la baronne, plus prompte que l’éclair, va chercher entre mes jambes, la preuve de mon sexe. Heureusement pour moi, la principale pièce du procès étoit dans un état qui ne laissoit aucun doute sur la véracité de mon rapport. Quelle audace, reprit la baronne. Ah ! madame, lui dis-je, alongeant une main timide que je posai sur un globe que j’aurois cru de marbre, sans la douce chaleur qui y régnoit, et la palpitation intermittente qui le faisoit soulever ; Madame, vous ne perdrez pas un infortuné, qui n’a contre lui que le malheur de vous avoir déplu. Et ma main ne quittoit pas le poste qu’elle avoit usurpé, et la sienne n’avoit pas lâché le joyau dont elle s’étoit d’abord emparée ; j’osai me rapprocher un peu, et passer mes bras autour de son col. Dans quelle position critique il me met, dit-elle d’une voix altérée ; et elle me donna un doux baiser sur le front. À ce signal auquel je ne pouvois me méprendre, je perdis toute retenue ; je collai mes lèvres brûlantes sur sa bouche fraîche et vermeille, je sentis bientôt que la baronne ripostoit à mes attaques. Ma langue s’unit à la sienne, mes mains parcoururent des charmes d’une fraîcheur et d’une fermeté dont la chaste Diane se seroit fait honneur. Quelle élasticité de chairs ! quel velouté de peau ! quelle pureté de formes ! Une de mes mains se glissa doucement jusque sur le ventre de ma divinité. Bientôt j’atteignis le reposoir de l’amour ; rien de si parfait que la légère monticule qui en précède l’entrée ; rien de si voluptueux que la mousse légère qui en tapisse les bords. D’un doigt libertin j’agitai le clitoris de la charmante baronne ; elle se serra contre moi en tressaillant, et en peu d’instans, elle arriva au comble de la volupté.

Après cette première expérience du tempérament de mon aimable baronne, je n’avois plus rien à redouter de son courroux : aussi, mettant toute retenue à part, elle se livra entièrement à moi. Cette délicieuse nuit ne s’est jamais effacée de ma mémoire : combien de fois nous mourûmes ! combien de fois nous ressuscitâmes ! Enfin une fatigue voluptueuse nous endormit dans les bras l’un de l’autre.

Le lendemain, le premier soin de la baronne, fut de me demander qui j’étois, et quelles étoient les aventures qui m’avoient amené dans sa maison. Je lui bâtis sur-le-champ le roman le plus joli et le plus intéressant. Je me donnai pour le fils d’un gentilhomme du Dauphiné. Je pourrois réjouir mes lecteurs, en leur faisant part de ce petit chef-d’œuvre d’imagination ; mais comme mon libraire veut que mes aventures soient toutes renfermées dans deux volumes, je suis obligé de sauter à pieds joints sur ces évènemens supposés de ma jeunesse.

Je passai avec ma chère baronne des jours tranquilles et des nuits délicieuses ; mais le diable qui ne dort jamais, et qui ne vouloit pas permettre que je pusse jouir de quelques tranquillités, suscita le baron maudit, pour traverser nos amours.

Le très-cher baron, quoique je fusse sous la protection de sa femme, n’avoit pas pour cela renoncé à ses prétentions sur moi ; au contraire, l’espèce de contrariété qu’il avoit éprouvée, avoit augmenté son caprice. Une nuit, qu’il nous supposa endormis, il se servit de son passe-partout pour entrer dans notre chambre. Vraisemblablement, son dessein étoit de repaître ses yeux de mes jeunes appas… Que vit-il ? ou plutôt que ne vit-il pas ? J’étois nu, ma chemise relevée jusqu’au col, et un songe qui avoit remis la libertine Félicité dans mes bras, faisoit élever droit comme un i, un membre qui prenoit chaque jour plus de consistance...... Oh ! vengeance, oh ! fureur… C’est un homme qui est caché avec la baronne, et c’est lui-même qui l’a introduit.

Le baron furieux, rentre chez lui pour prendre des armes, et immoler l’infame qui avoit osé souiller sa noble couche ; mais il oublia les précautions qu’il avoit prises en entrant, et son brusque départ chassa le sommeil de nos paupières.

Nous sentîmes tout le danger qui nous menaçoit ; notre premier soin fut de nous barricader : le baron revint, la porte étoit bien fermée, il pouvoit la faire enfoncer ; mais il me paroît que le baron eût le bon esprit de sentir qu’en ébruitant cette affaire, il alloit se couvrir de ridicule, et devenir le sujet de l’anecdote du jour. Après un instant d’un silence profond, ouvrez, me dit-il, le premier mouvement de colère est passé, et je sens que j’ai dans tout cela autant de tort que vous. Ouvrez, je vous donne ma parole d’honneur de ne me porter à aucune violence. Je balançois encore, mais la baronne me dit d’ouvrir, que le baron étoit incapable de manquer à sa parole.

J’ouvris donc la porte quoique peu rassuré ; le baron avoit des pistolets qu’il posa sur un meuble ; puis nous adressant la parole : Je n’ai pas été maître, dit-il, d’un mouvement de fureur ; mais la réflexion est heureusement venue à mon secours ; nous avons tous des torts à nous reprocher ? pardonnons-nous-les réciproquement, n’apprêtons point à rire à nos dépens par un éclat qui ne serviroit à rien. Vous, monsieur, voici vingt-cinq louis que je vous donne pour pourvoir aux besoins du moment. Habillez-vous, je vais vous conduire moi-même jusqu’à la porte, et si vous êtes jaloux de conserver la vie, oubliez jusqu’au nom du baron de Colincourt.

En me disant ces mots, le baron me présenta la bourse qui renfermoit les vingt-cinq louis ; je la reçus. En un tour de main, j’eus endossé mon costume de jokey. Je jetai un coup-d’œil de regret sur la baronne qui, plongée dans une bergère, et la figure cachée dans ses mains, gardoit un morne silence. Le baron me conduisit sans prononcer un seul mot jusqu’à la porte de la rue, et la referma lorsque je fus passé ; me voilà donc sans asile à quatre heures du matin, et par un froid très-piquant : ma foi, vogue la galère, je suis jeune, bien portant ; et j’ai vingt-cinq louis dans ma poche : avec ces ressources on va encore bien loin.

Mon premier soin fut de chercher un asile pour le reste de la nuit ; un honnête fiacre me l’accorda dans sa voiture, moyennant un écu de six francs, et promit pour cette somme de me promener jusqu’au jour.

Dans la matinée, je voulus aller au logement que j’avois occupé avec Félicité, pour voir si nos effets y étoient encore ; l’hôtesse s’en étoit emparée, et nia m’avoir jamais vu : je le pris sur un haut ton ; le mari voulut se mêler de la dispute, et me mettre à la porte ; je lui coupai la figure avec ma cravache, ils crièrent à l’assassin, la garde vint, m’arrêta… Me voilà encore une fois entre les mains de la justice.

On nous conduisit chez le commissaire, qui me demanda qui j’étois, et pourquoi j’avois maltraité les plaignans. Je lui répondis que j’étois venu réclamer des effets qu’avoient laissés dans une de leurs chambres, deux dames de ma connoissance. — Où sont-elles, répliqua le commissaire ? — Dans une maison de campagne, voisine de Paris. — Jolie maison, dit la logeuse. — Silence, s’écria le clerc. — Votre nom, reprit le commissaire ? — Chérubin. — Vous n’en avez pas d’autre ? — C’est bien assez de celui-là. — Que faites-vous ? — Je suis jockey. — À qui appartenez-vous ? — Maintenant à personne ; mais hier j’étois encore au service de monsieur le baron de Colincourt. — Où demeure-t-il ? — Rue de Varenne, faubourg St.-Germain. Le commissaire nous fit asseoir dans l’étude, écrivit un mot au baron, qu’il envoya par un des hommes du gref, et rentra dans son cabinet.

Au bout d’une demi-heure, arriva la réponse du baron ; vraisemblablement elle ne m’étoit pas favorable ; car, sans me dire un seul mot, le commissaire ordonna de faire avancer un fiacre, écrivit une lettre, dans laquelle il renferma celle du baron, qu’il remit au sergent du guet, lui dit un mot à l’oreille ; le sergent me fit monter en voiture avec lui, et un de ses soldats, ordonne au cocher de marcher, et nous arrivons, où ? à St.-Lazare.

On nous fait passer à travers plusieurs guichets, traverser différentes cours, et nous arrivâmes devant le supérieur. Le sergent lui remit les lettres dont il étoit le porteur ; après les avoir lues, le supérieur tira le cordon d’une sonnette qui étoit près de lui, et bientôt arrivèrent quatre grands Lazaristes, hauts comme des mondes. Le supérieur me fit un sermon très-pathétique sur les dangers du monde, et sur le bonheur que j’avois d’être dans une maison où l’on alloit travailler efficacement à la correction de mes mœurs, et à la rédemption de mon ame. Il me dit ensuite de suivre les révérends frères ; ce que je fis de bonne grace, pour ne pas m’attirer de mauvais traitemens.

Ils me conduisirent dans une petite cellule, où il y avoit pour tous meubles, un lit mesquin, une chaise de bois, un prie-dieu, un crucifix, et une tête de mort. Deux d’entr’eux se détachèrent, et revinrent un moment après, avec une cruche d’eau, un pain, et l’habit uniforme de la maison, consistant en une chemise de grosse toile jaune, un pantalon et une veste de bure brune, et des sabots. Ils me firent vêtir le tout, et à mon grand regret, je les vis sortir avec mes habits de jockey, dans lesquels étoient encore les vingt-cinq louis du baron.

Heureusement pour moi que je suis doué d’un caractère peu susceptible de s’abandonner au chagrin. Je m’occupai sur-le-champ des moyens de sortir de ma prison. La fenêtre de la chambre où l’on m’avoit renfermé, donnoit sur l’enclos des Lazaristes ; mais d’énormes barreaux à quatre pouces de distance l’un de l’autre, ne me laissoient pas d’espérance de ce côté ; point de cheminée, rien enfin de ce qui dans un roman favorise la fuite d’un prisonnier. Que faire ?… je ne trouvai aucun expédient, il n’y a de ressource qu’en tâchant de changer de local. L’infirmerie doit être moins sévèrement gardée, ainsi je n’ai rien de mieux à faire que d’être malade. À peine eus-je pris cette résolution, que je me mis à jeter des cris aigus, et à me rouler dans ma chambre ; cet exercice violent eut bientôt mis mon sang dans une agitation qui pouvoit passer pour de la fièvre ; en peu d’instans on accourut à mes cris ; je continuai d’en jeter de violens, en feignant de ne pas pouvoir répondre aux différentes questions dont on m’accabloit ; seulement je frappai sur mon estomac et sur mon ventre, comme pour désigner le siège du mal.

Le supérieur et le chirurgien arrivèrent ; ce dernier me tâta le pouls, et déclara que j’étois attaqué d’une violente colique nerveuse, causée sans doute par la révolution que m’avoit faite ma translation dans la maison ; que mon état étoit des plus dangereux, que j’avois besoin de prompts remèdes qu’on ne pouvoit m’administrer qu’à l’infirmerie, et demanda en conséquence que j’y fusse transporté : le supérieur le permit. Quatre des spectateurs me prirent dans leurs bras, et me portèrent dans cette infirmerie si desirée. On me déshabilla, et me voilà dans un excellent lit ; c’est toujours un petit adoucissement à mon sort.

Je fus obligé de prendre les différens remèdes qui me furent prescrits par le médecin, pour ne pas éveiller le soupçon. Bientôt je feignis d’avoir besoin de reposer, tout le monde se retira : me voilà seul… Non je ne suis pas seul, car il y a quatre autres malades et l’infirmier ; je veux seulement dire que je ne suis plus l’objet de l’attention générale.

À peine fus-je certain de n’être plus observé, que je promenai mes yeux dans la salle ; elle étoit percée de quatre fenêtres, donnant sur l’enclos, et garnies de grilles de fer. Vingt-quatre lits la décoroient, dont cinq seulement étoient occupés ; une large cheminée à chaque bout dans l’une desquelles il y avoit un grand feu.

L’infirmier sortit un instant, mes quatre confrères enveloppés dans leurs rideaux, dormoient ou rêvoient à leur maladie. Je profite de ce moment de liberté pour aller regarder dans la cheminée qui étoit sans feu… Oh ! surprise… Oh bonheur..... il n’y a point de barreaux..... Je suis sauvé.

La journée se passe sans évènemens remarquables, le chirurgien enchanté de l’effet que ses remèdes avoient produit sur moi, en redoubla la dose pour chasser, disoit-il, jusqu’au germe de la maladie.

La nuit qui suivit fut celle que je destinai au recouvrement de ma liberté ; sur le minuit, tout le monde endormi, je me lève tout doucement, je tortille mes draps autour de mon corps, et à la foible lueur d’une lampe qui brûloit à l’autre bout de la salle, je m’achemine vers la cheminée secourable.

Je grimpe avec facilité, et me voilà sur le toit ; je cherche un point solide où je puisse attacher mon drap ; je trouve une barre de fer, qui prise d’un bout dans le toit, et de l’autre dans la cheminée, paroissoit destinée à soutenir cette dernière contre les efforts du vent. J’attache donc les deux draps ensemble, et le bout de l’un d’eux après la barre de fer ; ensuite, je me laissai glisser doucement le long de ce foible soutien. Par malheur, il étoit trop court d’environ douze pieds. Que faire ?… La nuit étoit très-obscure, et il m’étoit absolument impossible de distinguer ce qu’il y avoit au-dessous de moi. Je restai quelques momens incertain sur ce que je devois faire ; mais pendu par les mains, comme je l’étois, la place n’étoit pas tenable ; ma foi, au risque de me tuer, je lâchai le bout du drap, et je m’abandonnai au hasard.

Je tombai heureusement pour moi sur un petit toit en planches, soutenu par deux barres de bois qui servoient de retraite à un énorme chien, gardien nocturne de l’enclos des Lazaristes. Le malheureux chien, au lieu de faire sa ronde, étoit tranquillement à dormir dans sa paille, de manière que le poids de mon corps écrasa le toit et le chien ; j’en fus quitte pour quelques contusions et un moment d’étourdissement, après lequel je me remis sur mes jambes.

Cependant la cabane en s’écrasant avoit fait beaucoup de bruit, le chien qui n’étoit pas tout-à-fait mort, jetoit des hurlemens effroyables ; je sentis le besoin de m’éloigner promptement, et léger comme le zéphir, je me mis à parcourir l’enclos pour tâcher de trouver le moyen d’en sortir.

J’avois déjà fait un long chemin sans avoir découvert autre chose que des grands murs, lorsque je vis à ma droite une lumière qui partoit d’une maison située sur l’enclos. Je me mis à dire assez haut, y a-t-il quelqu’un dans cette maison ? La fenêtre s’ouvrit, une voix de femme demanda qui avoit parlé. Au nom de l’humanité, madame, lui dis-je, secourez un infortuné qui n’est pas coupable. Qui êtes-vous, me dit-on ? — Un prisonnier qui s’évade ? — Et que puis-je faire pour vous. — Me donner les moyens de m’échapper. — Mais n’aurai-je pas moi-même à me repentir de vous avoir servi ? — Ah ! ne craignez rien, à quinze ans et demi on a pu commettre des fautes, mais on a rarement commis des crimes. — Attendez un instant, et la lumière disparut.

