L’Evolution de la peinture japonaise du VIe au XIVe siècle

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L’Evolution de la peinture japonaise du VIe au XIVe siècle
Revue des Deux Mondes6e période, tome 11 (p. 196-227).



L’ÉVOLUTION DE LA PEINTURE JAPONAISE


DU VIE AU XIVE SIÈCLE


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Si les expositions et les ventes ont mis depuis quelques années à la mode l’art d’Extrême-Orient, il faut humblement avouer que le grand public français n’a pu encore examiner qu’un nombre infime des œuvres dues au pinceau des anciens maîtres du Japon. On ne connaît guère en France que quelques paysages des peintres de la Renaissance qui se produisit aux XVe et XVIe siècles sous l’influence chinoise Song Youën, les Kakemonos des écoles naturalistes modernes de Kyoto et surtout les estampes d’Ukiyoye (« dessins de ce monde qui passe ») de Yedo et d’Osaka. Mais, l’époque la plus glorieuse et la plus vraiment nationale de l’histoire de la peinture japonaise, celle qui s’étend de la fin du XIIe au XIVe siècle, a été encore peu étudiée.

Et de ce fait l’explication est simple : la plupart des œuvres des maîtres de Yamatoye ne sont jamais sorties du Japon où elles sont conservées dans les trésors des temples et dans quelques collections particulières. Certaines d’entre elles ont pu être admirées à notre Exposition Universelle de 1900. En outre, les admirables publications que sont les Selected Relics of Japanese Art de M. S. Tajima et la Revue d’art le Kokka, se sont donné pour tâche d’en fournir d’excellentes reproductions gravées sur bois avec un infini respect des couleurs et des moindres détails. Ces documens étant à la portée de tous dans la bibliothèque des Arts décoratifs du Pavillon de Marsan et dans celle qui a été si libéralement mise à la disposition des amateurs d’art par M. J. Doucet, nous nous permettrons d’y renvoyer souvent le lecteur au cours de cette étude.

La splendide éclosion artistique de l’époque de Kamakura (1185-1335) n’a pas été spontanée. Elle s’est trouvée préparée et annoncée longtemps à l’avance par toute une série d’œuvres caractéristiques qui ont conduit la peinture japonaise des débuts les plus humbles aux parfaites réalisations finales. C’est cette lente évolution que nous nous sommes proposé d’analyser ici dans ses grandes lignes, nous efforçant surtout de montrer de quelle admirable façon le génie japonais a su s’assimiler, puis transformer les idées étrangères.

I

Le Japon a-t-il possédé un art véritablement autochtone antérieur à l’introduction du Bouddhisme au VIe siècle de notre ère ? La question est encore assez controversée et ne peut être actuellement résolue de façon définitive par l’examen des rares vestiges d’objets décorés, — principalement des sarcophages, — datant de cette époque lointaine. Jusqu’à ces derniers temps, on revendiquait comme productions insulaires des statuettes à but funéraire dites de haniwa. Mais de récentes découvertes faites dans les anciennes tombes de la Mandchourie ont prouvé l’existence de figurines chinoises très analogues dès l’époque des Han (206 avant J.-C. à 221 de notre ère). Celles-ci, assez grossières, servent en quelque sorte d’intermédiaires entre les statuettes de même époque, mais beaucoup moins primitives du Honan et du Chantoung et celles de haniwa. L’usage de ces dernières au Japon parait donc être lui-même une importation continentale, et l’un des principaux argumens des partisans de l’art autochtone tombe de ce fait.

En raison de sa situation insulaire à l’extrémité du vieux continent, le Japon s’est trouvé longtemps privé des institutions et des arts dont l’empire voisin bénéficiait depuis plusieurs siècles. L’ethnographie contemporaine nous montre dans ses habitans actuels un type résultant de migrations et d’invasions successives qui se sont effectuées dans les deux sens Ouest-Est (élémens ouralo-altaïques, puis chinois) et Sud-Ouest — Nord-Est (élémens malais), et dont les descendans se sont plus ou moins métissés avec Aïnos autochtones. Suivant les plus anciennes annales, un conquérant nommé Zin-mu, parti au VIIe siècle avant notre ère de Kiu-Siu, l’île la plus méridionale du Japon, aurait successivement conquis Shikoku et la partie sud du Hondo. Mais on omet de dire quel était ce Zin-mu plus ou moins légendaire et d’où il venait.

Durant les trois premiers siècles après J.-C, tous ces élémens plus ou moins barbares se fusionnèrent progressivement, mais toute la partie nord du Hondo et l’ile d’Ezo devaient rester encore pour plusieurs siècles aux mains des Ebisu (Aïnos) autochtones. Les premières manifestations de l’activité du nouveau peuple furent des expéditions en Corée. Les dates auxquelles les écrits officiels japonais les attribuent sont peut-être discutables. Il est en tous les cas certain qu’au Ve siècle les royaumes les plus méridionaux de la péninsule étaient soumis et qu’on exigeait d’eux le paiement d’un tribut. En 461, une ambassade coréenne fut reçue par le souverain japonais ; dont le siège de la puissance était alors établi en Yamato, au cœur même du futur empire. Dès lors, la civilisation chinoise commença à pénétrer au Japon par l’intermédiaire des vaincus plus civilisés que leurs conquérans. L’étude des caractères d’écriture chinois, probablement entreprise dès le IIIe siècle de notre ère, se généralisa au Ve. De nombreux artisans coréens débarquèrent au Japon et composèrent sans doute pour une bonne partie ces ou corporations de peintres héréditaires qu’un des livres sacrés du Nippon, le Nihongi, signale dès l’année 463. On sait, en effet, qu’au temps de l’empereur Yùryaku (457-479), un certain prince Anki, descendant d’un empereur chinois de la dynastie des Wei, vint du Japon et s’y fit naturaliser. Il avait dans sa suite un prêtre nommé Shinki Nanryù, originaire du Kudara coréen, qui forma une lignée d’artistes dont le 5e reçut le titre officiel de Yamatoeshi, « maître-peintre du Yamato. » Ce premier art japonais eut sans doute un caractère quasi industriel et dut consister principalement dans la décoration d’objets usuels. Seule la venue du Bouddhisme (522-552) put modifier ces tendances pratiques en fournissant aux peintres un but plus élevé : la représentation de la divinité.

