L’Enseignement historique en Sorbonne et l’Éducation nationale

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L’Enseignement historique en Sorbonne et l’Éducation nationale
Revue des Deux Mondes3e période, tome 49 (p. 870-897).
L’ENSEIGNEMENT HISTORIQUE
EN SORBONNE
ET L’EDUCATION NATIONALE


I.

Il arrive quelquefois en France qu’un homme, parvenu à l’âge de la curiosité sérieuse, se prend du désir de connaître l’histoire de son pays. Il se met à lire une ou deux de nos histoires générales, et cette lecture lui donne des renseignemens et des idées; le livre fermé, il les repasse dans sa mémoire et les examine; alors des doutes lui viennent : en beaucoup d’endroits il ne voit pas clair. Après avoir réfléchi, il dresse un catalogue de questions et se met en quête des réponses; mais son embarras est grand, car il ne sait où s’adresser. Quand on veut s’informer sur l’histoire de l’Allemagne, on trouve chez le premier libraire allemand venu un volume in-8o de 250 pages, contenant la bibliographie de l’histoire allemande : d’abord la liste des collections d’historiens et de documens; ensuite les titres des revues et des histoires générales et ceux des livres les meilleurs sur tous les sujets : religion, église, classes sociales, institutions et pouvoirs politiques, associations, villes, propriété, guerre, finances, commerce, industrie, agriculture, lettres et arts. Dans une troisième partie, des chapitres dont chacun correspond à une période de l’histoire, offrent à la fois la bibliographie des documens et celle des travaux historiques : d’une part, les matériaux; d’autre part, la mise en œuvre. La lecture de ce petit volume inspire le respect de la science historique. Cette œuvre immense, infiniment variée dans le détail, mais qui présente un ensemble ordonné, ne peut point ne pas avoir atteint son objet, qui est la découverte de la vérité; c’est la première pensée qui vienne à l’esprit. On s’aperçoit aussi qu’il existe en Allemagne une organisation du travail. On relève des noms de sociétés qui ont été fondées soit pour publier les documens, soit pour les critiquer, soit pour en tirer l’histoire d’une institution, d’une ville, d’une province, d’un état, d’une période. On découvre une filiation entre des œuvres d’hommes qui ont été instruits au même atelier. Des associations de maîtres et d’élèves, d’historiens proprement dits et de juristes, de philologues, de philosophes, de théologiens, d’artistes, tous pénétrés et guidés par l’esprit historique, se sont prêté un appui mutuel et sont arrivées par la persévérance et l’union dans l’effort à éclairer les questions difficiles et à résoudre les problèmes solubles.

Un pareil livre n’existe pas en France. On est réduit à s’informer comme on peut, presque au hasard et au jour le jour, dans des bulletins bibliographiques et dans des catalogues de bibliothèques ou de librairies. Si le personnage que nous avons supposé tout à l’heure veut s’adresser à des personnes, à défaut de guides écrits, il les verra isolées les unes des autres, enfermées dans leurs cabinets, accablées sous le poids de telle ou telle tâche et disposées à trouver déraisonnable la curiosité du visiteur. « Vous voulez savoir, lui dira-t-on, quelle était à l’origine l’organisation de la société française; comment les droits de l’état sont tombés dans l’appropriation privée, et comment ils ont fait retour à l’état; ce qu’était alors un juge, au nom de qui et selon quelle loi il jugeait ; comment gouvernaient les premiers Capétiens; ce que signifient leurs ordonnances ; lesquelles étaient pour le domaine, lesquelles pour le royaume; jusqu’à quel point elles ont été obéies; quels étaient les moyens de contrainte et le châtiment de la désobéissance; mais vous n’êtes point difficile, vraiment ! Moi à qui vous parlez, je voudrais le savoir aussi. Croyez-vous donc que j’aie pu apprendre à moi seul toute l’histoire du pouvoir royal, toute celle des provinces de France? Nous sommes quelques travailleurs, mais nous ne nous connaissons pas les uns les autres. Faute d’entente réciproque et d’informations, il nous arrive de refaire des recherches déjà faites, perdant ainsi le bénéfice de l’acquis. Nous sommes d’ailleurs trop peu nombreux. Pour venir m’interroger sur l’histoire de la France, attendez qu’elle soit faite. »

Ce dernier mot, qui a été dit en effet, et par quelqu’un qui saurait l’histoire de France si on pouvait la savoir, est exact rigoureusement. L’histoire de la France est à faire et ne sera faite que lorsque des escouades d’ouvriers munis de bons instrumens auront défriché toutes les parties du champ. La besogne est commencée, il est vrai ; nos grands érudits du XVIIe et du XVIIIe siècles ont marqué les voies qu’il faut suivre et dessiné les cadres dont il faut renouveler le contenu; mais les bras manquent à la tâche ; le nombre des historiens est très petit et l’intérêt pour l’ancienne histoire de notre pays presque nul. C’est là un très grand mal, de grave conséquence, et dont il faut rechercher les causes avant de parler des remèdes que l’on essaie aujourd’hui.

La première cause du discrédit où est tombée notre histoire est la destinée même de la France. La révolution n’a laissé subsister chez nous aucun des monumens d’autrefois, j’entends ces monumens vivans qui durent en d’autres pays : royauté, sacerdoce, classes ou corporations, villes et pays privilégiés, dont les privilèges, contraires à la raison, sont fondés en histoire. Il suffit d’un monument de pierre, église, manoir ou maison de ville pour arrêter même le voyageur ignorant et provoquer ses questions : quels hommes ont fait cela? quand? pourquoi? Mais si le prêtre est dans l’église et qu’il soit encore membre d’une corporation à qui la perpétuité de l’usage donne des privilèges dans l’état: s’il reste au châtelain quelque ombre des droits seigneuriaux d’autrefois ; si le lord-maire, siégeant dans la maison commune, y garde la charte d’affranchissement, le passé persiste sous les yeux des vivans pour entretenir la curiosité publique. Ces êtres historiques, familles, classes, corporations, en ont la religion et le défendent contre l’oubli : ils donnent à l’historien à la fois le moyen de le remettre en lumière et cet encouragement nécessaire qui est l’intérêt même qu’ils prennent à ses travaux. Ces secours manquent en France à l’historien. Certes notre passé vit au fond de notre être pour former notre tempérament national ; mais il n’a point laissé de traces visibles. C’est affaire d’érudition de reconstituer l’ancienne société française, comme d’étudier les sociétés grecque ou romaine. Ajoutez que la révolution, qui a tenté cette expérience héroïque de faire vivre tout un peuple selon les lois de la raison, nous a façonnés à ne comprendre et à n’aimer que le simple, l’axiome ou, comme on dit eu politique, le principe avec ses conséquences logiquement déduites. Toute complication nous répugne. Il faut à des Français plus d’efforts qu’à d’autres hommes pour se reconnaître au milieu de ces vieux édifices de tous styles, où les annexes s’enchevêtrent autour du corps principal, brisant leurs lignes les unes contre les autres, parce qu’elles ont été bâties sans ordre préétabli au cours de la longue vie d’un peuple.

Nous avons, il est vrai, une façon de nous intéresser à notre histoire : ce n’est pas la bonne. La révolution a ses défenseurs et ses ennemis, et les uns et les autres demandent des armes à l’histoire. L’ancienne France est leur champ de bataille : ils l’étudient, mais comme deux armées un champ de bataille, pour y saisir les accidens de terrain favorables, sans nul souci des vertus du sol ni des moissons qu’il a portées. Nous sommes des polémistes, et la vérité court risque de subir des attentats au cours des polémiques. Nous plaidons une cause perpétuellement; or quel avocat n’a jamais menti, au moins par omission de parties gênantes de la vérité? Prenant pour point de départ l’heure où nous vivons et pour cortège les préjugés du parti politique où nous sommes enrôlés, nous allons demander au passé la preuve que nous pensons juste et que nous agissons bien. Pour citer un exemple, Augustin Thierry avait entrepris d’immenses recherches sur l’histoire du tiers-état. La sincérité de son esprit ne saurait être mise en doute. Il la prouve en déclarant dans la préface d’une édition de son Essai sur le tiers-état, parue après 1848, qu’il ne comprend plus la suite des événemens depuis la révolution de février, attendu que toute l’histoire de la France lui semblait aboutir par une sorte de voie providentielle au régime de la royauté de 1830. La tentation est très naturelle de croire que le moment de la durée indéfinie où notre vie s’écoule ne ressemble point aux autres, que nos ancêtres ont travaillé pour nous tout justement et que les institutions de notre choix sont les meilleures; mais il y faut résister vigoureusement, si elle est capable de nous induire à croire que toute l’ancienne France ait été en gestation du règne de Louis-Philippe.

Entre ces partis qui se combattent et ces avocats qui se querellent, la neutralité tranquille, qui est l’état nécessaire de l’historien, est difficile à garder. Elle suppose le courage, qui n’est pas une vertu banale, car notre pays est un de ceux où l’on pèse le mieux les risques auxquels on s’expose à parler hardiment sur l’histoire. L’habitude prise de la rajeunir, de l’accommoder aux idées et aux goûts de la vie présente et de l’animer de nos passions, fait que l’on suppose toujours une intention à l’historien le plus désintéressé. Si l’on fait mine seulement d’essayer la critique des hommes et des choses de la révolution ; si même, sans penser à mal, on se plaît à raconter telle période du XIIIe siècle, où nos ancêtres ont vécu heureux sous un régime conforme à leurs idées et à leurs croyances, on passe clérical et réactionnaire. On est terroriste et jacobin si l’on reproche à la monarchie en décadence les fautes et les crimes par lesquels elle a détruit le persévérant amour des Français pour leurs rois. C’est donc une mauvaise condition que celle de l’historien en France. Il n’a pas de public pour entendre l’histoire impartiale du passé. Il n’est pas porté à l’étudier, comme l’historien anglais à suivre le développement de la vie nationale anglaise, souvent hâté par des crises terribles, mais jamais interrompu. L’Angleterre s’enorgueillit de s’appeler la vieille Angleterre; vieille France est presque une injure : cela marque la différence.