Dix minutes environ qui s’écoulèrent, me parurent dix siècles ; j’étois d’autant plus impatient que j’entendois de loin parler les personnes que les cris du chien avoient attirées ; enfin, au moment où je commençois à perdre la tête, un st’ part de la maison secourable, et quelque chose tombe auprès de moi ; c’étoit une corde à puits, je me cramponne, et en un moment, me voilà dans la cour et hors des pattes des Lazaristes.

CHAPITRE VI.


LA personne qui m’avoit secouru étoit une fort jolie femme que j’ai su depuis être une danseuse de l’opéra, son domestique m’avoit par ses ordres jeté la corde qui m’avoit servi à parvenir jusqu’à elle. Elle me fit passer dans une salle à manger et parut se savoir gré, en voyant ma jolie figure, du secours qu’elle m’avoit donné. Cependant ma parure n’avoit rien d’attrayant, mon pantalon de bure, ma chemise de toile jaune, point de veste, et nus pieds.

La manière dont je m’énonçai pour lui témoigner ma reconnoissance parut lui faire plaisir, en lui prouvant que je n’étois pas un malotru. Elle fit apporter de l’eau chaude pour me laver les pieds, me donna des pantoufles, du linge fin et une robe de chambre, ensuite elle me fit passer dans la chambre à coucher où il y avoit un grand feu, ce qui me fit beaucoup de plaisir. Comme, grace à ma maladie factice, je n’avois rien mangé depuis le matin, je fis un honneur infini à un charmant soupé qui nous fut servi par ordre de mademoiselle S.... Après que l’on eût desservi, elle ordonna à son domestique de me dresser un lit dans la pièce voisine. Il sortit pour obéir et nous laissa tête-à-tête.


Dès que nous fûmes seuls, mademoiselle S.... fit tomber la conversation sur les motifs de mon arrestation. Je lui contai l’histoire de ma vie, ce qui la fit beaucoup rire, surtout l’aventure de la baronne. Cependant ma jolie hôtesse me regardoit avec des yeux qui paroissoient contenir autre chose que de l’attention à mon récit ; un certain intérêt tendre y régnoit, je hasardai de prendre sa main que je pressois tendrement dans les miennes, je la portai à mes lèvres ; mademoiselle S.... fit un mouvement pour retirer sa main, j’en fis un pour la retenir, elle me fut laissée.

Que dirai-je enfin, d’encore en encore je m’emparai alternativement de la bouche, du sein, de la jambe, de la cuisse et du cul ; je la renversai sur sa bergère, et prenant ses jambes sous mes bras, je l’enfilai avec toute l’ardeur de mes moyens de quinze ans et demi.

Oh ! vous qui avez foutu, vous ne connoissez pas le plaisir, si vous n’avez pas joui de mademoiselle S......

C’est au lit surtout que mademoiselle S.... étoit impayable ; tempérament de feu, caresses séduisantes, des appas, d’une fraîcheur vraiment étonnante pour une danseuse de l’Opéra. Nous épuisâmes dans cette nuit bienheureuse tout ce que le code libertin a de plus voluptueux et de plus varié.

Cependant ma fuite avoit fait du bruit, on avoit découvert les moyens que j’avois employés pour m’évader, et comme on ne supposoit pas que, vu mon costume remarquable j’aie pu aller bien loin ; on ordonna une visite dans les maisons qui bordent l’enclos des Lazaristes ; et après en avoir visité plusieurs, la meute de Saint-Lazare arriva à celle de mademoiselle S..... et se fit ouvrir la porte de la part du roi. Que faire ? que devenir ; il y avoit vraiment de quoi perdre la tête. Mademoiselle S.... qui ne la perdoit jamais, excepté dans les bras de son amant, ne trouva d’autre moyen que de me faire coucher la tête dans le lit et de se coucher exactement sur moi ; mes pieds étoient sous le traversin, de manière que ma tête étoit précisément entre ses jambes.

Les cerbères, malgré que le domestique leur eût dit que sa maîtresse étoit malade, entrèrent dans la chambre de mademoiselle S.... et se mirent à fureter partout. Cependant la position que le hasard m’avoit donnée étoit trop appétissante pour que je n’essayasse pas d’en tirer parti ; malgré le danger, ma langue chercha à s’introduire dans le réduit amoureux que nous venions de fêter avec tant de plaisir. Mlle. S.... qui ne savoit pas refuser un instant de jouissance, malgré le danger qui nous menaçoit, se prêta à mes desirs, de manière qu’au moment où les suppôts de Saint-Lazare, après avoir visité partout, lui demandèrent si elle n’avoit pas connoissance d’un prisonnier qui s’étoit échappé ; ce qu’elle leur répondit avoit si peu de suite, si peu de sens commun, qu’ils ne doutèrent pas qu’elle ne fût très-malade, et son déraisonnement l’effet du transport ; ils se retirèrent donc en emportant avec eux la persuasion intime que je n’étois pas dans cette maison.

Le jour vint, et il fallut songer à la fuite ; car, malgré le plaisir que nous avions goûté, mademoiselle S.... et moi, nous sentions parfaitement le danger de rester plus long-tems dans le voisinage des Lazaristes, où mille circonstances imprévues pouvoient me faire découvrir ; d’un autre côté, comment gagner pays sans vêtemens, sur-tout sans argent. Ah ! si j’avois eu les vingt-cinq louis du baron de Colincourt...... Mais la généreuse Mlle. S.... se chargea de pourvoir à tous mes besoins. Par ses ordres, son domestique sortit, et une demi-heure après, il revint amenant un fripier avec son garçon chargé d’habits, chapeaux, bottes et en général, tout ce qui pouvoit constituer l’accoutrement masculin. En peu d’instans je fus vêtu de la tête aux pieds d’une manière aussi solide qu’agréable et commode. Les fournisseurs payés et retirés, nous délibérâmes sur le parti que j’allois prendre. Mademoiselle S.... me demanda si je savois quelque métier ou si je me sentois des dispositions pour jouer la comédie. Je lui dis que j’avois une assez jolie voix, elle voulut en juger, et sur-le-champ je lui chantai la chanson suivante :

Air : J’ai vu partout dans mes
                  voyages.

Ma Justine, tu me demandes
Où notre ame doit résider ;

Je l’ai dans le vit quand je bande,
Dans le doigt s’il faut te branler.
Pour chanter l’objet qui me touche,
J’ai mon ame dans mon esprit ;
Mais elle passe dans ta bouche
Lorsque tu me suces le vit. (bis.).

L’homme franc l’a dans ses promesses,
L’usurier l’a dans son calcul,
Un fouetté l’a dans ses deux fesses.
Un bardache l’a dans le cul,
Un buveur l’a dans sa chopine,
Un poltron l’a dans le talon,
Un bon fouteur l’a dans la pine,
Une garce l’a dans le con. (bis.)

Des transmigrations divines,
Je vais dévoiler les ressorts,
C’est en foutant que les bramines.
Font changer les ames de corps.

Quoique bien distincte chacune,
Souvent nous les réunissons ;
Nos deux ames n’en font qu’une
Au moment où nous déchargeons.


Mademoiselle S.... étoit restée stupéfaite en entendant cette chanson grenadière ; ensuite elle me sauta au col, et me donna mille baisers auxquels je ripostai de grand cœur ; et peu d’instans après, nous réunîmes nos ames à la manière des bramines.

Mademoiselle S.... après être revenue de son extase amoureuse, me fit des complimens sur la beauté de ma voix, m’assura qu’elle alloit devenir pour moi une ressource assurée. Elle m’engagea à tourner mes pas du côté de Lyon, écrivit une lettre au directeur du spectacle de cette ville, me la remit et m’assura qu’avec cette recommandation le directeur m’admettroit sans difficulté dans sa troupe, et me donneroit des appointemens suffisans pour exister.

Il fallut cependant songer au départ ; après cent baisers donnés et rendus, je la quittai, je traversai tout Paris, et fus sortir par la barrière des Gobelins, non sans donner quelques regrets à cette cité fameuse, berceau de mes premiers jours et de mes premiers plaisirs, où je laissois Mad. D......y Félicité, la baronne de Colincourt, et sur-tout la généreuse Mlle. S.... Bientôt ce nuage léger se dissipa, et le plaisir de parcourir des pays nouveaux pour moi, consola mon ame affligée.

Arrivé au haut de la montagne de Villejuif, je jetai le dernier coup-d’œil sur Paris ; je lui envoyai un dernier soupir, et j’entrai dans le village. Profitons de cette traversée ennuyeuse pour faire la description de mon équipage, et donner une idée des bontés de Mlle. S…

Habit de drap bleu, gilet piqué de Marseille, pantalon de velours gris, bottines, chapeau rond, le tout recouvert d’une immense redingotte d’alpaga brun garnie en velours noir ; dix louis dans ma poche, une petite montre d’or émaillée, un paquet sous le bras, contenant quelques chemises de toile d’Hollande, mouchoirs de la même toile et cravattes de mousseline.

Me voilà donc en pleins champs, la bise au nez, pestant contre le baron de Colincourt, qui ne vouloit pas qu’un honnête garçon baisât sa femme, et qui, par une suite de ses mauvais procédés, m’obligeoit à voyager par un tems si rude.

Je faisois ces réflexions chagrinantes, lorsqu’une voiture à quatre chevaux que j’entendois rouler derrière moi, depuis quelques minutes, me dépassa rapidement ; j’enviois intérieurement le sort de ceux à qui leur fortune permet de se procurer de semblables douceurs, lorsque la roue crie, casse, et voilà la voiture par terre. Le postillon avoit mille peines à retenir ses chevaux, et de la voiture partoient des cris affreux. Je pars comme l’éclair ; je m’élance à la tête des chevaux, et, aidé du postillon, je parviens à les arrêter tout-à-fait ; je vole ensuite à la voiture à travers les glaces brisées ; je vois deux femmes le cul nu en l’air, et la tête ensévelie sous les coussins de la voiture ; je veux passer mes bras dans le carosse pour les dégager, un éclat de glace qui déborde me coupe la main. Mon sang coule, je ne m’en apperçois pas ; je parviens à ouvrir la portière et voilà ces dames sur pied. Leur mise annonçoit une maîtresse et sa femme-de-chambre ; la maîtresse étoit évanouie, le grand air la fit bientôt revenir.

Cette dame commençoit à se répandre en actions de graces, sur les services que je lui avois rendus, lorsqu’elle apperçut ma main sanglante ; elle fit un cri : j’eus beau vouloir lui persuader que ce n’étoit rien autre chose qu’une écorchure ; il fallut que je lui laissasse panser ma main : elle la lava avec de l’eau de Cologne, et l’entortilla de deux mouchoirs, imbibés de cette liqueur.

Ces dames, cependant, ne pouvoient pas rester ainsi ; il falloit remédier à l’accident. Le postillon détela un cheval, et fut à Villejuif chercher du secours. Après un quart-d’heure d’absence, pendant lequel la maîtresse de la voiture me dit mille choses honnêtes, le postillon revint, non avec une roue, mais avec une berline qu’il avoit été demander à la poste ; des paysans l’accompagnoient. Les malles et paquets de la voiture brisée, furent placés sur celle qui ne l’étoit pas ; les paysans généreusement payés, et chargés de reconduire la voiture invalide à Villejuif, où la dame promit de la reprendre à son retour. Elle m’invite à monter avec elle, au moins jusqu’à la première poste. Je ne me fais pas prier : me voilà à ses côtés, et nous partons.

Madame de Senneville me demanda de quel côté je portois mes pas ; je lui dis que j’allois à Lyon. — Comment, à pied ? me dit-elle. — Oui, madame. Je suis philosophe, et j’aime à observer la nature. — Vous n’y pensez pas, mon jeune ami, la nature est très-agréable à observer au mois de mai, lorsque la terre est couverte de ses dons ; mais au mois de décembre, c’est une folie qui n’a pas le sens commun. — Croyez-vous, madame, que l’hiver n’a pas ses agrémens comme le printems. — Vous avez raison, on a le plaisir de souffler dans ses doigts… Mais, peut-être, votre bourse est-elle peu garnie, on pourroit y suppléer. Ceci fut dit d’un air timide. Pour toute réponse je portai ma main à ma poche, et lui montrai mes dix louis en or. Allons, continua-t-elle, il ne faut pas disputer des goûts. J’espère cependant que malgré votre penchant pour les voyages pédestres, vous voudrez bien m’accompagner jusqu’à Fontainebleau. Je remerciai Madame de Senneville, et me félicitai intérieurement d’avoir une journée à passer avec elle.

Madame de Senneville avoit environ 32 ans, les cheveux châtains, la peau extrêmement blanche, peu de gorge, mais bien placée ; femme d’un président aux enquêtes, qui l’avoit épousée lorsqu’elle avoit 18 ans. Cet homme froid, comme un robin, n’avoit servi qu’à développer le tempérament de feu [de] sa femme, qui, bientôt délaissée par lui, avoit donné dans tous les écarts, avoit fait toutes les folies, sans cependant afficher son mari. En un mot, madame de Senneville étoit tellement blasée, qu’il n’y avoit que les choses extraordinaires qui pussent la contenter.

Cependant cette femme avoit un cœur excellent, le meilleur ton, beaucoup d’instruction, une manière de s’énoncer enchanteresse ; son corps étoit partagé en deux parties bien différentes de la ceinture en haut, c’étoit celui d’une des muses ; et de la ceinture en bas, celui de la messaline la plus déhontée.

Nous arrivâmes à la dînée, sans malencontre. Madame de Senneville commanda un dîner succulent et délicat, auquel je fis parfaitement honneur. La jolie femme-de-chambre étoit à table avec nous : j’avois prié sa maîtresse de le permettre. En effet, Jeannette méritoit qu’on eût quelqu’attention pour elle.

Jeannette étoit la plus jolie blonde, faite comme une nymphe, et cependant une gorge d’un volume étonnant, et d’une fermeté plus étonnante encore. C’est sa peau surtout qui étoit frappante par cette blancheur rosée, qui fait le charme des blondes ; le bras parfait, le pied mignon, la jambe bien tournée. Madame de Senneville étoit fort aimable, mais elle perdoit beaucoup à être comparée à sa femme-de-chambre.

Après le dîner, nous remontâmes en voiture ; c’est alors que madame de Senneville me dit qu’elle alloit passer quelques semaines dans une terre qu’elle avoit à trois lieues au-delà de Fontainebleau, et que, si mes affaires me permettoient d’y venir résider quelques jours, elle feroit tout ce qui dépendroit d’elle, pour m’en rendre le séjour agréable.

J’acceptai, entraîné par l’amabilité de la maîtresse et par les charmes de la suivante, dont je me proposois bien de tirer pied ou aile ; nous arrivâmes sur les quatre heures du soir à un charmant château, meublé avec élégance. Comme on étoit prévenu de l’arrivée de la maîtresse, nous trouvâmes grand feu partout ; mais surtout ce qui me charma, ce fut un jardin d’hiver, d’une grandeur très-raisonnable. Il étoit vitré ; une douce chaleur y régnoit, grace à plusieurs poèles qui échauffoient l’athmosphère, et qui, artistement faits, servoient de piédestaux à des statues de marbre, qui décoroient le jardin. Un parfum délicieux embaumoit l’air qu’on y respiroit. On y trouvoit toutes les fleurs, depuis la modeste violette, jusqu’au lys éclatant ; depuis la simple marguerite, jusqu’à la rose vermeille ; des arbustes odorans, et même un bosquet de lilas, qui sembloit offrir son ombre aux mystères amoureux.