Mais avant d’atteindre le Japon, la doctrine de Gautama avait déjà parcouru une longue route et n’y arrivait pas dans toute sa pureté primitive et telle qu’elle était née dans l’Inde du Nord. Il en fut de même de l’art qu’elle inspira. Dès leur entrée en Chine par le Pélou et le Nanlou, — la pentapole et l’hexapole, — les deux grandes voies naturelles d’accès du Turkestan conquises par les généraux Han de l’an 120 avant J.-C, à l’an 92 de notre ère, les croyances et les idées artistiques issues du Gandhâra indo-grec se heurtèrent à une civilisation déjà vieille de plusieurs siècles. Cette dernière, si l’on en croit certaines particularités du décor des bas-reliefs et des poteries Han (par exemple la représentation des animaux à l’allure du galop allongé), s’était elle-même trouvée influencée par de lointains apports de provenance grecque mycénienne (XIIe siècle avant notre ère), venus par la voie scythe. Pour subsister, les élémens nouveaux durent peu à peu se transformer dans ces régions du Nord-Ouest de la Chine aux frontières vagues et aux populations multiples où chrétiens, nestoriens et bouddhistes devaient bientôt voisiner. L’examen des fresques et des statues des stûpas et des cryptes en ruines, du Turkestan chinois qui jalonnent la marche glorieuse de l’art nouveau à travers l’Asie centrale, — et qui ont été si heureusement fouillées durant ces dernières années par les missions Bonin, Stein, Von Lecoq, Chavannes, Pelliot, Chùta Ito, — prouve qu’à mesure qu’on s’éloigne de l’Inde, les types rendus se modifient et deviennent de plus en plus chinois. Il faut d’ailleurs voir là une question d’époque. C’est ainsi que, durant la première moitié de l’époque Wei du Nord (398-493), les œuvres découvertes ne montrent que les caractères classiques du Gandhâra (caves de Yün-kiang, par exemple). En revanche, avec la fin de la période Wei (493-549), on assiste à la fusion du courant gandhârien tout imprégné de la grandeur élégante et de la souplesse de l’art grec et des traditions autochtones tendant davantage à la stylisation et à la recherche prédominante de l’effet décoratif (caves de Lung-men, près de Loyang). L’iconographie bouddhique s’est déjà modifiée : les attributs des divinités ont été changés et les attitudes se sont hiératisées.

La traversée de la Corée parait avoir eu une tout autre influence sur l’art religieux. Les divinités de second ordre principalement, moins éloignées de l’humanité que les Bouddhas et les Bodhisattvas, y ont sans doute pris une allure moins hautaine, une bonhomie souriante et naïve non exempte de grâce. Et ce sont toutes ces influences diverses que nous retrouvons dans les plus anciennes peintures japonaises connues qui remontent au début du VIIe siècle.

II

Grâce aux efforts de plusieurs souverains convertisseurs et du célèbre prince Shôtoku Taishi (572-621), le Bouddhisme s’était solidement établi au Japon, si bien qu’à la fin du VIe siècle, on comptait déjà plus de quarante temples dans ce pays. Il fallut les décorer, et on fit largement appel aux Coréens et aux artistes japonais formés par ces derniers. Alors s’ouvrit la première période de l’histoire de l’art japonais, celle dite sino-coréenne ou de l’impératrice Suiko (552 à 644).

Par une insigne bonne fortune, un des plus anciens sanctuaires japonais, le temple de Horyûji bâti entre 593 et 607 dans un site magnifique des environs de Nara a, jusqu’à nos jours, résisté aux ravages des incendies et des guerres civiles. Dans un de ses édifices, on peut encore admirer le tabernacle tamamushi qui appartint à l’impératrice Suiko. Ce reliquaire en forme de pagode dont le Kokka a donné d’excellentes photographies (n° 182, juillet 1905) comprend trois parties : le daizu ou base, le sumiza ou trône et le kyûden (sanctuaire). Les portes doubles du sanctuaire sont décorées de Bodhisattvas, aux longues écharpes flottantes pleines d’élégance. Sur les quatre panneaux du « trône, » des peintures religieuses exécutées en mitsuda (siccatif obtenu en faisant bouillir de la litharge avec de l’huile), de couleur jaune et rouge sur fond noir, représentent : une adoration des restes du Bouddha par deux personnages symétriquement accroupis sur des piédestaux, de chaque côté d’un reliquaire ; — les trois phases de la légende d’un prêtre qui s’élança du haut d’un rocher pour donner son corps en offrande à un tigre, en vue de se libérer de toute préoccupation charnelle ; — la matérialisation des quatre volontés dernières du Bouddha ; — et enfin, la silhouette étrange du mont Sumi (Sumirù). Suivant certaines traditions, le tabernacle serait originaire de l’Inde. Il est certain que les dessins floraux sont nettement indo-grecs et aussi le déhanchement légèrement marqué des Boddhisattvas ornant les portes du sanctuaire et la courbe gracieuse donnée au corps du saint qui se jette dans le repaire du fauve.

Mais il est, d’autre part, intéressant de constater les analogies existant entre ces peintures et les fresques du Turkestan chinois étudiées par MM. Pelliot et Chûta Ito, remontant à l’époque des Six Dynasties et des Soei (265 à 620 après J.-C). Ces dernières montrent l’influence indo-grecque déjà modifiée par les idées chinoises. On y retrouve les mêmes figures célestes volant dans le ciel, le même motif de l’ascète se précipitant du haut d’un rocher, figurés sur les panneaux du reliquaire tamamushi. Des sujets analogues sont d’ailleurs encore traités dans les fresques un peu postérieures des caves de Touen-houang (vers 700).

Dans les peintures de la châsse d’Hôryûji, la façon de rendre les rochers est très conventionnelle ; en revanche, les arbres sont représentés avec un souci beaucoup plus grand de la réalité. En figurant les deux prêtres qui adorent les reliques du Bouddha, l’artiste a peut-être même voulu faire œuvre de portraitiste, et, dès les débuts de l’histoire de la peinture japonaise, nous trouvons ainsi esquissés les élémens fondamentaux des trois genres, religieux, semi-religieux et paysagiste, appelés par la suite aux plus brillantes destinées.

La seconde période que les auteurs japonais distinguent parfois dans l’histoire de leur art, — celle dite de Tenchi Ier (647-710) n’est en somme que la continuation de la période précédente. On doit néanmoins signaler durant celle-ci un fait capital : l’ouverture directe des relations avec la Chine dont l’unité avait été reconstituée par les Soei (590-620). Dès la seconde moitié du VIIe siècle, les Tang qui leur succédèrent (620-907) étendirent leur domination sur les marches du Nord et de l’Ouest. D’une part, refoulant les hordes Toukiou, ils remirent la main sur le Pelou et, de l’autre, ils conquirent la Corée (vers 655-661). Cet accroissement de puissance politique se manifesta d’une double façon dans l’art japonais de la fin du VIIe siècle : la Chine transmit au Japon les traditions indo-grecques d’une manière beaucoup plus fidèle que ne l’avait fait la Corée durant l’époque précédente. En outre, ce dernier pays joua désormais un rôle important dans la formation de la peinture et de la sculpture japonaise. D’autres influences ne tardèrent, d’ailleurs, pas à se manifester. Les nombreuses ambassades chinoises reçues à la cour impériale apportèrent de splendides présens qui servirent par la suite à la constitution de l’inestimable trésor du Shô-so-in par l’empereur Shomû Ier (746). On peut encore y admirer de nos jours des étoffes sassanides ornées de scènes de chasse royales, de lions et de rosaces ; des verreries, des objets en argent de provenance occidentale.