Pourtant cette disposition de l’esprit public n’est point l’obstacle principal à l’activité du travail historique dans notre pays. Il y a un apprentissage à la profession d’historien. Sans doute, la règle principale de la méthode, — ce n’est point la plus facile, — est de n’être point sot, et la culture d’un esprit bien doué à sa naissance donne à l’historien ses qualités maîtresses : encore faut-il qu’il sache lire les documens, en vérifier l’authenticité, la date; qu’il ait acquis de vastes connaissances générales. Où donc se fait en France l’apprentissage de l’historien? Nulle part, si l’on met de côté pour un moment l’École normale, celles des chartes et des hautes études.

Dans les pays allemands et scandinaves, la plupart des historiens sont des professeurs d’histoire, qui ont fait des études dans les universités. Les meilleurs d’entre eux demeurent attachés aux universités ; ils y enseignent et ils y travaillent ; mais ceux qui professent dans les gymnases sont capables de faire des recherches personnelles et de fournir leur contingent à cette œuvre commune dont l’immensité nous confond, nous qui faisons et pouvons si peu de chose. Chez nous, en effet, il n’y a presque pas d’historiens parmi les professeurs d’histoire, par la raison que la grande majorité d’entre eux n’a pas reçu d’éducation historique. Aujourd’hui encore beaucoup de professeurs débutent avec le titre de bachelier; et, si modeste que soit son titre, le bachelier candidat à quelque chaire de collège est un maître Jacques réputé propre à toutes besognes. Le ministre ou le recteur fera de lui un historien, un grammairien ou bien un philosophe, selon les besoins du service. Le bachelier passera licencié s’il est ambitieux et laborieux; mais la licence, jusqu’à la réforme dont il sera parlé tout à l’heure, était un examen tout littéraire; on n’y tenait point compte de telle ou telle spécialité d’études, et le licencié, comme le bachelier, attendait sa vocation de l’autorité administrative. J’en ai vu un, l’an dernier, qui, après avoir quitté l’Université pour courir après la fortune qu’elle n’a pas coutume de donner, y voulait rentrer et se préparer à l’agrégation de grammaire. On lui offrit une chaire d’histoire : « Je ne sais pas, vint-il me dire, un mot d’histoire. » Je l’engageai à se récuser, à patienter, mais sa famille attendait du pain. Heureusement, on lui trouva une classe de grammaire ; il avait acheté déjà des manuels et se disposait à apprendre son histoire en chemin de fer.

L’anecdote paraît invraisemblable, et l’on voudrait croire que c’est là un accident ; mais, l’an dernier, des professeurs licenciés, délégués dans les lycées à Paris pour y enseigner l’histoire dans les petites classes, ont suivi des conférences préparatoires à l’agrégation faites à la Faculté des lettres de Paris. Nous nous sommes enquis de leur passé et nous avons gardé copie de cet interrogatoire. Cinq avaient passé la trentaine. Voici le curriculum vitæ de M. A. : trente-trois ans ; a été maître répétiteur à Valenciennes, Amiens, Paris, jusqu’à l’âge de vingt-huit ans ; ensuite, professeur de grammaire au collège d’Orange, pendant deux ans ; a demandé, sur le conseil du recteur d’Aix, une chaire d’histoire ; professeur d’histoire à Lunéville ; s’est présenté deux fois à l’agrégation sans avoir eu le moyen de s’y préparer ; a échoué. — M. B. a trente ans ; il a débuté à dix-huit ans ; successivement aspirant-répétiteur à Troyes, à Reims ; maître auxiliaire à Nancy, où il a préparé sa licence ès-lettres ; devenu licencié, a été nommé professeur de seconde à Épinal ; aurait bien voulu être professeur d’histoire ; a, pendant quatre années, attendu une chaire d’histoire ; enfin, professeur d’histoire à Commercy et à Compiègne ; s’est préparé à l’agrégation, sans secours ; a échoué. — M. C. a trente-deux ans ; a débuté à vingt ans, est resté cinq ans maître d’études ; il désirait enseigner la grammaire, mais on lui a donné une chaire d’histoire qu’il a gardée sept ans ; s’est préparé à l’agrégation de grammaire, sans aucun secours ; a échoué ; s’est préparé à l’agrégation d’histoire, sans secours encore, a échoué. — M. D. a trente-quatre ans ; il est resté maître d’études pendant quatre ans ; licencié, il aurait voulu enseigner l’histoire ; a été professeur de quatrième pendant quatre ans, à Guéret ; puis de philosophie et de rhétorique à Saint-Flour, sur réquisition du recteur, qui avait besoin d’un philosophe ; y est resté trois ans, la pénurie de philosophes persistant ; a obtenu enfin la chaire d’histoire du collège de Saintes ; s’est préparé à l’agrégation toujours sans secours ni succès. — M. E., enfin, a été cinq ans maître d’études, six ans maître élémentaire, sans oser demander, quelque envie qu’il en eût, une chaire d’histoire, parce que le professeur d’histoire, ne donnant pas de leçons, est plus pauvre encore que ses collègues. Ainsi, de ces cinq jeunes gens, un a été professeur d’histoire sur un conseil donné en passant par son recteur ; un : second est demeuré longtemps professeur de grammaire, quand il voulait être professeur d’histoire ; un troisième a été professeur d’histoire quand il voulait être professeur de grammaire ; un quatrième a été, plusieurs années durant, philosophe malgré lui ; le cinquième a craint de mourir de faim. Tous les cinq ont un grand mérite : entrés dans l’enseignement public par goût ou par nécessité, ils ne se sont pas endormis ; ils ont conquis le grade de licencié ès-lettres après beaucoup d’efforts; puis ils ont affronté le difficile concours de l’agrégation d’histoire, et les premiers échecs ne les ont pas découragés. Quand ils auront enfin touché le but, leurs cheveux grisonneront, lis pourront être de bons professeurs ; mais pour devenir des historiens, il leur reste trop à faire. Tous les cinq nous ont avoué qu’ils n’avaient fait aucun travail personnel; qu’ils s’étaient instruits dans des livres de seconde ou de troisième main ; qu’ils avaient exercé leur critique à comparer des manuels les uns aux autres ; qu’ils n’avaient jamais étudié un document; d’ailleurs, les documens inédits de l’histoire ancienne et de l’histoire du moyen âge leur étaient inaccessibles, personne ne leur ayant parlé d’épigraphie, ni de paléographie, ni de diplomatique; personne ne leur ayant enseigné les règles de la critique des textes. Ce n’est point leur faute, évidemment, s’ils achèvent leur carrière sans avoir payé à la science le plus petit tribut personnel.

On a réservé tout à l’heure l’École normale, l’Ecole des chartes, et l’École des hautes études. Toutes trois rendent de grands services, mais aucune d’elles ne forme un historien complet. La culture est trop générale à l’École normale, qui prépare surtout au professorat : elle est trop particulière à l’École des chartes et à l’École des hautes études, qui préparent surtout aux travaux d’érudition. Un normalien reçoit de ses maîtres et il acquiert par lui-même, par son travail et par le contact de ses camarades, recrutés comme lui dans l’élite des élèves de l’enseignement secondaire, une éducation littéraire qui le rend propre à tout travail, en affinant l’instrument intellectuel ; mais le futur professeur d’histoire emploie une première année à se préparer à la licence ès-lettres ; sur la seconde année, qui est consacrée à l’étude des littératures, de la philosophie et de l’histoire, il prélève le plus de temps possible pour ses études historiques; mais, au vrai, il n’a qu’une année qui lui appartienne, la troisième. Ce n’est pas assez. Il n’a point le temps d’acquérir les vastes connaissances bibliographiques nécessaires ni de faire ce long et tranquille usage des documens qui forme l’esprit à la critique et y enracine le goût et l’habitude du travail personnel. N’est-il pas invraisemblable que l’on ne donne à l’École normale que depuis quatre années des notions de paléographie et qu’on ait laissé partir tant de générations de professeurs incapables de mettre en œuvre les documens qui gardent, sous la poussière des archives et des bibliothèques, de précieuses parcelles de vérités historiques et parfois des vérités entières? Sans doute, il faut admettre que le professeur sorti de l’École normale continuera de travailler, faire cas de sa valeur personnelle et beaucoup espérer de son initiative; mais ne comptions-nous pas ainsi sur les qualités natives de nos soldats et de nos officiers, sur leur habileté à s’accommoder aux circonstances et sur le talent, que nous disions tout français, de se « débrouiller? » Par l’expérience, il a paru trop évident qu’il eût mieux valu que nos forteresses fussent préparées à la défense, nos corps d’armée à l’offensive, que nos officiers eussent des cartes de nos frontières et sussent les lire. C’est une règle absolue qu’en toutes sortes d’entreprises on doit laisser au hasard la moindre part, et, quand une institution entend former des professeurs d’histoire et des historiens, elle doit leur fournir les moyens de devenir ce qu’elle veut qu’ils soient. En somme, les élèves historiens ne sont prêts, en sortant de l’Ecole normale, ni pour l’enseignement de l’histoire générale, qu’ils ont apprise en grande hâte, ni pour les recherches sur les temps et les choses difficiles. C’est pour cela que beaucoup, cherchant à se soustraire au service immédiat dans l’Université, sollicitent un congé ou une mission en Angleterre et en Allemagne. Comme des places sont réservées à des élèves sortans dans les écoles d’Athènes et de Rome, ceux qui peuvent les prendre s’en saisissent, et les voilà engagés, non par choix et réflexion, dans les voies de l’histoire ancienne. Certes il ne faut pas se plaindre que l’École normale soit représentée glorieusement dans l’étude de l’antiquité classique et qu’une partie du contingent fourni par elle poursuive les tranchées ouvertes par tant de maîtres illustres dans l’inépuisable carrière du marbre antique; mais il est permis de regretter que, dans une école qui est la pépinière de l’Université de France, les meilleurs parmi les élèves, les vainqueurs des concours d’agrégation, soient sollicités à déserter l’étude de l’histoire de France[1].