J’éprouvai un frémissement de plaisir en parcourant ce délicieux jardin. Madame de Senneville s’apperçut de mon émotion, elle y sourit, et intérieurement se promit bien d’en tirer parti. Nous revînmes ensuite dans le salon, où nous passâmes la soirée.

On soupa ; au dessert les domestiques furent renvoyés, et nous nous amusâmes à faire sortir quelques bouchons de Champagne. Madame de Senneville qui s’appercevoit que, depuis long-tems, je lorgnois Jeannette, m’en fit la guerre en plaisantant. Je répondis gauchement, ses éclats de rire redoublèrent ; vos yeux ne peuvent pas quitter la gorge de Jeannette, savez-vous qu’elle l’a superbe. Montre-la-lui, mon enfant ; et voilà Jeannette et moi à rougir ; elle de honte, moi de desir. Madame de Senneville, tout en riant, ôta les épingles, dénoua les cordons, et enleva le fichu de la pauvre Jeannette, qui tâcha, mais vainement, de cacher avec ses deux petites mains, ses tettons superbes. Jeanne d’Arc ne les avoit pas plus fermes ; Agnès Sorel ne les avoit pas plus blancs.

Imaginez une gorge comme la Franche-Comté nous en offre quelquefois, faite en poire, mais placée presqu’horisontalement, à rases épaules ; chaque demi-globe d’un volume rare se soutenoit seul sans artifice, et sans que son poids le fît seulement incliner vers la terre. Joignez le bouton le plus frais et le plus délicieux, ajoutez la peau d’une blancheur éblouissante, et vous aurez une idée de la gorge de Jeannette.

Cependant cette vue m’avoit mis en fureur, et je bandois. Ah ! je bandois… c’est cela que demandoit Mad. de Senneville. Bandes-tu, bien mon ami, me dit-elle, en appuyant sa bouche sur la mienne, et en y introduisant une langue, avec laquelle la mienne eût bientôt fait connoissance. Pour toute réponse je pris sa main, que j’appuyai sur mon vit ; elle déboutonna ma culotte, et mit à l’air un membre d’une roideur qui lui promettoit plus d’un assaut. Allons, s’écria madame de Senneville, à la besogne. Alors les deux femmes travaillèrent à se dépouiller de leurs vêtemens, et me prièrent d’en faire autant. Le feu est redoublé, pour que l’absence de nos habits ne nous laisse pas appercevoir de la rigueur de la saison.

Nous voilà nus tous les trois. Madame de Senneville gagnoit à être vue ainsi, et elle n’étoit pas déplacée auprès de Jeannette, qui étoit de la tête aux pieds un composé de graces.

Je croyois tout uniment que j’allois foutre les deux femmes chacun leur tour, ou du moins madame de Senneville : combien j’étois loin de compte. Je la prends dans mes bras, et, après un baiser voluptueux, je fourre ma main entre ses cuisses… Oh ! surprise… ce n’est point un conin, pas même un con, c’est un gouffre, dans lequel j’aurois pu je crois entrer tout entier ; aussi aurois-je débandé tout net, si la vue des charmes de Jeannette n’eût soutenu mon courage.

Cependant le mot de madame Senneville à la besogne avoit une signification à laquelle je ne m’attendois pas. Jeannette fouille dans une petite armoire, dont sa maîtresse vient de lui donner la clef ; elle tire un godemiché, recouvert en velours, qui avoit, sans exagération, six pouces de diamètre, sur dix de long ; elle l’attacha autour de ses reins avec une ceinture de maroquin, et fut se coucher sur une chaise longue, qui étoit dans le salon. Madame de Senneville se mit sur Jeannette, et, à mon grand étonnement, elle se le fit entrer tout entier dans le corps. Voyez ce qu’il vous reste, me dit-elle ; je ne voyois que son cul...... c’étoit ce que demandoit madame de Senneville ; aussi sans me faire prier davantage je me mis à l’enculer. C’étoit la seule manière dont madame de Senneville pouvoit se procurer des jouissances : aussi s’en donna-t-elle tant et plus pendant deux heures, que les jouissances se multiplièrent. Madame de Senneville entendoit parfaitement ses intérêts en mettant Jeannette de la partie ; les appas de cette fringante soubrette soutenoient merveilleusement mes forces.

Pigault-Lebrun, L’Enfant du bordel, Tomes 1 et 2, 1800, fig., p. 168. C’étoit la seule manière dont madame de Senneville pouvoit se procurer des jouissances.
Pigault-Lebrun, L’Enfant du bordel, Tomes 1 et 2, 1800, fig., p. 168. C’étoit la seule manière dont madame de Senneville pouvoit se procurer des jouissances.

Il faut aussi avouer une petite rouerie que je m’étois permise, j’avois payé mon tribut au postérieur de Mad. de Senneville, en l’arrosant une seule fois d’un foutre brûlant ; mais ensuite je m’étois contenté de la limer, et j’avois réservé pour Jeannette des forces que j’aimois mieux perdre avec la soubrette qu’avec la maîtresse. Enfin, nous cessâmes nos chastes amusemens, et chacun reprit ses habits ; non, sans que madame de Senneville eût donné plusieurs baisers au bijou, qui venoit de si bien la travailler de la manière inverse.

Madame de Senneville passa dans une petite garde-robe pour y faire les ablutions nécessaires. Je profitai de ce moment pour demander à Jeannette, si elle ne pourroit pas me donner une heure dans le cours de la nuit. — Je n’ose pas, dit-elle, madame est jalouse ; elle veut bien que l’on me voie, mais elle ne veut pas que l’on me touche, il faut que tout tourne à son profit. — Mais, ma belle, elle doit en avoir assez. — Assez ! vous ne la connoissez pas. — Ma foi ! lui parlera qui voudra, moi, je suis muet pour elle ; mais je sens, ma bonne amie, que j’aurois encore bien des choses à te dire. Eh ! bien..... — Eh bien ? — Couchez-vous et restez tranquille, je tâcherai d’aller vous trouver. — Tu le promets ? — Je le promets. — Ta parole. — En voici le gage ; alors elle appuya sa bouche vermeille sur la mienne, et me donna un baiser qui passa jusqu’à mon cœur.

Madame de Senneville rentra ; nous prîmes quelques liqueurs, et, après nous être promis de renouveler souvent la scène qui venoit de se passer, elle appela un domestique qui me conduisit à la chambre qui m’étoit destinée, où je ne tardai pas à trouver, dans un sommeil profond, la réparation de mes forces.

Fin du premier volume.

L’ENFANT
DU
BORDEL.



CHAPITRE VII.




Depuis deux heures environ j’étois enseveli dans un sommeil léthargique, lorsqu’un petit bruit que j’entendis me réveilla. Je tâte auprès de mon lit, ma main attrape une chemise de femme ; je monte un peu plus haut, et je trouve cette gorge délicieuse, qui m’avoit tant fait bander deux heures auparavant. C’étoit Jeannette ! je tire doucement à moi, et la fraîche soubrette est bientôt à mes côtés. Que ne puis-je peindre les transports brûlans, les forces inépuisables que ces charmes parfaits m’inspirèrent..... Oh ! oui, bien parfaits ! À chaque instant cette gorge d’albâtre sembloit plus ferme encore ; le bouton qui le couronnoit, croissoit sous mes lèvres amoureuses ; des membres voluptueux, que la mère des Graces n’auroit pas désavoués ! un ventre poli comme de l’ivoire, des cuisses, une jambe......

Mais, sur-tout ce qui étoit au-dessus de tous les éloges, c’étoit la grotte des plaisirs. Un poil doux comme de la soie en garnissoit l’entrée, une odeur suave et balsamique s’exhaloit de tout le corps de l’aimable Jeannette.

Voulant la payer de sa complaisance et des marques d’amitié qu’elle me donnoit, en se rendant à mes desirs, je me mis en devoir de lui donner des preuves de ma reconnoissance......... C’étoit le jour de surprise : cette Jeannette, qui étoit la femme-de-chambre de madame de Senneville, que cette messaline obligeoit à se prêter à ses caprices amoureux, Jeannette enfin étoit pucelle......... Combien cette connoissance me la rendit chère, combien elle donna de prix aux faveurs inestimables qu’elle consentoit à me prodiguer.

Déjà les soupirs profonds de la jeune vierge annoncent et ses desirs et ses craintes ; déjà l’air retentit des plaintes de la victime, que je tâche vainement d’étouffer sous mes baisers brûlans. Bientôt le cri de la pudeur s’envole, l’éclair de la volupté brille à nos yeux, et nous expirons dans les bras l’un de l’autre.

Ah comme je témoignai mon amour à la jolie et fraîche Jeannette ; de combien de caresses je, l’accablai, de combien de baisers je saturai ses charmes ; jamais ! non jamais je n’éprouvai tant de délices ; mes forces exaspérées par la perfection des appas qu’elle abandonnoit à mes mains libertines, firent de moi un Hercule, et depuis ce demi-dieu de vigoureuse mémoire, jamais pucelage ne fut aussi vertement fêté.

Beaucoup de mes lecteurs ne comprendront peut-être pas comment il est possible que Jeannette ait conservé son pucelage dans une maison dont la maîtresse la soumettoit à ses caprices libertins : je leur dois l’explication de ce problème singulier.

Jeannette étoit la fille d’un fermier d’une des terres de M. de Senneville, élevée par un père dont les vertus patriarchales faisoient le bonheur d’une nombreuse famille, et y avoient maintenu les mœurs de l’âge d’or. Jeannette étoit parvenue jusqu’à dix-huit ans, sans que rien altérât cette innocence précieuse. Madame de Senneville la vit à un de ses voyages, la demanda à son père. Celui-ci, qui ne connoissoit pas les mœurs dépravées de la femme de son seigneur, y consentit, malgré la répugnance qu’il avoit à éloigner un de ses enfans du sein paternel. Madame de Senneville, adoratrice de tout ce qui pouvoit flatter ses goûts bisarres, étoit devenue exclusivement jalouse de Jeannette ; depuis un an qu’elle étoit à son service, elle l’avoit exactement surveillée jusqu’au moment où j’avois cueilli cette fleur précieuse.

Je passai cinq mois dans cette délicieuse demeure, qu’embellit pour nous une suite non-interrompue de plaisirs. Mes jours étoient consacrés à la promenade, à la chasse, à la pêche ; mes soirées aux plaisirs effrénés de madame de Senneville ; les nuits à la jouissance de l’ame et du bonheur dans les bras de la céleste Jeannette.

Un des premiers jours du mois de mai, nous avions passé Jeannette et moi une nuit délicieuse ; nous comptions bien qu’une longue suite de nuits semblables alloit s’écouler pour nous : nous descendons, à neuf heures du matin, étonnés de ce que madame de Senneville, ordinairement très-matineuse, n’avoit pas encore paru : dix heures, onze heures sonnent, et elle ne se lève pas ; impatiens, inquiets, nous frappons, point de réponse, enfin ne sachant que soupçonner, les domestiques m’aident à enfoncer la porte. Les rideaux du lit étoient fermés ; nous les ouvrons...... l’infortunée madame de Senneville étoit morte......

Elle avoit depuis quelque tems d’assez violens accès de goutte. Dans cette nuit fatale, la goutte lui avoit remonté dans l’estomac et l’avoit étouffée.

Tirons un rideau sur ce tableau funeste, nos pleurs sincères l’accompagnèrent au tombeau ; nos regrets survécurent à sa dépouille mortelle, et son souvenir se grava dans nos cœurs en traits ineffaçables.

J’avois, au moment de ce malheur, expédié un domestique à M. de Senneville : il arriva, et sans paroître plus étonné, sans avoir quitté son air froid, il donna des ordres pour l’arrangement de la maison. Dans un des tiroirs du secrétaire de madame de Senneville, il trouva une espèce de testament, qui contenoit ses dernières volontés.

Elle prioit son mari dans le cas où la mort disposeroit d’elle, d’assurer à Jeannette de quoi vivre le reste de ses jours, sans être obligée de servir personne. Elle le prioit de me donner un bon cheval, cinquante louis, son portrait, qui étoit enrichi de brillans, et de me laisser aller où bon me sembleroit ; elle faisoit ensuite quelques dons à ses domestiques.

M. de Senneville ne démentit pas son caractère froid et impassible ! sans s’informer quel pouvoit être le genre de mes liaisons avec son épouse, ce qui avoit pu occasionner le long séjour que j’avois fait chez lui, il me donna les cinquante louis, le portrait de son épouse, me fit choisir le meilleur cheval de son écurie, et me laissa la liberté, ou de demeurer au château ou de m’éloigner.

La mort de madame de Senneville m’avoit trop profondément affecté pour que je consentisse à prolonger mon séjour ; Jeannette que cette mort avoit ainsi que moi réduite au désespoir, me pria de la reconduire chez son père, qui demeuroit à six lieues de là ; et dès le lendemain nous nous éloignâmes emportant dans nos cœurs le souvenir de la bonne amie que nous avions perdue.

À moitié chemin du château à la ferme, nous traversâmes un petit bois où nous nous reposâmes ; nous parlâmes de notre bienfaitrice, nous nous embrassions, en mêlant nos larmes ; bientôt ces baisers firent naître d’autres desirs. Le gazon fleuri, sur lequel nous étions, sembloit nous inviter à le fouler ; nos bouches se rencontrèrent, nos mains s’égarèrent, et le flambeau de l’amour brilla à nos yeux ; mais l’ombre de madame de Senneville qui, sans doute, planoit sur nos têtes, ne dut pas s’offenser de nos desirs. Au moment suprême, un même sentiment nous fit dire : « Ah ! que n’est-elle avec nous ! que ne peut-elle encore goûter les plaisirs dont nous l’avons si souvent enivrée ! » Une preuve, c’est qu’ensuite nous parlâmes d’elle avec le même respect et la même vénération. Bientôt je remontai à cheval, je repris Jeannette en croupe, et, après deux heures de marche, nous arrivâmes chez son père.

Le père de Jeannette étoit la meilleure pâte d’humain qui pût exister ; il me reçut avec une bonté paternelle ; il me remercia des soins et des complaisances que j’avois eus pour sa fille. Jeannette se joignit à l’auteur de ses jours pour m’engager à passer quelque tems à la ferme ; la bonhommie du père, les appas des filles étoient des liens qu’il auroit été trop difficile de rompre ; je ne cédai pas, et, après deux jours donnés à leur amitié, pendant lesquels je fêtai le plus vigoureusement possible les appas de Jeannette, je partis, un bon cheval entre les jambes et cinquante louis dans ma poche.

J’avois encore la lettre de mademoiselle S...., je résolus de la mettre à profit, et je repris la route de Lyon en faisant la réflexion, que si je me reposois six mois toutes les douze lieues, j’arriverois à Lyon en état de jouer les pères nobles.