Les traditions indo-grecques sont surtout reconnaissables dans les célèbres peintures du Kondô (ou temple d’or) d’Horyûji qu’on a pu comparer aux fresques découvertes dans la salle centrale du palais d’Adschantâ (Ve au VIIe siècle après J.-C.) dans le Nizam indien. La légende veut que ces peintures aient été exécutées par le prêtre coréen Donshô qui débarqua au Japon en l’an 600, mais rien ne parait devoir légitimer cette hypothèse. Le Kondô, dont l’édification datait des premières années du VIIe siècle, fut en effet détruit par un incendie en 670 et dut être restauré, — peut-être même entièrement reconstruit durant le nengô Wadô (708-715). C’est probablement de cette époque que datent les fresques. Les figures y ont été d’abord dessinées au trait avant l’application des couleurs. Celles-ci diffèrent sensiblement de l’enluminure des écoles bouddhiques postérieures et semblent correspondre à des procédés oubliés depuis. Les verts, les rouges, les bruns et les jaunes tournés aux tons neutres et ternis par le temps y dominent. L’aspect des divinités est plus vivant, moins hiératisé que celui des images dues aux époques suivantes, les profils sont droits, les yeux horizontaux, les gestes pleins d’élégance. L’influence de l’Inde se fait en outre sentir dans les déhanchemens nettement prononcés, l’allongement canonique des oreilles, l’addition d’une fine moustache à la lèvre supérieure de certains Bodhisattvas (Kokka, n° 192, mai 1906). Sur les auréoles on peut distinguer des motifs analogues à ceux des décorations architecturales du temps d’Azoka (fleurs de lotus stylisées) et ailleurs des feuilles ressemblant fort à l’acanthe grecque. M. Cl. E. Maitre, dans sa très attachante étude sur « l’art du Yamato, » a fait, d’autre part, remarquer que « certains détails révèlent du moins que ces fresques ne sont pas purement hindoues : c’est ainsi que les Bouddhas y sont représentés parfois l’épaule droite à demi recouverte d’un pli d’étoffe, alors que, dans l’iconographie de l’Inde, l’épaule est toujours vue entièrement nue ou complètement cachée par une robe prenant au cou. » Les ombres sont marquées par des épaississemens et des traits plus foncés des contours. On note déjà l’emploi de conventions qui subsisteront longtemps dans l’art religieux, par exemple le triple pli formé par des lignes concentriques renforcées en vermillon, marquant le cou des divinités.

Les leçons des maîtres coréens n’étaient d’ailleurs pas oubliées. Au pinceau d’un de leurs élèves, nous sommes redevables du très intéressant portrait de Shotoku Taishi qui dut être exécuté sous le règne de Temmu Ier (673-686) et est actuellement conservé dans la collection impériale. M. S. Tajima et M. Morrison, dans son récent ouvrage, The painters of Japan, en ont donné de bonnes reproductions. Le grand propagateur du Bouddhisme est représenté debout ayant à ses côtés deux jeunes princes, tel un grand prêtre flanqué de ses acolytes. Il est vêtu d’une belle robe rouge plissée, coiffé d’un bonnet de soie décoré de laque très caractéristique de l’époque (en usage de 673 à 697 seulement) et tient dans ses mains cachées par de larges manches le Shaku, sorte de tablette d’ivoire que les nobles portaient autrefois en présence de l’empereur, comme attribut honorifique. A une ceinture très riche et par l’intermédiaire d’une double bélière, pend une longue épée droite, à poignée ciselée. Le visage assez régulier est orné d’une très fine moustache et de rares poils de barbe. Les yeux fendus en amande et les sourcils très haut placés répondent bien à l’idéal de beauté extrême-orientale. Les deux jeunes gens qui l’accompagnent, avec leur chevelure retombant de chaque côté de la figure sur les oreilles et roulée en anneaux, ont l’aspect candide d’enfans de chœur de notre moyen âge. Le portrait est tracé tout entier au trait d’encre, les ombres sont rendues par des bandes de demi-teinte accompagnant les contours et les couleurs employées sont le pourpre, le vermillon, l’ocre-noire, le jaune, le bleu-vert et l’argent. Certains noms de peintres de l’époque sont encore très caractéristiques de leur origine coréenne. Tel est le cas pour Komaeshimaro (littéralement : personne maître peintre du Koma) qui fut naturalisé vers 660.

III

Avec la première moitié du VIIIe siècle s’ouvre pour le Bouddhisme japonais une époque particulièrement glorieuse. C’est celle des souverains bâtisseurs de temples (Shômu Ier : 724-748 ; l’impératrice Kôken) et des grands bonzes prédicateurs revenus de Chine après avoir été y étudier les textes sacrés. Ils fondèrent des sectes très nombreuses : Hossô, Sanron, Jôjitsu, Kegon, etc., parmi lesquelles l’école Mikkyô ou mystique tint une place toute particulière. Par leur intermédiaire, la culture chinoise des Tang parvenue à son apogée commença à rayonner sur le Japon et, suivant la jolie comparaison d’une antique poésie, la capitale, « Nara, la verdoyante, s’épanouit comme une fleur embaumée. » Ce fut désormais la Nara-no jidai ou « époque de Nara. »

Les peintures qu’elle inspira sont malheureusement assez rares, et ceci peut s’expliquer par cette observation que l’architecture et la sculpture étaient alors jugées plus facilement utilisables pour l’instruction des foules. N’en a-t-il pas d’ailleurs été de même durant une bonne partie de notre moyen âge ? On ne sait plus rien des cinquante sortes de paravens et d’écrans peints portant des paysages et des scènes de fêtes énumérés dans le registre des offrandes du Tadaiji, non plus que des quatre-vingt-dix effigies de Rakkans décrites par celui du Daiôji.

De rares peintures ornant des panneaux de chasse montrent l’empreinte très sensible du style des Tang et ont déjà presque entièrement perdu les caractéristiques des fresques de Horyûji. L’artiste s’attache alors surtout à exprimer une idée principale, celle qu’on appelait alors Yemman (vertu pleine et entière), sans chercher à donner aux images des dieux une individualité quelconque. Le trésor du Shôsoin conserve une admirable peinture exécutée à l’encre de Chine sur toile de chanvre (Kokka n° 216, mai 1908) où l’idéal nouveau se trouve quintessencié. Cette esquisse sommaire, mais pleine de promesses, ne tire ses effets que de la vigueur du coup de pinceau et de la sobriété du trait affectionnés des maîtres Tang. La divinité portée sur un nuage est très remarquable par sa physionomie largement indiquée et l’aisance du mouvement de ses bras. Tout autour d’elle de longues écharpes s’envolent et viennent encore ajouter au charme de l’effet décoratif obtenu dans cette peinture caractéristique de l’ère tempyô (729-748).

