L’Esprit continental

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AVERTISSEMENT : Ce texte fait l’apologie du national-socialisme qui est – parmi d’autres causes – à l’origine de la Seconde Guerre mondiale, de la mise au travail forcé de millions d’êtres humains et de la subjugation d’une partie de la planète. Il a été à l’origine de la création d’un réseau de 18 camps de concentration à travers le Reich et de milliers de camps plus petits où furent torturés les Résistants au nazisme et où furent niés les droits les plus élémentaires de la personne humaine. Ces idées ont aussi provoqué l’assassinat d’entre 250 000 et 400 000 tsiganes en Europe considérés comme membres d’une « race » inférieure. Elles ont été à l’origine de l’arrestation et de la persécution de dizaines de milliers d’homosexuels et de la mort de 15 000 d’entre eux dans les camps de concentration. Elles ont provoqué la Shoah, le génocide des juifs d’Europe. Six millions d’entre eux furent massacrés dans des opérations de tueries et les déportations vers les camps d’extermination. 60 millions d’êtres humains ont péri lors de la Seconde Guerre mondiale, la guerre la plus meurtrière de l’histoire humaine.


La Technique du Livre (p. 3-32).


L’attitude adoptée par les États-Unis à l’égard de la France depuis juin 1940 a consterné beaucoup de Français.

La France meurtrie n’a vu venir des États-Unis que des excitations perverses, des tentatives de corruption, des représentations, des menaces, puis des mesures de confiscation telles que l’embargo sur son or et la saisie de sa flotte marchande ; la France affamée n’en a reçu que quatre bateaux de vivres envoyés à titre d’appât.

Par tous moyens, déclarés ou occultes, la Maison Blanche a appuyé l’inhumaine manigance britannique d’exaspération du peuple français par la faim : un peuple affamé se révolte mieux, disaient les instruction secrètes anglaises aux agents de cette infâme propagande ; son ambassadeur, l’amiral Leahy, accueilli comme un génie compatissant, a agi en conspirateur ; le président Roosevelt lui-même, feint défenseur du droit des gens, n’a élevé aucune protestation contre les attentats commis sur notre flotte et nos possessions impériales, et il a tacitement approuvé le blocus de nos côtes et l’arraisonnement de nos cargos.

Tout cela — observons-le et retenons-le — sans la circonstance atténuante d’une seule raison de force majeure, mais dans la plénitude de sa volonté libre.

Il est alors devenu très clair qu’aucune considération d’amitié pour la France ni même d’humanité à l’égard de son peuple n’a touché l’âme des dirigeants américains. Ils nous ont délibérément lâchés dès l’instant où ils ont supposé que leurs intérêts se séparaient des nôtres. Ils nous ont traités en adversaires. Ne soyons pas surpris s’ils nous traitent bientôt en ennemis, c’est dans l’ordre logique des choses et voici pourquoi.

Les États-Unis n’ont qu’une politique : celle du profit, celle du dollar. Pour maintenir leur standard of living au niveau le plus élevé du monde, ils sont sortis de leur isolement, ils se sont faits impérialistes. Ayant porté leur regard sur l’Europe, ils n’ont eu qu’une idée : y traiter des affaires, l’accabler de leur crédit, l’enchaîner à leur économie. Ils y ont réussi en 1919, mais leurs imprudences financières ont permis à l’Europe de secouer le joug dix ans plus tard. Instruits par l’expérience, ils avaient compté mieux profiter de la guerre de 1939. Mais l’Allemagne a troublé la fête en prétendant faire de l’Europe un bloc, capable de leur tenir tête. À ce bloc, il fallait l’adhésion de la France, et les États-Unis employèrent à l’en détourner tous les moyens d’intimidation et de pression. Leur dépit d’y avoir échoué fut d’autant plus amer qu’ils avaient un instant failli y réussir. Ils nous vouèrent dès lors aux gémonies.


LES ÉTATS-UNIS CONTRE L’ALLEMAGNE

Dès 1935, les États-Unis prenaient ombrage des doctrines économiques révolutionnaires introduites en Allemagne par Adolf Hitler. Ces doctrines émancipatrices s’opposant à l’étreinte du régime dénommé libéral sur lequel reposaient leurs projets de domination et de super-prospérité, il leur importait au plus haut point d’en arrêter le développement et, puisque le Reich allemand s’en faisait le champion, d’abattre le Reich allemand.

Cette idée fit son chemin, d’abord à travers des discours, pudiquement voilés de considérations morales inspirées de la défense des droits de l’homme, des libertés démocratiques et de la civilisation chrétienne. Elle se concrétisa par la suite en certaines attitudes de réserve, par exemple le refus de conclure avec l’Allemagne aucun traité de commerce. Et puis elle se fit insidieuse.

La diplomatie américaine travailla dès lors à détourner l’Angleterre et la France de toute entente avec Hitler, à les convaincre que le Reich menaçait, et menacerait en tout état de cause, leur indépendance nationale, leurs conquêtes spirituelles et leurs biens, bref à les imprégner de la pensée d’une guerre préventive qu’il serait de leur intérêt de provoquer avant que l’Allemagne y soit prête.

C’est ici que se placent les rapports hilarants des « experts » militaires américains, sur lesquels se basaient les Kennedy, les Biddle, les Bullitt, pour démontrer, chiffres en mains, à nos hommes d’État ahuris, que l’Allemagne ne pouvait pas gagner. Ce n’est pas, disaient-ils, une question de soldats, de canon ou d’avions, mais d’épicier. La guerre se terminera avant que l’Allemagne ne meure de faim parce que les industries allemandes s’écrouleront les premières par manque de combustible et de matières. Sans doute, ajoutaient-ils, les canons et les avions allemands sont-ils plus nombreux que ceux des alliés, mais ils ne serviront de rien lorsqu’il n’y aura plus de munitions ni d’essence. Une guerre menée depuis des positions fixes comme les lignes Siegfried et Maginot, doit nécessairement être une guerre d’épuisement. Elle ne sera en tout cas pas perdue sur les champs de bataille. Elle se terminera sous l’effet du blocus aggravé par le manque de moyens financiers de l’Allemagne. Car les francs, les livres, les marks, les roubles et les dollars comptent plus que les hommes, les balles et les baïonnettes.

Après quoi les États-Unis assuraient les démocraties-sœurs de leur concours le plus actif et le plus « désintéressé ».

Tels étaient les propos que versaient dans les pauvres cervelles des Daladier, des Lebrun et des Chamberlain les ambassadeurs de Roosevelt. Prétendument soucieux du bien des peuples, il n’était qu’anxieux de résoudre, aux dépens d’une Europe livrée à sa merci, la redoutable crise que sa conception du New Deal s’avérait impuissante à guérir.


DEUX CRISES — DEUX SYSTÈMES — DEUX HOMMES

L’exaspération des États-Unis contre l’Allemagne était d’autant plus vive qu’un parallélisme frappant s’établissait entre la position dangereuse du Reich et celle non moins critique de la République étoilée en 1933, qu’en 1939 l’Allemagne avait gagné la grande bataille économique que l’Amérique avait perdue, et qu’à l’entreprise avortée de Roosevelt s’opposait l’œuvre triomphale d’Hitler.

Les deux hommes avaient pris le pouvoir en 1933, au moment où la virulence de la crise se concrétisait en Allemagne par l’existence de 7 millions de chômeurs, aux États-Unis par 13 millions. Cependant, les États-Unis possédaient à l’époque des moyens de redressement dont l’Allemagne était dépourvue. Ils avaient la sécurité extérieure, la pleine disposition de leurs ressources, la puissance de leur or, un outillage industriel parfait, une clientèle, des débiteurs ; l’Allemagne, à l’opposé, n’avait que des créanciers, peu de clients, une industrie paralysée, des institutions chancelantes, pas d’or, des ressources limitées, et l’hostilité générale. Bref, Roosevelt avait bien des choses à changer, mais Hitler avait tout à créer.

Cependant, tous les deux déclaraient s’inspirer de principes similaires, s’assignaient des buts identiques, prenaient face à leur peuple les mêmes engagements. Hitler voulait l’établissement d’une COMMUNAUTÉ nationale, l’abolition de tout préjugé de classe, l’éducation de l’homme allemand dans le sentiment de la COMMUNAUTÉ ; Roosevelt parlait de réaliser une véritable COMMUNAUTÉ d’intérêts et préconisait des réformes établies sur la base d’une VIE COMMUNE englobant aussi bien les grands que les petits ; Roosevelt accordait pleine liberté à l’individu de s’élever le plus possible et ajoutait ne pas croire qu’au nom sacré de l’individualisme il faille permettre à quelques particuliers puissants de traiter comme une matière première pour les besoins de leur industrie les vies de la moitié de la population des États-Unis ; Hitler avait écrit : ce n’est pas le peuple qui est fait pour l’Économie mais au contraire l’Économie qui est faite pour le peuple. Peuple et Économie ne sont pas les esclaves du capital dont le rôle est celui d’un auxiliaire économique.

Comme Hitler, Roosevelt refusait aux magnats et aux sociétés financières le droit de dominer la nation. Son National Industrial Recovery Act était né de la même pensée que le Statut national-socialiste du Travail : donner à l’industrie la certitude de profits raisonnables, aux travailleurs l’assurance d’un salaire suffisant, supprimer grèves et lock-outs et établir la paix sociale. L’un et l’autre considéraient le retour à la terre comme un élément capital de la prospérité de leur pays.

J’arrête ici cette énumération de certaines vues communes énoncées par les deux chefs d’État au moment de leur prise de pouvoir. Elle suffit à marquer la ressemblance de leurs desseins hautement avoués.

D’où vient donc que, partis des mêmes principes, ils aient, l’un réussi, l’autre échoué ? Et comment expliquer que ce soit précisément celui qui travaillait sur le terrain le plus ingrat qui ait atteint l’essentiel de ses buts, tandis que l’autre, plus favorisé, le manquait ?

C’est que, si les principes des deux chefs s’apparentaient, ces chefs eux-mêmes différaient totalement. En admettant qu’ils aient été tous deux sincères — ce dont on peut douter pour Roosevelt qui a violé les promesses cardinales sur lesquelles il s’est fait élire, en 1940 aussi bien qu’en 1932 — il est certain qu’Hitler, seul des deux, a prouvé sa sincérité en agissant.