L’Ecole des hautes études nous a donné des savans et des critiques. Plus ancienne et déjà vénérable, l’École des chartes a sauvé l’étude de l’histoire de France. Les chartistes ont publié des documens d’une importance capitale. Quelques-uns les ont commentés en étudiant, à ce propos, les plus difficiles questions de l’organisation sociale; d’autres ont écrit l’histoire de grands personnages et, par la même occasion, celle des mœurs et des coutumes à telle ou telle époque; d’autres enfin ont retrouvé les secrets de nos histoires provinciales : quand on voudra se mettre à étudier sérieusement notre histoire, il faudra se mettre à l’école des chartistes. Mais j’exprimais le regret que les élèves des hautes études et des chartes reçussent une culture trop particulière. Il n’est pas bon d’enfermer un jeune homme, au sortir du collège, dans une partie de l’histoire, dans le moyen âge surtout; car cette époque est pleine de séductions que le vulgaire n’y soupçonne point. Le moyen âge a une vie organique riche et variée; il a le labeur prodigieux de ses hommes d’église, théologiens, philosophes, légistes, juges et politiques ; de ses féodaux, qui ont été des souverains et point seulement des batailleurs; de ses paysans, plus vaillans à conquérir la liberté que les nôtres à conquérir la propriété; de ses gens de communes, ouvriers insurgés ou patriciens despotes; de ses rois enfin, procédant de Dieu et de César tout ensemble, sacrés par l’église et instruits par l’homme de loi aux ruses des procureurs, si naïfs et si retors, solennels avec tant de simplicité, cachant sous le manteau béni à Reims une politique sans scrupules dont la persévérance a mis tout un peuple sous leurs pieds. Le moyen âge a ses guerres conduites par des sentimens et des idées ; sentiment du devoir ou du droit féodal, idée chrétienne de l’excellence et de l’universalité nécessaires de l’église, idée césarienne du pouvoir laïque, idée pontificale du pouvoir ecclésiastique, qui recouvrent de leur poésie la violence des hommes, l’esprit d’aventure et le brigandage. Il a son commerce héroïque où le marchand est un découvreur, un soldat, un croisé; sa littérature énorme, où des nouveautés bizarres et grandes s’allient aux restes déformés de la culture antique; ses monumens qui parlent et dont l’architecture révèle à tous la destination, l’église faisant effort vers le ciel, le beffroi surveillant l’horizon, le château étreignant le soi du poids de ses tours. Cette période de l’histoire humaine est faite pour attirer les esprits les plus divers : érudits qui aiment les problèmes difficiles, philosophes qui se plaisent à scruter la pensée humaine en un moment d’élaboration confuse, artistes séduits par l’éclat de tant de couleurs et la variété de tant de lignes, politiques même qu’intéresse le spectacle d’une société produite par le chaos et qui a fini par trouver ses règles et les mettre en codes. Mais l’étude de ces temps reculés est dangereuse. Quiconque n’y apporte point un esprit assez fort pour résister à de semblables séductions, assez libre pour faire à côté du bien la part du mal qui est immense, assez cultivé pour connaître les antécédens, les suites et les points de comparaison, tombe dans le préjugé en faveur du moyen âge, si répandu parmi les chartistes. Il court risque aussi de se perdre dans des détails ou de se confiner dans des recoins, car les recoins sont nombreux, les détails infinis, et l’effet accoutumé d’un apprentissage étroit, où l’étude des moyens techniques d’investigation tient une large place, est d’ôter à l’esprit le sentiment des proportions. On arrive à grossir ce qui est petit, à estimer comme une découverte quelque nouveauté misérable, à tenir pour médiocre ce qui est connu, à laisser les grands chemins pour les sentiers, les sentiers pour les impasses, Charles Martel pour Childebrand. Il ne faut point manier pour le seul plaisir de les manier les instrumens de la découverte historique. Si l’on a porté le microscope sur un grain de poussière, il faut l’y laisser le temps de constater que c’est bien un grain de poussière, pas une minute de plus.

Il y a donc de graves défauts dans ces écoles où se forment les professeurs d’histoire et les historiens. Ajoutez-y celui-ci, qu’elles ont très peu d’élèves. Chaque année, l’École normale donne quatre ou cinq professeurs, l’École des chartes une quinzaine d’archivistes, l’École des hautes études quatre ou cinq jeunes gens capables d’entreprendre des travaux d’érudition; et, parmi les professeurs, plusieurs se contenteront d’être des professeurs ; parmi les archivistes, plusieurs se contenteront d’être des gardiens d’archives. Ces trois écoles réunies ne donnent pas assurément une demi-douzaine d’historiens par année. Comment s’étonner que l’obscurité dure sur tant de points de notre histoire nationale?


II.

Telle est la double cause, politique et administrative, de cet abandon où nous laissons l’histoire de France : nous ne sommes point en un bon état d’esprit pour l’étudier, et il y a de graves défauts dans notre organisation scolaire. Le temps seul change un état d’esprit, mais on peut trouver un remède aux vices d’une organisation. Ce remède est trouvé : on commence à l’appliquer en Sorbonne et dans la plupart des facultés des lettres.

Pendant que ces jeunes gens abandonnés cherchaient des maîtres, les maîtres des facultés cherchaient des élèves. Les facultés de droit et de médecine, en leur qualité d’écoles professionnelles, ont toujours eu leur clientèle assurée d’étudians qui se destinent aux fonctions et professions juridiques ou bien à la profession médicale. La seule fonction à laquelle puissent préparer les facultés des sciences et des lettres, est le professorat; mais comme la grande majorité des professeurs se recrutait et se formait à la grâce de Dieu, pendant que la très petite minorité entrait à l’École normale, ces facultés avaient des auditeurs, mais pas d’élèves. On leur a donné leurs élèves naturels, les futurs professeurs ; ainsi a commencé une réforme de l’enseignement supérieur, qui permet aujourd’hui les plus belles espérances. Pour faire l’histoire de cette réforme, il faudrait remonter au ministère de M. Duruy, bien entendu ; car M. Duruy a mis en route toutes les réformes de l’enseignement public. Il a rapproché l’élève du maître en instituant l’École des hautes études, c’est-à-dire des laboratoires et des conférences, et en donnant des étudians aux facultés des lettres et des sciences. Ceci n’était point facile : on s’adressa aux jeunes gens sur qui l’on avait autorité, aux maîtres d’études, aux professeurs bacheliers qui voulaient devenir licenciés. On nomma, dans les lycées des chefs-lieux académiques où siégeaient les facultés, des maîtres auxiliaires, à qui l’on donna le vivre et le couvert et peu de besogne. On engagea les jeunes professeurs du ressort académique à se rendre au chef-lieu, le jeudi, pour y suivre les conférences qu’on avait accumulées sur cette journée-là. Le ministre négocia avec les compagnies de chemin de fer afin d’obtenir le parcours à prix réduit pour ces pèlerins universitaires. Il suivait avec une sollicitude constante le progrès de ces petites écoles normales secondaires, qui naissaient et croissaient. Par tous ces moyens, les facultés les plus favorisées obtenaient une vingtaine d’élèves. M. Duruy aurait voulu faire davantage. Dans le rapport à l’empereur, qui précède la Statistique de l’enseignement supérieur, publiée en 1867, il parle de la nécessité de donner aux facultés des élèves boursiers; d’y multiplier les moyens de travail; de doter largement laboratoires et bibliothèques ; mais le budget d’alors n’était pas généreux envers l’instruction publique : le malheur ne nous avait point encore appris qu’une économie faite sur l’école coûte cher. Aujourd’hui le budget n’a pour nous que des largesses ; il nous comble, dès que nous avons désiré ; il va même au-devant de nos désirs. Un des meilleurs emplois de cette générosité patriotique est l’institution de bourses nombreuses, — bourses de licence, créées par M. Waddington et bourses d’agrégation, créées par M. Ferry, — qui permettent à des jeunes gens de se préparer auprès des facultés aux grades et aux fonctions universitaires. Les boursiers ont été à peine réunis auprès des maîtres que les étudians libres sont accourus. Il y a aujourd’hui près de quatre cents étudians à la faculté des sciences; il y en a plus de trois cent cinquante à la faculté des lettres, et le progrès a été si rapide pendant ces dernières années qu’il est difficile de dire où il s’arrêtera. On en jugera par l’extraordinaire accroissement qui s’est produit d’une année à l’autre dans le nombre des étudians en histoire.

