L’Espion (Cooper)/Chapitre 28

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Traduction par A. J. B. Defauconpret.
Furne (Œuvres, tome 2p. 329-345).


CHAPITRE XXVIII.


Le hibou aime l’ombre de la nuit ; l’alouette salue le point du jour ; la timide colombe roucoule sous la main ; mais le faucon prend son essor au plus haut des airs.
Duo.


Dans un pays peuplé par les victimes de la persécution qui abandonnèrent leurs foyers domestiques par des principes de conscience, on ne se dispense pas, quand les circonstances le permettent, des solennités religieuses dont il est d’usage que la mort d’un chrétien soit accompagnée. La bonne femme, maîtresse de la ferme dans laquelle Henry était détenu, était stricte observatrice de toutes les formes de l’église dont elle faisait partie ; et ayant elle-même puisé le sentiment de sa dignité dans les exhortations du ministre qui haranguait les habitants de la paroisse voisine, elle pensait que ses saintes paroles pouvaient seules mettre à profit le court espace de temps que Henry Wharton avait encore à vivre, de manière à le faire entrer dans le port du salut. Ce n’était pas que la bonne matrone ignorât assez les doctrines de la religion qu’elle professait pour croire en théorie que le secours d’un homme fût indispensable pour ouvrir les portes du ciel ; mais elle avait entendu si longtemps les prédications d’un bon ministre, qu’elle s’était pénétrée, sans le savoir, d’une confiance pratique en ses moyens pour obtenir ce qui ne peut venir que de la Divinité même, comme sa foi aurait dû le lui apprendre. Elle n’envisageait la mort qu’avec terreur, et dès qu’elle avait appris la sentence rendue contre le prisonnier, elle avait fait partir César, monté sur le meilleur des chevaux de son mari, pour aller chercher ce guide spirituel. Elle avait fait cette démarche sans consulter ni Henry ni ses parents, et ce ne fut que lorsqu’on eut besoin des services du nègre qu’elle fit connaître le motif de son absence. Le jeune officier éprouva d’abord une répugnance invincible à admettre près de lui un tel consolateur spirituel ; mais, à mesure que l’intérêt qu’on prend aux choses de ce monde commence à s’affaiblir, les habitudes et les préjugés cessent de conserver leur influence, et un salut silencieux exprima ses remerciements des soins de la bonne femme, et son consentement à en profiter.

Le nègre revint bientôt de son expédition, et autant qu’on put tirer une conclusion de sa relation décousue et peu intelligible, il parut certain qu’on pouvait attendre un ministre de l’église avant la fin de la journée. L’interruption dont nous avons parlé dans le chapitre précédent fut occasionnée par l’arrivée de la fermière dans la chambre qui précédait celle de Henry. À la demande de Dunwoodie, des ordres avaient été donnés au factionnaire qui gardait la porte de ce dernier appartement, d’y laisser entrer en tout temps les membres de la famille du prisonnier, et César, comme étant à leur service, avait la même permission ; mais il était strictement enjoint de ne laisser arriver jusqu’à lui aucune autre personne, sans un ordre spécial, qui ne devait être accordé qu’après un mûr examen. Dunwoodie se trouvait inclus dans le nombre des parents de Henry, et il avait donné sa parole au nom de tous qu’ils ne feraient aucune tentative pour favoriser son évasion. Une courte conversation se passait entre la fermière et le sergent de garde devant la porte, que le factionnaire avait déjà entrouverte par anticipation.

— Voudriez-vous priver des consolations de la religion un de vos semblables prêt à subir la mort ? disait la bonne femme avec un zèle ardent. Voudriez-vous plonger une âme dans la fournaise des flammes quand un ministre arrive pour le guider dans le sentier droit et étroit ?

— Écoutez-moi, bonne femme, répondit le caporal en la repoussant avec douceur : je n’ai pas envie que mon dos devienne une échelle pour monter au ciel. J’ai ma consigne, et je ferais une jolie figure au piquet, si je m’avisais d’y contrevenir. Allez demander un ordre au lieutenant Mason, et amenez ensuite toute votre congrégation si bon vous semble. Il n’y a pas une heure que nous avons relevé l’infanterie, et je ne me soucie pas qu’on dise que nous ne connaissons pas notre devoir aussi bien que des miliciens.

— Laissez entrer cette femme, dit Dunwodie en se présentant à la porte, remarquant pour la première fois que ce poste avait été confié à la garde de son propre corps.

Le caporal porta la main à son front et se retira ; le factionnaire présenta les armes au major, et la fermière entra dans la chambre.

— Il y a en bas, dit-elle, un digne ministre arrivé pour adoucir le départ de cette âme, en place du révérend M. ―, qui n’a pu venir, attendu qu’il doit enterrer ce soir le vieux M. ―.

— Faites-le monter, dit Henry avec impatience. Mais le laissera-t-on entrer ? Je ne voudrais pas qu’un étranger, un ami de notre digne ministre, reçût un affront à la porte.