On s’en rend compte aux résultats atteints mais on le comprendra mieux en confrontant les méthodes employées car, s’opposant radicalement, elles se ressentent de ce fait que, politicien, Roosevelt a parlementé tandis que, révolutionnaire, Hitler a simplement gouverné.


NATIONAL-SOCIALISME ET NEW DEAL

Le National-Socialisme est une doctrine morale résultant de longues méditations, fixée une fois pour toutes, aux règles permanentes et rigides ; le New Deal, un système politique improvisé, un empirisme, aux procédés opportunistes et flottants.

Mein Kampf est une bible ; Looking forward une thèse de circonstance.

Hitler est lui-même un homme du peuple, au milieu duquel il a vécu, dont il a partagé la misère et dont il connait les ressorts ; Roosevelt est né bourgeois, n’a jamais fréquenté que des bourgeois, et ne sait de la démocratie que ce qu’il en a théoriquement appris à l’Université d’Harvard.

Les desseins de Hitler, sa propagande, ses buts, s’inspirent d’un idéal : l’épuration de la race et le réveil de la culture allemande dans l’union nationale et sociale ; les intentions de Roosevelt, ses procédés, ses objectifs ont pour fin l’intérêt matériel ; la maîtrise des marchés, l’accaparement de l’or, la monopolisation du crédit.

Hitler est un apôtre et, comme tel, il a des disciples ; Roosevelt est un intellectuel spéculateur et n’a que des clients.

Sûr de son fait, le premier réalise en ligne droite son « rêve intérieur », ne voit que son idée, la claironne, se soucie peu des objections, ignore les transactions, traque l’adversaire, pour tout dire est intolérant ; le second, a dit un de ses compatriotes, « est un phonographe sur lequel on peut jouer tous les discours », il admet toutes les controverses, il plaide, prend des avis, négocie, fait de la procédure, ménage l’opposition, bref, requiert mais ne contraint pas.

Si tous deux sont des chefs élus, Hitler l’est d’un parti unique, nationalement, sans marchandages ; Roosevelt est l’élu politique d’une majorité instable, doit la soigner, et dépend des coalitions qui l’ont soutenu : l’un est enchaîné, l’autre est libre.

Tout cela explique comment, après avoir promis de « traiter le problème comme on fait face à une guerre », — ce que fit réellement Hitler sans l’avoir dit, — le président Roosevelt a pris des initiatives dont le moins qu’on puisse dire, avec A.-J. Baster[1], est qu’elles ne furent « pas reliées les unes aux autres par un lien logique très strict. » « Reflets de la réceptivité mentale du président », ces initiatives parfois contradictoires s’épanouirent dans un plan inégalement heureux, thérapeutique hâtive dont les inspirateurs eux-mêmes attendaient autant de surprises que de résultats. N’est-ce pas l’un d’eux, le professeur Berle, qui, parlant du New Deal naissant, l’appréciait en ces termes proprement effarants : « Nous voilà partis pour une expérience formidable. Nous savons comment nous y entrons, mais nous ne savons pas comment nous en sortirons. »

Quel contraste avec les actes de foi d’Hitler !

Tout cela explique aussi la manière tellement différente dont, presque au même moment, les deux chefs d’État composèrent leur gouvernement et leurs conseils. Alors que Hitler s’entourait d’hommes d’action, rompus à sa doctrine, animés du même enthousiasme, sélectionnés et éprouvés de longue date, Roosevelt formait un ministère hétérogène de professeurs, d’avocats, de juristes et de financiers choisis selon l’usage parlementaire d’un « dosage » politique, économique, même religieux, et s’adjoignait sous le nom de Brain Trust (Trust de l’intelligence) une sorte de conseil privé en majorité composé d’intellectuels et dominé par un banquier d’affaires, le juif Baruch. D’un côté, en Allemagne, des éléments actifs, prêts à exécuter incontinent une tâche déjà fixée dans ses moindres détails ; de l’autre, en Amérique, deux groupes disparates mandatés pour délibérer sur la mise au point d’un programme seulement esquissé.

Cette opposition de deux hommes et de deux méthodes se retrouvera fatalement dans celle des résultats acquis, de 1933 à 1939, à leurs pays.

L’AMÉRIQUE EN 1933

La guerre mondiale de 1914-18 avait provoqué aux États-Unis une période de prospérité inouïe.

De 1917 à 1920, le nombre des millionnaires — en dollars, valeur 5 francs-or — était passé de 16.000 à 20.000, tous enrichis par les fournitures aux armées ou par les spéculations consécutives. Mais c’est surtout de 1924 à 1929 que se manifesta le boom le plus formidable de tous les temps. Tandis que les pays appauvris et vidés par la guerre s’adressaient aux États-Unis pour en obtenir à la fois des marchandises et des crédits, le marché intérieur américain se développait extraordinairement. Tout le monde achetait, achetait, sans réflexion, sans calcul, sans raisons ; les industries perfectionnaient leur outillage pour un rendement illimité ; les fermiers renouvelaient l’équipement de leurs exploitations ; les particuliers ne se refusaient rien. L’argent était si bon marché !

Cet élan vers l’achat, cette folie dépensière participaient naturellement de l’ambiance de richesse qui enveloppait le pays entier, mais aussi des efforts conjugués du gouvernement et des banques pour grossir le pouvoir d’achat de toutes les classes de citoyens. Les 50.000 banques des États-Unis, qui regorgeaient d’or, multiplièrent les offres de crédit tant à la production qu’à la consommation, tandis que l’État lui-même encourageait cette inflation et, poussé par les industriels soucieux de « se créer des acheteurs  », favorisait la hausse générale des salaires. La spéculation s’en mêla, et aussi l’orgueil national d’aligner un niveau de vie, un niveau de salaires et un niveau de prix plus élevés que nulle part ailleurs. Si bien que, tout en gagnant beaucoup d’argent, chacun finit, à force de prodigalités, par s’endetter.

Un moment arriva où les importateurs d’Europe, rééquipés, s’étant remis à produire eux-mêmes, cessèrent d’acheter, où l’accumulation des stocks obligea les usines à ralentir, à congédier des ouvriers, où le « gel » des crédits extérieurs — atteignant au change de l’époque 350 milliards de francs — et le non-paiement des intérêts de leurs prêts contraignirent les banquiers à fermer leurs guichets : au boom succéda le krach.

L’histoire rocambolesque d’un consortium financier connu sous le nom de Groupe Insull illustrera l’inextricable désarroi qui s’ensuivit. « M. Insull, écrit Baster, avait affaibli son groupe en payant des dividendes sur le capital ; il avait anéanti la substance d’un grand nombre de ses compagnies en faisant aux banques des emprunts gagés sur les actions privilégiées, ce qui avait eu pour résultat de court-circuiter le contrôle exercé par les actionnaires ordinaires. Il avait gaspillé l’argent qu’il se procurait ainsi dans de coûteuses opérations destinées à faire soutenir par certaines sociétés les cours défaillants de certaines autres. Il avait fourni à ses sociétés des gains en capitaux en leur conseillant de faire figurer à leur actif pour une valeur excessive les investissements qu’elles possédaient chez les autres. Quant aux gains en revenu, ils étaient obtenus en négligeant l’amortissement partout où c’était légalement possible, et en accumulant les « bénéfices » que les sociétés faisaient en trafiquant entre elles de leurs propres actions à des prix convenus. Owen Young lui-même, qui pourtant connaissait la question, avoua avoir éprouvé un « sentiment d’impuissance » lorsqu’il examina pour la première fois la situation du Groupe Insull. La subsistance du groupe dépendait évidemment d’un apport constant de capitaux frais par le public, apport provoqué par l’énormité des dividendes que l’hypercapitalisation du groupe exigeait, mais que ses opérations commerciales étaient incapables de fournir. La réputation de M. Insull ne pouvait attirer l’argent frais qu’en période de prospérité. »

Si l’on songe que le Groupe Insull n’était pas un des plus importants et que sa manière de pratiquer n’était pas une rare exception, on peut mesurer les répercussions du krach qui stoppa net de tels agissements. De fait, les titres cotés à la Bourse de New-York baissèrent en un mois de 32 milliards de dollars — 817 milliards de francs-papier 1926 — le cours des valeurs s’effondra de 89 % — quatre-vingt-neuf pour cent — entre septembre 1929 et juillet 1933, les transactions du Stock-Exchange ayant dans le même temps diminué de 60 % tandis que l’index boursier passait de 311,9 à 33,9 ; le chiffre des pertes nettes des sociétés anonymes atteignit 5.200 millions de dollars ; la valeur des échanges commerciaux tomba de 9.640 millions de dollars à 2.934 millions ; l’activité s’amenuisa de 64 % dans le Bâtiment, de 50 % dans les Transports, de 33 % dans l’Industrie, de 34 % à la Mine ; le chômage éprouva près de 13 millions d’ouvriers ; plus de 800.000 fermes hypothéquées furent l’objet de saisies judiciaires ; 10.000 banques furent mises en faillite : les prix de gros baissèrent de 40 %. La débâcle fut donc générale. Accablant tous les citoyens, provoquant des millions de cas tragiques, elle consacra le discrédit du système auquel le pays et ses dirigeants s’étaient follement abandonnés.

Telle était la situation lorsque Franklin Roosevelt, en 1933, accéda à la présidence. Sa chance exceptionnelle était d’y trouver un champ libre. « Le grand patronat était abattu, les ouvriers élevaient des revendications de plus en plus précises, mais n’étaient pas organisés. Et les élections avaient donné au président une majorité de sept millions de voix sur quarante millions de suffrages. Jamais depuis la guerre de Sécession, la situation n’avait été plus adéquate à un grand mouvement de réformes sociales. »[2].

C’est ainsi que le New Deal bénéficia immédiatement du préjugé le plus favorable auprès des masses qui, sans même le connaître, l’acclamèrent pour le seul motif qu’elles en attendaient un changement. Nous verrons ce qu’il en advint.


L’ALLEMAGNE EN 1933

La position de l’Allemagne en 1933 n’était pas moins critique que celle de l’Amérique, mais pour des raisons différentes. La crise américaine était née d’un excès de fortune ; la crise allemande, d’un excès de misère. La crise américaine résultait d’un état d’esprit local, d’un entraînement spéculatif, d’une fausse manœuvre économique ; la crise allemande avait pour origine une guerre perdue, un traité imposé, une situation de fait, une servitude.