Il est non moins important de signaler l’éclosion de tendances vraiment japonaises très probablement nées de la transformation des élémens artistiques coréens des époques précédentes. Les peintres semblent s’être alors reposés de la solennité des images de Bouddhas et de Bosatsu, en représentant des divinités secondaires, des Devas du genre de cette Kichijô tennô considérée par le peuple de l’époque comme l’idéal de la beauté féminine. Une œuvre très illustre du temple Yakushiji en Yamato nous montre cette Aphrodite connue également sous le nom de Devi de Buangu, s’avançant gracieuse et souriante, revêtue d’une robe presque transparente qui rappelle, par sa forme ample et ses longues manches, les vêtemens des princesses du sang de l’époque. Elle est nimbée et tient à la main la pêche mystique : seuls ces attributs veulent rappeler son origine divine. On sent que l’artiste s’est efforcé de lui donner une beauté toute humaine (reproduit dans l’ouvrage de Morrison, loc. cit.).

Très proches parentes de cette image de Kichijô-tennô sont les peintures décorant un paravent de six feuilles du Shôsôin, (Kokka, n° 226, mars 1909). Si l’on en croit une inscription du registre des offrandes de ce trésor, ce byôbu (paravent) doit être daté de l’année 756. Certaines parties ont été primitivement décorées d’applications de plumes, mais celles-ci ont depuis longtemps disparu, et on ne retrouve actuellement que quelques brins de duvet sur les vêtemens. Les robes, et les coiffures flottantes, ou formant une sorte de turban, des beautés figurées sont fort analogues à celles d’une statue de Kichijô tennô, en bois peint, du Jôruriji. Les visages d’une aimable rondeur expriment une bonté un peu naïve, l’exécution des draperies est fort souple et l’attitude générale d’une simplicité en complète opposition avec la stylisation hiératisée chinoise. En revanche, les paysages servant de cadres aux jeunes femmes sont vraiment Tang dans leur façon vigoureuse de rendre les rochers et les arbres fleuris. En ce sens, il est très intéressant de rapprocher ce paravent des Senzui byôbu (paravens à paysages) postérieurs dont il est l’ancêtre. Et par là se montre une fois de plus l’admirable continuité de l’évolution artistique japonaise.

IV

En 794, l’empereur Kwammu Ier (782-805) transporta la capitale à Heian, la ville qui devait devenir par la suite Kyôto et ouvrit ainsi l’ère dite Heian-no jidai (794-1185). Politiquement celle-ci se divise en deux époques principales : la première s’étendant de 794 à 885 correspond à l’affermissement de la puissance impériale, la seconde voit, au contraire, l’accession au pouvoir de la famille Fujiwara dont les membres visèrent au rôle de maires du palais. Au point de vue particulier de l’histoire de la peinture, il semble plus exact de distinguer les deux périodes suivantes qui formèrent comme deux nouveaux anneaux de la longue chaîne à laquelle on peut comparer le développement de la peinture japonaise : de 794 jusque vers 950, apogée des écoles bouddhiques et lente assimilation des idées étrangères : de 950 à 1167, transformation complète de ces dernières par le génie national et naissance véritable de l’art laïque.

Le règne de Kwammu Ier est illuminé de la gloire qu’il acquit en restaurant le gouvernement et en imprimant aux beaux-arts une impulsion nouvelle. La peinture prit sa revanche sur la sculpture en regagnant le temps perdu durant l’époque précédente. Elle utilisa pleinement les idées artistiques de l’apogée des Tang et rajeunit son inspiration religieuse aux sources des doctrines bouddhiques Tendai et Shingon introduites la première par le prêtre Saigyô (Dengyô Daishi) et la seconde par Kukai (Kôbô Daishi). Cette période religieuse est celle de la foi mystique. La doctrine ésotérique prêchée appartenait, comme celle des autres sectes japonaises au Mahâyana, ou « grand véhicule, » école datant du concile tenu à Djâlandhara sous le règne de Kanichka au milieu du premier siècle de notre ère. Il est indispensable de l’analyser rapidement pour comprendre la portée des images religieuses de l’époque de Heian. Elle reconnaissait des Bouddhas éternels n’ayant jamais passé par la condition humaine (Dhyani Bouddhas), des Dhyani Bodhisattvas chargés de la direction et de la protection du monde et des Bouddhas humains dont le principal était Sakya Muni en sa qualité d’ « envoyé du Bouddha éternel. » Mais les sectes précédentes reconnaissaient pour principal Dhyani Bouddha Amida, tandis que celles de Shingon et de Tendai donnent la première place à Dai nichi Nyôrai (Vairocana), intelligence suprême dont toutes les autres divinités, Amida, par exemple, ne sont que des transformations secondaires. Au-dessus de Dainichi Nyôrai trônent les Bodhisattvas Fugen, « celui qui répand la sagesse, » représenté généralement sur un éléphant et le bon Kwannon, dieu de la charité, puis enfin Sakya Muni.

Une place à part doit être faite aux Myô-o, « grands rois lumineux, » personnifiant les instincts violens opposés à l’intelligence, descendants des génies sivaïques et des démons malfaisans du lamaïsme, mais dans le Bouddhisme japonais, mis au service de Dainichi Nyôrai contre les Asûras ou mauvais esprits. Le principal d’entre eux est Fudô, le dieu du glaive et du lacet, flanqué de ses acolytes Kongara et Seitaka, émanations des Bodhisattvas Kwannon et Miroku comme lui-même l’est du Bouddha suprême.

La doctrine ésotérique se proposait en outre de détruire l’illusion des sens et d’éteindre les passions par l’ascétisme et l’absorption de l’esprit et du corps dans l’essence du monde, atteignant par là le but le plus profond du Bouddhisme. Elle était très fortement imprégnée de symbolisme : L’image des dieux était souvent remplacée dans les textes de la secte par des caractères sanscrits bien calligraphiés. Kôbô-Daishi réglementa les rites et les symboles en créant des canons (giki). Mais il fallut faire comprendre au peuple cette doctrine très élevée et la matérialiser à ses yeux. De là la multiplication des cérémonies et en particulier des kajikitô (incantations et prières) pour implorer le secours de la divinité contre les calamités naturelles, vaincre les maladies et les ennemis. Le peuple s’efforça d’attirer les bénédictions du Bouddha sur la terre en faisant œuvre pie, en bâtissant des temples et surtout en les peuplant de statues et de peintures. De là le grand nombre des prêtres qui manièrent le pinceau ou le ciseau pour la plus grande gloire de la divinité. On s’efforça de donner aux fidèles une représentation complète du paradis : dans des Mandalas ou « ensembles parfaits, » fut figuré l’univers par le groupement des divinités principales. On sait que Kôbô Daishi en personne créa un de ces Mandalas dans le temple Toji de Heian au commencement du IXe siècle.

