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L’Esprit de la femme/1889-09-19

La bibliothèque libre.
L’Esprit de la femme
L’Esprit de la femme (p. 1-4).

L’ESPRIT DE LA FEMME
LITTÉRAIRE, SATIRIQUE, POLITIQUE
PARAISSANT TOUS LES JEUDIS

« En France, en Amérique, partout ce n’est plus telle ou telle femme qui combat le grand combat du Droit et de la Liberté, c’est l’esprit même de la Femme. » R. M. (1) — Vérité - Unité - Humanité — « Cet esprit-là ne fait plus peur qu’aux lâches et aux imbéciles. »

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SOMMAIRE

Notre titre, notre devise. — René Marcil.

La Femme et la Politique. — René Marcil.

Marciliennes. — Les Satisfaits.

Erreur en deça, Vérité au delà. — Un Moineau franc

Italia Una. — R. M.

Némésis, Villiers de l’isle Adam. — René Marcil.

Femina. — Lucien Cardoze.

Guerre aux Prejugés. — La Femme aux Rubans verts.

Mission de la Femme Contemporaine.

NOTRE TITRE, NOTRE DEVISE


En prenant ce titre : l’Esprit de la Femme, j’ai pour but de rassembler et de synthétiser les aspirations et les idées féminines en marche vers un avenir plus pur et plus humain.

Mais ces aspirations, ces idées, ont besoin d’être ralliées par une devise, une devise qui puisse être celle de la cause féminine toute entière et non pas celle d’un groupe quelconque (car il est temps de dégager l’Esprit de la Femme de la gangue des coteries intolérantes et des chapelles étroites.)

Quelque ambitieuse que puisse paraître la recherche d’une telle devise, je l’ai tentée.

Il y a environ dix ans, lorsque j’eus fini d’écrire le petit poème : La Mission de la Femme contemporaine, qui parut dans la Citoyenne, l’idée de cette devise me vint.

Je fus tout à coup frappée par cette réflexion que la devise républicaine, cette belle formule inscrite sur tous nos monuments (qui même pour les hommes n’avait été qu’un mirage grandiose), avait manqué de vertu pour notre affranchissement.

Liberté — Égalité — Fraternité

Liberté ? — Nous, femmes, restions esclaves !

Égalité ? — Nous restions assimilées aux incapables et aux indignes !

Fraternité ? — La prostitution d’État nous disait comment les hommes entendaient cette fraternité-là !

Superbe, notre devise républicaine, mais inaccessible.

C’est pourquoi, sous ces mots : Liberté — Égalité — Fraternité — sous ces mots m’apparurent enfin ceux-ci : Vérité — Unité — Humanité…

La Formule était trouvée ! De plus je lui laissais le nombre, le rythme et la rime de sa grande aînée… et il me sembla que cette Formule qui m’était dictée par l’Esprit de la Femme, s’en allait plus loin et plus haut dans la voie humanitaire.

Examinons :

Vérité. C’est le mot de la Science et de la Libre-Pensée, c’est le libre examen, base du monde nouveau ; c’est le rationalisme vers lequel s’en va chaque jour plus lucide l’Esprit de la Femme.

Unité ! c’est le vœu des peuples, le port où doivent aborder les hommes et les nations toujours en guerre.

Humanité ! c’est le terme dernier et absolu de la Justice encore si imparfaite et boîteuse.

Humanité dépasse Fraternité. Car le christianisme qui avait proclamé les hommes frères, n’empêcha point les chrétiens, pendant des siècles de rôtir leurs dits frères dans les auto-da-fé, ce qui eut été impossible, l’Humanité régnante…

Unité dépasse Égalité, car elle unit le fort et le faible dans l’action humaine, alors que l’Égalité les isole dans un terme menteur — la nature ne créant pas toujours des égaux…

Vérité dépasse Liberté, car elle rend véritablement l’homme libre, en l’affranchissant par la recherche des effets et des causes, du mensonge des théologies oppressives…

. . . . .

Et maintenant, demandera-t-on, quel sera notre programme ? Le voici :

Étudier les problêmes sociaux ; chercher des solutions pratiques.

Combattre sans merci les préjugés politiques, philosophiques et religieux.

Faire la guerre au fanatisme, à la bêtise, à l’esprit jésuitique.

Donner la note juste et désintéressée, c’est-à-dire vraiment féminine dans le concert… ou plutôt dans la cacophonie contemporaine.

Indiquer quelle est la mission de la Femme, ce qu’elle est, ce qu’elle doit être dans la société renouvelée.

Susciter l’initiative féminine en vue d’une propagande féconde par des journaux et des meetings.

Enfin, faire l’appel des capacités féminines, et les convier à s’entendre, dans le but de faire entrer dans la voie de la réalisation (en dehors de toute intrigue ou coterie), le grandiose projet de la Fédération universelle pour le combat de l’Idée émancipatrice dans le monde entier.

— Femmes que la Science fit conscientes, femmes que la Libre-Pensée fit libres, unissez-vous pour libérer le peuple immense de celles qui souffrent et gémissent sur la terre.

Après le noir, la blanche.

René MARCIL.
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LA FEMME & LA POLITIQUE


La forme du Gouvernement importe-t-elle à la Femme.

Voici une question qui me semble-t-il n’a pas encore été posée au moins de cette façon, et qui va quelque peu ennuyer les Philistins de la politique, de la philosophie, et de la morale courante… laquelle morale ne court pas assez vite pour rejoindre les générations qui l’ont déjà dépassée de beaucoup.

Ils ne cessent cependant, ces Philistins essouflés, de crier sur tous les tons : « Les femmes ne doivent pas s’occuper de politique ! »

Et les femmes « pauvres naïves » se sont énergiquement défendues de cette accusation de s’occuper de politique. Eh bien ! elles ont eu tort, car c’est de la forme du gouvernement que dépend l’avancement ou le recul du droit humain, c’est-à-dire du droit de l’homme et de la femme.

C’est là, me dira-t-on une vérité de la Palisse, mais alors comment n’est-elle pas apparue à tous ces la Palisse qui s’imaginent ou feignent de croire que nous faisons de la politique pour notre plaisir !

C’est donc par devoir que riches et pauvres, toutes les femmes qui pensent font aujourd’hui peu ou prou de la politique.