Le 28 octobre 1880, des professeurs de la faculté des lettres se réunissaient dans le cabinet de M. Gréard, vice-recteur de l’académie de Paris, avec des maîtres de conférences de l’Ecole des hautes études pour se partager l’étude des auteurs et des questions marquées au programme de l’agrégation d’histoire et de géographie. C’était une heureuse innovation que de grouper ainsi des hommes séparés par un cadre administratif, mais unis par la communauté de la vocation et tous désireux de fonder en Sorbonne une école historique. Huit jours après, le comité d’histoire, présidé par M. Wallon, alors doyen de la faculté, faisait comparaître devant lui les candidats à l’agrégation : c’étaient deux boursiers, une douzaine de professeurs d’histoire licenciés, délégués dans les lycées de Paris. Le 22 novembre, dans une troisième séance, les professeurs et maîtres de conférences rédigeaient une affiche portant en tête : « Agrégation d’histoire et de géographie. Conférences et exercices préparatoires. » Chacun avait choisi son auteur, sa question; chacun s’était engagé à diriger des exercices pratiques et à donner aux candidats les indications utiles à leurs études. On avait décidé que ces conférences seraient ouvertes seulement aux boursiers de la faculté, aux élèves de l’École normale et de l’École des hautes études et aux étudians régulièrement inscrits sur un registre spécial ouvert au secrétariat de la faculté ; que l’entrée en serait défendue contre le public par un appariteur spécial ; que des livres seraient achetés au moyen d’un crédit à solliciter du ministère. Dans une dernière réunion, tenue le 4 janvier 1881, la liste des livres à acquérir fut arrêtée. Déjà les conférences étaient ouvertes et le petit séminaire d’histoire en activité. Tout ce qui avait été demandé avait été accordé. A la première séance du comité assistait M. Dumont, directeur de l’enseignement supérieur, qui, après M. du Mesnil, perpétue au ministère la tradition du dévoûment éclairé aux grands intérêts de l’enseignement supérieur.

Cette première année d’enseignement intime de l’histoire s’est bien passée. Des élèves de l’École normale et quelques étudians libres s’étaient joints aux boursiers et aux délégués : nous avions vingt-cinq élèves, auxquels les conférences ont rendu de grands services. Mais ces conférences n’étaient qu’un essai d’organisation de l’enseignement historique en Sorbonne. Nous pensions qu’il n’est point de la dignité d’une faculté de préparer des étudians pour un concours, si relevé qu’il soit. D’ailleurs les jeunes gens que nous avions devant nous étaient pressés de terminer leurs études tardives. Quiconque prépare un examen à courte échéance n’écoute ni son maître, ni lui-même : il entend à l’avance les questions de l’examinateur. En aidant nos élèves, nous préparions ce passé où on les avait laissés errer sans guides, nous ne préparions pas l’avenir; mais il était permis d’espérer que l’année suivante amènerait à la faculté des étudians plus jeunes, qu’elle garderait assez longtemps pour leur donner l’éducation historique. Cette espérance n’a pas été trompée. Les étudians ont amené des étudians, le travail des travailleurs, et la réforme de la licence ès-lettres est venue, fort à propos, seconder nos efforts. Cet examen reste un examen littéraire, mais il n’a plus l’inflexible uniformité d’autrefois : il tient compte des vocations particulières. Le futur historien y trouve des épreuves littéraires sérieuses, une composition en français, une autre en latin, et des explications d’auteurs grecs, français, latins ; mais certaines épreuves de la licence ès-lettres pure lui sont épargnées ; il les remplace par des épreuves historiques. Le premier examen de la licence ainsi modifié ne se fera qu’au mois de juillet 1882 ; mais la seule annonce de cette réforme a eu pour effet de nous amener plus d’une centaine d’étudians en lettres et histoire. C’est la première fois qu’en France tant de jeunes gens se trouvent réunis pour étudier l’histoire.

Dès le début de l’année scolaire, le comité d’histoire s’est réuni, sous la présidence de son directeur, M. Himly, aujourd’hui doyen de la Faculté des lettres. Cette première séance a été employée à rédiger l’affiche et à répartir entre les professeurs les matières du concours d’agrégation. Mais nous avions désormais mieux à faire que de préparer des candidats à l’agrégation ; le moment était venu d’organiser une école historique. Il fut décidé que l’affiche annoncerait un ensemble de cours et de conférences faits à la Faculté et à l’Ecole des hautes études, et propres à servir, par la variété des sujets et des méthodes, à l’éducation d’un historien. Ces cours sont très nombreux. Dès la fin de la dernière année scolaire, un cours de philologie et d’histoire grecque[2] ; au commencement de celle-ci, un cours de paléographie et de diplomatique du moyen âge et un cours d’histoire contemporaine ont été institués. Peu à peu, les vides se comblent, les desiderata sont satisfaits. Il est donné aujourd’hui à la Sorbonne vingt-cinq leçons d’histoire et de géographie par semaine. Il s’agit maintenant de diriger les étudians, de mettre de l’ordre dans leur travail et de déterminer un système d’éducation où chacun d’eux prendra ce qui convient à ses forces, à ses goûts et à sa vocation.

C’est une garantie de succès que le comité d’histoire voie bien toutes les difficultés de l’œuvre entreprise.

L’éducation la plus parfaite serait celle qui formerait un historien sans programme ni souci des futures exigences d’un métier. Un jeune homme arrive à la Faculté : son goût et le libre choix de sa volonté le prédisposent aux études historiques. Aucune contrainte ne lui est imposée. Il demande à l’enseignement des lettres et des sciences d’achever la culture de son esprit, et en même temps il apprend à connaître l’immensité du domaine historique. Les professeurs et les livres lui donnent les notions actuellement acquises sur les périodes principales de l’histoire. Sa jeune intelligence, déjà sérieuse et réfléchie, se pénètre d’idées générales dont il vérifiera lui-même un jour la valeur, mais qui seront ses guides provisoires. S’il lui plaît de s’arrêter dans quelque recoin obscur, elles y entreront avec lui pour lui rappeler que l’histoire, c’est toujours et partout l’étude de l’être humain, placé à tel moment de la durée, à tel endroit de l’espace. Cette partie de son éducation terminée, l’étudiant apprend ce qu’il faut savoir pour arriver par soi-même à la connaissance de la vérité. Il manie tous les instrumens, le microscope dont je parlais; mais sans danger, car l’objet considéré par lui a beau être très petit, il est illuminé par tous les rayons de la lumière céleste qui pénètrent le verre grossissant. Supposez maintenant que cet étudiant devenu un homme soit libre encore dans la vie : sa curiosité se porte sur les points discernés et choisis par lui ; il apprend ce qu’il veut savoir, et il n’est jamais tenu à dire que ce qu’il sait. Voilà un historien privilégié. Il viendra un jour à la faculté des étudians de cette sorte ; il en vient même déjà ; mais le groupe principal de nos élèves se composera toujours de candidats aux grades et aux fonctions universitaires. Or les professeurs de la Sorbonne, à qui l’état donne des boursiers de licence et d’agrégation, ont le devoir de former de bons maîtres pour les lycées et les collèges, et, dans ces maîtres, ils veulent en même temps préparer l’historien. L’éducation professionnelle ne nuira-t-elle pas à l’instruction scientifique ou l’instruction scientifique à l’éducation professionnelle? Peut-on préparer à la fois à l’enseignement, qui est une affirmation, et à la pratique de la méthode historique, qui est une recherche? Ne courton pas le risque que ces étudians deviennent des savans que leurs élèves ne comprendront pas, ou bien des professeurs qui, accoutumés à jurer in verba magistri, n’auront point l’activité des intelligences affranchies par l’usage personnel de la liberté? Oui, sans doute, et, pour éviter l’un et l’autre terme de l’alternative, pour concilier les deux propositions de l’antinomie, il faut prendre ses précautions. On les prendra. Il suffit de préparer les futurs professeurs à la licence et à l’agrégation, en ayant toujours devant les yeux l’étudiant idéal dont je parlais tout à l’heure.

Nos étudians ne se présenteront à l’examen de licence qu’après deux années d’études faites à la faculté. Les professeurs d’histoire se garderont de les accaparer pendant ce biennium. Ces jeunes gens poursuivront leur éducation littéraire ; ils s’exerceront dans l’art de composer et d’écrire, à cet âge où le style se fait avec la personne ; ils apprendront par l’étude des grandes littératures quel secours l’histoire de la vie intellectuelle d’un peuple apporte à qui en veut connaître l’histoire politique et sociale; ils comprendront, en suivant la conférence de philologie et d’histoire grecques, que la philologie est l’indispensable science auxiliaire de l’histoire ancienne, puisque cette histoire nous est révélée par des textes dont la critique et l’interprétation réclament un philologue. Nous nous contenterons de traiter avec eux les principales questions de l’histoire générale ; mais déjà nous les munirons de connaissances bibliographiques, de notions sommaires, mais précises de paléographie, de diplomatique et de chronologie. Ce sont encore là des sciences auxiliaires ; mais la modestie de l’épithète ne doit pas tromper sur l’importance de la chose: ces sciences ne sont pas l’histoire, pas plus que l’outil n’est l’œuvre ; mais elles sont nécessaires à l’historien comme à l’ouvrier l’outil. Ainsi, pendant ces deux premières années, un commencement d’instruction pratique viendra s’ajouter à l’enseignement général. Quand les étudians seront licenciés, ils se prépareront pendant deux années au concours d’agrégation. En étudiant les auteurs dont on leur demandera, au concours, l’explication et le commentaire, ils s’exerceront à lire un écrivain ou un document, à définir les termes historiques, lesquels, désignant les institutions et les usages, ont une histoire et, si je puis dire, une géographie ; car ils ne signifient pas la même chose à des momens et dans des lieux différens, et l’on commet de graves erreurs pour ne pas les traiter comme des personnes, qu’il faut placer dans le milieu historique et géographique où elles ont vécu. Enfin la préparation des questions historiques, indiquées au programme sous le nom de thèses, obligera l’étudiant à écrire sous l’œil du maître quelques chapitres d’histoire. Il n’y a pas de doute que ces jeunes gens seront mieux préparés que leurs devanciers au travail historique. Pour se former au professorat, ils auront, pendant toute la durée de leurs études, des exercices hebdomadaires où ils apprendront comment il faut enseigner, avec quelle simplicité, avec quelle clarté, avec quelle méthode, en laissant de côté l’appareil des recherches et de l’érudition.