Nous étions dans la plus belle saison de l’année, la nature étoit riante, les arbres étoient couverts de feuilles et de fleurs, j’étois environné d’un athmosphère embaumé. Ah ! combien je sentois la douceur de mon existence ! je conservai l’enthousiasme qui m’animoit jusqu’à la Charité-sur-Loire. Arrivé dans cette ville, j’y tombai malade. Comme je n’aime pas à m’appesantir sur les heures de douleurs, je dirai seulement que, soit la révolution que m’avoit causée la mort de madame de Senneville, soit toute autre cause, je restai malade pendant les mois de juin et de juillet ; que, graces à la sequelle médicale, je dépensai quarante-trois de mes cinquante louis, je vendis mon cheval pour quinze louis, et que, vers le milieu d’août, je continuai mon voyage à pied avec vingt-deux louis pour toute fortune.

Il faisoit une chaleur extrême, les champs étoient couverts de moissonneurs : ce fut ce jour qu’il m’arriva une aventure enivrante, une aventure dont le souvenir me fait encore tressaillir d’ivresse et de bonheur.

Il étoit midi, j’allois quitter la levée de la Loire, qui est entre la Charité et Nevers. Je gagnai doucement cette dernière ville, en admirant la délicieuse perspective que j’avois sous les yeux, et qui est, sans contredit, une des plus belles de la France : j’apperçus dans la vallée un gros bouquet de bois que paroissoit traverser une petite rivière que je voyois serpenter au loin et se jeter ensuite dans la Loire.

Il me prit envie d’aller m’y reposer une heure ou deux, et de laisser ainsi s’écouler la grande chaleur. Je m’achemine donc vers le petit bois ; j’y arrive : en entrant, j’entends le bruit que faisoient la conversation et les éclats de rire de plusieurs jeunes filles. Curieux de savoir quel étoit le motif de cette conversation, je m’avance en silence, j’arrive derrière des buissons, et je vois sur le bord de la petite rivière, qui formoit en cet endroit une espèce de bassin, trois jeunes filles nues comme la main, et qui se préparoient à raffraîchir leurs jeunes appas dans un bain que la saison rendoit aussi utile qu’agréable.

J’écartai doucement les branchages qui me déroboient la vue des causeuses : quel tableau délicieux ! le pinceau d’Albane n’a jamais rien produit d’aussi voluptueux. Les trois jeunes filles pouvoient avoir de dix-sept à dix-neuf ans ; l’une étoit blonde et les deux autres brunes. Elles causoient sur leurs charmes ; leur conversation m’a paru assez piquante pour mériter d’être rapportée dans ce véridique ouvrage. J’appris dans leur entretien qu’elles se nommoient Rose, Claire et Sophie.

claire.

Tu as beau dire, ma Sophie, tes tettons sont plus parfaits que les miens.

sophie.

Tu te trompes, Claire ; ma gorge ne peut pas être comparée à la tienne : elle est un peu plus blanche, il est vrai, mais elle n’est pas aussi ferme ; le bouton de ton sein est d’un rose bien plus éclatant que le mien : d’ailleurs, faut-il vous l’avouer, mes bonnes amies, vous avez votre pucelage, et je n’ai plus le mien.

rose.

Moi je n’ai plus le mien non plus.

claire.

Moi j’ai le mien, mais je vous avoue que je voudrois bien en être débarrassée.

sophie.

Qui a pu te donner ce desir ?

claire.

C’est mon secret.

rose.

Dis-nous-le, ma bonne petite Claire.

sophie.

Oui, confidence entière entre nous trois : pour commencer, je vais te conter l’histoire de la perte de mon pucelage.

Vous connoissez toutes deux monsieur le curé ? Eh bien ! c’est lui qui me l’a pris le jour de ma première communion. J’étois parée par les soins de ma mère ; je me rendis à l’église : ce fut là que je me rappelai une des peccadilles de mon enfance, que j’avois oubliées. Je passai dans la sacristie, et je fis prier le curé d’y venir ; il me fit dire d’aller chez lui par son jardin : j’y fus. Il s’enferma dans sa chambre avec moi. Je lui avouai le péché qui étoit revenu à ma mémoire ; ce péché étoit qu’à dix ans, étant un jour seule à la maison avec mon frère qui en avoit onze alors, nous nous étions mis tout nus pour voir la différence qu’il y avoit entre nous. M. le curé s’emporta contre ce péché qu’il appeloit un inceste ; il me dit qu’il n’y avoit de rémission pour moi qu’en bénissant tous les endroits que la vue de mon frère avoit souillés, et que, pour cela faire, il falloit que je quittasse mes vêtemens : je le fis avec une parfaite innocence. Vous savez qu’il y a quatre ans, quoique je n’en eusse que quatorze, j’étois presque aussi formée que je le suis : pendant que je quittois mes habits, les yeux du curé s’enflammoient à l’aspect de ma jeune gorge que j’avois alors dure comme du marbre. Je voulois garder ma chemise, mais il me la fit quitter : il me fit placer sur son lit, les cuisses écartées, et me dit qu’il alloit me faire l’imposition des mains ; il les posa d’abord sur mes tettons, en feignant de marmotter quelques prières ; il en chatouilla légèrement le bout : les roses s’élevèrent sous ses doigts. Il promena ensuite ses mains bienheureuses sur mon ventre, sur mes cuisses ; il les arrêta sur ma fente, qui commençoit à se revêtir d’un joli poil blond, et son doigt agile commença à me branler d’une manière délicieuse. Peu faite à ce genre de caresses, j’eus bientôt perdu la tête, et je connus pour la première fois le bonheur de décharger.

Je fus rappelée à moi par de vives douleurs que je sentis à l’endroit même qui venoit de me faire éprouver tant de délices.

Monsieur le curé, profitant du moment où je n’avois plus la tête à moi, avoit déboutonné sa culotte, en avoit tiré un membre d’une taille très-raisonnable, m’avoit placée à sa guise, et s’amusoit à me dépuceler pour me rappeler à la vie. Lorsque je revins à moi j’avois déjà la moitié de son outil dans le corps, et, malgré mes gémissemens, il y logea le reste.

Cependant l’heure s’écouloit : monsieur le curé, après avoir tiré deux coups, me crut assez purifiée ; il me fit rhabiller, me recommanda le silence, et je fis ma première communion.

Je revis monsieur le curé ; il m’instruisit de tout ce que je devois savoir pour ne pas nous compromettre. Je lui pardonnai tout : il me le mit de nouveau ; j’y trouvai grand plaisir. Ma mère mourut il y a un an ; monsieur le curé me prit pour sa gouvernante : je couche tous les jours avec lui. Voilà mon histoire.

claire.

Et cela te fait-il toujours autant de mal ?

sophie.

Je n’ai souffert que les deux ou trois premières fois ; mais depuis, je ne puis t’exprimer le plaisir que j’ai goûté.

claire.

Et toi, Rose, comment as-tu perdu le tien ?

rose.

La perte du mien est assez singulière ; on me l’a pris à l’âge de dix ans.

claire.

De dix ans !

rose.

De dix ans ; et voici comment : j’étois un jour aux champs, à l’âge que je viens de vous dire, lorsqu’il passa un jeune homme à cheval ; ce cheval vit sans doute quelque chose qui lui fit ombrage, car il se cabra, et le cavalier tomba par terre. Je courus à lui qu’il étoit déjà à moitié relevé ; je lui demandai s’il n’étoit pas blessé, avec tant d’intérêt, qu’il me prit dans ses bras et me donna plus de cent baisers sur les yeux et sur la bouche. Innocente comme je l’étois, je lui rendis ses caresses ; il mit la main sous mes petites jupes, me claqua légèrement les fesses et caressa mon ventre et mes cuisses.

Ces caresses lui firent sans doute beaucoup d’effet, car il défit sa culotte et me montra son affaire. Je trouvai cela très-drôle, et je me mis à jouer avec. Voulant sans doute que ce jeu prît une tournure plus sérieuse, il attacha son cheval à un arbre, me prit dans ses bras et me porta à l’entrée de la petite remise qui est dans le champ de Robert. Arrivés là, nous nous assîmes sur le gazon ; il se débrailla de nouveau, me fit empoigner son outil, remit sa main sous mes jupons et chatouilla ma petite fente. J’y trouvai du plaisir et le lui dis : oubliant alors toute retenue, il mit de la salive à son affaire, en mit à l’entrée de ma fente, me plaça sur le tronc d’un arbre renversé, et chercha le bonheur.

Les pièces étoient trop disproportionnées pour que la chose pût réussir sur-le-champ. Je criois d’une manière épouvantable ; sans s’occuper de mes cris qui ne pouvoient être entendus, il continua ses efforts, et, après dix minutes de tentatives inutiles, le serpent commença à pénétrer. Je souffrois si cruellement, que je m’évanouis : il n’en continua pas moins.

Il est probable que, lorsque son opération fut finie, il fut lui-même saisi de frayeur de l’atrocité de son attentat ; car, revenue à moi, je ne le trouvai plus. Je sortis de la remise : quoique ma vue s’étendît fort loin, je ne découvris pas de quel côté il avoit dirigé ses pas.

Je me traînai plutôt que je ne revins chez nous ; je contai tout à mon père et à ma mère : ils me visitèrent et me trouvèrent dans un état pitoyable ; mais, prudemment, ils gardèrent le silence. Je fis une longue maladie, et je ne me rétablis que par les soins extrêmes que l’on prit de moi.

Depuis ce tems j’ai eu les hommes en horreur : je me procure des jouissances moi-même ; mais je commence à en sentir le vide, et je ne suis plus aussi éloignée qu’autrefois de former une liaison avec quelqu’un qui me plairoit,

claire.

Ah ! ma bonne amie, que je te plains de ce que tu as souffert...... Ce que tu viens de raconter m’ôte une partie de l’envie que j’avois d’éprouver par moi-même ce que c’est que les plaisirs de l’amour.

sophie.

Tu n’as à redouter que quelques instans de douleur, qui seront bien rachetés par des plaisirs dont il est impossible de te donner une idée.

rose.

Mais, ma Claire, tu nous dois une confidence ; notre confiance en toi mérite que tu y répondes par la tienne.

claire.

Je ne sais comment vous raconter ce que j’ai envie de vous dire.

sophie.

Personne ne nous écoute et tes secrets seront ensevelis dans nos cœurs.

claire.

En ce cas, prêtez-moi toute votre attention : hier, après dîné, me sentant une violente envie de dormir, et ne voulant pas être interrompue, je grimpai sur le foin de notre grange, persuadée qu’on ne viendroit pas m’y chercher. À peine commençois-je à m’assoupir, que j’entendis ouvrir la porte de la grange : je reconnus la voix de mon frère et celle de deux de ses camarades. Curieuse de savoir ce qu’ils venoient faire là, je m’avançai de manière à les voir parfaitement sans être apperçue.

Mon frère tira de sa poche une chanson qu’ils chantèrent, et à laquelle je ne compris pas grand’chose ; ensuite ils déboutonnèrent leur culotte, et se montrèrent le morceau de chair qui leur pend entre les jambes. Chacun d’eux se mit à secouer le sien, et en peu d’instans ils devinrent roides comme des bâtons. Je ne savois trop à quoi devoit aboutir cette étrange cérémonie, lorsque encore, quelques instans après, ils eurent l’air de se pâmer, et il tomba de leur machine une liqueur blanche et épaisse.

Pendant ce tems-là, je ne sais ce qui se passoit en moi ; mais je sentois un feu intérieur qui me parcouroit tout le corps ; je portai la main à ma fente ; j’en chatouillai le haut, et bientôt j’éprouvai une pâmoison complette.

Lorsque je revins à moi, j’étois seule ; les trois héros de la fête s’étoient retirés ; la scène qui venoit de se passer avoit fait disparoître mon envie de dormir. Je descendis, curieuse de savoir ce que c’étoit que la matière liquide que j’avois vu tomber de leur machine. Ils avoient eu l’attention de marcher dessus, de manière que je ne pus découvrir ce que c’étoit ; mais, en récompense, je trouvai un papier ; je l’ouvris : c’étoit la chanson qu’ils avoient chantée. Je vais vous la donner, et vous me direz si vous la comprenez mieux que moi.

En disant ces mots, Claire courut prendre la chanson dans sa poche et la remit à Sophie qui la chanta.

Air : C’est un Enfant.

Un jour Lucas dans la prairie,
Où son bétail étoit paissant,
Disoit à la jeune Sylvie :
Savez-vous bien, ma belle enfant,
        Ce qu’une bergère
        En tout tems préfère,
À l’argent, à l’or, à l’esprit !
          C’est un gros vit (bis.)

Hélène, votre camarade
Aime les femmes ; c’est fort mal ;
Car, croyez-moi, d’une tribade
Tôt ou tard, le sort est fatal.
        Ah ! répond Sylvie,
        Je plains mon amie ;
Et je préfère pour outil
          Un bon gros vit. (bis.)


Lucas pour ne pas être dupe
Va se mettre auprès du tendron ?
Lestement relève sa jupe,
Et lui met son vit dans le con.
        La belle se pâme,
        Et du fond de l’ame,
Tout en déchargeant, elle dit :
          Vive un gros vit, (bis.)


Après cette chanson, les trois jeunes filles qu’elle avoit émoustillées se mirent à se branler. Cependant leurs récits, et le tableau que j’avois sous les yeux, m’avoit mis hors de moi. Sans perdre un instant, je me dépouillai de tous mes vêtemens, et me mis nu comme notre premier père ; je cachai mes habits dans le buisson, qui me servoit de retraite. Ensuite je m’élançai sur les trois jeunes beautés, comme l’agile panthère s’élance sur le faon timide.

Elles firent un cri de frayeur et cherchèrent à s’échapper, mais je m’étois emparé de la jolie Claire. Je l’enlaçai dans mes bras amoureux ; je ravis mille et mille baisers sur sa jolie bouche ; je dévorai ses tettons délicieux ; j’allois être plus entreprenant, mais elle se mit à crier, et je m’arrêtai. Ses compagnes qui s’étoient réfugiées à dix pas de nous, attendoient en tremblant la fin de l’évènement.

Mes belles, leur dis-je, ne craignez rien : je suis un étranger que le hasard a conduit dans cet endroit ; j’ai entendu toute votre conversation, et il m’a pris envie d’apprendre à la jeune Claire ce que c’étoient que les plaisirs qu’on peut goûter avec un homme.

Mais si, faisant du bruit, vous attirez ici des indiscrets, je suis au fait de vos secrets, je les dévoile, et vous rends la fable de tout votre village,

À cette menace, Sophie et Rose se rapprochèrent ; je recommençai à caresser Claire, qui n’osa presque plus m’opposer de résistance ; je la couchai sur l’herbe, et prenant mes précautions pour lui faire le moins de mal possible, je commençai à l’enfiler.

Quelques plaintes lui échappèrent ; mais Sophie ayant passé sa main entre moi, elle posa le doigt sur son clitoris et s’amusa à la branler pour la faire taire.

La recette fut aussi prompte qu’immanquable, à peine Claire sentit-elle le doigt de son amie, que loin de continuer à se plaindre, elle se mit au contraire à remuer le croupion, avec une agilité inconcevable ; bientôt je sentis que le moment du bonheur n’étoit pas éloigné pour moi ; de son côté, Claire commençoit à tourner de l’œil : je redoublai mes efforts ; et, en peu d’instans, nous restâmes l’un et l’autre sans mouvement.