Car riches et pauvres, filles de prolétaires ou princesses, toutes les femmes se sentent égales devant le mépris des hommes et le mépris des lois.

Dernier paria de nos civilisations, la femme veut soulever le fardeau des iniquités qui l’écrase et elle essaie d’entrer dans la politique comme elle est entrée dans la science.

Ici comme là, ce n’est pas à nous à nous excuser de prendre notre place au banquet intellectuel, c’est bien plutôt à ceux qui nous dénient cette place ou qui nous en retardent l’octroi de nous présenter leurs excuses.

L’égalité intellectuelle de la femme est un fait acquis ; il n’y a pas à retourner en arrière et à reprendre notre première humilité. Plus que les Revues consacrées à la défense plus ou moins intelligente de nos droits, plus que les prêches, conférences, ou discours des oratrices politiques, les doctoresses ont forcé les maîtres de la science à s’incliner publiquement devant notre capacité. Ce que n’ont pu faire à aucune époque, les femmes les plus illustres dans les arts, dans la philosophie, dans la poésie, les doctoresses françaises et étrangères l’ont fait, remercions les !

Ce que n’ont pu prouver les Sévigné, les Du Chatelet, les de Staël, les Georges Sand, elles l’ont prouvé…

Conclusion : l’homme ne croit pas au génie, il croit au diplôme, ou plutôt l’homme peut nier le génie, il ne peut nier le diplôme. C’est dans le domaine de l’idée pure qu’il faut maintenant porter l’effort de nos investigations et faire notre trouée lumineuse dans le Droit.

Je disais dans je ne sais plus quelle réunion populaire : « Les femmes n’ont pas de droits ? Eh bien ! Qu’elles les prennent tous. » C’était là une boutade, mais qui ressemblait beaucoup à une raison. En attendant qu’on nous restitue tous les droits que toutes les théologies nous ont confisqués, prenons toutes les places que nous pouvons tenir à l’honneur de notre cause.

Faisons aujourd’hui de la politique, non de la politique de métier, de la politique chinoise, mais de la politique de grandes lignes, à grands coups de pinceaux, comme la comprenaient les grands penseurs et les fiers tribuns, qui insoucieux des finasseries si chères aux hommes de notre temps, ouvraient l’horizon révolutionnaire à grands coups d’aile et à grands coups de poings !

Nous n’avons pas de bulletins de vote ? Nous n’avons pas de mandat ? Nous nous en passerons ! Nous prendrons la plume, nous nous servirons de la parole, et nous crierons ces mots :

« La République avant tout, la République à tout prix. »

Nous dirons aux hommes : Votez pour ceux dont le nom représente la plus grande somme de libertés et de progrès ! et nous dirons aux femmes de toutes conditions qui veulent la fin de leurs misères physiques et morales : Usez de toute votre influence au foyer pour faire voter vos maris et vos fils selon l’esprit de la femme qui est le véritable esprit de l’humanité.

Pour moi, je voudrais dire à tous ces républicains des banlieues parisiennes qui firent le 27 janvier pour donner une leçon aux tenants de la République athénienne qu’en ce temps ils pouvaient encore accoler les mots de républicains à ceux de boulangistes mais qu’aujourd’hui cela ne se peut plus.

Je leur dirais que recommencer la mystification le 22 septembre serait plus qu’une faute, que ce serait un crime ; que la République, c’est le bien de ceux qui n’ont pas de biens, que la République à eux prolétaires, c’est leur atelier, leur outil, leur église, leur asile, la place repose les berceaux de leurs petits.

Je leur dirais, qu’on ne met pas le feu à la maison qu’on habite parce qu’on en veut aux locataires du premier.

Je leur dirais que mettre en danger la forme républicaine par qui, seule, est réalisable, la refonte des codes et la réforme des institutions économiques, c’est se trahir soi-même, c’est trahir l’avenir de l’enfant et l’espérance de la femme, et c’est trahir tous les faibles et les déshérités, c’est trahir tous ceux qui ont combattu pour le Droit, et c’est souffleter les martyrs dont le sang a coulé pour l’avènement du peuple.

Je leur dirais que l’auteur du schisme républicain, que le Général, n’est plus à l’heure qu’il est qu’un spectre qui s’efface et se noie dans les flots noirs de l’armée du passé, l’armée cléricalo-monachiste.

Je leur dirais, retirez-vous si vous êtes républicains de ceux qui firent avec le boulangisme le pacte le plus immoral qu’ait jamais eu à enregistrer l’histoire ; que si ce pacte entre nos séculaires ennemis et leurs éternelles victimes, n’est qu’une tactique, cette tactique est dangereuse et corruptrice au premier chef de la conscience publique.

Je leur dirais qu’ils ne peuvent pas consentir alors que tous les yeux sont dessillés, à paraître dupe de la République bâtarde, dite boulangiste, qui n’est rien que la monarchie honteuse.

Je leur dirais que ce qui doit sortir de l’urne le 22 septembre 1889, c’est le bonnet de Marianne et non le parapluie d’Orléans, et que le chant qui doit s’entendre ce n’est pas l’air de la reine Hortense, mais la Marseillaise du peuple souverain.

Et puisque j’indique ici de quelle façon les femmes entendent la politique, je terminerai par ce vers que j’ai écrit au front de l’imposteur Boulanger.

« Sur l’idéal trahi, l’on marche dans la boue[1]. »

René Marcil.
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MARCILIENNES


LES SATISFAITS

Quiconque, — de nos jours — porte au front la clarté,
Est un lâche, un infâme… ou bien un Révolté !

Oui, celui qui n’a pas dans l’immonde mêlée
Senti se soulever son âme refoulée :
Celui qui prisonnier d’un sordide idéal
N’a jamais poursuivi que son rêve venal ;
Et dans l’affreux combat, tenant dur et rapace !
N’a garé que sa peau, sauvé que sa besace ;
Celui-là qui devant chaque nouveau méfait,
Lève un bras vers le ciel et se dit satisfait ;
Celui-là qui devant tous les pouvoirs se pâme
Celui-là, je le dis, est le lâche et l’infâme !

— Mais d’aucun crime au moins, il ne s’est pas souillé ?
— Non, mais il a joué l’Idée, au doigt mouillé !
— Il ne prend pas l’argent volé qu’un grand empoche ?
— Mais c’est en vil flatteur qu’il sait remplir sa poche !