Tandis que les États-Unis se trouvaient au summum de la puissance et de la richesse, le Reich était anéanti. Ses moyens de production, diminués par le fait d’amputations territoriales, paralysés par le manque de ressources et la perte de débouchés, avaient été en partie absorbés par la fourniture aux ex-alliés de matières et de machines au titre des « réparations ». Sa richesse intrinsèque était hypothéquée. Il avait perdu tout crédit, vivait mal, et mangeait à peine à sa faim. Il avait à soutenir 7 millions de chômeurs, plus de 20 millions de personnes, plus du quart de sa population. Enfin, son régime politique branlant le livrait aux menées du marxisme et aux intrigues du communisme.

Si les États-Unis souffraient d’indigestion, l’Allemagne se mourait de consomption.

Lorsqu’il fut appelé au gouvernement, Hitler était fort loin de bénéficier des mêmes chances que Roosevelt. Celui-ci concentrait tous les pouvoirs ; celui-là devait les conquérir.


RÉSULTATS COMPARÉS OBTENUS EN 1939

Les résultats de l’expérience Roosevelt et de la méthode Hitler ont été nettement dissemblables. Alors que les succès du New Deal ont été partiels et temporaires, ceux du National-Socialisme ont été complets et constants. La crise allemande a été résolue ; la crise américaine n’a été qu’apaisée. Les chiffres et les faits le démontrent péremptoirement.

La production industrielles allemande, accrue sans heurts et d’année en année avec une régularité d’horloge, est passée de l’indice 100 en 1932 à l’indice 237 en 1938 ; la production industrielle des États-Unis, partie de l’indice 100 en 1932, a atteint en 1937 l’indice 171,4 mais est retombée en 1938 à l’indice 134,4. Le chômage, inexorable critérium de la prospérité économique, a été entièrement résorbé en Allemagne : 7 millions en 1932, les sans-travail n’y étaient plus que 400.000 en 1938, en 1939 il y avait pénurie de main d’œuvre ; 13 millions en 1932, les chômeurs des États-Unis étaient encore en 1939, 8.838.000. Et l’effort financier des deux États s’avérait hors de proportion avec le bénéfice obtenu : la dette publique des États-Unis atteignait, en 1938, 432 dollars 65 par tête d’habitant, en augmentation de 154 dollars 80 sur l’année 1928 ; celle de l’Allemagne, 192 dollars, en accroissement de 119 dollars seulement. Les impôts, à la même époque (1938) s’élevaient respectivement à 90 et 41 dollars par tête.

La preuve était donc faite, et la comparaison était, à tous égards, favorable à l’Allemagne. Il apparut alors aux conseillers de White House que les États-Unis ne reprendraient leur position privilégiée qu’à la faveur d’un second bouleversement mondial, que leur marché continental, pourtant intense, n’ouvrait à leur excessive production que d’insuffisants débouchés : il leur fallait le Pacifique purgé du Japon et l’Europe débarrassée d’Hitler.

D’où, sous le masque d’appels publics à la Raison et à la Paix lancés en 1939 par Roosevelt, les excitations en sourdine de la diplomatie américaine, qui jouèrent dans l’éclatement du drame le rôle qu’on a depuis lors connu.


LES ÉTATS-UNIS ET LA GUERRE

Il est incontestable que l’Angleterre et la France n’auraient pas déclaré la guerre en septembre 1939, si elles n’avaient compté sur l’appui des États-Unis, pas davantage si elles n’avaient considérablement surestimé l’efficacité de cet appui.

L’Amérique avec elles, pensaient leurs dirigeants bornés, c’était la certitude de vaincre. Pensez donc ! la plus grande puissance du monde avec son or, ses matières premières, ses industries, ses moyens de propagande et de pression et, peut-être, plus tard, ses navires, ses avions, ses armes à la disposition des alliés ! L’Allemagne avait perdu d’avance.

Le président Roosevelt prit alors publiquement parti. Ses retentissants discours avaient l’allure de plaidoyers pour les alliés, de réquisitoires contre l’Allemagne. Tout ce qu’il put faire pour avantager la coalition, il le fit délibérément.

Malheureusement, ce tout était peu de chose. Pas plus que les alliés, les États-Unis n’étaient prêts à suffire industriellement aux besoins d’une telle guerre. Neuf mois après l’ouverture des hostilités, au moins de juin 1940, nous a appris le général Weygand, ils ne nous fournissaient que cinq avions par jour, « les sommes  énormes que nous avions versées ayant d’abord servi à construire les usines d’aviation que l’Amérique ne possédait pas. »

Cependant la propagation de la guerre n’effrayait aucunement les gouvernants américains. Sûrs, comme l’avaient proclamé leurs « experts », que l’Allemagne ne pouvait pas gagner, ils n’étaient pas pressés d’en finir, ils « pompaient » tranquillement les avoirs anglais et français, ils épuisaient leur proie, l’Europe, avant de la dévorer.

Ils n’en tombèrent que de plus haut lorsqu’en juin 1940 les armées françaises capitulèrent. Cette nouvelle les frappa comme d’un coup de tonnerre ; pour la première fois, leur apparut la possibilité d’une victoire finale de l’Allemagne. Brusquement, leur belle assurance se changea en terreur panique.


L’HYPOTHÈSE DE LA VICTOIRE ALLEMANDE

La perspective d’une Europe relevée par Hitler au lieu de leur être asservie renversait les espoirs que les États-Unis avaient fondés sur l’après-guerre. L’Allemagne vaincue, c’était, par l’écroulement des systèmes autarciques et totalitaires, l’affermissement du système libéral et des principes démocratiques auxquelles se trouve liée la fortune des États-Unis ; c’était une Europe confirmée dans ses divisions, livrée sans moyens de concurrence aux producteurs et aux banquiers américains ; c’était la durable consécration de la prédominance américaine, l’omnipotence des monopoles, le règne de l’or.

Mais avec une Allemagne victorieuse, autant en emporterait le vent ! D’un optimisme triomphant, les dirigeants américains tombèrent au pessimisme le plus extravagant. Ils envisagèrent l’hypothèse comme le plus grand danger que leur pays ait jamais connu.

Leurs craintes ? Le Harper’s Magazine, en juin 40, en a donné cette énumération : 1o  Hitler vainqueur ne se contentera pas de mener l’Europe, il la vassalisera, spécialement l’Angleterre et la France, qu’il « tiendra sous sa botte » au moyen de garnisons permanentes ; 2o  il s’adjugera l’Afrique et le Proche-Orient ; 3o  il s’annexera la Russie ; en suite de quoi 4o  Hitler interdira tout commerce entre l’Europe, l’Afrique, le Proche-Orient et l’Amérique : « plus de tracteurs, plus d’automobiles, plus de farine, plus de coton américains ne seront vendus dans le domaine hitlérien, car l’industrie européenne, alimentée par les matières premières de Russie et des Indes, sera entièrement capable de se suffire à elle-même et à son annexe d’Afrique » ; 5o  sous Hitler, l’Europe et l’Afrique se dresseront en un bloc anti-or, et les États-Unis, qui possèdent presque tout le métal jaune, « n’auront plus qu’à le laisser enterré à Fort-Knox comme dans un monument funéraire aux espoirs de la démocratie » ; 6o  les États-Unis seront menacés dans leur vie intérieure par la contagion des doctrines révolutionnaires « nazies » ; 7o  la propagande totalitaire corrompra l’Amérique latine et détruira le panaméricanisme ; 8o  avec la collaboration du Japon, Hitler ira jusqu’à fermer le Pacifique à l’expansion américaine ; 9o  à l’inspiration anglo-saxonne, libérale et chrétienne, seront substituées dans le monde des influences subversives.

Le président Roosevelt se devait d’ajouter à ces terrifiantes anticipations un dixième paragraphe ; il n’y a pas manqué. Dans une déclaration de mai 1941, il a fait entrer en ligne de compte l’invasion de l’Amérique par l’Allemagne.

Ces divagations donnent la mesure du dérèglement cérébral provoqué dans les milieux d’affaires américains par l’idée d’une victoire allemande. Elles n’en ont pas moins impressionné cette partie de l’opinion publique composée de Yankees ignorants qui « ne connaissent rien et savent tout sur toutes choses, ouvrent les yeux sans voir et pensent sans réfléchir »[3]. Elles ont incité la Maison Blanche à une série de mesures soi-disant préventives parfaitement irritantes et déraisonnables à l’égard non seulement des puissances de l’Axe, mais de la majeure partie des États de l’Europe et en particulier de la France. Elles ont maladroitement illustré ses prétentions impérialistes. Elles ont fondé l’antagonisme de continent à continent et obtenu ce beau résultat que si, demain, l’Amérique entre en guerre, elle aura contre elle l’Europe entière, unie dans la conscience du danger qui la menace toute.

Ainsi la politique américaine aura fait pour nous ouvrir les yeux bien plus que les propagandistes de l’Europe organisée. Elle nous aura montré que nous tous, États continentaux, avons bien plus à craindre de Roosevelt que d’Hitler et qu’à tout prendre la protection de ce dernier comportera moins de périls que la mise en coupe réglée de l’autre.

Mais le problème est posé : qui des deux continents sera le maître ?


QUI SERA LE MAÎTRE ?

La question n’a pas le même aspect selon qu’on l’envisage du point de vue nord-américain ou du point de vue européen. Les États-Unis, en effet, veulent être les maîtres du monde, tandis que les États d’Europe ne veulent qu’êtres maîtres chez eux. Cette différence de conception résulte d’un profond écart entre les valeurs respectives morales et matérielles des deux pays et leur échafaudage économique.

L’Europe est un composé de nations qui, en dépit de leurs caractères distincts, possèdent une civilisation, un idéal, on pourrait dire une âme, communs. À l’idée de nationalité se superpose dans l’entendement de ses peuples, la conscience d’une certaine unité morale et d’une homogénéité d’aspirations. Ils ne sont divisés que par les conflits d’intérêts.

Les États-Unis, au contraire, ont des intérêts identiques mais, ramassis de toutes les races humaines, manquent de cohésion spirituelle. Les Américains ont perdu la civilisation originelle des puritains anglo-saxons irrémédiablement noyés sous les flots d’une immigration hétérogène, et n’ont d’idées communes qu’en ce qui concerne le profit. C’est là une des raisons psychologiques pour lesquelles, depuis une cinquantaine d’années, leur politique est toute d’inspiration économique.