Pigault-Lebrun, L’Enfant du bordel, Tomes 1 et 2, 1800, fig., p. 216. Elle se met à remuer le Croupion avec une agilité inconcevable ;.
Pigault-Lebrun, L’Enfant du bordel, Tomes 1 et 2, 1800, fig., p. 216. Elle se met à remuer le Croupion avec une agilité inconcevable ;.

Pendant ce tems, la presque vierge Rose se branloit à toute éreinte. Ah ! me dit-elle, lorsque je fus un peu remis, n’avez-vous pas aussi quelque chose à me dire. En disant ces mots, elle se précipite sur la cheville qui venoit de si bien instrumenter Claire, et la couvre de baisers ; il eut bientôt repris toute la fermeté nécessaire pour un nouvel assaut. Je passe donc auprès de la jolie et fraîche Rose, et je me mets à la travailler d’importance,

En vérité ! si Rose avoit été, comme elle le disoit, violée à dix ans, la plaie s’étoit bien refermée depuis ce tems-là, car il n’y paroissoit pas : elle fut plus difficile à vaincre que l’ex-pucelle Claire ; cependant, j’en vins à bout grace à Sophie, qui rendit à Rose le même service qu’elle avoit rendu à Claire ; elle la branla, et le résultat fut le même. Rose ne fit plus que me seconder : nous déchargeâmes tous les deux, et je me retirai couvert des myrtes sanglans que l’amour aime à moissonner sur les terres de son frère.

Je ne voulus pas qu’il fût dit que Sophie seroit la seule qui ne seroit pas foutue, elle eut son tour. Je ne dirai rien des folies que nous fîmes avant de nous r’habiller ; enfin, sur les deux heures et demie, nous apercevant que le jeu auquel nous avions joué nous avoit donné de l’appétit, chacun reprit ses vêtemens ; non, sans que j’eusse prodigué un million de baisers à toutes les parties du corps de mes chastes compagnes.

Nous nous demandâmes réciproquement à quel endroit nous allions. Mes compagnes étoient toutes les trois d’un assez fort village, à un demi-quart de lieue de l’endroit où nous étions, et à travers lequel j’étois obligé de passer pour continuer ma route. Rose étoit la fille de l’aubergiste de l’endroit : je promis d’y loger pendant quelques jours, afin de pouvoir mettre la dernière main à l’éducation des jolis enfans, à qui je venois de donner des leçons si instructives.

Je pris les devans pour ne pas faire naître de soupçons : j’arrivai bientôt à l’auberge des Trois Pucelles, et je commandai un excellent dîner, que j’avois bien gagné.

Peu de momens après moi, arrivent mes trois conquêtes ; la cérise de la mi-juin n’a pas des couleurs plus éclatantes que celles qui embellissoient leurs jolis visages ; elles se plaignirent de la chaleur, demandèrent à se rafraîchir. Mad. Coulis, la mère de ma Rose, étoit une bonne femme dans toute l’étendue du terme ; elle plaignit les jeunes filles, les gronda de s’être si fort échauffées ; moi, pendant ce tems, je leur faisois, du plus grand sang-froid du monde, des complimens qu’elles ne pouvoient entendre sans éclater de rire, comme des folles.

Le père Coulis, qui étoit absent pour la journée, avoit chez lui un violon discord, dont il racloit impitoyablement tous les dimanches après-midi au grand détriment des oreilles de ceux qui avoient le malheur de l’entendre. J’en jouois assez joliment ; je prends l’instrument, je l’accorde, et j’offre à ces demoiselles de les faire danser aussitôt après le dîner : elles acceptent ; nous dînions comme des affamés : on va ensuite prévenir quelques garçons, inviter quelques filles, et, en un tour de main, voilà un bal en train. Le bruit du violon attira de nouveaux spectateurs, et, une heure après la première contre-danse, toute la jeunesse dansante du village sautoit sous le couvert de tilleuls de M. Coulis, marchand de vin traiteur, logeant à pied et à cheval.

Parmi les beautés villageoises qui s’offrirent à ma vue, il y avoit des mines charmantes, à qui, en tête-à-tête, j’aurois bien fait danser une autre danse, et que j’aurois bien voulu tenir dans le petit bois aux bonnes fortunes.

Il étoit sept heures du soir ; on dansoit depuis quatre heures, quand des paysans annoncèrent le seigneur de l’endroit et son épouse. Je vois entrer un grand homme sec, tout couvert de broderies, donnant la main à une fort jolie femme. Je la regarde ! oh ! surprise...... cette femme… c’est Félicité !… cette Félicité que j’ai laissée à Paris à l’hôpital.

À cette vue, le violon échappe de mes mains, tombe par terre, et je reste pétrifié, comme si j’eusse été frappé de la tête de Méduse.

Félicité me reconnut aussi ; mais, meilleure comédienne et plus maîtresse d’elle, sa figure ne changea pas ; elle fut froide et calme, comme si elle me voyoit pour la première fois.

Cependant, la danse étoit interrompue, les paysans étonnés ouvroient de grands yeux, et ne pouvoient concevoir ce qui avoit occasionné ma stupéfaction. Je m’aperçus bientôt des inconvéniens que pouvoit avoir ma mal-adroite extase ; je repris mon instrument et me remis à jouer comme auparavant, non sans jeter sur ma Félicité des regards qui sembloient lui demander ce que signifioit une aussi étrange métamorphose.

Félicité fut impassible : elle me regarda, mais sans avoir l’air de me connoître. À neuf heures, tout le monde se sépara, en me remerciant de ce bal impromptu.

À peine fus-je seul, que je m’informai du nom du seigneur que j’avois entendu appeler M. le vicomte : on me dit que c’étoit le vicomte de Basseroche, dont le château étoit à l’autre bout du village. Je m’informai ensuite s’il y avoit long-tems qu’il étoit marié : il est marié de cet hiver, me dit-on, à Paris, avec une demoiselle d’une grande naissance ; et depuis un mois ils habitent le château dont il est venu faire prendre possession à Mad. la vicomtesse.....

La vicomtesse !… me serois-je trompé ? ne seroit-ce pas Félicité ? C’est bien elle, cependant… c’est bien son grand œil noir, c’est bien ce joli signe que fait ressortir la blancheur de la peau de son cou ; c’est bien cette gorge haute, ferme et respirante, sur laquelle j’ai expiré tant de fois et avec tant de délices. Mais comment Félicité est-elle devenue haute et puissante dame ?… Attendons que le tems nous dévoile le mot de l’énigme.

Le père de Rose arriva à neuf heures et demie ; il apprit avec joie le bal qui avoit eu lieu, et surtout la quantité de vin dont il avoit occasionné la vente. Je me mis à table avec ces bonnes gens, et après un très-bon souper, pendant lequel Rose me causa quelques distractions, je fus chercher, dans un excellent lit ; un repos dont j’avois véritablement besoin.

Je croyois ne faire qu’un somme toute la nuit ; mais Rose en avoit décidé autrement : sur les deux heures du matin, elle entra dans ma chambre, et se fourra, sans cérémonie, dans mon lit ; je lui en voulus presque, car un songe heureux venoit de remettre Félicité dans mes bras : mais ma main n’eut pas plutôt parcouru cette gorge élastique, ces bras doux et potelés, ces cuisses d’une fermeté si rare, que mon courroux s’évanouit pour faire place à la reconnoissance.

Nous épuisâmes dans cette heureuse nuit tout ce que l’Arétin indique de postures bizarres ou voluptueuses ; nos lèvres desséchées par la fièvre du plaisir n’en trouvoient que plus de douceur à s’unir ; nos corps enlacés ne pouvoient pas se détacher l’un de l’autre, et, pleins d’une fatigue délicieuse, nous nous endormîmes dans les bras l’un de l’autre.

Nous nous éveillâmes au grand jour. Rose se leva doucement et regagna sa chambre.

Après le départ de ma compagne de nuit, je me remis à dormir sur nouveaux frais, et je ne fus réveillé qu’à dix heures par la voix de mon hôte, qui vint m’avertir qu’un des domestiques de M. le vicomte de Basseroche, demandoit à me parler, pour me remettre un billet de la part de son maître.

Je fus bientôt levé, je descendis ; et un grand coquin haut de six pieds, revêtu d’une livrée brillante, me remit le billet suivant :

« Pardon, Monsieur, si je ne vous ai pas remarqué hier ; mais mes yeux ne pouvoient s’arrêter sur un ménétrier de village. Mon épouse qui s’y connoît, prétend avoir découvert sur votre figure les marques incontestables d’une grande naissance. Si, comme elle le soupçonne, vous êtes un homme comme il faut, veuillez accepter un asile dans mon château, et croire que je m’empresserai de vous y procurer tous les agrémens qui seront en mon pouvoir. Dans le cas vous ne seriez qu’un roturier, je vous baise les mains et vous souhaite un bon voyage.

» Le vicomte de Basseroche, baron des Vieux-Grès, marquis des Carrières, seigneur de Chaux-Vive et autres lieux. »

La lettre originale de M. le vicomte me fit rire ; je vis bien que c’étoit une ruse de Félicité pour m’avoir auprès d’elle ; aussi, voulant appuyer le stratagème de ma tant douce amie, je fis au galant billet du vicomte la réponse suivante :

« Je suis fâché, M. le vicomte, que la sagacité de votre épouse ait déchiré le voile dont je voulois m’envelopper : cependant, comme rien n’est plus déshonorant que d’être pris pour un roturier, j’accepte vos offres obligeantes, et j’irai dans peu d’heures vous en remercier moi-même.

» Le prince Poleski. »

Je remis ce billet au domestique, et lui glissai un louis dans la main. Stupéfait, il retourne deux ou trois fois le louis, me regarde la bouche béante, et sort en me faisant de profondes révérences ; mais sans avoir retrouvé la force de me remercier.

Me voilà donc prince polonais. Dans la chambre de la mère Coulis, qui est de plein pied avec la cuisine, je vois une vierge de plâtre, qui est décorée d’une belle ceinture de moire jaune à franges. Comme je suis seul en ce moment je détache la ceinture, je monte dans ma chambre, je passe le ruban jaune en sautoir, sous mon gilet, et je me r’habille.

Au bout d’un quart-d’heure, une voiture à quatre chevaux s’arrête à la porte ; quatre domestiques sont derrière ; l’auberge retentit du nom du prince Poleski ; je suis invité à monter dans le carosse, je m’y place, et voilà l’Enfant du Bordel en route pour le château de Basse-Roche.


CHAPITRE VIII.


LE château du vicomte étoit vraiment fort beau : il m’attendoit sur le perron avec son épouse, et entouré de ses gens. Je ne parlerai pas de l’ennuyeux et ridicule cérémonial de la réception ; qu’il suffise de savoir qu’on m’a établi dans le plus bel appartement du château. Le vicomte a vu mon cordon jaune et s’est incliné devant avec respect. Il est persuadé que je suis fils d’un des grands de la Pologne.

Une chose qui m’importoit infiniment plus, étoit de savoir comment il se faisoit que Félicité fût dame de paroisse ; et c’est ce dont je fus bientôt éclairci. Après un souper splendide, auxquels furent invités tous les gentilshommes du voisinage, on me permit de me retirer. Le vicomte me conduisit lui-même à mon appartement, m’en fit remarquer toutes les commodités, et m’y laissa en me souhaitant une bonne nuit.

J’aurois bien voulu connoître les êtres du château, j’aurois tâché de me glisser jusqu’auprès de Félicité ; mais il ne falloit pas commettre d’indiscrétion, et une étourderie pouvoit non-seulement me perdre, mais encore entraîner Félicité dans le précipice.

Il me paroît que Félicité avoit autant d’impatience que moi ; car, une jolie petite femme-de-chambre, sans doute la confidente de sa maîtresse, entra dans ma chambre et m’invita à la suivre ; je ne me fis pas prier, et, en peu d’instans, je fus dans la chambre et dans les bras de ma Félicité.

Enfin, me dit-elle, enfin te voilà mon Chérubin : je puis te presser sur mon cœur, et dis-moi donc, mon bien-aimé, ce qui t’est arrivé depuis notre séparation. La petite femme-de-chambre s’étoit discrètement retirée dans un des cabinets de l’appartement où étoit son lit. Au lieu de répondre à Félicité, je la prends dans mes bras : j’enlève une partie de ses vêtemens, je fais pleuvoir les baisers sur tous ses charmes, nos cœurs palpitent, nos bouches se joignent, nos langues s’unissent, un canapé complaisant nous reçoit, nous ne pouvons plus résister à nos desirs fougueux, l’acte s’opère, le plaisir brille, et nous restons sans connoissance dans les bras l’un de l’autre.

Revenus à nous, je répondis aux premières questions de Félicité, en lui racontant tout ce qui m’étoit arrivé depuis que j’avois été séparé d’elle. Ce récit la fit pamer de rire ; je lui demandai ensuite comment il se faisoit qu’une charmante coquine comme elle eût été transformée en une haute et puissante dame ; en un mot quelles étoient les aventures qui avoient métamorphosé ma Félicité en madame la vicomtesse de Basseroche. Je la priai de contenter ma curiosité, ce qu’elle fit en ces termes.

Histoire de Félicité.

Mon histoire est courte, mais assez originale. Je suis véritablement d’une grande naissance. J’appartiens à la famille de L. R., dans laquelle on compte des ducs. Née d’un gentilhomme de ce nom, mais peu fortunée, je fus élevée jusqu’à douze ans dans une des provinces reculées de la France. À cette époque, je commençois à sentir des besoins dont j’avois ignoré jusqu’à ce moment l’existence. J’étois grande et formée pour mon âge, et à douze ans tout le monde m’en donnoit quinze.

Un procès qu’avoit mon père, et de l’issue duquel dépendoit la majeure partie de ses biens, nous obligea, ma mère et moi, de nous rendre à Paris pour y solliciter nos juges.

Nous fûmes forcées, vu la pénurie des espèces, de nous y rendre par une voiture publique. Nous nous emballâmes donc dans le coche, dans lequel, outre différens voyageurs dont je ne parlerai pas, il y avoit un jeune capucin d’environ vingt-deux à vingt-trois ans ; le hasard me plaça près de lui, et il me parut, au contentement que je vis briller dans ses yeux, qu’il y trouvoit quelque plaisir. De mon côté, quoique très-innocente, j’admirois sa peau blanche, ses couleurs vives, sa barbe légère et bouclée avec grace, mais sur-tout cet œil expressif qui peignoit si bien les sensations de son ame.

Ma mère, pour se rajeunir, me traitoit toujours devant le monde comme un enfant, en dépit de certains petits tettons qui commençoient à devenir déjà très-apparens ; elle dit à la société que je n’avois que dix ans : on se récria sur ma précocité ; mais l’œil du jeune capucin me dit très-clairement qu’il ne croyoit rien au mensonge de ma mère.