Cet homme habile et froid, qu’anime un feu trompeur,
Ne connait qu’un espoir, et ne sait qu’une peur ;
A-t-il par quelque endroit laissé passer l’oreille ?
Voilà l’affreux souci, qui dans la nuit l’éveille !
Il est aimable en somme et gentil compagnon,
Et sur la grande rue il aura son pignon !
Il sera député, peut-être un jour ministre,
Mais même ce jour-là ce ne sera qu’un cuistre !
Qu’il se presse aux honneurs ! qu’il se hâte au festin !
Car son nom est écrit au livre du destin,
Parmi les noms de ceux, que de ta plume ardente,
Tu marquas à jamais, terrible et sombre Dante !

Allez Sanchos Panças, vautrés sur votre ânon,
Qui répondez toujours aux don Quichottes, non !
Cyniques mesureurs des coupes mal remplies ;
Chanteurs en faux bourdon des plates homélies ;
Faux-monnayeurs des Droits à jamais bafoués ;
Pour qui les Juvénals manquèrent de fouets !
Hâtez-vous ! hâtez-vous ! ô faiseurs de grimaces,
Plus orgueilleux que paons et plus plats que limaces,
Pour votre être chétif, point n’est de piloris !
Vous vous effacerez dans l’ombre du mépris !
Nul se souviendra de vous ! Votre mémoire
S’en ira comme une eau de l’égout, lente et noire !
Car vous n’avez rien fait (ni mal ou bien) de grand !
L’infiniment petit vous regarde et vous prend !

Allez ! allez en paix, allez, ô petits hommes,
Vous qui montrez si bien tout le peu que nous sommes,
Et qui faites affront aux mânes des aïeux,
Retirez-vous sans bruit, ô gnômes odieux ;
Vous avez pu longtemps, ô race d’invisibles
Échappant à nos traits, vous sacrer invincibles…
Mais sans plus essayer de vous atteindre au cœur
Nous allons balayer d’un coup le camp vainqueur !
Hâtez-vous ! hâtez-vous d’assurer vos derrières,
Contre les coups de pieds, contre les coups de pierres !
Hâtez-vous de sortir par la porte du fond
Roulant votre bedaine avec un air profond !
Allez ! sortez de là, trahisseurs de l’Idée !
Partez, tout affront bu, toute coupe vidée !
Allez, ventres ! ventrus ! tas de ventripotents !
Bonjour, bonsoir, adieu ! peut-être pour longtemps !
Adieu ne tentez pas, j’en atteste Minerve,
Non, notre haine, au moins notre gauloise verve,
Car elle pourrait bien vouloir, ô satisfaits !
Connaître un peu comment ces merles là sont faits !

Erreur en deçà, Vérité au delà


Voici un axiome qui s’applique admirablement à cette éternelle question des droits de la Femme.

Je ne puis penser, sans un profond étonnement que ce qui scandalise et effraie si fort, en France, notamment, certains esprits qui croient être de leur temps, semble la chose la plus naturelle, la plus juste, pour d’autres hommes d’égale intelligence, et qui ne sont ni Cafres ni Hottentots, mais tout simplement Américains, Anglais ou Suisses.

Ah ! ça, chers contemporains, qui trompe-t-on ici ?

Je lis dans un grand journal, je ne sais plus sous quelle signature, à propos d’une ligue qui se fait en Angleterre pour l’obtention des franchises et droits de vote pour les femmes, ligue dans laquelle sont entrés de hauts seigneurs anglais je lis ceci :

« L’Angleterre va bientôt donner aux femmes le droit de voter ; nous ne sommes pas fâchés qu’ils fassent avant nous cette expérience. »

— Eh bien ! je le dis tout net : cela est humiliant pour notre pays ! Depuis quand la France de 89 doit-elle suivre les autres nations dans l’octroi des libertés ?

Jusques à quand les femmes Françaises baisseront-elles un front d’esclave devant l’attitude triomphante de leurs sœurs d’Amérique et d’Angleterre !

Depuis plus de dix ans, avec l’avènement et le triomphe des médiocres, nous constatons cette diminution de la fierté française et nous, femmes, nous ne savons pas nous y résigner.

Allons ! France ! un grand sursaut ! Allons, mère des Titans, secoue les pygmées qui se sont attachés à ton flanc.

Allège-toi des Tartuffes, des Basiles, des Chrysales, des Prudhommes et des Gribouilles qui rongent l’esprit français ; ces lâches, ces imbéciles, ces trembleurs qui te tirent en arrière et menacent de faire de toi la risée des peuples.

Voyez-vous cette grande France qui, dit-on, a peur des femmes ?

On la retient — cette femme tant grandie — cette femme enfin majeure, par les draperies de sa robe et on lui fait les gros yeux…, on lui dit à cette Minerve moderne, sortie tout armée du front de la science, elle aussi libérée, on lui dit : « Quand même tu serais l’âme du monde tu ne passeras pas. »

On lui chante de toutes parts, comme dans une romance célèbre : Ne parle pas, je t’en supplie ! » car il est évident que si la Femme parle, tout est perdu. Personne ne répond plus de rien, et le péril social, le fameux péril sociâl, que vous savez, c’était Elle ! Elle seule.

On le répète de tous côtés : La Femme parle ! la Femme va parler !

Voyez-vous l’ahurissement de la France, l’épouvante de Paris à cette nouvelle.

— Citoyens, on nous signale la présence de quatre doctoresses, de deux poètesses et de trois oratrices dans les environs du Palais-Bourbon. Citoyens, ne dormez pas en paix !

Ou bien :

— Une avocate, gardée soigneusement à vue par douze gendarmes, a pu tromper leur surveillance et, à cette heure, elle siège — en robe — à côté de MM. les avocats terrifiés ! ! ! les jupons de maitre X… sont en danger.

Allons, messieurs de la Gaule, montrez que le vieux sang des vaillants coule encore dans vos veines ; eux, ces fiers Gaulois, ne craignaient pas l’Esprit de la Femme ; ils l’invoquaient, cet Esprit-là, avant de décider la moindre expédition.