Depuis la guerre de Cuba, les États-Unis sont menés par les intérêts d’affaires et dominés par les représentants de ces intérêts : les « capitaine d’industrie », les trusts, les monopoles, qui se sont arrogé le droit de « contrôler » la production, les salaires et les prix, — toute la vie matérielle du pays — et y sont parvenus en « contrôlant » et le législateur, et les deux grands partis démocrate et républicain, et l’action gouvernementale. Conséquence fatale de la formation ethnique du pays telle qu’elle s’est effectuée depuis 1880 : tandis que les premiers colons, tous d’origine nordique, véritables pionniers, possédaient et maintenaient depuis le xviiie siècle un idéal de civilisation, les nouveaux venus, — en grande majorité latins du sud européen, orientaux et juifs — mus par l’esprit de lucre, ont submergé leurs précurseurs et ont fait des États-Unis ce qu’André Siegfried a justement appelé une société grégaire de rendement.

Qui méconnaît cette vérité ne comprendra jamais rien à l’Amérique contemporaine, dont toutes les initiatives sont inspirées et dominées par l’orgueil de demeurer, face au reste du monde, le pays au STANDARD OF LIVING le plus élevé.

Tel est l’« idéal » supérieur auquel s’est arrêté un peuple, pourtant vigoureux, courbé sous la férule du grand capitalisme. Des progrès mécaniques, il a été tiré la quintessence. Il a exalté la technique, mais, de cet auxiliaire du perfectionnement humain, il a fait un instrument de lucre. Il n’apprécie une invention qu’en raison de sa valeur marchande et de sa rentabilité ; sa portée morale lui échappe. L’idée de profit le tient, « faire de l’argent » l’obsède : il s’y épuise, et s’y est déséquilibré.

Conséquence, écrit le Dr  Alexis Carrel, notre illustre compatriote, c’est qu’« il y a aux États-Unis des quantités de faibles d’esprit et d’idiots moraux. Dans les hôpitaux, le nombre des fous dépasse celui de tous les autres malades réunis. D’autre part, la criminalité augmente. Les statistiques de J. Edgar Hoover montrent que les États-Unis contiennent actuellement 4 millions 760.000 criminels. Le ton de notre civilisation lui est donné à la fois par la faiblesse d’esprit et la criminalité. Nous ne devons pas oublier qu’un président du Stock-Exchange de New-York a été condamné pour vol, qu’un éminent juge fédéral a été reconnu coupable d’avoir vendu ses verdicts, qu’un président d’université est en prison. En même temps, les individus normaux sont accablés par le poids de ceux qui sont incapables de s’adapter à la vie. La majorité de la population vit du travail de la minorité. Car il y a peut-être aux États-Unis 30 ou 40 millions d’inadaptés ou d’inadaptables. En dépit des sommes gigantesques dépensées par le gouvernement, la crise économique continue. Il est évident que l’intelligence humaine ne s’est pas accrue en même temps que la complexité des problèmes à résoudre. »

À cette intelligence échappent les grandeurs spirituelles qui font l’orgueil des sociétés européennes. L’orgueil américain, dans lequel entre une certaine dose de mépris pour les « vieux pays », ne se fonde que sur les grandeurs matérielles. Peu importe, là-bas, la valeur d’un savant si son laboratoire est le mieux aménagé du monde ; foin de la beauté d’un édifice pourvu qu’il soit le plus élevé.

La fierté suprême des Américains est de se dire que s’ils ne représentent qu’environ 6 % de la population du monde, ils n’en possèdent pas moins 81 % des automobiles et 61 % des téléphones, qu’ils n’en consomment pas moins 75 % du pétrole et du caoutchouc, qu’ils vivent de telle manière que le luxe européen est pour eux la monnaie courante, et qu’ils sont en mesure de satisfaire, au delà de leurs besoins, leurs caprices.

Leur patriotisme lui-même n’a rien de sentimental. Leur drapeau est plutôt une enseigne. S’ils sont glorieux du nombre de ses étoiles, c’est parce que chacune d’elles symbolise une valeur productive. La grande pensée commune de ces hommes sortie du melting pot (creuset) où se sont mêlés sans se confondre tant d’éléments dépareillés, c’est d’appartenir au pays le plus riche du monde.

Ce privilège de la richesse, ils le doivent certainement à leur application, mais aussi à la chance qui leur a réparti un immense territoire vierge et sûr, pourvu de matières premières tellement surabondantes qu’ils n’ont cessé de les gaspiller. L’immensité de ce territoire d’un seul tenant, qui possède toutes les variétés de climats, des terroirs aptes à toutes les cultures et d’énormes ressources minières, leur a permis, dès l’apparition du machinisme, de créer à la source même des matières une industrie assurée d’importants débouchés sur un marché libre d’entraves. Les besoins d’une population fraîchement immigrée portant presque partout sur les mêmes articles ont immédiatement entraîné la standardisation des demandes, à laquelle répondit la standardisation de la production, Fabriquant dès lors en grande série des objets de vente certaines, les industriels furent amenés à porter à l’extrême l’utilisation de la machine et, par la réduction parallèle du nombre de leurs ouvriers, résolurent le problème d’accroître les salaires en diminuant le prix de revient. Partie de l’indice 100 en 1900, la dépense de force motrice appliquée à l’industrie atteignit en 1914 l’indice 220, l’indice 278 en 1919, l’indice 336 en 1923 ; la production s’élevait dans le même temps aux indices 156, 195 et 225 ; la main-d’œuvre humaine, aux indices nettement inférieurs 134, 161 et 190.

La politique des hauts salaires qui procédait non d’une pensée sociale, mais d’un système économique visant à augmenter, dans l’intérêt du producteur, les facultés d’achat des masses, se généralisa bientôt. Les travailleurs américains se firent alors les plus belles journées du monde : un maçon, à New-York, était payé jusqu’à 17 dollars, près de 400 francs ; un simple manœuvre, de 75 à 130 francs.

L’index des prix étant resté en deçà, le standard of living progressa, et aussi les dépôts dans les banques et les caisses d’épargne : 8.729 millions de dollars pour 11 millions de déposants en 1914 ; 20.874 millions de dollars pour 39 millions de déposants en 1924.

Cette période d’après-guerre fut l’âge d’or… pas pour tous cependant car, en dépit de la restriction brutale de l’immigration, la mécanisation des industries aboutit au licenciement de nombreux ouvriers, et au chômage. Seuls profitèrent du boom ceux des citoyens américains qui, à titre quelconque, du grand patron au dernier travail appointé, furent engrenés dans le mouvement. Les autres végétèrent, et souvent misérablement.

La répartition de la richesse se révèle aux États-Unis d’une inégalité flagrante. Soixante familles seulement y contrôlent les deux tiers de la fortune nationale ; l’ensemble de la nation se débat autour de l’autre tiers, plus de dix millions d’individus, sans compter les chômeurs, vivent dans une condition de misère, et ces individus, véritables laissés pour compte, ne reçoivent guère de l’action sociale car, aux États-Unis, l’entr’aide elle-même est une affaire. Autant la « solidarité » des grands jouera pour les auxiliaires de leur fortune, autant elle sera nulle à l’égard des inutilités et, s’ils créent à leur intention certaines institutions coûteuses, ce sera pour les « moraliser », non pour les nourrir.

Aux États-Unis, la richesse est considérée comme un don du ciel, une sorte de droit divin ; ses bénéficiaires s’en acquittent et s’en glorifient au moyen de fondations publicitaires religieuses, scientifiques, secourables, imposantes mais toutes de façade, à la manière des Orientaux qui, pour satisfaire leur conscience, construisent, à l’intention des pauvres voyageurs, des caravansérails où ceux-ci ne trouvent que ce qu’ils y apportent.

N’est-il pas stupéfiant de constater qu’au moment de la grande crise de 1933, les États-Unis ne possédaient qu’une très primitive organisation de prévoyance sociale, que l’assurance-chômage y était complètement ignorée, que les retraites, laissées à l’initiative des États, y étaient rares ? C’est la preuve que dans un pays soumis à la toute-puissance de l’argent, où la vie sociale se concentre sur le profit, où les idéaux mêmes sont pesés comme une valeur marchande, l’intérêt général n’apparaît que dans la mesure où il sert l’intérêt des privilégiés.

Sans doute l’Américain est-il, comme le constate André Siegfried, « toujours prêt à voter, par esprit de progrès, une loi nouvelle », mais c’est « quitte à ne pas l’appliquer ». Il y a ainsi beau temps que le Trustbursting (sus aux trusts) a été posé en principe et sanctionné par les textes les plus sévères : la loi anti-trust Sherman remonte à 1890 et fut suivie de plusieurs autres. Il n’empêche que les monopoles et les holdings n’ont cessé de fleurir et de s’étendre « jusqu’à mettre en péril le principe même de la propriété privée »[4]. Car, au-dessus de la loi s’est dressée l’interprétation des tribunaux, qui en dénatura l’esprit. La jurisprudence admit, par exemple, que, bien que contrôlant plus de 90 % de la fabrication des chaussures, l’United Shoe Machinery Company n’était pas une coalition ; que la Standard Oil n’était pas une coalition « indue » ; que les prescriptions légales n’étaient pas faites pour les affaires « affectant l’intérêt général », formule dont l’élasticité permit d’y faire entrer toutes les grandes entreprises. Et le tour fut joué.

Cette digression illustre un aspect caractéristique de la mentalité américaine, indispensable à concevoir si l’on veut expliquer la politique suivie par les États-Unis vis-à-vis du reste du monde. En effet, de même que, chez eux, l’individu n’est considéré qu’en fonction de son rendement, au dehors, les nations étrangères sont mesurées au bénéfice qu’ils en attendent.

On a écrit et répété que l’Américain avait le sens de la communauté, le sens du groupe : ce n’est vrai que lorsqu’il s’agit d’associations d’intérêts. Nulle part on n’a pu voir autant de chefs d’entreprises se coaliser pour l’étranglement de leurs concurrents, qu’ils soient étrangers ou nationaux.

Au début de leur histoire et jusqu’à la fin du xixe siècle, les États-Unis ont observé à l’égard des autres pays une attitude distante. « Vivez tranquilles et laissez-nous de même », énonçait en substance la doctrine de Monroë. S’ils commerçaient avec l’Europe, c’était presque par condescendance, car ils avaient le sentiment de former à eux seuls un monde indépendant. L’Américain, même de nos jours, est demeuré continental. L’isolationnisme est son fait. C’est seulement en période de crise qu’il regarde au dehors, qu’il y cherche le moyen de se refaire et devient interventionniste.