Après le dîner, nous remontâmes en voiture ; nous étions dans la saison où les nuits sont les plus longues, de manière qu’à cinq heures nous fûmes dans les ténèbres. Je sentis bientôt la main de mon capucin qui cherchoit la mienne ; je la lui abandonnai, car à parler franchement, il m’avoit tourné la tête. Bientôt cette main indiscrète se promena sur ma poitrine en cherchant l’ouverture de mes vêtemens ; malheureusement… ou heureusement, je m’étois desserrée après le dîner, de manière que cette main libertine eut bientôt pénétré jusqu’à mes jolis petits tettons ; elle s’y promena long-tems avec délice. Un des doigts de mon capucin chercha à faire éclore le léger bouton qu’un chatouillement amoureux n’avoit point encore agité. Comment te peindre la sensation que j’éprouvai ? elle fut enivrante.

Cependant le séraphique personnage s’étoit emparé d’une de mes mains qu’il cherchoit à introduire par la fente de sa robe ; bientôt il la déposa sur un gros morceau de chair exactement roide ; car le révérend capucin bandoit comme un carme.

Je ne sais quelle espèce de charme résidoit dans le membre de l’enfant de Saint-François ; mais à peine ma main eût-elle empoigné ce talisman qu’il me fut impossible de le lâcher, et de m’opposer aux entreprises du révérend.

On causoit dans la voiture avec assez de véhémence, de manière que l’attention des voyageurs, fixée par une conversation, sans doute intéressante, nous laissoit une liberté entière.

La main du capucin qui, jusqu’à ce moment s’étoit promenée sur ma jeune gorge, quitta ce poste charmant ; mais pour s’emparer d’un autre bien plus agréable ; je la sentis qui cherchoit à s’introduire dans la fente de mon jupon ; j’opposai une foible résistance qu’elle eût bientôt vaincue ; elle releva ma chemise, se glissa le long de mes cuisses et s’empara de ce bijou précieux qu’aucune main n’avoit encore visité, et qui, depuis quelques mois, s’étoit revêtu d’un poil léger, qui avoit beaucoup d’analogie avec la barbe du jeune moine.

Bientôt un doigt agile se fixa sur mon jeune clitoris, et me fit goûter un plaisir qui m’avoit été inconnu jusqu’à ce moment ; mais ces plaisirs furent si vifs qu’après plusieurs soupirs énergiques, que le capucin eût beaucoup de peine à étouffer, en toussant d’une voix de Stentor, ma tête s’appuya sur son épaule, et je restai sans connoissance. C’est ainsi que je connus le bonheur, et que je déchargeai pour la première fois.

Ma main cependant n’avoit pas quitté le ferme outil de son excellence cloîtrée : il avoit acquis une roideur extrême. Il n’étoit pas extrêmement gros, mais il avoit cet honnête embonpoint qui convenoit si fort à une fille de mon âge. De tems à autre sa révérence aidoit ma main à aller et venir en tenant son affaire : j’en conjecturai que ce mouvement lui faisoit plaisir, je continuai à suivre l’impulsion qui m’avoit été donnée. Bientôt mon capucin soupira à son tour, il fut agité de mouvemens convulsifs, et je sentis mes doigts inondés d’une liqueur chaude et gluante qui jaillit de ce membre sacré.

Nous répétâmes deux fois ce joli exercice ; à la seconde fois, frère Ange, car il se nommoit ainsi ; frère Ange, dis-je, voulut faire entrer son doigt dans ma petite fente ; mais un cri de douleur que je retins lui prouva que j’étois pucelle, et il ne poussa pas ses recherches plus loin.

Nous arrivâmes au souper, ma mère fut frappée de ma situation ; j’avois les joues pourpres, l’œil abattu, la respiration gênée ; une violente migraine que je prétextai, me servit d’excuse. Un vieux carabin de village, de ceux qui soignent également la santé des bêtes et celle des gens, me tâta le pouls ; il décida que j’avois une fièvre violente, qu’il falloit me mettre au lit sur-le-champ, et que le repos calmeroit mon agitation ; il exprima ma maladie par ces mots latins qu’il débita avec emphase : Proximus pubertatis index.

On me force donc à me coucher malgré l’appétit dévorant que je ressentois. Pendant ce tems, frère Ange étoit dans un coin à dire son breviaire avec la tranquillité d’un élu ; il s’avança au moment où j’allois sortir, m’adressa d’un air de componction quelques paroles de consolation sur ma mauvaise santé, et sur les vœux qu’il faisoit au ciel pour son prompt rétablissement. Ma mère, aidée de la servante, me mit au lit : malgré l’appétit dévorant que je ressentois, je ne tardai pas à être ensevelie dans le plus profond sommeil.

Je fus réveillée par la servante qui m’apportoit un bouillon. Je la conjurai avec tant d’instances de m’apporter quelque nourriture plus solide, qu’elle fut dire à ma mère que je me mourois de faim. L’esculape villageois monta, et malgré son opposition, j’obtins qu’on me laisseroit manger la moitié d’un pigeon que ma mère promit de m’envoyer sur-le-champ.

Le pigeon fut mangé tout entier ; ensuite un sommeil réparateur acheva de me rendre mes forces ; et au grand étonnement du médecin de campagne, et en dépit de ses prédictions, je me levai le lendemain plus fraîche et plus jolie que jamais.

Pendant les quatre jours que dura le voyage, les mains aimables de frère Ange me firent goûter les plaisirs dont elles étoient les instrumens et les dispensatrices. Nous devions nous séparer le soir, il alloit rejoindre le couvent des capucins à Soissons, où il faisoit sa résidence. À cinq heures de l’après-midi, nous devions passer devant un chemin de traverse que frère Ange devoit prendre pour se rendre à sa destination.

Nous avions une montagne d’une demi-lieue à monter, tout le monde avoit quitté la voiture pour l’alléger ; j’étois restée seule dedans avec le frère Ange, moi parce que nos exercices manuels m’avoient pâlie et changée, et que ma mère craignant que la fatigue ne me fit tomber malade, avoit exigé que j’y restasse ; le révérend, parce que la veille un des chevaux de notre lourde voiture avoit mis son pied sur le sien, et que sans être extrêmement blessé, le frère Ange l’étoit assez pour ne marcher qu’avec difficulté.

Je vais donc être obligé de vous quitter, me dit-il d’un ton douloureux. — Hélas ! j’en suis aussi chagrine que vous. — Aimable Félicité, je regretterai long-tems les doux momens que j’eus avec vous. — Et moi les plaisirs que vous m’avez fait connoître. — Que vais-je devenir ? car il n’est plus tems de dissimuler, je vous adore. Le premier battement de mon cœur fut pour vous, et pour vous sera le dernier ; je sens qu’éloigné de de vous, une prompte mort me délivrera du malheur de ne pouvoir vous consacrer mon existence. À ces mots quelques larmes coulèrent de ses yeux ; il n’y a donc plus d’espérance, repris-je. — Plus d’espérance. — Il n’existe pas de moyens de nous réunir. — J’en connois bien un ; mais il y a si peu d’apparence que vous consentiez à vous en servir, qu’il est presqu’inutile de vous le proposer. — Quel est-il ? — Ah ! pourquoi faut-il que des sermens criminels, arrachés à mon inexpérience, me coûtent le bonheur. — Voyons votre moyen. — Sans ces sermens affreux, sans ces sermens que je déteste, j’aurois pu vous consacrer chaque instant de ma vie. — Mais enfin quel est votre moyen pour nous réunir ? — Avant de vous le dire, permettez-moi une question. — Parlez. — Êtes-vous bien attachée à votre mère ? — Pas d’une manière excessive, tant que je n’ai été qu’un enfant elle m’a témoigné beaucoup d’amitié ; mais depuis que je grandis, elle est sévère pour moi jusqu’à la dureté. — Et votre père ? — Mon père ? Ah !… c’est un bon homme, et voilà tout. — Et...... je n’ose achever ! — Expliquez-vous, de grace ? — Ne consentiriez-vous pas à la quitter pour suivre l’amant le plus tendre ? — Qu’osez-vous me proposer ?.....

Que te dirai-je ? enfin, le frère Ange sut si bien me tourner qu’il m’arracha un consentement, et que je lui promis de n’exister désormais que pour lui.

Il me donna mes instructions ; il devoit, pour éviter tous soupçons, nous quitter où il avoit annoncé, qu’étoit le terme de son voyage. Moi je devois suivre ma mère à Paris, et le lendemain de mon arrivée me rendre seule, le matin, chez une certaine dame Grosset, marchande à la toilette, rue Neuve-Saint-Eustache, près le petit Carreau. Cette dame Grosset devoit me donner les moyens de le rejoindre.

Je ne puis t’exprimer son délire lorsque tous nos arrangemens furent pris, les caresses les plus brûlantes me furent prodiguées ; c’est à cette occasion que je connus la douceur d’un baiser sur la bouche, et le plaisir que fait éprouver l’union de deux langues amoureuses.

L’aimable frère Ange auroit bien voulu me prendre mon pucelage sur-le-champ ; mais une voiture publique est un endroit trop incommode pour une opération de cette nature.

Il se contenta donc de me faire éprouver un genre de jouissance, nouveau pour moi ; il me fit avancer le cul sur le bord du siège, me troussa, me fit mettre les pieds sur les sièges des portières, les genoux élevés et les cuisses dans le plus grand écartement possible. Après avoir pendant quelques instans récréé ses yeux du spectacle de mes appas naissans, il se glissa entre mes jambes, s’agenouilla, et sa langue s’introduisit dans le sanctuaire de l’amour.

Non, il est impossible de peindre l’incendie que ce genre de caresses alluma dans tout mon être. Je remuois le croupion avec tant d’agilité qu’il étoit obligé de me tenir fortement les hanches pour m’empêcher de me dérober aux caresses de la délicieuse langue dont mon amant tonsuré savoit faire un si charmant usage.

Pigault-Lebrun, L’Enfant du bordel, Tomes 1 et 2, 1800, fig., p. 256. Il est impossible de peindre l’incendie que ce genre de Careſse alluma dans tout mon être.
Pigault-Lebrun, L’Enfant du bordel, Tomes 1 et 2, 1800, fig., p. 256. Il est impossible de peindre l’incendie que ce genre de Careſse alluma dans tout mon être.

Nous rajustâmes ensuite nos vêtemens, et lorsque les voyageurs remontèrent dans la voiture, frère Jean lisoit dans un coin, et je dormois dans l’autre. Bref, frère Jean nous quitta le soir, et le lendemain nous arrivâmes à Paris.

Je te fais grace des réflexions aimables ou chagrines que je fis pendant tout ce tems sur ma réunion prochaine avec mon capucin ; vingt fois je fus sur le point d’y renoncer ; mais le souvenir de ses enivrantes caresses étoit un lien qui m’attachoit à lui, et qu’il m’étoit impossible de rompre ; d’ailleurs, je sentois que ces caresses étoient, sans que je m’en apperçusse, devenues un besoin pour moi, et le vide que laissoit dans mon cœur le depart du frère Jean, me faisoit sentir combien sa présence m’étoit nécessaire.

Je pris donc le parti de tenir ma promesse, et le lendemain de mon arrivée, tandis que ma mère étoit allée rendre quelques visites, et renouveler connoissance avec quelques-unes de ses anciennes amies, je me rendis chez madame Grosset. Je ne te ferai point le portrait de cette femme, le vice personnifié n’est pas plus laid qu’elle.

Elle occupoit une boutique de revendeuse ; deux ou trois filles assez gentilles paroissoient s’y occuper de modes ; mais leur véritable métier étoit de donner au public du plaisir pour son argent.

Je demandai timidement à cette femme si elle n’attendoit pas une jeune personne. Oui, me dit-elle, entrez, mon cœur ; et elle me fit passer dans une arrière-boutique, que décoroient deux ou trois lits assez mal-propres. Le frère Ange m’a instruit de tout, me dit madame Grosset, dès que nous fûmes assis ; vos habits sont prêts, vous allez les essayer. Votre place est retenue à la diligence de Soissons, vous partirez cette après-midi, à quatre heures, avec une lettre que je vous donnerai pour le révérend père gardien du couvent des capucins de cette ville. Mais, lui dis-je, madame, quels habits allez vous me donner ? et sous quel titre m’envoyez-vous à Soissons ? Comme enfant de chœur, mon cœur, me dit la vieille maquerelle ; et à l’instant même elle m’exhiba bas, culotte, veste violette, redingotte de même couleur et le reste de l’ajustement. Dans un paquet, elle mit deux soutanes, une noire et une violette, du linge, des bas, souliers, etc. Le tout étoit un peu trop long et un peu trop large ; mais il étoit à présumer que je grandirois. Madame Grosset vouloit aussi me faire couper les cheveux en abbé : comme je les avois fort beaux je m’y opposai ; elle fut obligée de me choisir une des perruques de son magasin ; on la taille : je la mets, et me voilà enfant de chœur.

Je dînai avec madame Grosset, et, à quatre heures, je m’embarquai dans la diligence. Il n’y avoit que quatre voyageurs : une marchande de draps, grosse femme de 45 ans, assez joviale ; son fils grand benêt de 22 ans, aussi neuf et aussi fat que s’il eût pris naissance dans un des magasins de la rue Saint-Denis ; enfin, une allemande, comédienne de profession, nommée mademoiselle Claranson, qui, malgré son accent, alloit chanter les Dugazons dans la bonne ville de Soissons, où les habitans sont connoisseurs comme on ne l’est pas, et ont un théâtre comme on n’en voit nulle part.

Nous devions passer la nuit en diligence et arriver le lendemain, à onze heures, à notre destination. La nuit se passa assez tranquillement, à l’exception de différentes attaques que dirigea mademoiselle Claranson, contre ma pudicité, soit en prenant ma main comme par hasard, soit en posant la sienne sur ma cuisse, et en l’y promenant doucement, soit enfin en profitant d’un sommeil de commande pour poser sa tête sur mon épaule, et fixer une bouche assez fraîche à deux doigts de la mienne ; mais je résistai à toutes ses agaceries ; et Joseph, de chaste mémoire, ne sortit pas plus pur des bras de madame Putiphar, que moi des pièges de la comédienne allemande, qui disoit si galamment, au lieu de voulez-vous bien, foutre vous bien.

Un petit accident nous retarda de quelques heures ; nos postillons qui avoient bu plus que l’ordonnance ne le permettoit, versèrent la diligence dans un fossé. Les deux femmes, qui crurent être tuées, firent des cris affreux, et cependant elles en furent quittes pour montrer leurs culs ; le grand benêt se cassa le nez sur l’épaule de sa maman ; j’eus une écorchure à la jambe. Les postillons, après avoir bien juré, furent chercher du secours ; on releva la lourde voiture, elle roula de nouveau, et, à trois heures après-midi, nous fîmes notre entrée triomphante dans la ville de Soissons.


CHAPITRE IX.


LE gardien des capucins m’admit sans difficulté : je fis porter mes effets au couvent, et l’on m’installa dans l’emploi récréatif de servir les messes et d’aider les révérends pères à chanter tant bien que mal leurs offices.

Ce ne fut que le soir du jour de mon arrivée que je pus voir le frère Ange : il étoit revêtu de l’emploi lucratif de quêteur ; et comme il avoit l’art d’attirer à lui des aumônes abondantes, il jouissoit dans le couvent d’une haute réputation.