La période de Heian produisit des peintures et des statues dans lesquelles on s’efforça de révéler la personnalité de chaque dieu, par l’expression autant que par l’attitude données à son image. La première place fut accordée désormais aux divinités dont l’individualité se trouvait le plus fortement marquée, à ces dieux en colère que sont les Myô-ô : on voulut inspirer ainsi au peuple une crainte salutaire. En revanche, les Bouddhas et Bodhisattvas détachés de tout désir et noyés dans la béatitude céleste furent exprimés par des images majestueuses, mais en même temps pleines de grâce et de beauté. Il est à remarquer, d’ailleurs, que les traditions artistiques chinoises venaient agir dans le même sens que les nouvelles doctrines religieuses. Les artistes de la belle période Tang aimaient les conceptions puissantes et les exécutions vigoureuses, cherchant principalement à faire de la peinture « un écho de l’esprit » (Ch’i yün), à exprimer au moyen du pinceau les qualités essentielles de l’âme, suivant en cela le premier des principes enseignés dès la fin du Ve siècle par Sie-ho.

Un des plus anciens en date des « dieux en colère » est le Kongo Rikku (un des cinq vidya-rajas) attribué à Kukai (nom posthume : Kôbô Daishi, 774-835), le grand apôtre de la secte Shingon et en même temps peintre et calligraphe distingué. Cette œuvre avait été prêtée à l’exposition anglo-japonaise de 1910 par les temples du Kôyasan dans la province de Kii auxquels il appartient d’une manière indivise et elle figure dans le catalogue publié à cette occasion sous le n° 1. La divinité accroupie sur un trône en forme de fleur de lotus largement ouverte est entourée de flammes stylisées d’une très curieuse façon. Celles-ci ressemblent à certains très anciens motifs qui existent sur les poteries et les miroirs chinois de l’époque Han. L’auréole est faite d’autres flammes en spirales. Malgré ses yeux exorbités et ses dents saillantes, l’image du dieu est loin d’être aussi terrible que celles de deux Ki Fudô conservés au Manjuin du Onjôji. Si l’on en croit la légende, l’un de ceux-ci aurait été exécuté en 838 par le prêtre Kukô sur l’ordre de Enshin, à la suite d’un songe de ce dernier, et sa vue porterait malheur.

L’autre, reproduit dans le Kokka (n° 240, mai 1910), est debout sur un rocher. Tous ses muscles saillans rendus d’une façon conventionnelle, mais très vigoureuse semblent tendus pour l’effort, sa face est crispée dans un terrible rictus qui retrousse la lèvre supérieure sur des crocs effrayans : c’est une bête fauve divine que cet exécuteur des hautes-œuvres du Bouddha. Les contours sont exécutés au trait vermillon ainsi que tous les muscles et les trois plis quasi canoniques du cou. Les tons neutres bistre, brun et verdâtre de l’ensemble sont rehaussés par le vêtement rouge qui tombe de la ceinture et par les applications d’or des bijoux. Non moins célèbre que les deux précédens est un troisième Fudô du Myô-ô-in sur le Kôyasan. Celui-ci est dû au prêtre Enchin que l’on connaît surtout sous son nom posthume de Chishô-Daishi (814-892), qui était le propre neveu de Kukai et, comme ce dernier, voyagea en Chine où il resta six années. A son retour, il fonda la branche Jimon de la secte Tendai et fut successivement supérieur des bonzes de plusieurs temples. Son Fudô, connu sous le nom de « Fudô rouge » à cause de la couleur donnée à son corps, est considéré comme une des œuvres les plus caractéristiques de l’art inspiré par la doctrine de l’ésotérisme. Son attitude diffère beaucoup de celle des autres images divines énumérées ci-dessus. Le peintre a voulu donner l’impression de la puissance calme mais irrésistible et fatale. Il est assis sur un rocher dans la pose du latita, la jambe droite pendante et la gauche repliée, le coude appuyé sur la pierre. Dans sa main droite, il tient le glaive entouré d’un dragon et dans la gauche le lacet. Un de ses deux jeunes assistans possède un aspect enfantin plein de candeur. C’est un lointain descendant des jeunes princes accompagnateurs de Shôtoku-Taishi dont nous avons déjà eu l’occasion de parler : Par là le vieux courant artistique coréen, en voie de transformation japonaise, manifeste sa grande vitalité.

L’archipel recevait d’ailleurs encore des émigrans coréens. L’un d’entre eux, demeuré célèbre : Kudara Kawanari (782-853) était tout à la fois un soldat et un peintre. Les ouvrages anciens racontent qu’il fut souvent appelé au palais impérial pour le décorer, ses peintures étant fort admirées pour leurs qualités de mouvement et de vie. Il reçut toute une série d’honneurs : vice-gouvernement du Mimasaka (en 823), puis du Harima (ère 834-847) et d’Aki. Quatre volets peints autrefois au Kozôji et appartenant aujourd’hui à la collection Kashiwagi de Tokyo seraient dus à son pinceau.

Dans une image de Zennyô Ryûwô, roi des dragons et en cette qualité grand distributeur de pluies bienfaisantes (temple Kongôbuji, Kokka, n° 227), attribuée à Jôchi disciple peu connu de Kukai, on peut, en revanche, discerner l’influence chinoise Tang très nettement marquée. Celle-ci se manifeste dans la distinction sévère de l’ensemble, dans la sobriété du geste du génie et dans l’ordonnance parfaite des draperies.

Parmi les plus belles « divinités tranquilles » de la première moitié du IXe siècle, le portrait de Yemmaten (Yama Deva ; Kokka, n° 221, octobre 1908) de la collection de M. Tomitaro Hara, doit être cité. Le dieu assis sur son bœuf témoigne d’une grâce hautaine. Son visage régulier, ses yeux demi-fermés surmontés de sourcils en arc parfait expriment un idéal plein de mysticisme. Le dessin est exécuté au trait vermillon accompagné d’une bande ombrée de même nuance. Quant aux couleurs des vêtemens, elles sont assez semblables à celles des peintures déjà étudiées : robe rouge à petits décors bleus et verts, écharpe rouge doublée de vert.