Tous les yeux se tournèrent vers Dunwoodie, qui, regardant à sa montre, dit quelques mots à Henry à demi-voix, et sortit de l’appartement, suivi par Frances. Le sujet de leur conversation fut le désir qu’avait témoigné le prisonnier de voir un ministre de l’église anglicane, et le major promit d’en envoyer un de Fishkill, où il devait passer pour trouver Harper à son retour par le bac. Mason parut bientôt à la porte ; la fermière lui réitéra sa demande, il y consentit sans difficulté, et en conséquence elle alla chercher le ministre.

Le personnage qui fut alors introduit dans la chambre précédé par César, dont la figure avait une gravité imposante, et suivi par la matrone, laquelle paraissait prendre un vif intérêt à cette entrevue, avait passé le moyen âge de la vie. Il était d’une taille plus qu’ordinaire, quoique son excessive maigreur pût contribuer à le faire paraître plus grand qu’il ne l’était. Sa physionomie dure et sévère semblait impassible, et aucun de ses muscles ne paraissait doué de mouvement. Le plaisir et la joie paraissaient avoir toujours été étrangers à ses traits austères, et qui n’annonçaient que la haine des vices du genre humain. De gros sourcils noirs devaient ajouter à l’expression déjà dure de ses yeux ; mais ses yeux étaient couverts par d’énormes lunettes vertes, à travers lesquelles perçait l’air de la menace plutôt que de cette encourageante bonté qui, formant l’essence de notre sainte religion, devrait en caractériser les ministres. Rien en lui ne parlait de charité, mais tout annonçait l’enthousiasme et le fanatisme. De longues mèches de cheveux plats, noirs, mais commençant à grisonner, se séparaient sur son front, et retombaient sur son cou en couvrant une partie de ses joues. Cette coiffure, à laquelle les grâces n’avaient pas présidé, était surmontée d’un énorme chapeau à larges cornes, formant un triangle équilatéral, et enfoncé sur sa tête. Il portait un habit complet d’un drap noir auquel le temps avait donné une couleur de rouille, et des bas de laine assortis à ce costume ; ses souliers n’étaient pas cirés, et ils étaient à demi cachés sous de grandes boucles de cuivre argenté.

Il s’avança dans la chambre avec un air de dignité, fit une inclination de tête d’un air raide, s’assit sur la chaise que César lui présenta et y resta en silence. Plusieurs minutes se passèrent sans que personne parût disposé à le rompre, Henry éprouvant pour le révérend une répugnance qu’il tâchait inutilement de surmonter, et celui-ci se bornant à faire entendre de temps en temps des soupirs et des gémissements qui semblaient menacer de dissoudre l’union de son âme divine avec l’argile terrestre et grossière qu’elle habitait. Pendant cette scène, qui était bien véritablement une préparation à la mort, M. Wharton, par suite d’un sentiment à peu près semblable à celui de son fils, sortit de la chambre, et emmena Sara avec lui. Le révérend le vit partir avec un air de dédain méprisant, et commença à fredonner l’air d’un psaume avec toute la richesse de l’accent nasal qui distingue la psalmodie des États de l’est de l’Amérique.

— César, dit miss Peyton, présentez à monsieur quelques rafraîchissements : il doit en avoir besoin après sa course.

— Ma force n’est pas dans les choses de ce monde, répondit le révérend d’une voix creuse et sépulcrale. Trois fois aujourd’hui j’ai été appelé pour le service de mon maître, et je n’ai pas senti de faiblesse. Il est pourtant vrai que cette chair périssable exige quelque soutien, et l’ouvrier mérite un salaire.

Ouvrant une énorme paire de mâchoires pour faciliter la sortie d’une chique d’une taille proportionnée, il se versa une bonne rasade de l’eau-de-vie que César lui présentait, et la vida avec une facilité toute mondaine.

— Je crains, Monsieur, dit miss Peyton, que la fatigue que vous avez éprouvée ne vous permette pas d’accomplir les devoirs dont votre charité vous a engagé à vous charger.

— Femme, s’écria le révérend avec une énergie foudroyante quand m’a-t-on jamais vu reculer à l’instant de m’acquitter d’un de mes devoirs ? Ne jugez pas, de peur d’être jugée ! et ne vous imaginez pas qu’il soit donné aux yeux des mortels de pénétrer les intentions de la Divinité.

— Je ne prétends juger ni les intentions de mes semblables, ni encore moins celles de la Divinité, répondit miss Peyton avec douceur, quoique mécontente du ton que prenait cet étranger.

— C’est bien, femme, c’est bien, dit le ministre en secouant la tête avec un air d’orgueil et de mépris ; l’humilité convient à ton sexe et à ton état de perdition, car ta faiblesse t’emporte vers ta ruine.

Surprise d’une conduite si extraordinaire, mais cédant à l’habitude qui nous porte à parler avec respect de tout ce qui tient à la religion, même quand nous ferions mieux de garder le silence, elle répondit encore avec douceur :

— Il existe une puissance qui peut et qui daigne nous soutenir quand nous l’implorons avec confiance et humilité.