Nous, femmes de ce temps, nous n’en demandons pas autant, sûres que nous sommes que le jour où vous vous déciderez à nous admettre dans vos conseils, vous n’irez plus en guerre, car la guerre, nous l’aurons tuée !

Un Moineau Franc.
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CONCOURS

Prochainement nous ouvrirons un Concours de poésie satirique dont nous indiquerons le sujet.

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L’ITALIA UNA
ET L’ALLIANCE ALLEMANDE


Peut-être que demain, ô suave Italie,
— Se souvenant de tes liens. —
Un homme au souffle impur, à la lèvre salie
Mêlera ses baisers aux tiens !
Prends garde ! ô charmeresse hier encor esclave,
Repousse au loin le corrupteur !
Tes fleuves n’ont point d’eau, tes volcans point de lave
Pour noyer tant de puanteur !

Prends garde ! et souviens-toi de tes fils, de ta race,
De tes chantres, de tes guerriers ;
Songe au Verbe latin, qui dompte et qui terrasse,
Et songe à nos doubles lauriers ;
Italie ! Italie ! écoute et sois fidèle
À tes frères, à tes amants !
Ton aube à nos rayons a pris son étincelle,
Ne trahis pas tous nos serments !
Va dire aux trahisseurs de l’Idéal superbe,
À ces pitres en oripeaux,
Que leur affreux espoir a séché comme une herbe
Que tu respectes tes drapeaux ;
Va dire qu’au pays des fleurs et de la joie
On craint la honte et les remords,
Que — Rome — est à l’abri de tout oiseau de proie
N’étant plus la Ville des morts ;
Dis au Teuton qui croit à l’humaine infamie
Que tu te souviens de Néron ;
Que, Rome, des tyrans restera l’ennemie
Et qu’à l’injure tu dis : Non !
Dis, ô peuple nouveau de l’antique Ausonie
Fier Lazare ressuscité,
Que tu n’as pas d’échos qui disent : félonie !
Quand tous répètent ; Liberté !
Dis, ô pays des chants, du soleil, des poètes,
Du Dante et de Leopardi,
Que ton Unité clame à jamais sur les faites
Deux noms : France et Garibaldi !

R.M.
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NEMÉSIS


VILLIERS DE L’ISLE-ADAM

« … Et nous ferons sur leurs tombeaux
« Des discours émouvants et beaux,
« Qui prouveront combien nous sommes
« Pieux… aux mânes des grands hommes… »
— Ainsi disent les sacristains
Qui naguère âpres et hautains
Défendaient si bien le passage
À tous talents… car, c’est l’usage
Hélas ! en notre beau pays
Que tout sentier soit un taillis,
Et que la main la plus divine
Trouve plus la ronce et l’épine…

(R. M.)


Un poète vient de mourir… On le dit grand, maintenant qu’il ne tient plus de place que sous la terre !

Mourir ? cela arrive à tout le monde, même aux poètes…

Celui-ci n’avait pas écrit Les Châtiments ; il n’était ni un Hugo, ni un Lamartine, ni un Musset, ni un Barbier, ni un Leconte de l’Isle. Il n’avait ni le vol d’aigle du premier ; ni le chant de cygne du second ; ni la grâce amère du troisième ; ni la hauteur sévère du quatrième ; ni la pureté impassible du cinquième. Mais il était un poète, un vrai, un adorateur de l’idéal, sinon un servant de l’Idée moderne.

C’était un délicat, un pur styliste, un écrivain très personnel, un esprit fier : on le lui fit bien voir.

C’était dit-on un gentilhomme et un catholique : cela ne me gêne guère.

L’Esprit de la Femme n’est point celui d’un parti ou celui d’une église, son seul culte est celui de l’Humanité.

Et cependant ce poète est mort à l’hôpital ! et il n’était pas de l’Académie. Que n’imita-t-il M. François Coppée ? Que n’écrivit-il des pièces à l’usage des bons jeunes gens de toutes les sacristies ?

Mais ce croyant n’était pas un cagot, et le mystique savait être aussi un satirique…

Aurait-il eu quelque satire de jeunesse à expier ?

Aurait-il chansonné quelque grand ? ou essayé de monter, comme on dit, sur le dos d’un gros éléphant ?

Les sacristains de quelque chapelle littéraire firent-ils tomber sur son front audacieux l’excommunication majeure.

Organisa-t-on contre lui la « conspiration du silence ».

Fut-il plongé dans cet in-pace moderne, plus infâme que l’autre où l’on engloutit, toute vibrante et frissonnante l’âme d’un penseur ?

J’ai peu lu, ce poète trop modeste qui se résigna à l’obscurité et à la mort, aussi je me creusais la tête et cherchais en vain la raison de cette destinée mauvaise, quand mes yeux tombèrent sur l’article du Gil-Blas, signé Colombine :

« On l’oublia, on le voua à l’obscurité… Le sentiment de réparation tardive qui valut à l’auteur des Contes cruels, tant d’articles émus et vrais, loin de rassurer le public, augmente sa stupéfaction, sans ramener sa confiance.

— « Quoi ? s’écrie-t-il, voilà un homme de génie que vous connaissiez tous, qui était de vos amis, qui publiait des livres, et oncques ne m’avez dit un mot de cet ami ! de ses livres et de son génie ! et votre silence est cause qu’il mourut de misère !… Votre cœur l’avoue : « Un peu de justice, lui vivant, l’eût empêché de mourir peut-être ? »

« Cette justice, qui donc la pouvait dispenser ? sa renommée était en vos mains, et avec sa renommée, sa vie ! »

Voici de belles paroles, généreusement indignées ! Colombine, qui n’est pas une femme, mais dont j’ai oublié le nom que je voudrais écrire ici, a rendu la justice — comme une femme !

Voici une mort de poète très émouvante pour ceux qui comprennent combien d’autres agonies se cachent sous cette agonie…

Villiers de l’Isle-Adam avait une maladie que les médecins, dit-on ne purent définir.

Mais nous qui chantons les joies et les souffrances de l’humanité, nous poètes, nous savons, qu’à notre époque, un poète à l’âme fière ne peut mourir que de douleur et de dégoût !

Et maintenant, à qui le tour ?

René Marcil.
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FEMINA[2]

L’aurore, en s’élevant dans l’infini des mondes,
Fait gaiment pressentir le jour ;
De même vous venez, ô jeunes têtes blondes,
Sur terre nous parler d’amour !