Il a de quoi vivre puisqu’il produit à peu près tout, mais il s’est habitué à mieux vivre et doit parfois, pour y atteindre, écouler hors de ses frontières le surplus de sa production. Il y parvient généralement sans peine car, d’une part, il dispose d’un excédent de matières premières et de produits naturels qui manquent ailleurs et, d’autre part, la spécialisation et la rationalisation de ses industries lui permettent, pour nombre d’objets, de défier jusqu’au delà des mers toute concurrence de qualité et de prix.

Ses deux grands marchés extérieurs sont l’Europe et le Pacifique. Jusqu’au début du xxe siècle, sa clientèle européenne absorbait environ les 80 % de son exportation, sa clientèle asiatique 4 %. Depuis lors, et surtout depuis la guerre mondiale, son effort s’est porté sur l’Asie dont le pourcentage d’achats en 1939 s’est élevé à 20 % tandis que le pourcentage européen tombait à 50 %.

La vente de ses matières premières — pétrole, charbon, minerais, etc., — et de ses produits naturels — blé, maïs, coton, tabac, etc., — en excès de sa consommation lui permet largement de se procurer en échange les quelques articles qui lui manquent : caoutchouc, thé, café, sucre, etc. La vente de ses machines et objets fabriqués constitue alors un bénéfice net qui s’applique à la satisfaction, non plus de ses besoins stricts, mais de ses fantaisies de peuple riche.

La prodigieuse prospérité que l’Américain a connue, sauf la courte crise de 1920, de 1918 à 1929, a suffi pour l’accoutumer à un genre d’existence dans lequel ce que nous considérerions comme superfluités joue le rôle de nécessités. En même temps, la capitainerie d’industrie, la haute finance, l’État lui-même avaient pris l’habitude de traiter le monde de Turc à Maure.

Mais vint la crise, et l’Américain se rendit compte de ce qu’il avait perdu en gâtant l’occasion « historiquement inouïe » qui lui avait été offerte en 1919 « de prendre la conduite du monde »[5]. Ce que la guerre de 1914 leur avait apporté « sur l’assiette d’argent proverbiale »[5], une autre guerre ne pourrait-elle le leur fournir ? L’idée germa, se précisa, et les États-Unis commencèrent d’attiser le conflit.

Aujourd’hui qu’il a mal tourné, ce n’est plus de leur domination qu’il s’agit mais de leur sauvegarde. Ils considèrent avec effroi la valeur du nouveau bloc Europe qui, demain, s’opposera au bloc américain.


VALEUR RESPECTIVE DES DEUX BLOCS

La superficie des États-Unis, moins l’Alaska, est de 7.800.000 kilomètres carrés ; celle de l’Europe, y compris la Russie, de 10 millions. La population de l’Europe est de 490 millions d’âmes, 48 au kilomètre carré ; celle des États-Unis de 120 millions, 15 au kilomètre carré.

Le marché intérieur européen est donc plus important, en espace et en peuplement, que le marché américain.

S’il est resté jusqu’à ce jour moins actif, et moins exploité, c’est en raison de sa division en 27 compartiments étanches, en organismes économiques discordants, sans libres communications et sans entente. Subordonnés à la politique égoïste de chaque État, la production et le commerce s’y heurtaient aux parois de cadres étriqués battus par des courants contraires dans la concurrence effrénée des prix et l’insécurité des prévisions. Les États-Unis, au contraire, travaillent solidairement sur un vaste espace libre, où circulent sans entraves les échanges. Le rendement respectif actuel des deux continents est dès lors aussi disproportionné que celui d’une exploitation d’un seul tenant et d’une propriété morcelée en parcelles.

Pourtant l’Europe contemporaine, en raison même du retard apporté à son équipement et du niveau d’existence arriéré d’une partie de ses peuples, offre à la production des perspectives d’autant plus larges. Ses industries ont devant elles des possibilités supérieures à celles qu’ont derrière elles les industries américaines. Et si l’on considère qu’elles devront en même temps répondre aux demandes croissantes de 140 millions d’Africains, on peut conclure qu’une fois organisées pour un rendement rationnel, elles seront pour longtemps assurées de débouchés illimités.

À l’intérieur de cette Europe continentale et coloniale se fera l’échange normal des matières premières possédées par les régions neuves contre les objets fabriqués par les régions plus avancées. Est-ce à dire que l’Europe unie et son annexe naturelle l’Afrique travailleront en circuit fermé ? Ce n’est pas souhaitable. Ce qu’il faut désirer, et ce qui est réalisable, c’est qu’elles suffisent à leurs besoins majeurs, mais, de même que certaines fabrications françaises, italiennes, allemandes, etc., au caractère original inimitable, garderont leur pouvoir d’attraction sur les acheteurs de tous pays, de même que le champagne, le cognac, les grands vins, produits spécifiques du terroir, seront toujours partout demandés, de même l’Européen fera venir d’Amérique ou d’ailleurs certaines machines spéciales, certains outils, certains produits typiquement étrangers à son sol tels que le sucre de canne, le riz, le caoutchouc, le rhum, et ne cessera de se plaire aux soieries japonaises et aux tapis d’Orient.

Nous n’en avons pas moins sur les États-Unis un avantage considérable, qu’il nous appartiendra de conserver, c’est la tradition du métier. Cette tradition, ceux qui la possédaient en émigrant en Amérique, l’ont vite perdue. Agrippés par le machinisme, ils se sont, comme leurs prédécesseurs, attachés à l’industrie de série et désintéressés de tout travail original. Cette production de masse — mass production — a été poussée à l’extrême par l’élimination des variétés de présentation, de type et de forme : les manufactures américaines ne fabriquent aujourd’hui que 4 sortes de bouteilles au lieu de 210 autrefois, que 7 formes de briques au lieu de 66, que 4 types d’autos au lieu de 275, etc. C’est le triomphe de l’uniformité, qui aboutit, à force de standardiser toute chose, à la standardisation des esprits eux-mêmes, et des goûts, et qui rend dès aujourd’hui l’Américain incapable d’imaginer, d’exécuter une œuvre vraiment personnelle. Jusque dans le domaine de la mode, où d’ailleurs, il copie ses modèles sur les nôtres, vous observerez que la femme du millionnaire et la dactylo de son mari ont la même robe, identique de façon et de style, différenciée seulement par la qualité du tissu. Tandis que chez nous valent surtout l’invention, le génie créateur, là-bas ne se paie que la matière.

Il en résulte que si l’Europe est certainement capable de se créer une puissante industrie susceptible de la libérer des monopoles américains, l’Amérique est non moins certainement incapable de se passer des fournitures européennes d’articles et d’objets dont la fabrication ne se fait pas en grande série. Qualifiée pour les deux systèmes, l’Europe marque ici un avantage sur les États-Unis, nettement handicapés pour l’un d’eux.

En somme l’Europe, plus vaste, plus peuplée, plus certaine de ses débouchés, sera demain techniquement, si elle fait l’effort nécessaire, aussi bien équipée que les États-Unis pour la production de masse, et les surclassera pour la production singulière.

L’agriculture américaine souffre, et plus gravement, du même mal que l’industrie : ici, pas d’artisans ; là, presque pas de paysans. Les tenanciers de la terre sont des fermiers qui exploitent, eux aussi mécaniquement, d’immenses espaces et les exploitent en affairistes bien plus qu’en bons pères de famille ? La plupart ne vivent pas sur leurs terres. Beaucoup d’entre eux en sont encore au stade de la culture extensive, à l’exemple des premiers colons qui, devant l’immensité des espaces libres, agissaient à l’instar des nomades, ne se donnaient pas la peine de « cultiver » mais « épuisaient » telle partie de terroir pour passer ensuite à une autre. Avec cette circonstance aggravante qu’aujourd’hui les domaines sont délimités, les exploitations sédentaires, et que les ressources gaspillées ne peuvent plus être retrouvées. Il en est de même pour les forêts qui s’étendaient, il y a 150 ans, sur 330 millions d’hectares et, follement abattues, saccagées ou brûlées, n’en couvrent plus que 120 millions.

Pour sauver son agriculture éprouvée par la « prospérité » autant que par la crise, l’Américain devrait s’astreindre à épargner la terre, à s’y attacher, à l’aimer. On peut douter qu’il y parvienne tant il est porté, en toutes choses, à viser le bénéfice immédiat sans le moindre souci de l’avenir.

L’Européen, par contre, a la tradition paysanne dans le sang. Il a le respect de la terre, il la soigne, il ne la violente pas. Il est infiniment plus qualifié que l’Américain pour la travailler méthodiquement et, si l’on peut dire, humainement.

Colossal avantage pour l’Europe, car « ce qui compte dans un peuple, c’est avant tout le paysan : la terre a plus de prix que l’outillage industriel, aussi perfectionné soit-il »[6].

Mais l’Europe possède-t-elle des ressources naturelles comparables à celles de l’Amérique ? Possède-t-elle aussi les moyens matériels indispensables à un essor qui, pour lui être profitable, doit se réaliser dans une indépendance économique complète ?

Sans doute la valeur intrinsèque de leur fonds fait-elle des États-Unis la plus riche des nations du monde et la mieux pourvue : ils ont incontestablement plus de blé, plus d’orge, plus de maïs, plus de porcs, plus de houille, plus de pétrole, plus de fer, plus de cuivre, plus de plomb, plus de zinc, plus de matières colorantes, plus de sulfure, plus de coton qu’aucun autre pays des deux hémisphères. Cependant si on leur oppose non plus isolément la France, l’Allemagne ou la Russie mais l’Europe et, a fortiori, l’Europe augmentée de l’Afrique, leur supériorité s’efface en bien des cas.

Les États-Unis produisent bon an mal an 230 millions de quintaux de blé, l’Europe 650 millions, l’Afrique 30 millions. D’où vient que l’Europe, pays du blé comme l’Asie est le pays du riz, en ait vu non seulement le marché mondial mais son propre marché soumis au contrôle américain ? D’où vient que la perspective d’une bonne récolte au delà des mers faisait hier encore baisser le prix du blé en Beauce ? D’où vient que l’Europe occidentale achetait chaque année 130 à 150 millions de quintaux de blé aux deux Amériques et à l’Australie plutôt qu’à la Russie et à la Roumanie ? D’où vient que la France importait du blé américain plutôt que du blé marocain ? D’où viennent ces faits invraisemblables, ces contresens absurdes, ces anomalies paradoxales ?