L’étranger la regarda avec un air de mécontentement, et donnant à ses traits une expression d’humilité, il lui dit d’un ton toujours aussi repoussant :

— Tous ceux qui crient merci ne seront pas entendus. Il n’appartient pas aux hommes de juger des voies de la Providence, car il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus. Il est plus aisé de parler d’humilité que d’en éprouver une véritable. Vil vermisseau, es-tu assez humble pour désirer de glorifier Dieu par ta propre damnation ? Si tu ne portes pas jusque-là l’amour que tu lui dois, tu ne vaux pas mieux que les publicains et les pharisiens.

Un fanatisme si grossier était si peu commun en Amérique, que miss Peyton crut un instant que la raison de ce ministre était égarée. Mais, se rappelant que celui qui l’avait envoyé était un homme bien connu et jouissant d’une grande réputation dans ces environs, elle écarta cette idée, et se contenta de lui répondre :

— Je puis me tromper en croyant que les sources de la miséricorde divine sont ouvertes pour tous les hommes ; mais cette doctrine est si consolante, que je serais bien fâchée d’être détrompée.

— Il n’y a de miséricorde que pour les élus, dit le ministre avec force, et tu es dans la vallée des ombres de la mort. N’es-tu pas de cette religion qui ne consiste qu’en vaines et futiles cérémonies, et que nos tyrans voudraient établir ici, de même que leurs lois sur le timbre et sur le thé ? Réponds-moi, et songe que Dieu entend ta réponse : ne fais-tu point partie de cette secte impie et idolâtre ?

— Je suis la religion de mes pères, dit miss Peyton en faisant signe à Henry de garder le silence, et je n’ai d’autre idole que l’infirmité de la nature humaine.

— Oui, oui, je le sais. Tu écoutes ces hommes de chair et de sang qui ne sauraient prêcher qu’un livre à la main. Était-ce ainsi que saint Paul convertissait les gentils ?

— Ma présence est inutile ici, dit miss Peyton d’un ton un peu sec ; je vais vous laisser avec mon neveu, et offrir dans la solitude des prières que j’aurais voulu joindre aux siennes.

À ces mots elle se retira, suivie de la bonne fermière qui était aussi étonnée que peu contente du zèle outré de sa nouvelle connaissance ; car, quoiqu’elle crût fermement que miss Peyton, ainsi que tous ceux qui partageaient les opinions de l’Église anglicane, étaient sur le chemin de la perdition, elle ne pensait pas qu’on dût leur dire de pareilles vérités en face.

Henry avait contenu jusqu’alors, non sans peine, l’indignation que lui avait inspirée cette attaque si peu méritée contre une tante dont la douceur était inépuisable ; mais, dès qu’il ne vit plus près de lui que le ministre et César, il s’y abandonna, et dit avec chaleur :

— Je vous avouerai, Monsieur, qu’en recevant la visite d’un ministre de Dieu, je comptais trouver en lui un chrétien, un homme qui, sentant sa propre faiblesse, pouvait avoir pitié de celle des autres. Vous avez blessé l’esprit de douceur de cette excellente femme, et je ne me sens pas disposé à partager les prières d’un homme si intolérant.

Le révérend avait tourné la tête pour suivre des yeux, avec une sorte de pitié méprisante, miss Peyton qui se retirait. Il se redressa sans changer de position, et semblant regarder ce que venait de dire le prisonnier comme indigne de son attention. Mais une autre voix s’écria :

— Il y a bien des femmes qu’un pareil langage aurait fait tomber dans des convulsions ; mais le but n’en est pas moins atteint.

— Qui parle ainsi ? s’écria Henry en regardant autour de lui avec surprise.

— C’est moi, capitaine Wharton, répondit Harvey Birch en ôtant ses lunettes et en montrant ses yeux perçants, brillant sous ses faux sourcils.

— Juste ciel ! Harvey !

— Chut ! c’est un nom qu’il ne faut pas prononcer, et surtout au cœur de l’armée américaine. Il se tut un instant et jeta les yeux autour de lui avec une forte émotion, mais toute différente de celle qu’inspire une lâche crainte. C’est un nom qui contient mille cordes, ajouta-t-il ensuite, et si j’étais découvert, je n’aurais guère d’espoir d’échapper encore une fois. Mais je ne pouvais dormir en paix, en sachant qu’un innocent était sur le point de périr de la mort d’un chien, quand il m’était possible de le sauver.

— Si vous courez de si grands risques, dit Henry avec une généreuse ardeur, retirez-vous comme vous êtes venu, et abandonnez-moi à mon destin. Dnnwoodie fait en ce moment les plus grands efforts en ma faveur, et s’il peut trouver cette nuit M. Harper, je suis certain d’être sauvé.