Je n’ai parlé que des étudians proprement dits de la faculté; mais les élèves de l’École normale et de l’École des chartes sont aussi les bienvenus aux conférences d’histoire. Ils y choisissent ce qu’il leur plaît d’y prendre. La Sorbonne est un terrain commun pour des jeunes gens qui ont profit à se rencontrer ; car le goût français des instituts isolés clos de murailles est aussi un obstacle au progrès des études. Les uns ignorent ce qui se passe chez les autres : on ne se connaît pas, on ne s’aime pas. On est réparti en petites corporations dont chacune garde soigneusement ses défauts. L’élève de l’École des hautes études croyait déroger à sa qualité de futur savant s’il allait écouter les cours de la faculté. L’élève de la faculté trouvait barbares et pédantesques les leçons de l’École des hautes études. Pour le normalien, le chartiste était un ouvrier incapable de passer architecte ; le chartiste tenait le normalien pour un constructeur de façades où tout était en apparence. Il est bon qu’ils vivent les uns à côté des autres, sous la direction de maîtres sortis les uns de l’École normale, les autres de l’École des chartes, appartenant les uns à la faculté, les autres à l’Ecole des hautes études, et qu’ils s’entendent pour trouver et appliquer ensemble le meilleur système d’éducation historique.

Ce n’était donc pas sans raison qu’on disait tout à l’heure que de grandes espérances sont permises. Cette jeunesse rajeunit la Sorbonne. Elle a pour domicile provisoire, rue Gerson, un baraquement en planches, où se trouve une salle de conférences pour l’histoire, une autre pour la grammaire et les lettres. Ce n’est plus la salle des cours publics, banale, avec ses bancs sans tables et sans dossiers, disposés en gradins et salis par les pieds du passant inconnu. C’est une vraie salle de cours, avec table et encriers, tableaux et cartes sur les murs. Jadis le professeur qui se rendait en Sorbonne pour faire ce qu’on appelait la petite leçon se demandait en chemin s’il ne trouverait pas la salle vide ; car il n’avait point à compter avec le public de la grande leçon, écarté par l’heure matinale et par la nature même du sujet traité. Assis à sa place habituelle, il apercevait dans un amphithéâtre qui peut contenir quelques centaines de personnes de rares auditeurs appuyés aux murs et séparés par de longues rangées de bancs inoccupés. Il parlait sans regarder dans ce vide, la tête vers ses notes, vers son livre, vers sa montre, qui ne marquait pas assez vite la fin de ce monologue dans le désert. Aujourd’hui, la présence d’étudians que l’on connaît, qui parlent et à qui l’on parle, comme il convient entre personnes vivantes, a changé cet ennui en un plaisir. Auprès des salles de conférences, les étudians ont des salles d’études où sont réunis déjà les livres, documens, dictionnaires et atlas les plus nécessaires à leur travail. Ils y peuvent demeurer jusqu’au soir. C’est assez pour leur donner l’idée que la faculté des lettres est leur domicile intellectuel. Enfin les professeurs ont un cabinet. Ceux qui connaissent le local accolé à l’amphithéâtre de la faculté dans la Sorbonne, réduit misérable où le professeur s’arrête pour suspendre son pardessus à un mur blanchi, avant de se rendre à sa chaire par un corridor noir qui sert de bûcher, s’étonneront d’apprendre que le cabinet des baraquemens a deux fenêtres, une cheminée, quatre fauteuils, autant de chaises, une pendule, une grande table, une bibliothèque. Cela donne au professeur aussi l’idée qu’il est chez lui. Il y vient, il y reste volontiers : les étudians frappent à sa porte pour se faire connaître de lui et recevoir ses conseils.

L’enseignement public est toujours donné à tout venant dans les amphithéâtres, et la grande leçon n’est pas supprimée. Il faut qu’elle dure, car elle rend service à tout le monde. Peut-être la présence des étudians au cours public changera-t-elle par l’effet du bon exemple les habitudes et la tenue d’une partie du public ; car un professeur assis en sa chaire de Sorbonne voit des choses singulières pendant qu’il parle. Il ne peut se plaindre que l’on dorme : dormir est le droit des personnes âgées qui écoutent ; mais lire son journal, circuler comme si l’on était chez soi : arriver à tout moment de la leçon, même à la fin, comme si l’on était un amateur spécial et un collectionneur de péroraisons ; paraître sur les hauts degrés de l’amphithéâtre et rester ou partir, suivant que le visage du professeur plaît ou déplaît ; amener un chien avec soi ; quitter sa place et gagner la porte, quand on flaire la fin, pour n’être point pressé à la sortie, comme on fait au théâtre cinq minutes avant la chute du rideau, cela passe la permission, et il serait temps de protéger contre ces inconvenances le professeur et la partie sérieuse et permanente de l’auditoire. Mais les abus et les ridicules ne prouvent rien contre le cours public. Il est une école intellectuelle, largement ouverte, qui entretient dans la société française le goût des choses de l’esprit. Il est utile, nécessaire même au professeur et à l’étudiant, car le professeur a dans le cours privé le sans-façon de l’intimité ; il travaille avec ses élèves en tenue d’ouvrier. Le cours public l’oblige à se contraindre, à exposer, non ses recherches, mais le résultat de ses recherches, à éliminer le détail qui ne vaut que par la contribution apportée à l’ensemble ; à montrer aux étudians qu’après avoir, dans un long travail préparatoire, réuni des matériaux dont on a éprouvé la valeur, il faut les disposer avec art et les dresser en édifice.


III.

Il est peut-être téméraire de rêver de l’avenir d’une institution naissante ; mais cela est permis, quand l’institution a été longtemps désirée et répond à des besoins durables. Représentons-nous donc l’avenir, un avenir lointain, car les effets de causes intellectuelles se produisent lentement. On peut être assuré que le plus grand nombre des travailleurs se porteront sur l’histoire de France. Il ne sera point impossible de coordonner leurs efforts ; car la faculté de Paris où se passent presque toutes les épreuves doctorales, approuve ou rejette les sujets de thèse qu’on lui propose, et il arrive souvent que les professeurs indiquent ces sujets. Ils savent quelles choses on ignore dont la connaissance importe ; ils ont qualité pour désigner à leurs élèves tel ou tel objet de recherches. Cette organisation du travail se fera sans contrarier les goûts ni gêner la liberté de personne. Les uns, se plaisant aux grandes questions générales, étudieront une période de l’histoire de la royauté française; des juristes, les difficiles questions de l’état des choses et des personnes aux différens momens de notre histoire. Rennes, Toulouse, Montpellier, Dijon, Lyon, Bordeaux, toutes nos vieilles capitales où siègent aujourd’hui nos facultés, rajeuniront et compléteront nos annales provinciales; nous aurons des histoires d’institutions, de personnages, de villes; et ainsi, par l’usage des documens connus et des travaux déjà faits, par la découverte et la mise en œuvre de documens nouveaux, ce qui méritera de revivre revivra; ce qui n’est pas impénétrable sera pénétré. Chacun de nous sera fortifié en sentant qu’il fait partie d’une légion. Les revues spéciales de critique et d’information, déjà fondées, nous mettront au courant de ce qui se passe partout, des œuvres faites, même de celles qui se préparent. On s’ingéniera certainement à multiplier les moyens de travail. Il faut, par exemple, résumer les connaissances acquises sur l’histoire du moyen âge, en dresser l’inventaire, marquer le point où l’on est arrivé : ce sera l’œuvre de dictionnaires historiques pour lesquels les collaborateurs ne manqueront plus. Il faut résumer l’histoire du droit en France, droit civil, droit politique, droit ecclésiastique dans des manuels qui soient la classification bien faite, avec citations abondantes, des documens sur la matière. Il faut entreprendre la composition d’annuaires, dressés règne par règne, où chaque fois soit mis à sa date, avec l’indication des textes qui nous l’ont révélé. Il faut remettre en circulation les produits admirables de la vieille érudition française, découper dans les in-folio des trois derniers siècles, soit des documens essentiels, soit des dissertations modèles et les mettre en un format commode à la portée de toutes les bourses et de toutes les mains. A mesure que s’accomplira cet immense travail, des historiens qui ont l’aptitude aux vues d’ensemble et ce talent particulier de résumer les choses acquises entreprendront de rédiger par périodes l’histoire de la France.

Pendant ce temps, les professeurs d’histoire ne se formeront plus au hasard. Dans nos collèges, nul n’enseignera sans être pourvu du diplôme de licencié. Nos lycées n’auront plus que des professeurs abrégés. Les plus vaillans et les plus instruits mettront en usage les moyens de travail qui leur auront été donnés et subiront les épreuves du doctorat pour recruter les facultés. L’enseignement à tous ses degrés sera meilleur, et les maîtres, mieux instruits, aidés par de meilleurs livres, feront pénétrer dans toute la nation la connaissance de notre histoire.