De ce que, face à une Europe divisée se dressait une Amérique unie, de ce que cette Europe, affaiblie par ses rivalités, était incapable de défense contre l’internationale capitaliste qui la rongeait, contre l’internationale marxiste qui la paralysait, contre l’internationale juive qui l’épuisait. C’était la désertion de nombreuses campagnes, causées par l’abandon des traditions sociales et familiales ; l’indifférence des gouvernements à l’égard de la paysannerie ; l’insécurité du rapport de la terre en l’absence de prix stables et de vente assurée ; l’insuffisance et la cherté des transports intracontinentaux ; la protection douanière ; la spéculation internationale jouant à l’inverse des intérêts généraux et en la seule faveur de quelques maisons aussi peu scrupuleuses que puissantes ; par exemple en France même l’entreprise Louis-Dreyfus.

Ces entraves supprimées, la production européenne pourra impunément s’accroître en surface et en intensité, Le rendement à l’hectare, qui dépasse en Belgique 28 quintaux, n’est que 14,6 quintaux en France, de 9,8 en Roumanie, de 7,7 en Russie ; son relèvement dans ces trois pays, qui fournissent à eux seuls plus de la moitié du blé continental, pourrait, au besoin, la doubler. Il leur suffirait de s’appliquer les méthodes économiques et techniques grâce auxquelles, en Allemagne, le rendement à l’hectare est passé en cinq ans sur des terres moins fertiles que les leurs, de 22,3 à 27,6 quintaux.

Il est sûr en tout cas que plus jamais l’Europe n’importera du dehors un seul quintal de blé. Elle économisera ainsi chaque année de nombreux milliards.

Il en sera de même pour l’orge, le seigle, l’avoine, la pomme de terre.

L’Europe produit les 48 % de l’orge mondial (États-Unis 18 %), les 95 % du seigle (États-Unis 3 %), les 60 % de l’avoine (États-Unis 29 %), les 89 % de la pomme de terre (États-Unis 7 %), ce qui ne l’empêchait pas, faute de distribution réglée, d’en acheter tous les ans des millions de quintaux au dehors.

Même remarque pour le cheptel. Ici encore l’Europe seule vient avant les États-Unis et, augmentée de l’Afrique, les distance de loin.

On trouve en Eurafrique 57 millions de chevaux (55 millions en Europe), les 52 % du monde, contre 16 millions aux États-Unis, 16 % ; 220 millions de bovins (168 millions en Europe), 27 % du monde, contre 60 millions et 10 % ; 98 millions de porcs (Europe 95 millions), 33 %, contre 61 millions et 21 % ; 340 millions d’ovins (Europe 254 millions), 37 %, contre 45 millions et 6 %. Les États-Unis ne sont supérieurs qu’en ce qui touche l’élevage du mulet, avec 5 millions de têtes, plus que le reste du monde n’en possède. Mais n’est-il pas extravagant, en présence des chiffres ci-dessus, de relever qu’en 1937 l’Europe a néanmoins importé 7 millions de quintaux de viande de bœuf, 8 millions de quintaux de laine, 1 million de bovins et 1 million de porcins !

La production eurafricaine de sucre est de 8.930 millions de tonnes (Europe 8.156 millions), celle des États-Unis de 1.023 millions. La production de tabac est de 460 millions de tonnes contre 630 millions. Le café, le thé, le cacao, que l’Afrique peut fournir, manquent aux deux groupes, de même que le caoutchouc. Quant au coton, les États-Unis en produisent 30 millions de quintaux et l’Afrique 5, sur un total mondial de 57 millions, mais les plantations africaines sont, on le sait, susceptibles d’une extension considérable.

En somme, tous les produits de la terre, sauf le coton, et de l’élevage, sauf le mulet, se trouvent en quantités absolues plus abondants en Europe qu’aux États-Unis. Considérée relativement au chiffre des populations, la production européenne, telle qu’elle existe actuellement, c’est-à-dire sans tabler sur son éventuel accroissement continental et colonial, laisse parfois, par tête d’habitant, moins de boni que la production américaine, mais dépasse la consommation. Il en résulte que l’Européen peut vivre de son sol, sur son sol, et que l’Eurafrique se passera aisément des importations de céréales (165 millions de quintaux en 1937), de sucre (35 millions de quintaux), de beurre (573.000 tonnes), de vin (10 millions d’hectolitres), de viande (7 millions de quintaux), d’œufs (330.000 tonnes), de fruits et de pommes de terre que son inorganisation l’obligeait jusqu’alors à faire venir des autres continents. Seuls lui manqueront, si l’on fait abstraction des possessions européennes d’Asie, le riz, le café, le thé, et certains produits accessoires typiquement tropicaux dont l’achat se trouvera largement compensé par la vente de ses excédents. Elle est donc assurée sur ce point d’une indépendance absolue et d’une balance commerciale active, en tout cas affranchie de l’intervention américaine.

Ajoutons, en pensant au coton, à la laine, à la soie, que l’utilisation des fibres artificielles par les industries de remplacement ouvre à l’Europe de nouvelles perspectives d’affranchissement.

Quant au caoutchouc, les États-Unis sont placés pour savoir la valeur du néoprène, mais nous sommes en mesure d’apprécier la valeur du buna de fabrication allemande, tiré d’un sous-produit de l’acétylène — c’est-à-dire du charbon et de la chaux — dont la résistance et la durée sont de 20 à 30 % supérieurs à celles du caoutchouc naturel… et du caoutchouc synthétique américain.

Passons aux produits du sous-sol.

Là aussi les États-Unis présentent une impressionnante supériorité relative. Ils sont au premier rang des nations pour le pétrole, pour le charbon, le plomb, le zinc, les phosphates, les sulfures ; au deuxième rang pour le cuivre, le fer, l’argent et la bauxite ; au troisième rang pour l’or.

Cette supériorité n’est absolue qu’en ce qui concerne le pétrole dont les États-Unis produisent 130 millions de tonnes, les 68 % du monde. Encore convient-il, sans parler de la production synthéthique, d’observer qu’il existe en Europe, et aussi en Afrique, nombre de gisements inexploités bien que connus. Évoquons à titre d’exemple celui de Tselfat, au Maroc, où s’est manifestée en 1934 une éruption caractérisée par une colonne de 70 mètres de hauteur et un débit initial de 300 tonnes par 24 heures d’huile de forte teneur en produits blancs, autorisant de si brillants espoirs que, dit-on, les maîtres anglo-saxons du pétrole s’en inquiétèrent et intervinrent subrepticement pour en « ralentir » la prospection : le fait est qu’on n’en a plus parlé, après un incendie vraisemblablement provoqué.

Que de ressources, que d’inventions, que de procédés industriels ont été ainsi étouffés chez nous par les coalitions financières internationales ! C’est là ce qu’on appelait la « libre » concurrence, concurrence purement destructive, consistant à étouffer dans l’œuf toute entreprise rivale dangereuse, au mépris de l’intérêt général et du progrès, pour le seul profit de quelques-uns. Tel est le genre de « liberté » pour lequel les grandes démocraties continuent d’ensanglanter le monde.

L’Europe extrait de son sol 600 millions de tonnes de houille, les États-Unis 515, l’Afrique 13. Les deux groupes sont exportateurs, donc indépendants. Mais l’Europe produit 55 millions de tonnes de lignite contre un demi million de tonnes aux États-Unis, et 65 millions de tonnes de coke contre 48.

Si les États-Unis l’emportent de beaucoup sur l’Europe pour le cuivre : 828.000 tonnes contre 150.000 + 138.000 en Afrique ; pour le zinc : 624.000 tonnes contre 392.000 + 33.000 ; pour le plomb : 566.000 tonnes contre 270.000 + 63.000, l’Europe les surclasse pour le fer : 90 millions de tonnes + 4 millions en Afrique contre 63 millions ; pour le manganèse : 1.088.000 tonnes + 570.000 contre 196.000 ; pour l’étain : 5.100 + 11.900 tonnes contre 0 ; et pour la bauxite : 1 million de tonnes contre 370.000.

En ce qui concerne la houille blanche, les États-Unis et l’Europe sont à peu près à égalité d’exploitation — 12 à 15 millions de C. V. — mais les réserves de l’Eurafrique sont infiniment plus importantes ; 72 millions de C. V. en Europe, 186 millions le C. V. en Afrique, 35 millions de C. V. aux États-Unis.

Si nous considérons l’ensemble des forces d’énergie naturelles à la disposition des deux groupes — houille, pétrole et houille blanche — il apparaît que l’Europe n’est pas la moins privilégiée.

Contrairement à ce que beaucoup supposent, la grosse industrie européenne du fer et de ses alliages est dès aujourd’hui plus considérable que celle des États-Unis : production de fonte brute en Europe 46 millions de tonnes contre 39 millions ; production d’acier brut 53 millions de tonnes contre 50 ; production de fer laminé 34 millions de tonnes contre 33.

L’Eurafrique est moins bien servie pour la fonderie du cuivre ; elle en consomme 850.000 tonnes alors qu’elle n’en produit que 300.000, tandis que les États-Unis, en consommant 750.000 tonnes, en produisent près de 900.000. Il en est de même pour le plomb : consommation eurafricaine 850.000 tonnes, production industrielle 400.000, consommation américaine 840.000 tonnes, production industrielle 620.000 ; pour le zinc : consommation eurafricaine 710.000 tonnes, production industrielle 580.000, consommation américaine 780.000 tonnes, production industrielle 520.000. Mais l’industrie européenne a l’avantage en ce qui concerne l’aluminium dont elle produit 117.000 et consomme 101.000 tonnes, alors que l’industrie américaine n’en produit que 80.000 tonnes pour une consommation de 100.000. Enfin, la production d’électricité est en Europe de 90 milliards de kwh., celle des États-Unis de 105 milliards.

En résumé les grandes industries des deux groupes sont d’un ordre de grandeur comparable, et celles de l’Eurafrique possèdent en sources d’énergies latentes, en matières premières inexploitées, en débouchés aussi, d’immédiates possibilités supérieures à celles de l’Amérique.