Arbustes pleins de fruits mais à la frêle écorce,
On vous appelle, des enfants,
Pourtant votre faiblesse a tué notre force
Et vos émois sont triomphants.

— Vous cherchez, près d’un père, à vous faire petites,
Afin qu’il se sente moins vieux ;
Vous avez, pour cela, des phrases inédites
Et des rires délicieux…

Plus tard, le cadre change : on voit vos bras — vos ailes —
Rendre captif l’époux aimé,
Alors qu’il cherche à lire en vos yeux de gazelles
Un doux rêve à peine formé…

Puis, aux jours souhaités, on vous voit, jeunes mères,
Ayant le berceau sous vos yeux,
Pleurer avec l’enfant de ses pleurs éphémères,
Et rire quand il est joyeux !

— L’aurore, en s’élevant dans l’infini des mondes,
Prend les sept couleurs tour à tour ;
De même vous donnez à vos jeunesses blondes.
Toutes les formes de l’amour !

Lucien Cardoze.
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GUERRE AUX PRÉJUGÉS


Être ou ne pas être… femme

De nos jours où les problèmes sociaux sont multiples et les solutions rares, on vient de résoudre un problème bien autrement redoutable que celui de savoir si l’imbécillité d’une poignée d’hommes va nous faire reculer de vingt ans dans les fanges du césarisme républicain ou dans les ténèbres de la république monarchienne.

Ce problème le voici :

- Comment reconnaît-on qu’une femme est bien femme ?

Il paraît (c’est à l’Éclair qu’on a découvert cela) qu’il y a un critérium sûr pour distinguer la femme authentique de celle qui ne l’est pas.

C’est bien simple ! Vous demandez à brûle-pourpoint à un de ces êtres négligeables, généralement vêtus d’une robe (ne point se tromper cependant !) : « Que pensez-vous de Boulanger ? » si cet être vous répond en minaudant « je le trouve bien joli ! » et si vous ajoutez : « Que pensez-vous de l’émancipation féminine ? et que l’être réponde avec dédain « ah ! ce que je m’en fiche ! » n’hésitez plus ! tombez à genoux ! écriez-vous avec extase : La voilà la femme ! la vraie ! la seule ! l’idéale ! à moins toutefois qu’elle ne ressemble trop à un sapeur… ce qui pourrait arriver.

Ce n’est pas plus difficile que cela ! avis aux chercheurs de l’âme féminine, avis aux futurs de Goncourt ! avis aux futurs Saint Simoniens. Car il ressort de l’article de l’Éclair que les femmes qui s’occupent de politique, (et puis aussi, n’est-ce pas ? de littérature… Voire de sciences et puis d’avocasserie) ne sont que des apparences trompeuses… fussent-elles mères de cinq ou six enfants.

Vous voici averties, Mesdames ! il s’agit d’être ou n’être pas… femme. L’auteur de l’article oppose aux femmes-politiques —qui ? Mme Séverine et Mme {{{2}}} Sand ! ! !

On nous oppose Mme Séverine, disant ceci ; « Je suis bien heureuse d’être femme, afin d’être assurée de ne devenir jamais ni conseillère municipale, ni députée. » Eh bien ! et les vaillantes américaines ? qui sont conseillères et mairesses, et cette grande citoyenne qui a mérité d’être proposée pour la présidence des États-Unis, Mrs Woodhall ? point femmes celles-là ?

Mme Séverine — dit toujours le chroniqueur — répondit aux fameuses candidates de 1885 (à celles qui — faute de journal à elles — escaladèrent la tribune, pour porter devant l’opinion publique les justes revendications de la femme). « Je n’accepte pas la candidature ! ! ! je suis trop femme », et le chroniqueur ajoute : peut-on être trop femme ?…

En vérité, monsieur le chroniqueur est-ce ainsi qu’on écrit l’histoire ? Est-ce bien de Mme Séverine, l’amie et la continuatrice de Vallès, la directrice du Cri du Peuple que vous voulez parler ? N’est-ce pas plutôt de la Jacqueline du Gil Blas qui écrivait en 1888 après une réunion à la salle Horel, où prirent la parole Louise Michel et peut-être aussi la ci- toyenne René Marcil : « Je rougirais de monter à la tribune populaire deman- der an caleçon et des gants de lutteur… je suis trop cela ! » femme pour A moins que ce ne soit de la Renée du Gaulois (que je regrette de n’avoir jamais lue) que veut parler l’Eclair ? Vraiment, Mme Séverine a trop de bon sens et surtout trop d’esprit pour croire qu’elle se peut cacher ainsi sous les falbalas et l’éventail d’une puérile mondaine et renier de cette façon des opinions et une attitude qui durent être sincères ; et j’espère qu’elle voudra bien reconnaître que pour être une femme politique, on n’eo est pas moins femme. Ce doit être l’avis de la gracieuse Mme Adam.

C’était l’avis de Mme de Staël et ausei de Mme Georges Send, qui, quoiqu’en pense le chroniqueur de l’Eclair, était une femme éminemment politique et socialiste et révolutionnaire, en quoi elle était bien femme, c’est notre avis, et c’est ainsi que la citoyenne René Marcil a pu dire à cette salle Horel : « L’esprit de la femme est revolutionnaire », et en effet, n’aspire-t-il pas à un état social plus humain.

Quant à Georges Sand, elle était à la fois très-virile et très féminine, car c’est l’essence du génie de réunir en lui ces deux puisssances dans un tout harmonique.

LA FEMME aux Rubans verts.

