L’Enfer des femmes/Le boudoir vert

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H. Laroche et
E. Dentu, éditeur. A. Lacroix, Verboeckhoven et Cie (p. 97-102).


LE BOUDOIR VERT


— Vous arrivez bien tard aujourd’hui, Adolphe, pourtant vous n’étiez pas au bois. Quelle triste figure ! qu’avez-vous ?

— De graves préoccupations.

— La rente baisse et vous êtes à la hausse ?

— Au contraire.

— La rente monte et vous êtes à la baisse ?

— Non.

— Enfin, qu’y a-t-il ?

Pour toute réponse, Adolphe, s’efforçant d’être aussi sérieux que l’exigeait la gravité des circonstances, tira froidement de sa poche une de ces petites boîtes de cuir qui font toujours sourire les femmes. En moins d’une seconde, Adèle l’avait prise et ouverte.

— C’est superbe ! s’écria-t-elle. Décidément il y a quelque chose d’extraordinaire, vous n’êtes pas millionnaire, je le sais, et c’est à cette considération que je vous permets de ne me donner que mille francs par mois, et c’est peu pour moi ; mais je vous aime, cela me suffit.

— Et comme vous n’aimez pas que moi, cela vous suffit d’autant mieux.

— Il faut bien vivre. Or, les hommes pauvres ou avares, ce qui revient au même pour nous, ne font que trois sortes de cadeaux : le cadeau d’introduction, vous me l’avez fait, le cadeau de raccommodement et le cadeau de conclusion ; nous ne sommes pas brouillés ; ce n’est pas un raccommodement, ce collier ne peut donc être qu’une conclusion. Ne me dites pas non, je m’y connais. Vous me quittez, ajouta-t-elle, je comprends.

— Je vous aime toujours.

— Alors vous vous mariez.

— Peut-être. J’avoue que je me sépare de vous ; vous pourrez même l’avouer aussi franchement, je vous le permets, je vous y engage. Vous ferez très bien aussi de montrer ce bijou, afin que personne ne puisse douter de notre rupture. Je sais ce que je dois à ma nouvelle famille.

— Je suis bien malheureuse ! s’écria la jeune Adèle en feignant de pleurer.

— Nous ne devons plus nous voir, dit Adolphe d’un ton solennel ; mais cela ne veut pas dire que nous ne nous verrons plus, petite folle, au contraire. Je viendrai ce soir, demain, tous les jours. L’heure seule sera changée. Je viendrai de onze heures à minuit et je double les honoraires. Seulement, songez-y, ma chère, une indiscrétion et je ne reviens plus.

— Soyez tranquille.

— Vous me traiterez dans vos discours comme M. de ***.

— Je vous assure qu’il n’est que mon ami. Je vous le jure, ajouta Adèle en se fâchant.

— Parfait ! Voilà la position que je veux occuper désormais dans vos paroles.

— On sera muette.

— On sera fidèle.

La belle Adèle s’étendit sur une causeuse qui se contournait dans les formes les plus élégantes. Le négligé de soie rose de la lorette contrastait avec les tentures de satin vert dont était ornée toute sa chambre à coucher et augmentait encore son air égrillard.

— Vous m’aimez donc vraiment ?

— Je crois bien. Je vous aime depuis trois mois. Jamais je ne fis, en amour, une étape aussi longue, répondit Adolphe en jouant avec les dentelles de sa maîtresse.

— C’est drôle tout de même. Votre prétendue est-elle jolie ?

— Je ne la connais pas. Elle est très riche.

— Je parie qu’elle est laide.

— C’est à craindre, on ne peut pas tout avoir. Je m’y attends.

— Et moi je l’espère. Elle doit être affreuse.

— Tant pis.

— Rousse, peut-être.

— Qu’y faire ?

— Et qui sait ? Bossue.

— Oh ! non, ce serait abuser. Vous êtes méchante ; mais pensez donc que si nos femmes étaient jolies comme vous toutes, si avec la fortune elles avaient encore la beauté, les charmes qui nous excitent et nous attirent, mais vous seriez à jamais ruinées ; c’est votre état d’être jolies. Adieu, chère petite, ajouta-t-il en embrassant les cheveux d’Adèle, je dîne chez le cousin. À ce soir.

— Comment va l’ami de Flabert ?

— Trop bien, car il me parle toujours de vous.

— Certes, nous nous brouillerons pour cela.

Adolphe se leva, prit son chapeau et dit en s’ajustant devant la glace :

— On prétend que vous vendez votre mobilier.

— C’est vieux ! Que voulez-vous ? J’ai besoin d’argent, et puis, quand on a trop de choses, c’est gênant. Mes amis ne savent plus que me donner.

— Vous avez raison, c’est une bonne affaire. À ce soir. Surtout pas un mot sur mes visites.

— J’ai compris. Adieu, bon courage.

— J’en ai besoin, dit Dunel en allumant son cigare. Bon Dieu ! quel dîner, quelle soirée se préparent ! quelle série d’ennuis…

— Voulez-vous une allumette ?

— Merci, voilà qui est fait. Adieu.

Le jeune homme descendit et Adèle, en rentrant, regarda si ses diamants étaient d’une belle eau, d’une grande valeur enfin, et les réalisa dans sa pensée.