L’ère Kônin (810-823) vit enfin naître le genre semi-religieux. Le Tôji de Kyôto conserve avec un soin jaloux une suite de sept peintures représentant les fondateurs de la secte Shingon. Deux d’entre elles sont attribuées à Kôbô Daishi (Ryûchi et Ryûmyô). Les autres auraient été rapportées de Chine par ce dernier, et l’une d’entre elles est datée de 821. Ces peintures, au coloris un peu plat, mais visant à un certain réalisme, sont bien les ancêtres des si nombreux portraits de prêtres des époques suivantes. Les maitres Tang avaient d’ailleurs déjà porté ce genre à la perfection en Chine.

Les premiers auteurs européens qui ont écrit sur l’art japonais ont pu paraître étonnés de voir surgir un talent tel que celui de Kanaoka. La chose ne doit plus surprendre maintenant que nous connaissons les œuvres qui, du VIIe au IXe siècle, ont préparé les hautes réalisations effectuées par le fondateur de la famille Kose ou ses contemporains. Son génie est un aboutissement, et non un point de départ. Avec lui, la peinture bouddhique a atteint presque son apogée. Les renseignemens fournis par les auteurs japonais au sujet des dates de sa naissance et de sa mort sont assez contradictoires. Il aurait vécu sous les règnes de cinq empereurs différens qui gouvernèrent de 859 à 930. On sait d’autre part que l’empereur Uda (règne de 888 à 897) lui ordonna de peindre les portraits de neuf sages fameux et qu’en 928, l’empereur Daigo lui confia une nouvelle commande. Enfin, d’après une tradition de sa famille, il ne serait mort qu’en 987… M. Morrison a essayé, dans son récent ouvrage, d’éclaircir le problème et a émis l’hypothèse suivante : l’empereur Uda aurait recouru au talent du peintre non durant la courte période de son règne, mais après s’être retiré dans l’Inkyô (on sait, en effet, qu’il vécut dans un couvent jusqu’en 930.) La période d’activité de Kanaoka se serait alors étendue des environs de 928 à 987. Comme celle de tous les artistes fameux, sa biographie contient une foule de légendes plus ou moins vraisemblables ; on le fait d’ailleurs passer pour l’auteur de nombreuses peintures dont l’attribution est peu certaine. Parmi les plus probables, on peut citer un Juichimen Kwannon (Kwannon aux onzes faces) de la collection du marquis Kaôru Inoué. Il aurait exécuté en outre les images de Jizô, de Yakushi Nyôrai, de Bishamonten, d’Amida Sanson, du dieu du tonnerre et de celui du vent ; les portraits de Shotoku Taishi, de Kamatari Kotobuko, etc.

De grandes discussions se sont élevées autour d’un célèbre paysage : la Cascade de Nachi, appartenant à M. Tetsuma Akaboshi de Tokyô. A notre avis comme à celui de plusieurs critiques japonais, cette œuvre admirable ne parait pas avoir été exécutée avant la fin du XIIe siècle et n’est pas due à Kanaoka. Nous aurons d’ailleurs l’occasion d’en reparler.

Si les œuvres indiscutables du grand Kose sont peu nombreuses, il est du moins possible d’apprécier la splendeur de l’art religieux de son époque d’après quelques peintures conservées au Japon. Il nous suffira de signaler le Miroku Bosatsu du Hôzanji (Kokka, n° 188). Aucune expression n’en appréciera assez la grandeur, l’élégance sans maniérisme, la splendide couleur rouge des draperies. Par quelques détails cette image sacrée se souvient encore des fresques de Hôryûji, mais l’influence Tang, elle-même sur le point de se trouver japonisée, est venue modifier l’ensemble de façon très marquée.

IV

Durant la seconde partie de l’époque des Fujiwara (950-1160), le Japon s’engage franchement dans une voie purement nationale. Vers la fin du IXe siècle, la dynastie chinoise des Tang était en pleine décadence. Le gouvernement japonais jugea inutile de conserver des relations officielles avec l’Empire du Milieu. En 894, un décret supprima l’ambassade résidant à Si-N’gan. Seuls des religieux avides de doctrines nouvelles et quelques particuliers traversèrent la mer à de longs intervalles sans que leurs voyages aient eu une influence appréciable sur l’art contemporain de leur pays. Si le prêtre Chônen rapporta de Chine quelques peintures Song dès l’année 987, celles-ci furent peu appréciées jusqu’à la fin du XIIe siècle. L’art japonais avait lentement absorbé les idées Tang et s’en trouvait comme sursaturé. Il lui fallut une longue période de recueillement national avant d’être à même de s’assimiler de nouvelles notions.

Politiquement, l’époque des Fujiwara est marquée par un affaiblissement de la puissance impériale. Le Japon n’était pas encore mûr pour la centralisation, et de longues luttes féodales allaient encore être nécessaires pour faire disparaître les multiples barrières intérieures du pays. Ayant perdu tout esprit guerrier, les Mikados du Xe siècle se placèrent sous la tutelle de la famille Fujiwara. Leur pouvoir devint rapidement nominal. Ils vécurent confinés dans leur palais de Kyoto entourés du respect qui se rattachait à l’idée de leur origine divine, se retirant même très souvent plus complètement du monde en entrant en religion. De 823 à 1338, sur 43 empereurs, 23 abdiquèrent et 3 furent déposés. La cour impériale, le Gôshô, soumise aux influences féminines, menait une existence toute de dilettantisme, se complaisant dans les tournois poétiques et les fêtes où se déployait un faste extraordinaire. Les mœurs y étaient très légères, mais l’étiquette extérieure fort sévère. Les Fujiwara, dont la suprématie datait de l’année 888 où ils avaient obtenu la charge héréditaire de Kambaku, ne tardèrent pas eux-mêmes à subir l’influence déprimante du milieu et se lassèrent d’exercer le pouvoir, confiant l’administration à des sous-ordres et préparant ainsi leur propre perte. La corruption des mœurs devint générale.

Il n’était pas jusqu’au bouddhisme qui ne se fût modifié. Poussé par le désir des honneurs, le clergé était peu à peu tombé sous la domination de l’aristocratie. En se faisant l’instrument de la puissance d’une caste, il perdit beaucoup de sa dignité. Un tel état de choses devait avoir fatalement sa répercussion sur l’art religieux : l’idéal étant moins élevé, les œuvres perdirent beaucoup de leur majesté. On s’attacha surtout désormais à peindre de « beaux dieux, » et la forme tua l’esprit. L’époque précédente s’était efforcée d’individualiser les divinités par l’attitude générale, les particularités physiques et l’habillement. Les détails extérieurs absorbèrent bientôt toute l’attention de l’artiste aux dépens de la puissance de la conception.