— Harper ! répéta le colporteur, restant la main en l’air à l’instant où il allait replacer ses lunettes ; que savez-vous d’Harper ? Pourquoi croyez-vous qu’il veuille vous rendre service ?

— Parce qu’il me l’a promis. Avez-vous oublié que je l’ai vu chez mon père ? il m’a promis sa protection sans que je la lui demandasse.

— Mais le connaissez-vous ? c’est-à-dire, quelle raison vous porte à croire qu’il puisse vous rendre service, et en outre qu’il ait dessein de tenir la promesse que vous dites qu’il vous a faite ?

— La nature serait coupable d’une bien grande imposture, si elle avait donné à un homme faux et trompeur les traits de l’honneur et de la franchise. D’ailleurs Dunwoodie a de puissants amis dans l’armée rebelle ; il vaut donc mieux que j’attende l’événement là où je suis, plutôt que de vous exposer à une mort certaine si vous étiez découvert.

— Capitaine Wharton, dit Birch après avoir regardé autour de lui par suite de son habitude de circonspection, et parlant avec un sérieux imposant, ni Harper, ni Dunwoodie, ni qui que ce soit au monde, ne peut vous sauver, excepté moi. Si je ne réussis à vous tirer d’ici avant une heure, demain matin vous figurerez sur l’échafaud comme si vous étiez un assassin. Oui, telles sont leurs lois. Celui qui pille et qui tue dans la guerre est honoré et récompensé, et celui qui sert son pays fidèlement et honnêtement comme espion vit méprisé, ou est pendu sans miséricorde.

— Monsieur Birch, s’écria Wharton avec indignation, vous oubliez que je n’ai jamais joué le rôle méprisable d’espion. Vous savez que cette accusation est fausse et calomnieuse.

Le sang monta au visage naturellement pâle du colporteur ; mais ses traits reprirent en un instant leur expression accoutumée.

— Ce que je vous ai dit doit suffire, répondit-il. J’ai rencontré César ce matin, et j’ai concerté avec lui le plan qui vous sauvera, s’il est exécuté comme je le désire ; sans quoi, je vous le répète, nul pouvoir sur la terre ne peut vous sauver, pas même Washington.

— Je me soumets, dit Henry cédant au ton pressant du colporteur, dont les discours lui inspiraient de nouvelles craintes sur sa situation.

Harvey lui fit signe de garder le silence, et s’avançant vers la porte, il l’ouvrit en reprenant l’air de raideur et le ton formel qu’il avait en entrant dans la chambre.

— Ami, dit-il au factionnaire, ne laissez entrer personne. Nous allons nous mettre en prière ; et nous désirons être seuls.

— Je ne crois pas quel personne désire vous interrompre, répondit le dragon avec un sourire presque moqueur ; mais si quelqu’un de la famille du prisonnier se présente, je n’ai pas le droit de l’empêcher d’entrer. J’ai ma consigne, et je dois l’exécuter, que l’Anglais aille au ciel ou non.

— Audacieux pécheur ! s’écria le prétendu ministre, n’avez-vous donc pas la crainte de Dieu devant les yeux ? Je vous dis que si vous avez quelque frayeur du châtiment qui attend les impies au dernier jour, vous ne devez permettre à aucun membre de la communion des idolâtres de venir troubler les justes dans leurs prières.

— Ha ! ah ! ha ! quel noble commandant vous seriez pour le sergent Hollister ! vous prêcheriez à le rendre muet. Écoutez : j’ai seulement à vous prier de ne pas beugler vos prières de manière à empêcher mes camarades d’entendre le son de la trompette, car vous seriez cause que plus d’un pauvre diable se trouverait privé de sa ration de grog pour ne pas s’être montré à la parade du soir. Si vous voulez être seuls, n’avez-vous pas un couteau à placer entre la gâche et le loquet ? Vous faut-il une compagnie de dragons pour garder votre conventicule ?

Harvey ferma la porte sur-le-champ, et profitant du conseil du dragon, prit la précaution qu’il venait de lui indiquer.

— Vous passez les bornes de la prudence, dit Henry craignant à chaque instant une découverte ; votre zèle est exagéré.

— Cela pourrait être, s’il s’agissait de soldats d’infanterie, de ces miliciens des provinces de l’est, répondit Harvey en vidant un sac que lui remit César ; mais ces dragons de Virginie sont des drôles à qui il faut parler ainsi. Il ne faut pas ici de demi-mesures, capitaine Wharton. Mais allons, voilà un voile noir sous lequel il faut cacher votre bonne mine, ajouta-t-il en lui appliquant sur le visage un masque de cette couleur ; il faut que le maître et le serviteur changent de place pour quelques instants.

— Moi pas croire que lui me ressembler le moins du monde, dit César en regardant son jeune maître avec une sorte de mécontentement.

— Attendez, que j’aie placé la laine, César, dit le colporteur avec cet air de sarcasme qu’il prenait quelquefois.

— Lui être pire que jamais à présent, dit le nègre toujours mécontent ; lui avoir une tête comme un mouton noir, et deux lèvres ! moi n’en avoir jamais vu de semblables.

