L’Enfouisseur et son Compère

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Fables choisies, mises en versDenys Thierry et Claude BarbinQuatrième partie : livres ix, x, xi (p. 114-117).

IV.

L’Enfoüiſſeur & ſon Compere.



UN Pinſemaille avoit tant amaſſé,
Qu’il ne ſçavoit où loger ſa finance.
L’avarice compagne & ſœur de l’ignorance,

Le rendoit fort embaraſsé
Dans le choix d’un dépoſitaire ;
Car il en vouloit un : Et voicy ſa raiſon.
L’objet tente ; il faudra que ce monceau s’altere,
Si je le laiſse à la maiſon :
Moy-meſme de mon bien je ſeray le larron.
Le larron, quoy jolly, c’eſt ſe voler ſoy-meſme !
Mon amy, j’ay pitié de ton erreur extrême ;
Appren de moy cette leçon :
Le bien n’eſt bien qu’en tant que l’on s’en peut défaire.
Sans cela c’eſt un mal. Veux-tu le reſerver
Pour un âge & des temps qui n’en ont plus que faire ?
La peine d’acquerir, le ſoin de conſerver,
Oſtent le prix à l’or qu’on croit ſi neceſſaire.

Pour ſe décharger d’un tel ſoin
Noſtre homme euſt pû trouver des gens ſurs au beſoin ;
Il aima mieux la terre, & prenant ſon compere,
Celuy-cy l’aide ; Ils vont enfoüir le treſor.
Au bout de quelque temps l’homme va voir ſon or.
Il ne retrouva que le giſte.
Soupçonnant à bon droit le compere, il va viſte
Luy dire : Appreſtez-vous ; car il me reſte encor
Quelques deniers ; je veux les joindre à l’autre maſse.
Le Compere auſſi-toſt va remettre en ſa place
L’argent volé, prétendant bien
Tout reprendre à la fois ſans qu’il y manquaſt rien.

Mais pour ce coup l’autre fut ſage :
Il retint tout chez luy, réſolu de joüir,
Plus n’entaſser, plus n’enfoüir.
Et le pauvre voleur ne trouvant plus ſon gage,
Penſa tomber de ſa hauteur.
Il n’eſt pas mal-aiſé de tromper un trompeur.