Le prêtre Eshin (genshin) (942 à 1017), d’abord disciple de Jitsuye Sôjô, tenta de sauver la religion en la rendant plus compréhensible aux foules. Il se retira au monastère Eshin-in sur le mont Hiei et y composa plus de soixante-dix ouvrages de théologie, fruits de ses longues méditations. Le plus célèbre de ceux-ci fut le Wôyô-Yôshû, terminé en 983. Il fixa pour but aux fidèles l’accession au Gokuraku Jôdô, dont il décrit les merveilles en ces termes :

« La région surnaturelle du Jôdô est entourée d’un sextuple rempart, d’une sextuple rangée d’arbres et d’une sextuple grille. A l’intérieur est le lac des sept pierres précieuses dans lequel coule l’eau des huit vertus. Près de là se trouvent des maisons faites d’or, d’argent et de joyaux. Nuit et jour des oiseaux de tout genre se joignent en chœur pour charmer les oreilles des habitans. Fréquemment des brises rafraîchissantes glissent sous les arbres. En vérité, tout dans ces lieux divins est plein de beauté et d’élégance. » Ce paradis n’est autre que celui de Soukhavati. Pour y parvenir, il est nécessaire d’implorer sans cesse Amida. Ce dieu compatissant est d’ailleurs sans cesse occupé à sa mission de salut aidé de ses acolytes Kwannon et Seishi et suivi de vingt-trois autres Bosatsu. Le paradis de la doctrine Jôdô veut symboliser le monde idéal de la nature dont Amida est l’esprit. Le Sûtra qui porte le nom d’Amida Kyô admire les beautés de cette nature au lieu de vénérer des idées personnifiées comme le faisaient les écrits des sectes mystiques. Par ces conceptions gracieuses l’art bouddhique se trouva entièrement renouvelé ; la nature y fut introduite. Le sourire du Bouddha contemplant la terre se fit plus doux : ce fut un Nouveau Testament de miséricorde succédant à l’Ancien de terreur. Mais le pinceau était plus apte que le ciseau à rendre les grandes scènes du Jôdô. La peinture prit donc une importance encore plus grande que dans la période précédente. En outre, dans la voie ouverte par Eshin, le génie japonais, tout imprégné d’amour de la nature et très apte à une observation perspicace, trouva à s’employer de façon merveilleuse. Il fit descendre les dieux sur la terre en les peignant sous les traits de « beaux hommes. » Les artistes tinrent à réaliser des conceptions harmonieuses, susceptibles de matérialiser le bel ordre de l’univers. Enfin, l’introduction des paysages dans la peinture bouddhique créa des œuvres intermédiaires entre celles d’inspiration purement religieuse et celles uniquement laïques.

Le Sôzu (évêque) Eshin ne se contenta pas d’élaborer une doctrine, il voulut fournir des exemples. De là d’admirables peintures qui sont la gloire de la deuxième moitié du Xe siècle japonais. La plus connue d’entre celles-ci est la « Mida Raigô, » la « venue du Bouddha sur la terre, » (Kokka, n° 233) d’un temple du Kôyasan où Amida et 25 Bosatsu descendent du ciel sur des nuages pour aller chercher l’âme d’un saint prêtre vivant retiré dans les montagnes. L’art de Yamatoye s’y trouve annoncé par la composition soucieuse de l’effet pittoresque et par la façon de traiter le paysage. Les rochers du premier plan supportant de beaux arbres en fleurs ont la forme tourmentée de ceux des Ye-makimonos postérieurs et se souviennent de certaines œuvres Tang. Se fondant sur ces remarques, on a parfois discuté l’attribution de la peinture à Eshin, lui assignant plutôt pour date le XIIe siècle. Ce que l’on ne peut nier en tous les cas, c’est qu’elle fut directement inspirée par la doctrine de l’évêque du Hiei-san.

La même observation s’applique au triptyque du Kinkai Kômyôji de Kyôtô (Kokka, n° 224) portant le nom de « Yamagoshi no Mida, » « passage de la montagne par Mida » et qui aurait été exécuté durant l’ère Shôriaku (990-994). Les trois divinités : Amida et ses acolytes, apparaissent à mi-corps sortant radieusement d’une chaîne de montagnes, telles que, — suivant la tradition, — elles apparurent en rêve à Eshin sur le Hiei-san. Il est fait dans leurs images un très habile emploi des applications de filets d’or dites Kirikane. Les montagnes émergeant des nuages et couvertes de verdure ont des contours renforcés en bleu comme dans les Senzui Byobû, du XIIe siècle. Deux paravens latéraux représentent des scènes du Paradis et du Purgatoire.

Un fait vient s’ajouter à tous les précédens pour montrer comment la peinture laïque japonaise sortit peu à peu de l’art bouddhique : Motomitsu, fondateur de la très yamatisante école des Kasuga, fut d’abord l’élève de Kose Kimmochi, le petit-fils du grand Kanaoka et commença par exécuter des Butsuzô (images bouddhiques), telles que l’Avalokitésvara du Tôji à Kyôtô. D’origine illustre, — il appartenait à la branche Kanin des Fujiwara, — il reçut différens titres honorifiques, tels que ceux de Takumi no kami (chef du bureau des Constructions) et d’Echizen no mori (gouverneur de la province d’Echizen.) Il créa une technique nouvelle consistant à tenir le pinceau obliquement par rapport à la soie ou au papier. Vers le Nengô Kwankô (1004-1011), ses œuvres étaient fort goûtées, ce qui explique sa nomination d’Edokoro-no Azukari (chef du bureau de peinture, sorte de ministère des Beaux-Arts de l’époque). A sa suite, ses descendans immédiats, puis les Tosa devinrent en quelque sorte les peintres officiels de la Cour. C’est à son petit-fils Takayoshi (vers 1072-1076) que revient l’honneur d’avoir porté au plus haut point la gloire des Kasuga. L’œuvre la plus importante exécutée par celui-ci fut l’illustration du célèbre roman de Murasaki Shikibu, le Gengi Monogatari (datant de l’an 1004.) Par elle, on peut se rendre compte des tendances de l’école. La peinture est essentiellement décorative ; le coloris en est éclatant, mais parfois un peu épais. On sent, en outre, une certaine gaucherie et de la raideur dans les attitudes. Le mode conventionnel de représentation de ses personnages a reçu au Japon le nom de Hikime Kagihan (littéralement : « les yeux linéaires et les nez comme des clefs. ») L’artiste nous représente ses héros sous la forme de courtisans d’allure fort distinguée, de dilettantes, discutant gravement de choses futiles tout en s’efforçant de déranger le moins possible les plis de leurs amples vêtemens empesés. (Kokka, n° 182, juillet 1905). Le luxe des ors et des brillantes couleurs rend admirablement la somptuosité des étoffes. L’école de Kasuga, en un mot, est en complet accord avec les mœurs et les goûts de l’époque. Les paysages sont traités de manière très simple et primitive, la perspective fait à peu près défaut. En revanche, le peintre s’efforce de donner une reproduction exacte des intérieurs en faisant disparaître les cloisons mobiles servant de murs aux maisons.