On avait mis le plus grand soin à préparer les divers objets nécessaires au déguisement du capitaine Wharton, et lorsqu’ils furent placés sur lui avec l’adresse et l’intelligence du colporteur, ils opérèrent une métamorphose qu’une attention extraordinaire aurait pu seule découvrir. Le masque offrait les traits et la couleur de la race africaine, et la perruque était si artistement composée de laine noire et blanche ; que César lui-même finit par y donner son approbation.

— Dans toute l’armée américaine, capitaine Wharton, dit Harvey en regardant son ouvrage avec un air de satisfaction, il n’y a qu’un seul homme qui pourrait vous découvrir, et heureusement il n’est pas ici en ce moment.

— Et qui est cet homme ?

— Celui qui vous a arrêté ; il apercevrait votre peau blanche sous le cuir d’un cheval. Mais déshabillez-vous tous deux ; il faut que vous changiez de vêtements de la tête aux pieds.

César, qui avait reçu du colporteur des instructions détaillées dans leur entrevue du matin, commença sur-le-champ à se débarrasser de ses habits grossiers ; son jeune maître les prit, et se disposa à s’en revêtir, sans pouvoir pourtant cacher entièrement le dégoût que ce troc lui inspirait.

Il y avait dans les manières d’Harvey un singulier mélangé d’inquiétude et de bonne humeur qui prenait sa source tant dans la connaissance qu’il avait du péril que dans les détails grotesques dont il s’occupait, et dans l’indifférence produite par une longue habitude de braver la mort.

— Allons, capitaine, dit-il en prenant de la laine pour l’enfoncer dans les bas de César qui étaient déjà sur les jambes du prisonnier, il faut quelque jugement pour donner à ces membres une forme convenable. Vous allez les mettre en vue en montant à cheval, et ces dragons du sud ont de bons yeux. S’ils apercevaient une jambe si bien tournée, ils sauraient sur-le-champ qu’elle n’a jamais appartenu à la carcasse d’un nègre.

— Sur ma foi, dit César en riant à se fendre la bouche d’une oreille à l’autre, pantalons de jeune maître m’aller à ravir !

— Excepté aux jambes, dit le colporteur en continuant à s’occuper avec sang-froid de la toilette de Henry. Maintenant passez cet habit, capitaine. Réellement vous pourriez figurer à merveille dans une mascarade. Et vous, César, mettez-vous sur la tête cette perruque bien poudrée ; ayez bien soin de regarder par la fenêtre quand on ouvrira la porte, et de ne pas prononcer un seul mot, sans quoi vous nous trahiriez tous.

— Harvey supposer qu’homme de couleur pas avoir une langue comme les autres, murmura César en prenant l’attitude qui venait de lui être enjointe.

Tout était prêt, il ne restait plus qu’à agir ; mais auparavant le prudent colporteur répéta encore toutes ses instructions aux deux acteurs de cette scène. Il recommanda au capitaine de déguiser sa tournure militaire, de voûter sa taille droite et d’imiter de son mieux l’humble démarche du serviteur de son père ; enfin il enjoignit de nouveau à César la discrétion et surtout le silence. Tous ces préparatifs étant terminés, il ouvrit la porte et appela à haute voix le factionnaire, qui s’était retiré à l’autre bout de la chambre dans laquelle il montait sa garde, pour ne dérober aucune partie des consolations spirituelles qu’il sentait appartenir à un autre.

— Appelez la maîtresse de la maison, dit Harvey du ton solennel qui convenait à son air emprunté, et qu’elle vienne seule. Le prisonnier est occupé de pieuses méditations, et il ne faut pas l’en distraire.

César baissa la tête et appuya son front sur ses deux mains, qui était couvertes par des gants, et quand le soldat jeta un coup d’œil dans l’appartement, il crut voir son prisonnier livré à de profondes réflexions. Jetant un regard de mépris sur le ministre, il appela à haute voix la bonne fermière que son zèle religieux fit accourir sur-le-champ, dans l’espoir qu’elle allait être admise à entendre les expressions du repentir d’un pécheur prêt à expirer.

— Ma sœur, dit Harvey en prenant le ton d’autorité d’un maître, avez-vous ici un livre intitulé : Les derniers moments du criminel chrétien, ou Pensées sur l’éternité, à l’usage de ceux qui doivent mourir de mort violente ?

— Je n’ai jamais entendu parler de ce livre, dit la matrone avec surprise.

— Cela est assez probable, il y en a beaucoup d’autres qui ne vous sont pas plus connus. Il est impossible que ce pauvre pénitent meure en paix sans les consolations qu’il puisera dans ce livre. Une heure de cette lecture vaut les sermons de toute la vie d’un homme.

— Quel trésor ! et où a-t-il été imprimé ?