À peine fus-je couché que frère Ange, que je n’avois fait qu’entrevoir dans la soirée, vint frapper à la porte de mon modeste appartement ; je lui ouvre, et nous voilà dans les bras l’un de l’autre. Le lierre ne s’unit pas plus étroitement à l’ormeau que je m’attachai à l’homme pour qui je venois faire la plus insigne folie. Il faisoit pleuvoir une grêle de baisers sur tous mes charmes ; sentant que bientôt il ne seroit plus maître de ses transports, il m’invita à le suivre dans sa cellule, située d’une manière beaucoup plus isolée que la mienne. En effet, elle étoit au bout d’un long corridor, dont un côté étoit occupé par un garde-meuble et l’autre par la salle du chapitre.

À peine fûmes-nous arrivés que frère Ange me prit dans ses bras et me porta sur la couche capucinale. En peu d’instans il fut à mes côtés, et je sentis la peau douce et fraîche de mon amant s’unir à la mienne, mes mains tremblantes parcoururent toutes les parties de son corps. Les siennes s’emparèrent du mien ; mes petits tettons, mes bras, mon ventre, mes cuisses, tout fut dévoré de caresses et de baisers. Sa langue, cette langue délicieuse, s’introduisit dans ma grotte, et y ralluma ces desirs brûlans qu’elle m’avoit déjà fait éprouver dans la diligence.

Nous éprouvâmes bientôt tous deux le besoin de nous unir plus étroitement encore. Frère Ange, dont ma main n’avoit pas quitté le roide outil, se coucha sur moi, et se mit en devoir de m’enfiler ; mais, quoique frère Ange ne fût pas taillé d’une manière gigantesque, j’étois si jeune que les parties étoient vraiment disproportionnées.

Cependant, frère Ange ne vouloit pas en avoir le démenti, aussi le très-cher frère poussoit-il comme un enragé ; j’eus toutes les peines du monde à m’empêcher de jeter les hauts cris. Le drap ployé en quatre que j’avois mis dans ma bouche, fut coupé par mes dents, enfin un dernier et vigoureux coup de cul de mon amant acheva la besogne et logea son outil tout entier dans mon corps.

Si quelque chose peut dégoûter une femme des plaisirs amoureux, c’est sans contredit ce qu’elle souffre en perdant son pucelage ; mais aussi combien elle est dédommagée de quelques instans de douleur par les plaisirs sans nombre qui les suivent. Le reste de la nuit fut employé à la même besogne : je souffris beaucoup moins et j’eus même sur le matin un éclair de bonheur. Nous nous étions endormis l’un et l’autre : il se réveilla avant moi, et profitant de mon profond sommeil, il voulut me procurer un moment de jouissance ; il me branla donc assez fort pour produire l’effet qu’il en attendoit, et assez doucement pour ne pas détruire mon sommeil. J’étois en ce moment sous l’empire d’un songe heureux, je rêvois que j’étois dans les bras de frère Ange, absolument nu ; mais il étoit encore plus digne de son nom, car des ailes brillantes sortoient de ses épaules. Ce bel ange m’enfiloit, et le plaisir fut si vif que je m’éveillai en déchargeant.

Mon amant vouloit encore me donner une preuve de sa vigueur ; mais j’étois si fatiguée, si souffrante que je le refusai absolument et je regagnai mon lit, où je me disposois à dormir un bon sommeil, lorsque le point du jour et le premier coup de cloche, me forcèrent à me lever pour commencer les augustes fonctions dont j’étois revêtue.

Deux mois s’écoulèrent dans un bonheur sans mélange. À cette époque, le gardien reçut une lettre de Paris, après la lecture de laquelle le chapitre fut assemblé. Frère Ange, depuis sa liaison avec moi, avoit soin d’examiner avec attention tout ce qui se passoit d’extraordinaire dans le couvent : il sut aussitôt la convocation du chapitre, auquel il n’étoit point admis, parce qu’il n’étoit que frère. Il se rendit dans sa cellule qui ; comme je l’ai dit, étoit adossée à la salle du chapitre. La curiosité lui avoit fait depuis long-tems pratiquer une ouverture imperceptible pour tout autre que pour lui ; il fut donc se mettre aux écoutes, et entendit avec effroi qu’il étoit question de moi, et que le secret de mon sexe étoit découvert.

Il paroît que madame Grosset la revendeuse à la toilette de la rue Neuve-Saint-Eustache n’avoit pas été discrète, et que, dans un accès de bavardage, elle avoit conté notre histoire à quelques-unes de ses pratiques, et que ces mauvais plaisans avoient trouvé divertissant d’écrire au gardien que l’enfant de chœur, connu sous le nom d’Alexis, étoit une fort jolie femme, destinée aux plaisirs de la communauté.

Frère Ange, après avoir écouté la lecture, voyant qu’il n’étoit pas question de lui, et que les soupçons des révérends ne l’atteignoient pas non plus, il se dépêcha de venir me trouver pour m’apprendre notre mésaventure.

J’étois dans la sacristie à arranger les ornemens de l’église pour les fêtes de Pâques : il me conta tout cela avec précipitation, me remit quelques louis, et une lettre pour une dame de Soissons, à laquelle vraisemblablement il pouvoit confier de semblables aventures, et m’engagea à m’y rendre sur-le-champ. Je sentois le danger, je ne me le fis pas répéter deux fois ; en deux sauts me voilà dans la rue, et en quatre enjambées chez la dame protectrice des amans découverts.

Après avoir lu la lettre, elle me dit d’être parfaitement tranquille, et qu’il ne m’arriveroit rien chez elle ; que, d’ailleurs, elle alloit, d’après les ordres qu’elle avoit reçus, travailler à ma métamorphose.

Elle sortit et me laissa seule pendant environ une demi-heure ; elle revint avec un paquet de hardes de femmes de différentes tailles : je les essayai et m’en tins à un ajustement de grisette fort joli et parfaitement bien fait.

Cette femme étant une des pourvoyeuses du sérail de Mad. D......y, elle me proposa de m’y faire recevoir. Que faire ? je ne pouvois plus vivre avec mon capucin, je ne pouvois plus retourner chez mes parens, j’étois sans ressource, j’acceptai.

Je fus donc envoyée à Mad. D......y, chez laquelle je restai jusqu’au moment où la folie, qui me passa par la tête, nous fît mettre à la porte, à la suite de quoi nous fûmes mis tous les deux à l’hôpital.

Tu sais ce qui nous y arriva, tu sais de quelle manière tu en sortis ; mais ce que tu ne sais pas, c’est le chagrin que me causa ton départ ; ce que tu ne connois pas, ce sont les événement qui m’ont tirée de ce lieu de douleur.

Douze jours s’étoient écoulés depuis ton départ ; le désespoir le plus profond s’étoit emparé de mon ame. Mes idées ne rouloient que sur les moyens à employer pour abréger des jours qui m’étoient odieux, lorsqu’un cardinal allié de ma famille, et portant le même nom que mon père, vint visiter la maison. Je ne puis te dire ce que j’éprouvai à cette nouvelle, lorsque j’entendis dire que monseigneur le cardinal de L. R. devoit venir dans la matinée.

J’étois cependant si malheureuse que je ne balançai pas à m’ouvrir à lui. Il arriva donc ; je me jetai à ses pieds pour lui demander un entretien particulier, où je promis de lui révéler des choses qui l’intéresseroient vivement. Il me l’accorda ; nous passâmes chez la supérieure : je lui dévoilai tout, et ne lui cachai que le nom du couvent où restoit mon séducteur.

Jugez de l’étonnement du bon prélat, en trouvant sa cousine dans une des prostituées, condamnées à une juste détention. Sans cependant révéler ce que je venois de lui apprendre, il recommanda à la supérieure d’avoir le plus grand soin de moi jusqu’au moment où il m’enverroit prendre le lendemain avec mon ordre de sortie.

Après son départ, la supérieure me questionna sur le genre de mes liaisons avec le cardinal de L. R. Je refusai de contenter sa curiosité. Cette femme orgueilleuse auroit bien voulu me punir de ma réserve ; mais la protection spéciale que m’avoit accordée le cardinal et les soins qu’il avoit recommandés qu’on eût de moi lui en imposoient.

Le lendemain, une voiture arriva, et avec elle une dame d’environ cinquante ans, à qui un chevalier de Saint-Louis donnoit la main ; j’ai su depuis que cet homme étoit le premier écuyer du cardinal, qu’il avoit toute sa confiance et qu’il en étoit digne.

Le cardinal ne s’étoit ouvert qu’à lui sur l’état déplorable où il avoit trouvé sa parente. L’écuyer avoit invité la dame, avec laquelle il étoit, à lui aider à faire une bonne action, sans cependant lui dire qui j’étois. Cette personne, qui est une des dames de Charité de Saint-Sulpice avoit consenti à me prendre chez elle, jusqu’à ce qu’on ait pu me faire habiller décemment.

Pour ne pas t’ennuyer, je te dirai en peu de mots que je fus mise au couvent de Pantemont, sous le nom de mademoiselle de L. R. ; qu’après un séjour de deux mois, pendant lequel le cardinal m’avoit rendu de fréquentes visites, il me présenta le vicomte de Basseroche, comme l’époux que ma famille me destinoit. Je consentis à l’épouser pour être libre. Le cardinal bénit lui-même notre union. Je trouvai dans mon époux, qu’une forte dot et un grand nom rendoient très-respectueux à mon égard, un original assez ridicule, mais cependant bon diable, et dont je fais à-peu-près tout ce que je veux. Me voilà grande dame ; mais mon cœur me dit que, si ma famille me donne la fortune et l’illustration, Chérubin seul peut me donner le bonheur.

Je ne pouvois remercier Félicité qu’en la foutant, aussi la foutois-je de toutes mes forces. Mes facultés sembloient se centupler pour lui donner des preuves de ma tendresse, et nouvel Anthée je retrouvois mes forces épuisées, en touchant cette terre de délices.

Le lendemain et les jours suivans, tous les plaisirs me furent prodigués par le vicomte de Basseroche, qui me croyoit toujours le prince Poleski. J’allois de tems en tems dans la voiture du vicomte rendre visite au père Coulis ; et Rose, malgré ma dignité postiche, me revoyoit toujours avec un nouveau plaisir. Quelquefois elle se rendoit au petit bois avec ses deux amies. Je m’y trouvois de mon côté, et nous y passions des momens toujours trop courts ; les nuits étoient consacrées à Félicité, que le très-cher vicomte n’importunoit pas beaucoup pour les devoirs conjugaux.

Un mois s’écoula de la sorte, et peut-être serois-je encore au château de Basseroche sans un évènement qui me força de le quitter d’une manière un peu brusque.

Un soir que le souper avoit été prolongé assez avant dans la nuit, je me retirai dans ma chambre, étourdi par les vapeurs du vin de Champagne. Je voulus aller rejoindre ma Félicité ; l’appartement du vicomte étoit un étage au-dessous de celui de sa femme, et l’intérieur en étoit distribué de même. Dans mon ivresse, je prends une porte pour l’autre, et me voilà chez M. de Basseroche. Les vapeurs bachiques m’empêchent de m’apercevoir de mon erreur ; je quitte le peu de vêtemens que j’ai sur moi, et je me mets dans le lit du vicomte, à ses côtés. Je l’embrasse tendrement ; je le nomme ma chère Félicité. Je le remercie des plaisirs inappréciables dont elle m’avoit enivrée depuis mon séjour dans le château. Je lâche sur-tout des sarcasmes amers sur le mari bénin, qui accueilloit avec autant d’amabilité, sous le nom d’un prince imaginaire, l’amant de sa femme.

Le vicomte, à cette déclaration, s’arrache de mes bras, s’élance du lit et saute sur ses pistolets ; l’effroi que me cause la présence inattendue de M. de Basseroche chasse les vapeurs vineuses qui troubloient ma tête. Je sens toute l’étendue des dangers que je cours : je m’élance vers la fenêtre, qui n’est qu’à six pieds du sol. Je l’ouvre, je saute, et me voilà à arpenter le jardin de toute la vitesse de mes jambes. Le vicomte tire deux coups de pistolet sur moi et ne m’attrappe pas ; les chiens aboient ; la maison est en mouvement ; il faut fuir ou périr.

J’arrive au bout du jardin : un treillage me sert d’échelle. Quoique je sois en chemise, sans bas ni souliers, je grimpe rapidement ; le devant de ma chemise s’accroche ; je veux vainement la dégager : je tire, elle se déchire ; le pan de devant reste après le treillage ; j’atteins le haut du mur ; de grands arbres sont derrière ; je saisis une branche, je me laisse tomber. Cette branche me conduit sans danger jusqu’à terre, et sans m’arrêter je me mets à fuir à travers les champs.

Après un quart de lieue, dans les terres labourées, parcouru avec la rapidité d’un homme qui fuit la mort, je m’arrêtai un instant pour réfléchir sur le parti que j’avois à prendre ; deux heures sonnoient aux horloges des villages environnans. J’étois nu, et le devant de ma chemise arraché jusqu’au milieu de mon ventre. Point d’habits, point d’argent, la perspective n’étoit pas brillante.

Je me déterminai à continuer ma route, quitte pour dire au premier endroit que j’avois été dépouillé par des voleurs. Je trouvai bientôt un chemin de traverse, et je le suivis ; le jour commença à poindre à trois heures et demie, et j’aperçus à deux cents pas de moi la porte d’un couvent ; la cloche sonnoit pour les matines : je frappai. Une voix de Stentor demanda qui est là. Ouvrez, dis-je, par humanité. — Qui êtes-vous. — Un infortuné ! que des voleurs ont dépouillé. La porte s’entr’ouvrit, et un capucin me fit entrer.

Le gardien averti arriva. Je l’entendis nommer le révérendissime père Ange. Ne seroit-ce pas, me demandai-je à moi-même, le premier amant de ma Félicité. Je lui demandai un entretien particulier. Lorsque nous fûmes seuls, je lui dis ; mon révérend père, n’avez-vous pas connu autrefois une jeune personne, nommée Félicité de L. R. ?… Le gardien pâlit à cette demande. Rassurez-vous, lui dis-je, je suis son ami, et il ne tiendra pas à moi que je ne sois le vôtre. — Qui vous a dit ?… — Elle-même. Je la quitte il y a peu d’heures, elle m’a conté votre histoire ? — Vous la quittez dans cet équipage. — C’est par la suite d’un évènement que je vais vous raconter.

Je fis part au père Ange des évènemens qui avoient fait de Félicité madame la vicomtesse de Basseroche, et de l’aventure malheureuse qui m’avoit forcé de me sauver du château. Le gardien étoit émerveillé de tout cela, il se rappeloit la perfection des appas qu’il avoit autrefois palpés, et l’espoir d’en tirer encore parti faisoit briller ses yeux de luxure.

Je ne puis, me dit-il, vous donner les vêtemens qui vous manquent ; car ces vêtemens ne sont point à notre usage ; nous ne portons n’y bas, ni souliers, ni culotte, ni chemise : tout ce que je puis faire, c’est de vous prêter un manteau de capucin et des sandales. Voici un louis, c’est la seule somme dont je puisse disposer. Au premier village vous achèterez quelques habits. Je me charge de vous faire rendre tout ce qui vous appartient par M. le vicomte de Basseroche, chez lequel j’irai exprès ce matin ; je les ferai passer chez nos frères de Moulins. Aussitôt que vous serez arrivé dans cette ville, vous irez au couvent des capucins, vous y prendrez vos effets, et vous leur remettrez le manteau que je consens à vous confier. Cet arrangement vous convient-il ?