Quant à l’industrie des textiles naturels, l’Europe possède pour le coton 2.200.000 métiers et 105 millions de broches, les États-Unis 750.000 métiers et 35 millions de broches ; pour la laine, 370.000 métiers européens avec 19 millions de broches, 90.000 métiers américains avec 5 millions de broches ; pour la soie naturelle, 180.000 métiers européens contre 110.000 américains ; pour le lin, 215.000 métiers contre 300, 3 millions de broches contre 8.000 ; pour le jute, 45.000 métiers européens et 950.000 broches contre à peu près rien. Supériorité de l’Europe sur toute la ligne, et qui devient écrasante avec l’intervention des textiles de remplacement dans la fabrication desquels elle enregistre, spécialement en Allemagne et en France, une remarquable avance : production de rayonne européenne en 1938 = 230.000 tonnes, production des États-Unis 120.000 tonnes ; production européenne de fibres textiles artificiels 260.000 tonnes, production des États-Unis 13.000 tonnes.

Pour la cellulose et la pâte à papier, l’Europe en produit 8 millions de tonnes qui lui suffisent ; les États-Unis en produisent seulement la moitié, 4 millions de tonnes, en sus dequelles ils en importent 1 million et demi. Pour le papier lui-même, l’Europe en fabrique plus qu’elle n’en consomme, 8 millions de tonnes ; bien qu’en fabriquant 9 millions de tonnes, les États-Unis en achètent 2 millions.

Les industries chimiques américaines représentent 45 % de la production mondiale, les industries européennes 35 %. Les premières ont été longtemps avantagées par le fait d’une beaucoup plus grande abondance de sulfure, mais les secondes se sont affranchies de ce produit de base et lui ont substitué le gypse et l’anhydride : la partie est désormais égale.

Quant à l’industrie des machines — machines outils, textiles, à coudre, agricoles, motrices, etc., — on peut considérer les États-Unis comme susceptibles de doubler en quantité et de surclasser généralement en qualité la production européenne. On connaît l’extraordinaire essor de l’industrie automobile américaine — pour ne parler que de celle-là, — à laquelle des ventes sans cesse accrues ont permis de se baser sur les frais fixes les plus réduits par unité et de concurrencer au delà des mers l’automobile européenne sur son propre marché protégé. On sait aussi comment, au moyen de participations financières, d’absorption d’entreprises, d’ateliers de montage, les « rois » américains de cette industrie ont envahi le marché européen et, davantage encore proportionnellement, le marché africain. Mais il est sûr qu’à mesure que s’élèvera le niveau de vie en Europe, l’automobile prendra, chez nous aussi, un développement qui permettra de fabriquer en très grande série des modèles à la portée de tous. À cet égard encore, les possibilités d’avenir de l’Europe sont supérieures à celles de l’Amérique.

Il est difficile de prévoir ce que la guerre laissera au continent de moyens de transports maritimes. En tout état de cause il est certain que la construction navale aura immédiatement devant elle une longue période d’intense activité.

Quant aux transports continentaux, les États-Unis alignent 402.000 kilomètres de chemin de fer, l’Europe 384.000. Les communications fluviales, routières et aériennes nécessiteront l’exécution d’un immense programme de travaux dans une Europe décidée à multiplier les moyens de liaison, source de vie économique, entre ses membres.

Ces activités exerceront une profonde répercussion sur les échanges extérieurs. En 1928, c’est-à-dire avant la crise américaine, les États-Unis achetaient et vendaient au reste du monde pour 232 milliards de francs, l’Europe pour 80 milliards. Mais la balance américaine présentait un actif de 26 milliards, la balance européenne un passif de 100 milliards. On peut envisager un retournement de ces chiffres et prévoir que le marché extérieur européen, en Afrique et aussi en Asie, se développera parallèlement au marché intérieur et offrira aux industries continentales organisées des débouchés presque infinis.

Tel est le bilan comparatif des forces économiques en présence. Une impression nette s’en dégage, celle que notait, l’année dernière, un journaliste américain : L’Europe est, par sa population, par ses richesses, par sa capacité industrielle et par sa position géographique, PLUS FAVORISÉE que les deux Amériques réunies — a fortiori que les seuls États-Unis, — spécialement si elle peut s’assurer la collaboration du Japon, — c’est-à-dire de l’Asie nouvelle organisée.

Cette collaboration semble acquise puisque le gouvernement de Tokio en fait dès aujourd’hui la base même de sa politique. Elle signifie pour les États-Unis la perte du marché sur lequel ils ont depuis longtemps, mais surtout depuis la guerre mondiale, concentré leur plus grand effort et qu’ils espéraient dominer à l’issue de la présente guerre, une fois éliminés Hitler et ses projets d’Europe unie.

Au surplus, les deux Amériques semblent moins réunies que jamais. Ça été de tout temps la grande peur des dirigeants américains que de voir l’Amérique latine échapper à leur suprême contrôle. Dès 1826, sur leur initiative, avait siégé la première conférence panaméricaine censément destinée à joindre les deux Amériques dans un même sentiment de défense de leur indépendance continentale et de leurs communes aspirations fondées sur le principe démocratique et la déclaration des droits de l’homme, mais dont l’objet réel était, dès cette époque, d’affirmer la suprématie économique et politique des États-Unis, « principale puissance du Nouveau Monde ». Les États-Unis, dit ensuite plus franchement le président Cleveland, sont pratiquement les souverains du continent, et leur volonté y fait loi, et chacun se souvient du big stick de Théodore Roosevelt, de la dollar policy de Coolidge, ainsi que du « cordon sanitaire » proposé en 1937 par l’actuel président Franklin Roosevelt pour préserver ses « frères latins » de la propagande totalitaire.

Contre ces tentatives de subordination, l’Amérique latine a réagi, spécialement depuis la guerre hispano-américaine à l’occasion de laquelle elle ne craignit pas d’assurer la madre patria de son fidèle attachement spirituel.

En fait, les deux Amériques n’« accrochent » pas. Si la géographie les rapproche, la race, la religion, le langage, la culture et jusqu’à l’histoire les séparent, et leurs économies, qui sont loin d’en être au même stade, ont un caractère différent. Les États-Unis forment un ensemble harmonieux ; l’Amérique du Sud, un concert quelque peu bohême. Ici, la fantaisie latine ; là le maintien anglo-saxon. Au nord le mépris du « vieux monde » et de ses traditions ; au sud, leur culte.

Bien au fond, ce qui divise surtout les deux groupes voisins, c’est l’Europe, de laquelle l’un s’est affranchi tandis que l’autre y reste d’instinct attaché.

L’Europe ! toujours l’Europe, dont la puissance de rayonnement est le cauchemar des États-Unis, la rivale supérieure qui paralyse leurs appétits jusque dans leur sphère, l’Europe dont l’abaissement leur aurait laissé le champ libre, mais que son élévation rendra plus que jamais attractive, à leurs dépens.

Ce n’est pas seulement notre vieux continent rajeuni qui, de par la victoire finale allemande, échappera à l’emprise de la finance américaine, mais aussi le Pacifique et jusqu’aux voisins immédiats que la République étoilée considérait comme ses vassaux.


LE CHOC DE DEUX MONDES

Ces perspectives hantent la Maison Blanche et obsèdent son Brain Trust. D’où l’acharnement avec lequel Roosevelt s’est engagé contre Hitler. Mais il a, ce faisant, témoigné de la même inconséquence que dans l’application de son New Deal. Il a visé au bénéfice de la victoire alliée sans vouloir en courir le risque, il a bluffé le monde et son peuple, et voici que, justice immanente, les États-Unis sont en passe d’être les grands vaincus de cette guerre.

Il faut bien dire que l’échec de leurs combinaisons sauvera la civilisation européenne du plus grand péril qu’elle ait couru depuis les invasions barbares. Comme au temps de ces invasions, il s’agit en effet, non d’une guerre entre peuples jaloux d’accroître leurs domaines ou d’étendre leur domination, mais du choc de deux mondes, de deux humanités, de deux concepts qui se heurtent.

Car la lutte a changé de caractère depuis que l’Amérique a prétendu lui donner, sans y prendre part, l’allure d’une croisade pour la liberté démocratique, et il s’agit maintenant de savoir qui l’emportera d’une idéologie anglo-saxonne fondée sur l’asservissement à la matière ou d’un système bâti sur l’affranchissement des esprits.

Tout le reste est devenu secondaire.

Depuis que l’Allemagne a relevé le gant, il est devenu clair qu’elle ne combat plus que pour elle-même mais pour un idéal supérieur auquel, dès aujourd’hui, toute l’Europe s’est ralliée. La vraie croisade, c’est elle qui en a pris la tête.

Sa campagne contre le bolchevisme en était le complément indispensable. Toutes les nations du continent lui ont apporté leur concours réel ou symbolique, et le moins impressionnant dans cette affaire n’est pas de voir les trois couleurs françaises librement associées aux étendards à croix gammée. Cela devait être.

Le communisme, a dit un jour M. Motta, président de la Confédération helvétique, mort l’an dernier, est, dans chaque domaine, religieux, politique, social, économique, la négation la plus radicale de toutes les idées qui sont notre substance et dont nous vivons.

Le communisme tue la famille, abolit l’initiative individuelle et organise le travail en des formes qu’il est difficile de distinguer du travail forcé.

Le communisme russe aspire à s’implanter partout. Son but est la révolution mondiale. Sa nature, ses aspirations, sa poussée, le mènent à la propagande extérieure. Sa loi vitale est l’expansion qui déborde les frontières politiques. Si le communisme y renonce, il se renie lui-même ; s’il y demeure fidèle, il devient l’ENNEMI DE TOUS, car il nous MENACE TOUS.

Toute l’Europe s’en rend compte aujourd’hui, et c’est pourquoi nous la voyons unie, dans l’oubli de ses divisions, pour se défendre.

Seule d’entre ses nations, l’Angleterre prend le parti du barbare contre la civilisation. Cela manque sans doute de nobleness et de clairvoyance, mais elle défend, comme elle le peut, sa peau.

Cependant, que penser d’une Amérique qui, plus que tout autre pays peut-être, a flétri et honni le communisme, et qui vient aujourd’hui l’appuyer dans sa résistance à l’assaut que lui donne, au nom de toute la chrétienté, l’Allemagne ? Que penser de cette collusion entre le bolchevisme et le super-capitalisme ?