— Il a été composé en grec à Genève, et traduit et imprimé à Boston. C’est un livre, femme, qui devrait être entre les mains de tout chrétien, et particulièrement de ceux qui doivent mourir sur l’échafaud. Faites seller à l’instant un cheval pour ce nègre ; il m’accompagnera chez mon frère le ministre de —, et le prisonnier recevra cet ouvrage encore à temps. Mon frère, que le calme rentre dans votre esprit ; vous êtes maintenant sur le sentier glorieux du salut.

César se sentait mal à l’aise sur sa chaise ; cependant il conserva assez de présence d’esprit pour rester le visage caché sous ses mains. La fermière partit pour obéir aux ordres du prétendu ministre, et les trois conspirateurs restèrent seuls.

— Tout va bien, dit le colporteur. À présent la tâche la plus difficile est de tromper l’officier qui commande la garde. C’est le lieutenant de Lawton, et son capitaine lui a donné quelque chose de sa clairvoyance en pareilles affaires. — Capitaine Wharton, ajouta-t-il avec un air de fierté, songez que voici le moment ou tout va dépendre de votre sang-froid.

— Quant à moi, mon brave ami, répondit Henry, mon sort ne peut guère empirer ; mais je ferai tout ce qui me sera possible pour ne pas vous compromettre.

— Et puis-je être plus compromis, plus persécuté que je ne le suis déjà ? s’écria Harvey avec cet air d’égarement qu’on remarquait en lui quelquefois. Mais je lui ai promis de vous sauver, et je ne lui ai jamais manqué de parole.

— À qui ? demanda Henry avec un mouvement de curiosité.

— À personne, répondit le colporteur.

Le factionnaire les avertit en ce moment que les deux chevaux étaient à la porte. Harvey jeta un coup d’œil sur Wharton pour lui faire signe de le suivre, et descendit le premier, après avoir recommandé à la fermière de laisser le prisonnier seul, afin qu’il pût digérer la manne salutaire dont il venait de le nourrir.

Le bruit du caractère étrange du ministre était arrivé jusqu’au corps-de-garde ; et quand Harvey et Wharton furent sortis de la ferme, ils trouvèrent devant la porte une douzaine de dragons fainéants qui s’y promenaient dans l’intention d’y attendre le fanatique pour s’amuser à ses dépens. En ce moment ils affectaient d’admirer les deux chevaux.

— Vous avez là un beau coursier, dit le chef du complot à Harvey mais il n’a pas beaucoup de chair sur les os. C’est sans doute par suite des fatigues que lui donne votre profession.

— Ma profession peut être laborieuse tant pour moi que pour ce fidèle animal, mais le jour du compte n’est pas loin, et alors je recevrai la récompense de mes travaux et de mes services, dit Birch en plaçant un pied sur l’étrier et en se disposant à se mettre en selle.

— Ainsi donc, dit un autre, vous travaillez comme nous nous battons, c’est-à-dire pour une paye ?

— Sans doute. Le laboureur ne mérite-t-il pas un salaire ?

— Eh bien ! puisque nous avons un moment de loisir, il faut que vous nous fassiez un petit sermon. Nous sommes un tas de réprouvés qui sait si vous ne nous convertirez pas ? Allons, montez sur ce bloc de bois, et prenez votre texte où vous voudrez.

Les dragons se groupèrent autour du colporteur avec un air joyeux, et celui-ci, jetant un coup d’œil expressif au capitaine qu’on avait laissé monter à cheval sans l’inquiéter, répondit avec calme :

— Bien volontiers ; c’est mon devoir. César, prenez l’avance, et allez chercher le livre en question, sans quoi il arrivera trop tard, car les heures du prisonnier sont comptées.

— Oui, oui, César, pars ; va chercher le livre, s’écrièrent une demi-douzaine de voix, tous les dragons étant attroupés autour du prétendu ministre, et se faisant une fête de le mystifier.

Harvey craignit intérieurement que si les soldats venaient à manier ses vêtements avec peu de cérémonie, sa perruque ou son chapeau ne se déplaçât, accident qui aurait infailliblement fait échouer son entreprise ; il prit donc le parti de céder de bonne grâce à leur demande. Étant monté sur le bloc, il toussa deux ou trois fois, jeta encore plusieurs coups d’œil au capitaine, qui n’en resta pas moins immobile, et commença ainsi qu’il suit :

— J’appellerai votre attention, mes frères, sur deux versets du second livre de Samuël, où vous trouverez les mots suivants : Et le roi fit une complainte sur Abner, et dit : Abner est-il mort comme meurt un lâche ? Tes mains n’étaient point liées, et tes pieds n’avaient point été mis dans les fers ; mais tu es tombé comme on tombe devant les méchants ; et tout le peuple recommença à pleurer sur lui. — César, je vous le répète, partez en avant et allez chercher le livre comme je vous l’ai dit. L’esprit de votre maître est dans la souffrance faute de l’avoir.

— Excellent texte, s’écrièrent les dragons ! continuez ! continuez ! Boule de neige peut rester ; il a besoin d’être prêché tout comme un autre.