Je remerciai vivement le père Ange de ses bontés pour moi, et, après un déjeuner meilleur que ne l’est ordinairement la pitance capucinale, je le quittai revêtu du manteau bienheureux, des séraphiques sandales et un louis dans la main.

Cinq heures venoient de sonner, je voyois de loin un village ; je cotoyois le mur d’un jardin qui, vraisemblablement, étoit celui de la maison seigneuriale. Je suivois ce mur depuis environ dix minutes, lorsque j’arrivai à un angle formé par un pavillon élégant ; prêt à continuer mon chemin, une voix fraîche et mélodieuse que j’entends, me fait tourner le coin du mur pour voir d’où partoit cette voix.

J’apperçois à une des fenêtres du pavillon une femme d’environ 24 ans, fraîche comme la rose, et dans le désordre d’une personne qui sort de son lit ; sa chemise non attachée laissoit voir une épaule, la majeure partie d’un bras, et une paire de tettons comme on en rencontre peu.

Cette jeune femme, surprise de me voir les jambes nues et en manteau de capucin, fit un petit cri de frayeur. Rassurez-vous, madame lui dis-je, je ne suis pas un méchant. Mes ennemis m’ont réduit à cet état. Heureux encore qu’un religieux charitable m’a prêté le manteau pour couvrir ma nudité. — Quoi ! vous êtes nu sous ce manteau. — Vous le voyez, madame. Alors j’ouvris le manteau. Mon outil, que la vue des tettons de la jolie femme avoit fait roidir, fut la première chose qui frappa ses regards.
Pigault-Lebrun, L’Enfant du bordel, Tomes 1 et 2, 1800, fig., p. 292. Vous le voyez Madame.
Pigault-Lebrun, L’Enfant du bordel, Tomes 1 et 2, 1800, fig., p. 292. Vous le voyez Madame.
Ah ! pauvre malheureux ! tenez, voici une clef pour ouvrir la petite porte verte, je vais à votre secours. Elle me jette la clef. J’ouvre la porte, et me voilà dans le jardin.

CHAPITRE X ET DERNIER.


LA jeune femme fut bientôt auprès de moi : elle me conduisit dans le pavillon dont elle sortoit ; elle étoit si empressée de remplir les devoirs de l’hospitalité, qu’elle n’avoit pas encore songé à réparer le désordre de sa toilette.

De mon côté, soit distraction, soit un autre motif, j’avois cessé de tenir les bords de mon manteau croisés sur ma poitrine ; ils s’étoient écartés, et la partie saillante, qui avoit d’abord frappé les regards de ma compagne, prenoit à chaque instant plus de consistance et plus de fermeté. Du coin de l’œil, chacun de nous lorgnoit ce qui s’offroit à ses regards ; des soupirs brûlans que le desir faisoit naître s’échappoient de nos poitrines : notre démarche étoit incertaine. Cet état violent ne pouvoit pas durer : aussi ne dura-t-il pas.

Lorsque nous fûmes dans le pavillon, elle m’invita à me mettre dans son lit, en attendant qu’il lui ait été possible de me procurer des vêtemens. Je ne me fis pas prier, et mon introductrice vint se mettre dans un fauteuil auprès de moi.

Elle me demanda quelle étoit l’aventure qui m’avoit réduit à me promener la nuit dans un équipage aussi grotesque. Je lui racontai tout ce qui venoit de m’arriver au château de Basseroche. Mon récit la fit beaucoup rire.

Elle me dit, de son côté, qu’elle étoit la nièce et l’héritière d’un fermier-général, extrêmement riche, qui étoit dans ce moment à Paris ; qu’elle l’attendoit sous peu avec un homme de qualité, auquel il se proposoit de la marier ; que, pendant l’absence de son oncle, elle couchoit ordinairement dans ce pavillon ; parce que la vue en étoit infiniment plus agréable que celle du château ; qu’enfin elle se félicitoit de sa translation, puisqu’elle lui avoit servi à être utile à un jeune homme aussi aimable que je paroissois l’être. Ces derniers mots furent dits d’une voix tremblante, en rougissant et baissant les yeux. Je lui pris la main, que je portai sur mes lèvres : elle la retira ; un charmant sourire vint embellir encore son aimable figure.

Ma jeune compagne se leva, me pria de ne pas m’impatienter, qu’elle alloit revenir le plus promptement possible. En disant ces mots, elle sortit, et m’enferma à double tour.

Je fis je ne sais combien de réflexions sur la bizarrerie de mon étoile, qui ne me plaçoit sur le pinacle que pour m’en précipiter plus rapidement ; mais aussi, comme dans tous les évènemens fâcheux qui avoient traversé ma vie, il étoit toujours venu un moment de bonheur après celui de l’infortune, je sentois que j’aurois tort de me plaindre, il est tant d’êtres qui valent beaucoup mieux que moi, et qui n’ont connu que le malheur.

Laure, c’est le nom de ma protectrice, revint bientôt ; elle apportoit une demi-bouteille de vin de liqueur, des biscuits et des hardes de son oncle. Imaginez un habit maron, orné d’un large galon d’or ; la culotte de même, avec les jarretières pareillement galonnées en or ; la veste de satin blanc, brodée en or, paillettes et soie ; bas de soie blancs, souliers larges et ronds ; petites boucles d’or carrées ; chapeau galonné. Jugez la tournure que devoit avoir le pauvre Chérubin avec ses seize ans et demi, sous un tel accoutrement.

Je m’habillai donc, et voilà la folle de Laure à rire comme une extravagante de ma tournure financière, à laquelle il ne manquoit plus que la perruque à la brigadière et la canne à bec de corbin. Je pris Laure dans mes bras, et, tout en lui parlant de ma reconnoissance, j’appliquai un baiser savoureux sur sa bouche vermeille. Ma main osa se glisser sous un fichu assez négligemment attaché. Laure me repoussa, mais avec une certaine molesse, qui m’annonça qu’elle ne seroit pas long-tems rebelle à mes caresses.

J’allois hasarder quelque chose de décisif, lorsqu’un domestique vint frapper au pavillon, et annonça à Laure que la voiture de son oncle paroissoit dans l’avenue ; je fus on ne peut pas plus vexé de ce contre-tems ; mais qu’y faire ? c’étoit partie remise. Laure se rendit au château pour y recevoir le très-cher oncle, et vraisemblablement l’illustre prétendu. Je restai seul possesseur du pavillon, où elle me promit de me rendre visite, aussitôt qu’elle pourroit disposer d’un instant, et je fus enfermé de nouveau.

Assez embarrassé des moyens que je prendrais pour occuper mon tems, je m’amusai à regarder le jardin à travers les barres d’une persienne qui étoit fermée, lorsque je vis venir un petit garçon jardinier, d’à-peu-près seize ans, menant par la main une jolie petite paysanne du même âge. Ils furent s’asseoir sur un banc de pierre au pied de la muraille, en face du pavillon. Ce banc étoit dérobé à la vue du château par la niche de verdure dans laquelle il étoit placé.

Génevieve, dit le manant, viens auprès de moi. — Que me veux-tu, Jacquot ? — Te dire bien des choses, Génevieve. — Quoi donc encore ? — Tout le monde est au château occupé à recevoir M. Duremont ; mademoiselle y est avec les autres, par conséquent il n’y a personne dans ce pavillon : ainsi nous ne seront pas interrompus. — Eh bien ! veux-tu en venir avec tes préambules ? — À te montrer quelque chose qui t’étonnera bien. — Qu’est-ce que c’est ? — Auparavant faut que tu me montres ce que tu as sous ton fichu. — Je ne veux pas. — En ce cas, tu ne verras pas ce que je voulois te montrer. — Mais que te fait ce que j’ai sous mon fichu ? — Il faut que je le voie avant de te montrer ce que je veux dire. — Eh bien ! regarde sous mon fichu. — Oh ! comme c’est joli..... comme c’est ferme… — Ne frotte donc pas comme cela le bout, ça me chatouille. — Comme c’est joli !… — Ah ça ! tu vas me faire voir à présent ce que tu voulois me montrer. — Oui. — Tu déboutonnes ta culotte. — Il le faut bien..... Tiens, regarde. — Oh ! la drôle de chose. — Pas vrai, Génevieve, que c’est drôle. — Et que sont ces machines qui pendent au-dessous ? — Ce sont les amourettes. — C’est comme des petites boules qui sont renfermées là-dedans, ça roule. — Sais-tu à quoi sert cet outil-là, Génevieve. — Non, Jacquot. — Ça sert à mettre dans la petite fente que tu as entre les jambes. — Bah !… — Veux-tu essayer ? — Non pas, ça me feroit trop de mal. — Oh ! que non ! — Je te dis que j’ai voulu un jour y fourrer le bout de mon petit doigt, et ça m’a fait beaucoup de mal. — Je te dis que ce sera assez large. — Je te dis que non. — Regarde plutôt. — Oh ! le joli poil ! comme il est noir. — Écarte le poil, et tu verras que ça n’est pas assez large. — Tu as raison, c’est bien petit ; cependant, ta cousine Javotte me l’a fait mettre dans la sienne hier, et ça est entré tout seul. — Ma cousine Javotte t’a fait mettre ta machine dans sa fente. — Oui ! dans sa fente. — Ça m’étonne, elle est plus petite que moi, et je suis son aînée d’un an. — Tu vois bien que, puisque je l’ai mis dans la fente de ta cousine Javotte, qui est plus jeune que toi, je peux bien le mettre dans la tienne. — Écoute, Jacquot, je veux bien que tu essaies ; mais, si cela me fait mal, je te le dirai d’abord.

Qu’on juge de mon état pendant ce dialogue, et sur-tout la pantomime dont il étoit entremêlé. M. Jacquot se mettoit en devoir d’enfiler mademoiselle Génevieve ; je suis assez égoïste en fait de plaisirs amoureux : je ne voulus pas que le manant jouît tranquillement de sa conquête, et au moment où elle commençoit à crier, je pris une orange, et la lui jetai de toute ma force. L’orange, lancée avec roideur, frappa d’une manière violente sur le dos du rustre. Je ne referme pas la persienne avec assez de prestesse, Jacquot se retourne, m’apperçoit, reconnoît l’habit, et se sauve en criant : M. Duremont ! nous sommes perdus. Génevieve se sauve d’un autre côté, et je reste seul à rire de leur frayeur.

Mais j’allois bientôt me repentir d’avoir interrompu les plaisirs de Jacquot. En se sauvant, il avoit été se jeter, au détour d’une allée, au milieu de la société ; il se heurta contre M. Duremont. En l’appercevant il fit un cri d’effroi, et fut prêt à tomber à la renverse. On lui demanda ce qu’il avoit ; il se fit long-tems presser, et avoua enfin que sa frayeur venoit de ce qu’il venoit de voir M. Duremont dans le pavillon, et qu’il le retrouvoit au milieu de la société. On lui dit qu’il étoit fou, mais il assura si positivement qu’en ce moment même M. Duremont étoit dans le pavillon, que la société, curieuse de pénétrer ce mystère, s’achemina de ce côté.

Laure suivit tout le monde, pâle et tremblante, ne sachant à quoi se résoudre. Arrivée au pavillon, M. Duremont lui demanda la clef, elle dit qu’elle ne l’avoit pas. Il y a là-dessous, dit l’oncle, en regardant sa nièce d’un air sévère, quelque chose que je suis bien aise d’éclaircir ; et pendant qu’un domestique va aller au château chercher les outils nécessaires pour enfoncer la porte, nous allons y rester, afin que celui qui est renfermé dedans ne puisse s’échapper.

J’étois fort embarrassé pendant le colloque, d’autant plus, qu’outre quatre ou cinq personnes, il y avoit un colonel de dragons, superbe homme, d’environ trente-trois à trente-quatre ans ; et que cet officier avoit mis l’épée à la main pour garder la porte du pavillon.

Je n’avois point d’armes. Je cherchois partout pour voir si je ne trouverais pas quelque chose qui pût m’en servir. Je découvris dans une petite garde-robe, une vieille épée de duel ; et je résolus de tout braver ; j’ouvris la fenêtre.

Que me demandez-vous, m’écriai-je ? Que faites-vous chez moi, me dit Duremont ? — J’y suis par la suite d’une aventure qu’il seroit trop long de vous raconter : qu’il vous suffise de savoir, pour le moment, que mademoiselle est entièrement innocente de ce dont vous pourriez l’accuser ; qu’elle n’a écouté que la voix de l’humanité en m’introduisant dans ce pavillon. Si cette explication ne vous contente pas, je suis gentilhomme ; j’ai une épée et je descends.

En deux sauts je fus au bas de l’escalier, et j’ouvris la porte. Laure sans connoissance étoit dans les bras d’un domestique. C’est à vous, M. le comte, dit Duremont, en s’adressant au colonel, à nous venger d’un suborneur. Le comte jette la vue de mon côté ; que vois-je, s’écrie-t-il en pâlissant..... Ces traits..... Vous restez immobile, dit le fougueux Duremont. Cette conduite est indigne du comte de B..... Le comte de B..... m’écriai-je à mon tour ? Ah ! mon cœur ne m’avoit pas trompé !

Vous êtes mon père !...... Et je m’élançai dans ses bras. Votre père, dit-il d’une voix émue, et reculant un pas. — Oui, vous êtes mon père, ne rejetez pas de votre sein le fils de l’infortunée Cécile… — Cécile, dit-il d’une voix mourante, et ses jambes fléchirent. Je me précipitai, et le retins dans mes bras.

Effectivement, c’étoit mon père qui venoit pour épouser Laure.

Après l’affaire où il avoit tué Saint-Firmin, il étoit passé en Suède ; où il étoit entré dans le service : il avoit entretenu une correspondance avec un ami qui l’avoit instruit que Cécile étoit expirée, en accouchant d’un enfant mort ; que cette nouvelle étoit cause qu’à son retour il n’avoit fait aucune démarche pour me retrouver.

On me demanda par quelle aventure je me trouvois dans le château. Je racontai l’histoire de ma vie entière en gazant les évènemens qui avoient besoin de l’être. On rit beaucoup, sur-tout de mon voyage en manteau de capucin, et Laure fut entièrement justifiée.

Enfin, lecteurs, j’ai retrouvé mon père ; Laure est ma belle-mère : le frère Ange m’a écrit que, grace à ses soins, Félicité est parfaitement avec son époux, qu’il est convaincu de la fausseté de ses soupçons, et que lui, capucin indigne, est l’ami de la maison.

Mon père m’a donné une lieutenance dans son régiment. Je n’ai pas encore dix-sept ans, et je suis officier de dragons ; c’est une pépinière à aventures. S’il m’en arrive de nouvelles, et que vous accueilliez favorablement celles que je mets sous vos yeux, je m’empresserai de vous en faire part. Et sur ce, je prie Dieu qu’il vous ait en sa sainte et digne garde.

FIN.
Note des Éditeurs.


Nous avons en ce moment entre les mains la suite des Aventures de Chérubin ; elles sont infiniment plus variées, plus originales, et plus piquantes que les premières. Si celles-ci ont le succès que nous en attendons, nous nous empresserons de livrer les autres à l’impression.