TRIBUNE

Dans notre prochain numéro nous ouvrirons une TRIBUNE où pourront se produire librement les réponses particulières touchant les idées et les questions que nous soulevons dans ce journal, et principalement celle-ci « La forme du Gouvernement importe-t-elle à la femme. »

Mission de la Femme contemporaine

Ô Femme ! ô paria ! pauvre être contesté !
Égale ta grandeur a ton humilité !
Oppose ton amour à ce dédain farouche
Qui glacerait les mots de flamme sur ta bouche,
Parle ! jette ton cri plus vibrant chaque fois !
Fais pâlir les tyrans et dénonce leurs lois !
Dévoile le secret de leurs codes perfides !
Arrache à leurs mépris tous les masques livides !
Qu’à son tour le coupable, à ta barre traîné,
A ses obscures lois soit lui-même enchaîné !
Ah ! s’ils ont refermé sur toi leur Code infâme
C’est qu’ils ont craint ton cœur et ton génie, ô Femme !
C’est que, lionne, ils ont, en forgeant tes barreaux,
Sur les plis de ton front lu l’arrêt des bourreaux ;
C’est qu’ils ont entendu le cri fauve des mères ;
C’est qu’ils ont aux amours mesuré les colères ;
C’est qu’ils ont dit : — Lionne et louve bondiront,
Et déserts et cités soudain tressàilliront !
C’est qu’il nous faut murer dans le mépris cette âme
Et que l’homme soit sourd aux accents de la femme !
C’est qu’il faut à jamais souffler sur ce flambeau,
Replonger cet esprit dans la nuit du tombeau !
C’est qu’il faut sur ce cœur sceller la froide pierre,
Et craindre qu’un sanglot ne réveille la terre !
C’est qu’il faut sur ce front où l’éclair peut, demain,
Apparaître, vengeur, mettre un bandeau d’airain !
C’est qu’il faut sur ces yeux qui scruteraient le monde,
Mettre le voile obscur et la larme inféconde !
C’est qu’il faut que cet être et faible et tout-puissant,
Passe à travers la vie instable et languissant !

Combien tu dois venger de siècles de détresse !
O Femme ! lève-toi ! monte sur les sommets !
Némésis, Némésis ! éveillée à jamais !
Femme ! que la Pitié mette les pleurs terribles
A tes doux yeux d’amante et de mère ! — Invincibles,
Devenez désormais, ó cœurs faits pour aimer !
O voix enchanteresse et faite pour charmer,
Prends le sonore accent qui sied à la mêlée,
Lance le trait mordant de ta parole ailée !
— Puisque la force encor enchaîne les humains
Que le Droit prisonnier tombe en de viles mains ;
Puisque sous l’Absolu nul orgueil ne se range,
Que le glaive de feu pâlit aux mains de l’ange,
Puisque sous l’Idéal tout ne s’incline pas ;
Puisqu’on nous fait le jour et si terne et si bas ;
Puisque la Liberté, tant de fois éclipsée,
Par ses timides fils est si souvent blessée ;
Puisque sous la raison, ce pur flambeau qui luit,
Tant d’âmes vont niant, hagardes dans la nuit ;
Puisqu’il faut ou périr ou bien être sublimes
Et qu’on hésite encor à monter sur les cimes ;
Puisque, Terre, il te faut des hommes ! et vous cieux,
Qu’il vous faut des esprits pour chasser les faux dieux,
Puisqu’il faut que ce siécle impérieux to fonde,
Te coule dans l’airain, ò Liberté du monde !
Puisque, Science, il faut lever à tes hauteurs
L’esprit des gouvernants et des législateurs ;
Puisqu’un souffle puissant soulève la parole,
Qu’un mot libérateur dans l’espace s’envole ;
Que ton printemps sourit enfin, Humanité,
Et que ton heure sonne, auguste Vérité !
— Ô Femme ! lève toi !… décrète la lumière !
Fille du paysan, femme du prolétaire,
Filles de la pensée et femmes de tout rang,
Qui donnez votre lait, votre âme, votre sang !
Mères, toutes enfin, de l’enfant ou de l’homme ;
Femme de quelque nom douloureux qu’on te nomme,
A ton frère, à ton fils, à ton époux apprends
Que l’heure va sonner, que proches sont les temps !
Qu’il faut signer enfin l’acte de délivrance…
Et que libre demain, ta mission commence
R. M.


-Que son profond amour, sous le feu du génie,
S’éclaire et c’en est fait de ta longue agonie
Humanité ! Ton jour au ciel s’allumera !
Et le voile du temple à ton œil s’ouvrira !
Un long cri de bonheur, roulant de cime en cime
Salûra le lever de cette Ere sublime,
Et l’heure aura sonné du réveil rédempteur…

— Et moi le noir serpent, l’éternel contempteur,
« Moi qui revêts la robe à la pourpre éclatante,
« Ou le sombre manteau, la tunique fuyante…
<< Moi — prêtre juge— ou roi — masque dur et moqueur,
« Qui parle en suppliant ou commande en vainqueur,
« Moi je disparaitrai dans la splendeur des choses,
« Du paradis rouvert, fuyant toutes les roses…
« Car, de ce Paradis, c est moi qui fis l’Enfer,
<< Homme, et bientôt ta main sût façonner le fer !
« Eve éclairait ta route ; alors je m’armai d’Elle,
« J’en fis ton adversaire inconsciente et cruelle ;
« En des siècles d’horreur et d’ombre vous traînant,
« Et sous les vastes cieux confessant le néant !
« Peut-être que Celui qui me savait infâme,
« Homme, te punissait de douter de la Femme !
« Peut-être voulut-il que cet être sacré
« Par sa seule vertu fut enfin délivré…
<< Et que l’homme adorant cette forte faiblesse
« Détestât à son tour sa puissance traitresse…
« Et maudissant la force aveugle, à l’idéal,
« Sur l’éternel amour bâtit un piédestal ! »
Car le Maitre avait dit : — Par le serpent, mordue,
Sous ton talon, un jour, de douleur, eperdue,
Tu briseras son crâne odieux, — et soudain
La erre reverra les clartés de l’Eden !

Satan, toi qui n’as plus qu’un instant à paraître,
Dresse-toi ! que chacun puisse te reconnaître !
Noir serpent que longtemps Eve en pleurs a cherché !
Qui maudis le venin à ta lèvre caché,
Eternel mécontent, plein de trouble et d’envie
Qui siffleste glissant la haine de la vie ;
De la Femme, victime et complice à la fois,
Dont tu t’armais, riant de son âme aux abois,
Attends le coup vainqueur et la voix vengeresse !