— Eh bien ! drôles ! que faites-vous donc là ? s’écria le lieutenant Mason, qui revenait en ce moment d’une petite promenade qu’il avait faite afin d’aller rire aux dépens d’un régiment de milice qui faisait l’exercice. Retirez-vous tous, et que je trouve un cheval qui ne soit pas étrillé ou qui manque de litière, quand je ferai ma ronde !

Le son de la voix de l’officier opéra comme un talisman, et nul prédicateur n’aurait pu désirer un auditoire plus silencieux, quoique peut-être il en eût souhaité un plus nombreux. À peine Mason avait-il fini de parler qu’il ne restait plus à Harwey d’autre auditeur que le représentant de César. Le colporteur profita de ce moment pour monter à cheval ; mais pour bien jouer son rôle, il fallait qu’il mît de la gravité dans ses mouvements, car la remarque du dragon sur la maigreur de son cheval n’était que trop juste, et il voyait une douzaine d’excellents chevaux sellés et bridés et prêts à recevoir leurs cavaliers.

— Eh bien ! dit Mason à Harvey, avez-vous mis la bride sur le cou du pauvre diable qui est là-haut ? Peut-on le lâcher en sûreté sur la route de l’autre monde ?

— L’esprit malin inspire tes discours, homme profane, répondit le faux ministre en joignant les mains et en les levant au ciel avec une sainte horreur, et je partirai d’ici comme Daniel délivré de la fosse du lion.

— Pars donc, hypocrite ! pars, misérable chanteur de psaumes, brigand déguisé ! dit Mason d’un ton de mépris. Par la vie de Washington ! un brave soldat ne peut retenir son indignation en voyant de pareilles bêtes de proie, de tels animaux voraces, ravager un pays pour lequel il verse son sang ! Si je te tenais sur mon habitation de Virginie, je t’apprendrais un autre métier : je te ferais planter du tabac.

— Oui, je partirai en secouant la poussière de mes souliers, pour que rien de ce qui sort de cette caverne impure ne puisse souiller les vêtements du juste.

— Et dépêche-toi, ou je secouerai la poussière de tes habits. Un drôle qui s’avise de venir prêcher mes soldats ! C’est ce fou d’Hollister qui leur met le diable au corps par ses exhortations. Eh bien ! eh bien ! noiraud, où allez-vous donc en si bonne compagnie ?

— Il m’accompagne, dit Harvey se hâtant de répondre pour Henry, pour rapporter à son maître un livre qui lui aplanira le chemin du ciel, et qui rendra son âme aussi blanche que la peau de ce nègre est noire. Voudriez-vous priver un homme qui va mourir des consolations de la religion ?

— Oh ! non, non. Le pauvre diable ! je le plains de toute mon âme ! une de ses tantes nous a donné un fameux déjeuner. Mais à présent que tu lui as fait ta visite, maître Apocalypse, et qu’il peut mourir en bonne conscience, ne te montre plus ici, si tu as quelque égard pour la peau qui couvre ton squelette.

— Je ne cherche pas la société des impies et des blasphémateurs, dit Birch en s’éloignant, suivi du prétendu César, avec un air de gravité cléricale ; je pars, mais je laisse derrière moi ce qui fera ta condamnation, et j’emporte ce qui fait la joie et la consolation de mon âme.

— Va-t’en au diable ! dit Mason avec un sourire méprisant. Le drôle se tient cheval comme un pieu, et ses jambes sont étalées comme les cornes de son chapeau. Je voudrais le tenir dans ces montagnes où les lois ne sont pas très-rigides, je lui…

— Caporal de la garde ! caporal de la garde ! s’écria la sentinelle stationnée à la porte de la chambre de Henry ; caporal de la garde ! caporal de la garde !

Le caporal monta à la hâte l’escalier étroit qui conduisait à la chambre du prisonnier, et demanda au factionnaire pourquoi il criait ainsi.

Le soldat était debout devant la porte entrouverte, et regardant avec un air de soupçon l’officier anglais supposé. En voyant arriver son lieutenant qui avait suivi le caporal, il recula avec un respect d’habitude, et Mason lui ayant fait la même question, il répondit avec un air pensif et embarrassé :

— Je ne sais ce que c’est, Monsieur, mais le prisonnier a une mine singulière. Depuis que le prédicateur est parti, il n’a pas l’air comme auparavant. Cependant, ajouta-t-il en le regardant avec attention par-dessus l’épaule de son officier, il faut que ce soit lui : voilà bien sa tête poudrée ; voilà la couture qu’on a faite à la manche de son habit par suite de la blessure qu’il a reçue lors de notre dernière escarmouche avec l’ennemi.

— Et vous faites tout ce tapage parce que vous doutez que ce soit réellement le prisonnier ! Et qui diable voulez-vous que ce soit, drôle ?

— Si ce n’est pas lui, je ne sais qui ce pourrait être ; mais si c’est lui, il est devenu plus gros et plus petit. Et voyez vous-même, Monsieur, il tremble de tous ses membres comme s’il avait la fièvre.