Telle doit être, en effet, la pensée maîtresse et directrice de ce grand travail qui s’accomplira, si nous le voulons bien : apprendre aux Français leur histoire. Ils l’ignorent plus qu’aucun autre peuple civilisé n’ignore la sienne. On en a dit la cause : pour juger des effets, il faut faire la curieuse et triste expérience de chercher dans l’esprit de jeunes hommes sortis de l’école primaire ou de l’école secondaire les souvenirs que l’enseignement historique y a laissés. L’élève de l’école primaire apprend des noms, c’est-à-dire des mots, et des dates, c’est-à-dire des chiffres, reliés par des phrases et des formules ; mais on ne sait pas mieux son histoire, pour avoir rangé dans sa tête un magasin de faits et de dates, que sa langue pour appliquer imperturbablement en tout cas difficile la règle des participes ou toute autre invention des grammairiens. L’élève de l’enseignement secondaire donne au baccalauréat la mesure de sa force. Si l’on écarte, d’une part, la catégorie misérable et nombreuse des candidats spécialement dressés pour l’examen, nourris, comme certains volatiles, par des procédés artificiels, indifférens à tout ce qui n’est pas du programme, ignorans jusqu’au scandale, capables même de ne pas dire l’ordre où se sont succédé nos dynasties nationales, et, d’autre part, les rares jeunes gens qui, doués d’une aptitude particulière et, bien instruits par de bons maîtres, satisfont l’examinateur en montrant qu’ils comprennent l’histoire, il reste une moyenne de candidats honnêtes. Ceux-ci savent plus d’une chose qu’ignore l’élève de l’école primaire : des détails sur quelques hommes et sur quelques événemens, des faits de l’histoire étrangère ; mais il ne faut pas leur demander de pénétrer au-dessous de la surface : la banale surface est tout ce qu’ils connaissent. Ils diront tous les termes du problème de la succession d’Espagne, par exemple ; mais si l’on cherche leur sentiment sur le droit de ce prince à disposer de ses peuples par testament, de cet autre à revendiquer les mêmes peuples du chef de sa femme, de sa mère ou de sa grand’mère, — sans que les peuples s’indignent ou même s’étonnent, — le candidat n’a pas de sentiment sur ce point. Il ne sait pas l’ordre chronologique des idées générales qui ont réglé l’opinion de l’humanité sur elle-même et celle des nations dans leurs rapports avec leurs chefs: cela pourtant, c’est de l’histoire. Ils énuméreront les manufactures fondées par Colbert, mais ne répondront jamais à une question, même facile, sur les lois et coutumes du travail en France, au temps où Colbert en était le grand ordonnateur. Pourtant les lois du travail, cette source de la richesse et aussi du progrès de l’esprit, cette cause effective des transformations sociales et politiques, c’est encore de l’histoire apparemment. Et toujours le candidat demeure muet quand on l’interroge sur les vrais faits de la véritable histoire. Il n’est pas arrivé une seule fois qu’on m’ait répondu à cette question : « Qu’est-ce que les états-généraux, et que signifie le mot état? » On dirait que l’ancienne société française soit morte depuis des siècles, et qu’on n’y puisse rien trouver qui mérite une étude.

Que se passe-t-il donc, après quelques années écoulées, dans ces têtes mal instruites? Les vagues souvenirs deviennent plus vagues; les rares traits connus des figures historiques s’effacent; les compartimens du cadre chronologique cèdent : Clovis, Charlemagne, saint Louis, Henri IV tombent de leur place, comme des portraits suspendus par un clou fragile à un mur de plâtre; ils errent dans ces mémoires confuses où le brouillard s’épaissit en ténèbres, et ces écoliers sont des Français en vertu du hasard qui les a fait naître en France, mais ils vivront comme des étrangers parmi les monumens de leurs ancêtres.

Bien autre sera le résultat, lorsque tous les professeurs d’histoire auront reçu l’éducation historique et, s’adressant à la raison autant qu’à la mémoire des élèves, les introduiront dans l’intimité de l’histoire. Il ne s’agit pas d’initier des enfans à l’érudition, ni de leur prêcher une philosophie de l’histoire en substituant aux faits des sentences qui seraient à peine intelligibles à des hommes et à des hommes intelligens. Il s’agit de choisir les faits, de laisser tomber les menus et les inutiles, de jeter toute la lumière sur ceux dont la connaissance importe et d’en dérouler la série, de façon que l’écolier sache comment a vécu la France. On dit que l’histoire des mœurs et des institutions ne peut être enseignée à des écoliers. Non, elle ne peut être enseignée par termes abstraits, par des phrases et des théories ; mais à tous les momens de la vie française se trouvent des faits, même des anecdotes qui expliquent les choses, et il y a une pédagogie de l’enseignement historique : c’est non point une science rébarbative, mais l’art de placer l’écolier au point exact d’où il verra bien et comprendra vite. Il serait ridicule de dépouiller devant un enfant des chartes et des cartulaires pour y chercher la condition des terres et des personnes, mais il est possible de décrire simplement cette condition en se servant des mots connus et des notions élémentaires que possède tout enfant sur la société où il vit. Autant il est dangereux à l’historien, autant il est nécessaire au professeur de choisir son point de départ dans le présent pour expliquer le passé. Les mots aujourd’hui, autrefois, doivent revenir sans cesse pour faire: pénétrer dans les jeunes têtes la notion du temps et du développement historique. Cet art difficile, bien des maîtres le devinent et le pratiquent, et je demande aux lecteurs de la Revue la permission de leur conter une visite que j’ai faite dans la plus petite classe d’une école primaire de Paris.

J’arrivai au moment où un jeune maître commençait une leçon sur la féodalité. Il n’entendait pas son métier, car il parlait de l’hérédité des offices et des bénéfices, qui laissait absolument indifférens les enfans de huit ans auxquels il s’adressait. Entre le directeur de l’école[3]; il interrompt, et, s’adressant à toute la classe : « Qui est-ce qui a déjà vu ici un château du temps de la féodalité? » Personne ne répond. Le maître s’adressant alors à un de ces jeunes habitans du faubourg Saint-Antoine : « Tu n’as donc jamais été à Vincennes ? — Si, monsieur. — Eh bien! tu as vu un château du temps de la féodalité. » Voilà le point de départ trouvé dans le présent. « Comment est-il ce château? » Plusieurs enfans répondent à la fois. Le maître en prend un, le conduit au tableau, obtient un dessin informe qu’il rectifie. Il marque des échancrures dans la muraille. « Qu’est-ce que c’est que cela? » Personne ne le savait. Il définit le créneau. « A quoi cela servait-il? » Il fait deviner que cela servait à la défense. « Avec quoi se battait-on? avec des fusils? » La majorité : « Non, monsieur. — Avec quoi? » Un jeune savant crie du bout de la classe : « Avec des arcs. — Qu’est-ce qu’un arc? » Dix voix répondent : « Monsieur, c’est une arbalète. » Le maître sourit et explique la différence. Puis il dit comme il était difficile de prendre avec des arcs et même avec les machines du temps un château, dont les murailles étaient hautes et larges, et continuant : « Quand vous serez ouvriers, bons ouvriers, que vous voyagerez pour votre travail ou pour votre plaisir, vous rencontrerez des ruines de châteaux. « Il nomme Montlhéry et autres ruines dans le voisinage de Paris. « Dans chacun d’eux il y avait un seigneur. Que faisaient tous ces seigneurs? » Toute la classe répond : « Ils se battaient. » Alors le maître dépeint devant ces enfans, dont pas un ne perd une de ses paroles, la guerre féodale, mettant les chevaliers en selle et les couvrant de leurs armures. « Mais on ne prend pas un château avec des cuirasses et des lances. Alors la guerre ne finissait pas. Et qui est-ce qui souffrait surtout de la guerre ? Ceux qui n’avaient pas de châteaux, les paysans qui, dans ce temps-là, travaillaient pour le seigneur. C’est la chaumière des paysans du seigneur voisin qu’on brûlait. « Ah ! tu me brûles mes chaumières, disait le seigneur attaqué ; je vais te brûler les tiennes. » Il le faisait, et il brûlait, non-seulement les chaumières, mais encore les recolles. El qu’arrive-t-il quand on brûle les récoltes ? Il y a la famine. Est-ce qu’on peut vivre sans, manger ? » Toute la classe : « Non, monsieur. — Alors, il a bien fallu trouver un remède. » Le voilà qui parle de la trêve de Dieu ; puis il commente : « C’est une singulière loi, par exemple. Comment ! on dit à des brigands : « Restez tranquilles du samedi soir au mercredi matin, mais le reste du temps, ne vous gênez pas, battez-vous, brûlez, pillez, tuez ! » Ils étaient donc fous, ces gens-là ? » Une voix : « Bien sûr. — Mais non, ils n’étaient pas fous. Écoutez-moi bien. Il y a ici des paresseux. Je fais ce que je puis pour qu’ils travaillent toute la semaine ; mais je serais à moitié content de les voir travailler jusqu’au mercredi. L’église aurait bien voulu qu’on ne se battît pas du tout ; mais, comme elle ne pouvait l’obtenir, elle a essayé de faire rester les seigneurs tranquilles une moitié de la semaine. C’était toujours, cela de gagné. Mais l’église n’a pas réussi. Il fallait la force contre la force, et c’est le roi qui a mis tous ces gens à la raison. » Alors le maître explique que les seigneurs n’étaient pas égaux les uns aux autres, qu’il y avait au-dessus du maître de tel château un seigneur plus puissant et plus élevé, habitant dans un autre château. Il donne une idée, presque juste, de l’échelle féodale, et, tout en haut, il place le roi. « Quand des gens se battent entre eux, qui est-ce qui les arrête ? » Réponse : « Les sergens de ville. — Eh bien, le roi était un sergent de ville. — Qu’est-ce qu’on fait de ceux qui ont battu et tué quelqu’un ? » Réponse : « On les juge. — Eh bien ! le roi était un juge. Est-ce qu’on peut se passer de gendarmes et de juges ? — Non, monsieur. — Eh bien ! les anciens rois ont été aussi utiles à la France que les gendarmes et les juges. Ils ont fait du mal dans la suite, mais ils ont commencé par faire du bien. Qu’est-ce que je dis ? aussi utiles ? Bien plus ; car il y avait alors plus de brigands qu’aujourd’hui. C’étaient des gens féroces que ces seigneurs, n’est-ce pas ? » La classe : « Oui, monsieur. — Et le peuple, mes enfans, valait-il mieux ? » Réponse unanime, d’un ton convaincu : « Oui, monsieur. — Eh bien ! non, mes enfans. Quand ils étaient lâchés, les gens du peuple étaient des gens terribles. Ils pillaient, brûlaient, tuaient, eux aussi ; ils tuaient les femmes et les enfans. Pensez qu’ils ne savaient pas ce qui était bien, ni ce qui était mal. On ne leur apprenait pas à lire. »