EN

VENTE CHEZ DENTU Et au Bureau du Journal, 5 RUE SAINT-JOSEPH, PARIS Les Femmes qui pensent et les Femmes qui écrivent 02-5 16400 Prix 1 franc. RENÉ MARCIL - Prix: 1 franc. RAISED Nous recommandons vivement à nos lectrices la lec- | n'ont été à ses yeux éblouis que les Droits du Mâle... tnre de cette brochure; nous reproduisons ici la préface. La Femme n'a pas été conviée au banquet de la Liber- té. Il m'a semblé que l'approche du Centenaire de notre immortelle Révolution qui a proclamé les Droits de l'homme, c'est-à-dire de la race humaine, était une occa- sion pour l'Idée féminine de se produire avec plus de liberté, et c'est pourquoi je me décide à faire paraître cette brochure, écrite il y a environ quatre ans, et dont le ma- nuscrit, envoyé ici et là, m'a valu quelques approbations dans le monde des penseurs. L'Idée révolutionnaire n'a été accomplie qu'à moitié et, à cause de cette faute, elle a dû subir les successives éclipses de la Force, elle est remontée sur les hauteurs jourd'hui, et ceux qui nous écou- d'où elle continue à verser des torrents de lumière sur « Il faut bien le reconnaître au- tent ou nous lisent le savent: en France, en Amérique, partout, ce n'est plus elle ou telle femme qui combat le grand combat du Droit et de la Liberté:c'est l'Esprit même de la Femme. »> R. M. Ce sont des pages écrites au courant de la plume et presque d'une haleine; je ne veux rien y ajouter, respec- tant l'inspiration qui me les a dictées et qui est un gage de sincérité. Je crois que le devoir de l'écrivain et surtout de l'écri- vain féminin est de donner sa pensée tout entière, et surtout d'aller jusqu'au bout de l'Idée; c'est ma convic- tion profonde, et j'ai toujours prêché d'exemple, autant que j'ai pu le faire, par la parole et par la plume, en prose L'ESPRIT DE LA FEMME comme en vers. La pensée n'est en notre cerveau qu'une parcelle du patrimoine commun, un dépôt que nous pouvons faire fructifier librement, mais dont nous devons un compte sévère à la collectivité... Il ne nous est point permis de l'étouffer ni de l'atténuer, car cette atténuation de l'Idée, dont nous sommes seuls juges, peut n'être qu'une sug- gestion de notré égoisme qui nous conseille avant tout de nous garder et de plaire. Cette atténuation, qui rogne les angles de nos juge- PAR C'est la lutte implacable de l'Idée contre les passions et les intérêts; passions et intérêts qui furent toujours les vrais leviers qui soulevèrent les hommes. L'Idée, la Raison, le Droit ne jouèrent jamais qu'un róle subalterne en dépit des apparences pompeuses... et pourquoi ? Parce que, partout, chez nous comme chez les Canaques, l'homme seul a dominé; parce que l'État masculin a im- posé ses lois égoïstes à la moitié de l'humanité, à cette moitié qui, justement par sa destination, par ses vertus naturelles devait être la médiatrice entre l'esprit de l'homme et l'esprit de la nature. Si pour créer un être humain, il faut l'union de l'homme et de la femme, pourquoi n'en serait-il pas de même pour l'enfantement d'un État? Tous les codes, civils et religieux, monarchiques et démocratiques, catholiques ou bouddhiques ne sont rien que des créations masculines, c'est-à-dire monstrueuses, et elles ont toujours prouvé leur monstruosité, par l'im- possibilité de se maintenir autrement que par la Force... La Force qui règne encore partout et méme dans notre France. C'est en vain que de siècle en siècle l'Idée s'est incar- née en des ètres de génie; c'est en vain que les grands législateurs, les grands poètes sont venus grossir le pa- trimoine intellectuel et moral des peuples; c'est en vain que les géants de 89 ont écrit, dans la flamme et dans le sang, en caractères ineffaçables, les mots qui devaient sublimer l'esprit de l'homme, l'homme n'a pas voulu, ou n'a pas su lire tout ce qui était écrit... il n'a traduit que le mot à mot des décrets libérateurs. Les Droits de l'Homme - c'est-à-dire de l'Humain - ceux qui l'adorent, sans lui obéir. Non! pas plus que la Femme, l'Homme ne se sauvera seul. Contre l'orgueil implacable de l'homme se dresse l'or- geuil invicible de la nature. - et pour Or, la nature a pour loi physique - l'union loi morale l'unité. Si donc, comme l'union s'est faite au nom de l'Amour, l'unité ne se fait pas au nom de la Justice, le Droit ne s'incarnera pas sur la terre et la Révolution avortera !... La lutte de l'homme contre ces lois fatales est puérile, et cette lutte (qu'il le sache bien) est un des plus grands étonnements de la Femme qui pense; et, si cette lutte dure, les gouvernements, de plus en plus impuissants à réaliser l'oeuvre des penseurs, assumeront la responsabi- lité des plus effroyables catastrophes, de ces heurts fra- tricides qui s'accomplissent dans le sang, sous le regard de l'immense foule méconnue des mères et des épouses! Et l'on veut qu'ayant dans l'esprit cette conviction, dans le cœur cette intuition, la Femme qui pense se taise ? Oh ! jâche, lâche, mille fois lâche, celle qui, par une loi de filiation mystérieuse, ayant réussi à s'armer de la Pensée et de la Parole, se retirerait, dédaigneuse des luttes suprêmes, et, comme une vile esclave, s'en irait s'asseoir près des fourneaux, surveiller l'apprêt des sauces savamment élaborées... Immolera-t-elle son intelligence, son génie peut-être, à Chrysale qui n'a que faire de tels dons et qui leur pré fère de beaucoup et avec raison les talents rustiques de Margoton? Je sais bien que Mme Beecher-Stowe, luttant pour l'af- Et quand il s'agit de libérer l'esclave blanche quand il s'agit d'arracher à l'éternelle douleur, à l'éter- nelle honte le dernier paria de nos civilisations la Femme, celles qui ont un cerveau et une voix hési- teraient à s'en servir? Ah! certes! dans ce combat de l'Idée émancipatrice soulevant un monde, il n'est pas une de nous qui ne s'é- pouvante de la disproportion entre l'œuvre et l'ou- vrière... Tel un homme au pied de la tour Eiffel, il compare sa petitesse à cette grandeur et subit le vertige de son hu- milité... mais bientôt il redresse