Cela n’était que trop vrai. César entendait avec alarme cette courte conversation, et après s’être applaudi d’avoir contribué à favoriser l’évasion de son jeune maître, ses pensées commençaient fort naturellement à se reporter sur les conséquences qu’elle pourrait avoir pour lui-même. L’instant de silence qui suivit la dernière remarque du factionnaire ne contribua nullement à lui rendre l’usage de toutes ses facultés ; le lieutenant Mason était occupé pendant ce temps à examiner de ses propres yeux le personnage suspect, et César ne l’ignorait pas, car il s’était assuré du fait par un coup d’œil qu’il avait jeté sur lui, au moyen d’un passage qu’il avait ménagé à sa vue sous un de ses bras pour faire une reconnaissance. Le capitaine Lawton aurait découvert la fraude en un instant, mais Mason n’était pas doué de la même pénétration que son commandant. Au bout de quelques moments il se tourna vers le soldat avec un air dédaigneux, et dit à demi-voix :

— C’est cet anabaptiste, ce quaker, ce méthodiste, ce misérable chanteur de psaumes qui lui a tourné l’esprit à force de lui parler de soufre et de flammes. Je vais causer un instant avec lui : une conversation raisonnable le remettra dans son état naturel.

— J’ai entendu dire, reprit le dragon en reculant et en ouvrant les yeux comme s’ils eussent voulu sortir de leurs orbites, qu’une grande frayeur peut quelquefois changer la couleur des cheveux du noir au blanc ; mais ici elle a changé celle de la peau d’un capitaine de l’armée royale du blanc au noir.

Le fait était que César, n’ayant pas entendu ce que Mason venait de dire à voix basse, et étant déjà saisi de crainte par tout ce qui s’était passé, avait imprudemment repoussé sa perruque au-dessus d’une de ses oreilles afin de mieux entendre, sans songer que sa couleur le trahirait. Le factionnaire, dont les yeux étaient attachés sur son prisonnier, avait remarqué ce mouvement ; l’attention de Mason se porta sur-le-champ sur le même objet, et oubliant toute délicatesse à l’égard d’un officier dans le malheur, ou plutôt ne songeant qu’au blâme qui pouvait retomber sur son corps, il s’élança dans la chambre et saisit à la gorge l’Africain épouvanté car, dès que César avait entendu nommer la couleur de sa peau, il avait prévu que tout était découvert, et au premier bruit des grosses bottes du lieutenant sur le plancher, il s’était levé précipitamment et s’était enfui dans le coin le plus éloigné de la chambre.

— Qui es-tu ? s’écria Mason en lui frappant la tête contre la muraille à chaque question ; qui diable es-tu ? Où est l’officier anglais ? Parle donc, mille tonnerres ! réponds-moi, misérable, ou je te fais accrocher à la potence préparée pour l’espion.

César tint bon. Ni les menaces ni les coups ne purent lui arracher un seul mot. Mais enfin le lieutenant changea son mode d’attaque, et par une transition assez naturelle, envoya sa lourde botte dans une direction qui la mit en contact avec l’os d’une jambe de César. C’était la partie sensible du nègre, et le cœur le plus endurci n’aurait pu exiger de lui une plus longue résistance. La patience lui manqua, et il s’écria :

— Holà ! Massa ! vous croire que moi pas sentir ?

— De par le ciel ! s’écria Mason, c’est le vieux nègre ! Misérable ! où est ton maître ? qui est ce coquin de ministre ? Et tout en parlant ainsi, il fit un mouvement de pied, comme s’il se fût préparé à livrer un nouvel assaut. Mais César lui demanda merci à grands cris, et lui promit de lui dire tout ce qu’il savait.

— Qui était ce ministre ? demanda Mason en levant sa jambe redoutable et en la tenant dans une attitude menaçante.

— Harvey ! Harvey ! s’écria César en levant alternativement celle de ses jambes qu’il croyait menacée, et en exécutant ainsi une espèce de danse.

— Harvey ! Qui ? chien de moricaud ! s’écria le lieutenant impatient et laissant enfin partir le coup dont le menaçait sa vengeance.

— Harvey Birch ! répondit César en tombant à genoux, tandis que de grosses larmes coulaient sur son visage luisant.

— Harvey Birch ! répéta Mason en poussant le nègre avec une violence qui le fit tomber ; et il descendit rapidement l’escalier, en criant : — Aux armes ! aux armes ! cinquante guinées pour la vie du colporteur ou de l’espion ! point de quartier pour lui ni pour l’autre ! À cheval ! aux armes ! à cheval !

Pendant le tumulte occasionné par le rassemblement des dragons qui se précipitèrent en désordre vers leurs chevaux, César se releva et commença à se tâter pour s’assurer s’il était blessé. Heureusement pour lui il était tombé sur la tête, et sa chute ne fut suivie d’aucun accident sérieux.