Sur ce mot qui n’est qu’à moitié juste, finit une leçon qui avait duré à peine une demi-heure. Formons des maîtres comme celui-là. Mettons dans leurs mains des livres où ils trouvent, simplement exposés, les principaux faits de l’histoire de la civilisation. Ne deviendront-ils pas capables d’enseigner aux enfans l’histoire de la France ?

Oui certes, cette histoire peut être enseignée. On peut tirer de Grégoire de Tours mille traits pour peindre le roi mérovingien. On peut, après avoir exposé le désordre où tombe la Gaule franque, à l’époque de la décadence carolingienne, montrer comment se sont formés ces groupes qui subissent ou choisissent un maître tout près d’eux et se taillent des patries de quelques lieues carrées, dans la grande qu’ils ne connaissent plus; introduire dans ce chaos le roi capétien à son début; dire comme il vivait; le conduire de château en château, de monastère en monastère ; décrire sa cour primitive, son conseil, les cérémonies et les fêtes, dire l’idée qu’il avait et celle qu’il donnait de lui; opposer au roi ses grands vassaux, à sa cour celle d’un Robert de Normandie, d’un Eudes de Champagne, d’un Raymond de Toulouse, d’un Guillaume d’Aquitaine; entourer ceux-ci de leurs vassaux ; redresser le relief de l’ancienne France; retrouver au-dessous des maîtres du monde la masse de ceux qui peinent, la cabane du paysan ou l’atelier de l’artisan; raconter leur vie que nous connaissons, leurs misères, leurs plaisirs et la grande lutte pour la liberté; suivre le progrès sans trêve, dans la mauvaise comme dans la bonne fortune, du pouvoir royal; faire saisir les modes de ce progrès; dire comment le roi devint le juge de tous, après que Philippe Auguste eut jugé Jean sans Terre, saint Louis cassé en appel un jugement de son frère le comte d’Anjou ; Philippe IV et Charles V confisqué l’Aquitaine par arrêt; Charles VII.

Louis XI frappé les brigands et châtié les rebelles; comment le roi devint le maître d’une armée à lui appartenant, quand il jugea insuffisant le service de cette armée féodale où le devoir de chacun des vassaux était réglé par un contrat particulier, car nombre d’entre eux devaient au roi leur suzerain un jour de service, et encore dans les limites mêmes de leurs fiefs, de façon qu’ils pussent rentrer à la nuit tombante et coucher dans leur lit; ce que fut au début l’armée royale où des chevaliers déclassés se rencontraient avec des soldats d’aventure, brigands comme eux, continuant, après la paix faite, le métier de la guerre contre le paysan, le bourgeois ou le prêtre; pourquoi il fallut tirer de ces bandes un corps d’élite, que l’on disciplina et qui devint l’armée permanente; comment le roi, obligé de payer ses soldats et ses serviteurs, devenus plus nombreux à mesure qu’il devenait plus puissant, ajouta les finances publiques à ses revenus de propriétaire et ouvrit à ses collecteurs les domaines de ses hauts barons, en même temps qu’il y introduisait les sergens de ses justices; comment enfin la royauté trouva au jour précis, pour ces fonctions nouvelles, des organes nouveaux, les cours et conseils de justice, de finances et de politique, gardiens du trésor sans cesse accru des traditions monarchiques, et qui défendirent l’intégrité des attributions royales envers et contre tous, même contre le roi. C’est ainsi que la monarchie fit l’unité de la France, et, renversant les hautes barrières intérieures, étendit les regards des Français jusqu’à la frontière, au moment même où ce long contact avec l’étranger, qui fut la guerre de cent ans, révélait la patrie, comme le moi prend conscience de lui-même au contact du non-moi.

Ne faut-il pas apprendre à de jeunes Français l’histoire de cette formation de la France? Ne peut-on leur montrer aussi que la monarchie est devenue absolue, en faisant l’unité, et que les trois ordres de la nation ont été vaincus les uns après les autres, pour s’être haïs les uns les autres, et pour avoir combattu tantôt église et tiers-état contre noblesse, tantôt noblesse et tiers-état contre clergé, tantôt noblesse et clergé contre tiers-état, toujours sous le commandement du roi, de sorte que chacun d’eux a imité le cheval qui voulait se venger du cerf et s’est asservi par sa victoire? Ces origines expliquées, reste à suivre la marche fatale d’un pouvoir sans ennemis et sans obstacles, qui perd toute mesure, s’arrête au milieu de son œuvre, pour en jouir; laisse aux privilégiés leurs privilèges, après avoir détruit l’autorité politique qui en était la raison d’être ; se fait un cortège des adversaires d’autrefois ; exploite avec eux le royaume à outrance ; prodigue l’argent et le sang des sujets; laisse tomber à dessein l’obscurité sur les vieilles lois et les vieilles coutumes, et, ne sachant plus d’où il est venu ni où il va, ne trouve rien à répondre quand la raison publique éveillée lui demande des comptes que la force révolutionnaire finit par lui arracher.

Encore une fois, il faudrait sous les mots montrer les faits et mettre en actions l’histoire comme on fait pour la morale, afin d’en graver les préceptes dans le cœur des enfans. On enseignerait par la même méthode l’histoire des guerres et des relations extérieures, laissant tomber quantité de menus faits et de noms de batailles, mais peignant la guerre avec ses aspects multiples : sauvage et brutale au temps mérovingien; sauvage, mais grande et civilisatrice au temps carolingien ; devenue le droit de chacun au temps féodal pour n’être plus ensuite qu’un droit du roi. On décrirait quelques combats bien choisis; on mettrait aux prises les casques et les turbans, les chevaliers de France et les milices de Flandre et d’Angleterre ; on culbuterait les escadrons féodaux dans le fossé de Courtral, pour leur donner leur revanche à Mons-en-Puelle. On ferait comprendre la puissance de ce grand personnage historique, le canon. On raconterait l’histoire du métier militaire, jusqu’au jour où il y a eu un devoir militaire et où la guerre, de monarchique qu’elle était, est devenue nationale et plus terrible, puisqu’elle peut aujourd’hui décider même de la vie d’un peuple. L’histoire militaire est l’occasion naturelle de faire connaître l’étranger et de découvrir ainsi aux yeux de l’élève le monde extérieur, de dire l’essentiel sur la vie de chacun des grands peuples et d’expliquer pourquoi, en se mesurant avec nous, à telle ou telle date, ils ont été victorieux ou vaincus ; car il y a des raisons à toutes les victoires et à toutes les défaites.

On dira que le champ est immense et que des enfans sont bien petits pour y suivre le maître ; mais on a pour soi le temps et le progrès de la raison enfantine. Je parlais tout à l’heure d’une petite classe primaire, du premier degré de l’enseignement historique. Quand on a ainsi confié à la mémoire de tout jeunes enfans quelques notions justes et pittoresques sur les périodes diverses de l’histoire, il est aisé de les reprendre dans la suite et d’y ajouter, chaque année apportant son contingent d’idées et de faits nouveaux. Cela est plus aisé encore aux maîtres des collèges qui gardent les enfans jusqu’à ce qu’il soient devenus des jeunes gens dont l’esprit est mûr pour l’intelligence des choses difficiles.

Il faut se hâter de régénérer l’enseignement historique par l’étude approfondie de l’histoire : c’est une œuvre de nécessité publique. Je me garde d’enfler ici la voix et de me porter garant que la connaissance de l’histoire répandue dans la nation serait un remède à tous les maux possibles. On a dit, — un philosophe évidemment, — que le monde serait heureux s’il était gouverné par des philosophes : je ne demande point qu’il soit gouverné par des historiens. Il y a entre la politique et l’histoire des différences essentielles, en ce pays surtout où ne subsiste aucune force historique léguée par le passé et dont il faille étudier la puissance pour la ménager. Le politique peut se passer d’être un érudit en histoire : il suffit qu’il connaisse les idées, les passions et les intérêts, qui sont les mobiles des opinions et des actes dans la France contemporaine. Même, j’imagine qu’un véritable historien serait un homme d’état médiocre, parce que le respect des ruines l’empêcherait de se résigner aux sacrifices nécessaires. Il ne faudrait pas confier l’assainissement de Paris à la Société de l’histoire de Paris et de l’Ile-de-France ; des archéologues sont capables de respecter la fièvre, si elle habite un vieux palais. Mais si l’histoire ne donne aucune notion précise qui puisse être employée dans telle ou telle partie du gouvernement, n’explique-t-elle point les qualités comme les défauts du tempérament que nos destinées nous ont fait et qu’il faut ménager sous peine de mort? N’avertit-elle point les gouvernemens, monarchies, aristocraties, démocraties, des dangers qui leur sont propres et ne leur montre-t-elle pas la pente où ils ont coutume de rouler vers l’abîme? Ne nous instruit-elle pas à la modération, à la patience, en développant devant nous la longue succession des temps où chaque jour a trouvé sa peine, où les jours qui ont anticipé sur la peine des autres ont été marqués par de si efroyables tempêtes? N’expose-t-elle point les relations des peuples les uns avec les autres, marquant dans le monde la place de chacun et la sphère de son action? Mais, passons. Ce qui ne peut être contesté, c’est que l’histoire doit être la grande inspiratrice de l’éducation nationale.