Que les États-Unis jettent le masque en se déclarant les ennemis, non plus de la seule Allemagne mais de l’Europe ? que leur entreprise pour sauver du « nazisme » les nations de notre continent n’a jamais été qu’un prétexte ; que, l’événement le démontre, leur intervention pour faire naître et prolonger la guerre n’a jamais eu qu’un but : désagréger l’Europe.

Raisonnons, en effet. S’il nous avait été à la rigueur permis de croire à la sincérité des États-Unis lorsqu’ils prétendaient protéger l’Europe occidentale d’Hitler, comment pourrions-nous persister dans ce sentiment aujourd’hui que les mêmes États-Unis appuient, contre cette même Europe, Staline ?

Qui d’entre nous, même parmi les plus enragé ennemis de l’Allemagne nationale-socialiste, ne préférerait pourtant, au pis aller, la domination de Hitler à la dictature de Staline ? Qui peut un seul instant douter qu’une Russie victorieuse de l’Allemagne bolchéviserait l’Europe entière et nous réduirait tous, propriétaires et prolétaires, à l’état d’esclaves ?

Les dirigeants américains le savent comme nous. Le sachant, ils le souhaitent. Ouvrons les yeux. Ils sont jugés.

N’est-il pas surprenant que Roosevelt et son trust de cerveaux aient oublié le rôle joué, dans la crise de 1929, sur le dérèglement des marchés de Winnipeg et de Chicago par les blés russes vendus à découvert ? Ont-ils pu contester que la baisse due à ces ventes de l’U. R. S. S. obligeant les haussiers américains à des ventes massives de valeurs pour consolider leurs positions, n’a pas été sans influence sur le cataclysme bancaire ? N’ont-ils pas réfléchi, par voie de conséquence, aux bouleversements qu’une Europe russifiée apporterait à l’économie mondiale, et singulièrement à la leur ?

La versatilité du président Roosevelt prend ici son plein épanouissement. Nous avons lu et relu ses harangues, ses sermons sur la défense des libertés individuelles, sur la morale chrétienne, sur le respect des traditions sociales et familiales, nous l’entendons encore stigmatiser les procédés brutaux et sanguinaires des maîtres de la Russie rouge. Et voici, parce que Moscou prend les armes contre l’Allemagne, qu’il se déclare l’allié de Moscou ! Quel méprisable revirement ! Quelle morale que celle au nom de laquelle il est permis de s’associer à un assassin parce qu’il est l’ennemi de votre ennemi !

Dans cette manière d’agir se reflète le défaut de sens moral d’un peuple entièrement désaxé. La pure figure de Washington n’y reconnaîtrait pas les siens. Nous avons commis une grave erreur, nous Européens, nous Français en particulier, en tenant les Américains du xxe siècle pour les héritiers du grand homme dont Chateaubriand a pu dire qu’il avait « une vertu dans le regard » : ils ont été depuis longtemps débordés par l’immigration déréglée qui a fait des États-Unis une mosaïque de peuples sans unité morale, sans tradition, sans âme, plus cosmopolite que nationale. Entre ces peuples, aucune communauté d’amour, aucun lien spirituel, aucune attache sentimentale n’existant, ils ont remplacé le patriotisme par l’orgueil du greatest in the world, la culture par le culte du record, le raisonnement par le slogan, et se sont, faute de mieux, constitués en société d’exploitation. Dès lors a commencé l’« ère diabolique » au cours de laquelle, à la différence de nos vieux pays, la force déterminante de l’action fut, non pas l’intérêt de la nation mais celui des particuliers et, ce qui est plus grave, de quelques-uns seulement de ces particuliers devenus de grands capitalistes.

Des traditions anglo-saxonnes ne subsista dès lors que le côté mercantile, la soif d’enrichissement.

On sait quels crimes de lèse-humanité ont commis, au cours du xixe siècle, les Anglais, sous l’empire de cet état d’esprit. C’est un lieu commun que de rappeler la guerre de l’opium et son évocation suffirait à convaincre d’hypocrisie ces prédicants habiles à couvrir d’un verset de la Bible leurs procédés les plus sauvages. Missionnaires de la civilisation ces hommes qui, vers 1830, s’acharnèrent, pour faire place à la vente de leurs cotton goods, à ruiner, à raser toute l’industrie textile hindoue ? Allons donc ! « La misère actuelle rapportait au Colonial Office le gouverneur-général de l’époque, ne trouve aucun parallèle dans l’histoire du commerce : les os des tisseurs de coton blanchissent les plaines de l’Inde. »

Les Américains se rendent-ils compte parce qu’ils veulent, eux aussi, pour faire place à la vente de leurs goods, ruiner les industries d’Europe, qu’aujourd’hui blanchissent sur notre sol les os de milliers d’Allemands, de Belges, de Français, de Hollandais, d’Italiens, de Norvégiens, de Polonais, etc., sans parler des Russes et des Anglais ? Leur attitude est d’autant plus odieuse que, comme celle des marchands britanniques, elle n’a pour origine et pour but ni le progrès ni le bonheur du monde mais le vil profit de quelques hommes.

« Sous aucun prétexte, avait solennellement déclaré le président Roosevelt, les intérêts matériels ne doivent prendre le dessus sur les libertés humaines. » Les masses américaines — c’était en 1933 — l’ont acclamé comme leur sauveur. Il les a trompées dans la même mesure qu’il nous a déçus.

Fondé sur les déclarations les plus généreuses, sur les principes empreints du meilleur idéal, son New Deal n’a pas plus que lui-même, tenu ce qu’il avait promis. Il s’est révélé incapable de procurer du travail à des millions de chômeurs désireux de travailler et qualifiés. Ses réformes ont été partielles, tâtonnantes, imprécises, minimisées par l’influence toujours prépondérante des monopoles et des coalitions contre lesquels il prétendait lutter. Il a finalement abouti à l’exploitation du consommateur moyen par les grands producteurs et à leur unique avantage. Comme l’a montré A.-J. Baster, il en est résulté « non pas une situation bien organisée mais un système favorable aux consortiums existants : ce n’était plus la concurrence loyale mais le monopole loyal ». Exactement le contraire de ce qu’avait publiquement annoncé le président.

Tel est l’homme qui prétend dicter la loi au monde !

En vérité l’Amérique de Franklin Roosevelt demeure l’Amérique de Wilson, les pays des velléités, des bonnes intentions confuses, des promesses inconsidérées et des assurances rétractées — sur le plan intérieur comme sur le plan mondial.

Quel complexe d’infériorité vis-à-vis d’une Europe rénovée ! Et quelle leçon pour cette Europe ! Quelle démonstration de l’impuissance à laquelle se voue un pays, si riche et si privilégié soit-il, lorsqu’il subordonne aux instincts matériels les valeurs morales et spirituelles dont il a reçu le dépôt sacré ! Et quel vivant réquisitoire contre l’économie capitaliste, incarnée au suprême degré par l’Amérique asservie aux influences juives, que le spectacle de cette nation étouffant sous le poids de son or !

Mais aussi quelle perte pour le monde que ce gaspillage d’énergies détournées de leur objet éternel !


CONCLUSION

Au monstrueux accouplement, dû au proxénétisme juif, des internationales communiste et ploutocratique s’oppose, au dernier acte de cette guerre, l’alliance des nationalismes européens. Face à la collusion des forces britanniques, américaines et soviétiques unies pour détruire se dresse une communion de peuples associés pour construire.

D’un côté l’appétit, de l’autre l’idéal. Ici de puissants moyens coordonnés, au service d’un mouvement spirituel populaire dirigé par un chef génial, là des moyens épars, stagnants, au service d’une coalition d’intérêts matériels à laquelle obéissent des « dirigeants » valétudinaires et flottants.

Comment l’issue serait-elle douteuse ?

Le 8 juillet dernier, la marine de guerre américaine a, sur l’ordre de Roosevelt, débarqué en Islande. Comme un correspondant de presse lui objectait le lendemain 9 juillet que l’Islande n’appartenait pas à l’hémisphère occidental auquel il avait tant de fois déclaré vouloir borner sa « protection », le président a répondu, selon sa coutume, par une pirouette : « Mon point de vue sur les pays qui appartiennent ou n’appartiennent pas à l’hémisphère occidental dépend du dernier géographe avec lequel j’ai parlé. » Sic ! Et il a poursuivi par ces mots : « Il y a des territoires en dehors de l’hémisphère occidental qui sont de la plus haute importance stratégique pour la défense de celui-ci. » Après quoi il a laissé dire que l’occupation de la terre européenne d’Islande préludait à celle des Açores, des îles du Cap Vert et de Dakar.

Si l’occupation de l’Islande est un acte de provocation, l’attaque des Açores et de Dakar serait un acte de guerre contre le Portugal et la France qui y répondraient comme il convient.

Quelle justification les États-Unis allèguent-ils de cette politique d’agression ? Que les Allemands « pourraient » eux-mêmes se servir un jour de ces bases pour lancer une attaque contre leurs rives ! Toujours le même biais hypocrite, et puéril, qui consiste à se décharger sur l’adversaire des responsabilités auxquelles on s’expose et que l’on n’ose prendre.

Comme si l’Allemagne pouvait seulement envisager d’attaquer l’Amérique au delà des océans !

Ces malices cousues de machiavélisme et de candeur, deux mots qui jurent d’être accouplés, tiennent lieu d’arguments à la Maison Blanche aussi bien qu’à Downing Street. Elles ne peuvent plus tromper personne.

Le fait, c’est que les États-Unis ont bel et bien pris pied sur le territoire européen et que, devant cette virtuelle entrée en guerre, l’Europe est plus que jamais fondée à se garder de leur intrusion.

Si les propos de Roosevelt continuent à jouer de l’équivoque, la situation en est désormais affranchie. Elle est nette, elle est claire, et si ouvertement menaçante qu’en face d’elle s’est formé un front européen.

Pour la première fois dans l’Histoire se manifeste effectivement un esprit public continental.

Que cet esprit soit né des œuvres de Churchill et de Roosevelt, c’est paradoxal et divertissant.


Gaston Bordat.

Septembre 1941.
  1. Le crépuscule du capitalisme américain, Librairie de Médicis, 1939.
  2. A. J. J. Baster
  3. Maurice Larrouy : La Caravane de l’Atlantique.
  4. Berle et Means : The modern Corporation and private Property.
  5. a et b H.-R. Luce, dans la revue Life.
  6. Hitler.