fièrement la tête en pen- sant que le colosse est le fils de son génie! Ainsi la Femme qui pense apporte son humble pierre à l'édifice social qui se dressera bientôt aussi dans les airs... Ne serait-il pas temps de mettre chacun et chacune à sa place? Au lieu de blâmer et diffamer les femmes éprises d'Idéal qui se sont élevées héroiquement au- dessus du niveau moyen permis à leur sexe, ne ferait- on pas mieux d'avouer qu'elles sont dans leur voie, qu'elles font l'oeuvre pour laquelle elles ont été créées et la seule qu'elles puissent accomplir? Où donc est celui qui peut dire à l'esprit: Tu n'iras pas plus loin ? ne me démentira si je dis que ce ne sont pas celles-là qui empêcheront le monde cahin-caha, « D'aller de chemin son petit bonhomme... » Mais les temps sont proches, et tant pis pour les petits Napoléons qui s'effrayent des futures Mme de Staël. L'Esprit de la Femme est arrivé à sa majorité, et les femmes sont absolument décidées à ne plus se laisser supprimer. Cet Esprit-là ne fait plus peur qu'aux lâches et aux imbéciles. ments, arrondit nos périodes et châtre, pour ainsi dire. franchissement des noirs, écrivit son chef-d'oeuvre: la réaliser de grand dans le domaine de l'Idé la vigueur de notre verbe, me paraît un crime, car c'est Case de l'oncle Tom, en écumant son pot-au-feu; mais elle n'aurait pas écumé son pot-au-feu que sa gloire n'en bien souvent par elle qu'on fait avorter les oeuvres les serait nullement diminuée... plus puissantes et les plus chères. interrogé Certes, parmi les questions du jour, celle de l'émanci- pation de la Femme n'est pas la moins passionnante pour les vrais penseurs qui voient dans les manifestations de la fin de ce siècle ce qu'il y faut voir, le formidable corps à corps de l'esprit nouveau contre le vieux monde qui ne veut pas se rendre. Où donc est celui qui pourra lui dire: Tu souffleras dans tel cerveau et non dans tel autre? Quel est l'Hercule qui dira au génie: Tu n'habiteras pas l'âme d'une femme? En vérité, l'on reste stupéfait quand on songe à cette confiscation de la pensée féminine pendant les siècles des siècles... Quant aux bons jésuites - la plupart célibataires qui invoquent contre nous la sainteté du foyer, disons- leur bien vite que le pot-au-feu national n'est point près de se renverser et... qu'il ne manque pas non plus en France de jeunes filles à marier... qui n'ont jamais su penser.... Et s'il reste encore par ce temps de merveilles scien- tifiques et à cette Ère de liberté d'autres empêcheurs d'écrire ou de parler en rond, disons leur que, penseurs, savants, philosophes et poètes sont avec nous, pour la gloire de la France et la liberté du monde. Pour ceux-très sincères qui nous reprocheront de demander des droits dangereux pour la République, par exemple le droit de voter, lequel, selon eux, mettrait la Liberté à la discrétion du confessionnal, je répondrai : 1° Qu'il n'y a pas de raisons contre le Droit ; 2° Que la République ne peut arguer contre nous des lois monarchiques et cléricales, qui sont la négation de son principe; 3° Que la question des Droits de la Femme qui va se poser au congrès de Paris n'est pas seulement une ques- tion française mais universelle ; 4° Que l'honneur de la France est engagé devant le monde à résoudre le grand problème humanitaire dans le sens de la justice absolue; que cette tâche incombe surtout à la France, qu'elle ne peut s'y dérober sous peine d'entendre nos ennemis répéter: « Que si 1789 fut immense, 1889 est incapable de rien 3) 50 Qu'il faut que - lution réponde; l'Esprit de la Révo- 6° Qu'il est immoral que seule-la femme française subisse l'humiliation des chaînes forgées par la loi sa- lique, la loi catholique et par le Code civil. La France a-t-elle donné tant de libertés au monde qu'elle se soit à jamais épuisée ? Quoi! nous verrions la République distancée par les monarchies? L'Angleterre, le Danemark, la Suède, tous les pays protestants traineront-ils à la remorque la France de Voltaire et des Encyclopédistes? La plus grande cause humaine à cette heure suprême échouera- t-elle misérablement au seuil du confessionnal? Je ne crois pas les femmes de France aussi cléricales qu'on le dit; mais si elles sont telles, n'est-il point d'une haute politique pour la République de les attirer à elle par sa large justice et sa tendre sollicitude? Si l'Idéal de nos pères est bien l'Idéal humain et pour moi il est au plus haut étiage dans l'absolu, n'est-il pas rationnel d'y acheminer, d'y grouper tous les êtres hu- mains ? Nos pères, en édictant les Droits de l'homme, n'ont-ils pas embrassé dans cet élan de justice toute l'humanité? D'ailleurs il s'agit moins, demain, à l'heure où furent proclamés les immortels décrets des Droits de l'Homme, d'accorder aux femmes tels ou tels droits que de pro- clamer leur entrée dans le Droit. La reconnaissance solennelle de l'Egalité de la femme. s'impose pour la France devant le monde entier. Quant aux femmes de France elles ont prouvé qu'elles savaient attendre, et si l'exercice de certains droits, no- tamment celui de voter, devait être ajourné dans l'in-- térêt supérieur de la Liberté, elles sauraient montrer par leur attitude qu'elles sont dignes de la Liberté. Nos maîtres se sont-ils demandés un seul jour ce qu'ils ont dérobé au patrimoine intellectuel de l'humanité en imposant silence à la Femme ?... (1). Date du vote de la déclaration des Droits de l'Homme. Le Gérant A. HOEL. Oh? je sais bien qu'il y a des femmes qui font, comme les écrivains de droit divin, plus ou moins de la littéra- ture; j'en connais qui ont du talent et de la verve, je sais Paris. Imprimerie Moderne. - D TOWNE, 5, rue St-Joseph. même qu'on en couronne à l'Académie... mais personne Les femmes attendent avec confiance le grand anni- versaire du 26 août 1789 (1).

  1. La République Une et indivisible à l’occasion de l’anniversaire de la mort de Baudin, en vente au bureau du journal.
  2. Cette poésie est extraite de Paroles d’amour et de raison, volume publié chez Jouaust, 7, rue de Lille.