Je parlais d’intérêts, de passions et d’idées : idées et passions agitent la tête du petit nombre; le grand nombre des hommes n’a souci que des intérêts. Il n’est pas sage d’exiger d’eux tant de devoirs sans même essayer de les leur faire aimer. Qui donc enseigne en France ce qu’est la patrie française? Ce n’est pas la famille, où il n’y a plus d’autorité, plus de discipline, plus d’enseignement moral, ni la société, où l’on ne parle des devoirs civiques que pour les railler. C’est donc à l’école de dire aux Français ce qu’est la France; qu’elle le dise avec autorité, avec persuasion, avec amour. Elle mesurera son enseignement au temps et aux forces des écoliers. Pourtant elle repoussera les conseils de ceux qui disent : « Négligez les vieilleries. Que nous importent Mérovingiens, Carolingiens, Capétiens mêmes? Nous datons d’un siècle à peine. Commencez à notre date. » Belle méthode, pour former des esprits solides et calmes que de les emprisonner dans un siècle de luttes ardentes, où tout besoin veut être assouvi et toute haine satisfaite sur l’heure! Méthode prudente, que de donner la révolution pour un point de départ et non pour une conclusion, que d’exposer à l’admiration des enfans l’unique spectacle de révoltes, même légitimes, et de les induire à croire qu’un bon Français doit prendre les Tuileries une fois au moins dans sa vie, deux fois s’il est possible, si bien que, les Tuileries détruites, il ait envie quelque jour de prendre d’assaut, pour ne pas démériter, l’Elysée ou le Palais-Bourbon ! Ne pas enseigner le passé! mais il y a dans le passé une poésie dont nous avons besoin pour vivre. L’homme du peuple en France, le paysan surtout, est l’homme le plus prosaïque du monde. Il n’a point la foi du protestant de Poméranie, de Hesse ou de Wurtemberg, qui contient en elle la poésie des souvenirs bibliques et ce sentiment élevé que donne le contact avec le divin. Il oublie nos légendes et nos vieux contes et remplace par les refrains orduriers ou grotesques venus de Paris les airs mélancoliques où l’écho du passé se prolongeait. Nos poètes n’écrivent pas pour lui, et nous n’avons point de poésie populaire pour éveiller un idéal dans son âme. Rien ne chante en lui. C’est un muet occupé de la matière, en quête perpétuelle des moyens de se soustraire à des devoirs qu’il ne comprend pas et pour qui tout sacrifice est une corvée, une usurpation, un vol. Il faut verser dans cette âme la poésie de l’histoire. Contons-lui les Gaulois et les druides, Roland et Godefroi de Bouillon, Jeanne d’Arc et le grand Ferré, Bayard et tous ces héros de l’ancienne France avant de lui parler des héros de la France nouvelle ; puis montrons-lui cette force des choses qui a conduit notre pays de l’état où la France appartenait au roi à celui où elle appartient aux Français pourvus des mêmes droits, chargés des mêmes devoirs ; tout cela, sans déclamation, sans haine, en faisant pénétrer dans son esprit cette idée juste que les choses d’autrefois ont eu leur raison d’être, qu’il y a des légitimités successives au cours de la vie d’un peuple et qu’on peut aimer toute la France sans manquer à ses obligations envers la république.

Il n’y a pas d’autre moyen de peupler de sentimens nobles ces âmes inhabitées, et la fin dernière de notre travail sera de mettre dans le cœur des écoliers de toutes les écoles un sentiment plus fort que cette vanité frivole et fragile, insupportable dans la prospérité, mais qui, s’effondrant dans les calamités nationales, fait place au désespoir, au dénigrement, à l’admiration de l’étranger et au mépris de soi-même. On dira qu’il est dangereux d’assigner une fin à un travail intellectuel qui doit toujours être désintéressé ; mais, dans les pays où la science est le plus honorée, elle est employée à l’éducation nationale. Ce sont les universités allemandes et les savans allemands qui ont formé l’esprit public en Allemagne. Quelle devise ont donc gravée au frontispice de leur œuvre ces hommes d’état et ces savans qui se sont entendus pour croire qu’il fallait relever l’Allemagne humiliée en répandant la connaissance et l’amour de la patrie, puisés aux sources mêmes de l’histoire d’Allemagne ? C’est la devise : Sanctus amor patriœ dat animum ; elle est à la première page des in-folio des Monumenta Germaniœ, entourée d’une couronne de feuilles de chêne. La même inspiration patriotique se retrouve dans toutes les œuvres de l’érudition allemande. En 1843, trois historiens éminens, MM. Ranke, Waitz et Giesebrecht fondent une revue. Des historiens français ne se seraient pas avisés qu’en l’année 1843 tombait le millième anniversaire du traité de Verdun, à partir duquel commence l’histoire distincte de la France et de l’Allemagne, auparavant réunies sous les lois des Mérovingiens et des Carolingiens. Les trois Allemands s’en sont souvenus, a Dans cette année où l’on célèbre, disent ils, le millième anniversaire de l’indépendance de notre patrie, la pensée nous est venue tout naturellement de poser le fondement d’une unité intérieure de l’esprit allemand et de cultiver d’un commun accord une science qui, plus que toute autre, est apparentée à la politique, dont elle est la mère et l’institutrice, » Remarquez ces mots : tout naturellement, étranges pour nous, qui ne sommes pas habitués à contempler sans obstacle l’immense horizon du passé, et ces autres : union intérieure, à méditer par nous qui nous contentons si aisément de l’union apparente et superficielle des esprits. Les mêmes écrivains, à la fin du premier volume de leur revue, révèlent encore l’objet de leur œuvre par ces lamentations mêmes que l’état de leur patrie leur inspire : « L’Allemagne ressemble non à un individu de sang et de chair, de tête et de cœur, mais aux disjectis membris poetœ. » Ces savans avouent donc hautement l’intention de servir la patrie allemande. Eux et leurs élèves n’en passent pas moins leur vie à chercher la solution de tous les problèmes historiques, sans se préoccuper d’une application immédiate des vérités qu’ils découvrent. Ils savent seulement que leur travail ne sera point perdu ; qu’il est possible, grâce à eux, d’apprendre l’histoire de l’Allemagne à tous ses enfans, et de faire pénétrer dans leurs esprits le sentiment et l’idée de la solidarité qui unit le présent au passé, les vivans aux ancêtres, afin que chacun d’eux, sentant sa valeur accrue et sa responsabilité agrandie, conçoive au lieu de la vanité, qui est un danger, cet orgueil national qui est l’assiette solide du patriotisme. Sans doute ils sont exposés au péril d’exagérer les vertus allemandes, et ils n’y échappent point. En outre, l’érudition germanique a la passion vilaine d’exciter l’Allemand à la haine de l’étranger ; elle excelle à ramasser dans l’histoire la plus reculée tout ce qui peut être employé à salir le nom et l’honneur de la France; mais de pareils excès ne sont point obligatoires, et, de ce qu’ils sont commis, il ne faut pas conclure que l’historien doive s’exiler de sa patrie et, pour être vrai, se faire cosmopolite. Chaque grand peuple a joué un rôle déterminé, acquis un génie propre, rendu des services constatés à la communauté humaine. L’historien chez chacun de ces peuples a le devoir de mettre en pleine lumière le rôle de son pays et de chercher jusque dans le détail des questions les plus obscures les manifestations diverses du génie national. Il est donc légitime de convier à l’avance la future légion des historiens à interroger tous les témoins connus ou inconnus de notre passé, à discuter et à bien comprendre leurs témoignages, pour qu’il soit possible de donner aux enfans de la France cette pietas erga patriam qui suppose la connaissance de la patrie.


ERNEST LAVISSE.

  1. Il n’y a pas de doute que l’école normale se transformera pour monter d’un degré. L’opinion la plus générale, parmi ceux qui ont, comme moi, l’ambition de la voir grandir, paraît être que le concours à l’entrée devrait être fait entre des candidats déjà licenciés ; que, la première année étant employée à l’achèvement de l’éducation littéraire générale, les deux autres devraient l’être à des études spéciales de lettres, d’histoire, de philosophie et de philologie. Viendraient ensuite le séjour aux écoles d’Athènes et de Rome, et les missions à l’étranger, qui pourront être très largement accordées, le jour où les facultés fourniront à l’enseignement secondaire un contingent nombreux et solide.
  2. Cette conférence a été instituée pour M. Charles Graux, que la mort vient de nous enlever. Nul n’était plus capable d’enseigner à la fois la philologie et l’histoire que ce jeune homme, qui, étant un philologue de premier ordre, allait mettre sa science au service de l’histoire. Je me fais un devoir de rendre une fois de plus hommage à sa mémoire.
  3. M. Berthereau, directeur de l’école communale de la rue Keller.