Une tendance très différente de la nouvelle peinture laïque japonaise apparaît dans l’œuvre de Kakuyù (1053-1140.) Celui-ci fut durant une partie de sa vie dai-sôjô, — c’est-à-dire archevêque, — de Toba, d’où son surnom de Toba Sôjô et celui de Toba-ye donné à ses dessins humoristiques. On doit voir en lui le grand fondateur du style Yamatoye dans son expression la plus énergique. Ses peintures sont de deux sortes. Dans trois makimonos en noir conservés au temple Kôsanji en Yamashiro, il parait avoir fait œuvre satirique en remplaçant les hommes par des animaux à la façon des fabulistes. De tels croquis, pleins d’une vie débordante, ne sont certes pas ceux qu’on pourrait attendre d’un grand prêtre bouddhiste. Il semble qu’il se soit proposé pour but de railler les mœurs de son époque, mais, par malheur, la plupart des allusions contenues dans ces merveilleux dessins nous échappent forcément (Kokka.)

Dans l’illustration de la légende du Shigisan-Engi, Kakuyû inaugure un genre tout autre qui sera porté à la perfection par les maîtres du commencement de l’époque de Kamakura (1185-1337). L’œuvre a été exécutée sous la forme dite ye-makimono et le moment semble venu de parler de cette dernière. C’était un rouleau de peintures se développant dans le sens de la largeur, différant en cela des kakemonot destinés à être pendus et traités en hauteur. Les plus anciens ye-makimonos actuellement conservés semblent remonter au IXe siècle. Le genre aurait même existé antérieurement si l’on en croit un passage du Genji-monogatari : on l’employa pour illustrer des romans ou des légendes. Dès l’époque de Nara (710-794), des écrits bouddhiques présentés sous la même forme de rouleaux étaient ornés de quelques peintures. Mais dans ceux-ci, l’illustration subordonnée au texte pour renforcer certains de ses enseignemens, n’occupait qu’une place secondaire. Peu à peu, les choses furent inversées et le texte, à son tour, réduit à quelques lignes, ne servit plus qu’à élucider le sens des figures. Le yemakimono allait devenir un merveilleux instrument entre les mains des maîtres yamatisans. Sa forme rendait en effet facile le développement de longues scènes où pouvaient se grouper de nombreux personnages. Les sujets traités dans le Shigisan-engi sont pourtant encore assez simples. Ils mettent bien en lumière le talent simple et nerveux de l’artiste. Le coloris est sobre et les tons neutres dominent. On voit que Toba Sôjô attache bien moins d’importance à la couleur que ne le faisaient les Kasuga. Toute son attention se concentre en revanche sur l’expression des physionomies ; celles-ci perdent leur impassibilité dont elles font preuve dans les œuvres de Takayoshi et de ses successeurs.

Bientôt va commencer une période de transition entre l’époque efféminée du Fujiwara et l’ère guerrière de Kamakura. Elle a reçu le nom de Heike-jidai (1160-1181). Profitant de la faiblesse du gouvernement, la noblesse s’était rendue indépendante et, fortifiée dans ses châteaux, narguait le pouvoir central. Deux familles ne tardèrent pas à se signaler entre tous les autres clans militaires : les Minamoto (ou Gen) et les Taira (ou Heike). Les premiers étaient solidement établis dans les provinces de l’Est (le Kantô), les seconds cherchaient à dominer dans la région de Kyôto. Elles entrèrent en lutte pour la suprématie devant un empereur impuissant à maintenir l’ordre. Les campagnes de Hôgen (1156-1158) et de Heiji (1159-1160) assurèrent le triomphe du Taira Kiyomori. Celui-ci ne sut garder aucune mesure dans sa victoire. D’un caractère violent et brutal, il s’adonna à une vie de débauche qui dura jusqu’à sa mort (1181). Durant cette période, les caractéristiques de l’art japonais restèrent sensiblement les mêmes. La société profitant de ce que la paix était rétablie pour quelques années oublia vite les horreurs de la guerre civile et la leçon ne porta pas. Plus que jamais elle se livra au tourbillon des fêtes et de telles circonstances furent peu favorables à l’éclosion d’idées nouvelles.

On doit pourtant noter l’importance prise par les peintures destinées à l’ornementation d’écrits sacrés très soigneusement calligraphiés. C’était là reprendre une vieille tradition remontant, comme nous l’avons vu, au VIIIe siècle, mais en la modifiant par l’introduction d’illustrations profanes dans les écritures bouddhiques, en vue de commenter le texte. Le temple de Kumodera dans la province de Suruga possède en ce genre 18 rouleaux exécutés dès l’époque de l’empereur Toba (1108-1123). Mais les plus célèbres de ces œuvres sont celles de la période Heike jidai. En 1164, Kiyomori offrait au temple d’Itsukushima dans la province d’Aki une série de makimonos consacrés au texte Hokekyô. La calligraphie en était due à 32 membres de la famille Taira. Le fond de ces makimonos est somptueusement décoré d’or et d’argent en poudre et en feuilles. Les peintures accompagnant le texte consistent en utaye (dessin ornant des poésies), en ashide-ye (peintures sous la forme calligraphique) et en scènes d’intérieur pleines de charme, exécutées avec la minutie d’un miniaturiste de notre moyen âge. Les couleurs sont très brillantes et assez épaisses (Kokka, n° 318, juillet 1908).

Une autre sorte de manuscrits enluminés de la fin de l’époque des Fujiwara se présente sous la forme de volume relié dite Yamato-toji (littéralement : reliure du Yamato).

Dans l’exemplaire du Hokekyô appartenant à M. Riichi Uyeno d’Osaka (Kokka, n° 199, décembre 1906), le texte n’est pas interrompu par les peintures, dispositif qui produit, au premier abord, un singulier effet sur l’œil de l’observateur non prévenu.

Un troisième genre de peintures doit être enfin cité. Elles diffèrent des précédentes par la forme d’éventail de leur encadrement (manuscrits du temple Shitennoji, d’Osaka, datant de 1170 environ, Kokka, n° 204, mai 1907). Les sujets traités sont en outre plus variés : l’artiste inconnu n’a pas reculé devant la représentation de scènes populaires, chose nouvelle pour l’époque, mais ses personnages conservent une allure compassée et leurs traits sont encore rendus d’après toutes les conventions chères aux maîtres Kasuga.

Il fallut le fer rouge d’une nouvelle guerre civile plus violente encore que les précédentes pour purifier les mœurs, régénérer la philosophie japonaise et fournir aux beaux-arts de nouveaux élémens d’inspiration.

V

Les Heike avaient à leur tour perdu leurs qualités guerrières. Le Minamoto Yoritomo en profita pour soulever le Kantô, et la mort du grand Taira Kiyomori (1181) amena la ruine définitive de son clan après une guerre de cinq ans. Yoritomo victorieux et proclamé Sei-i-tai shogun en 1196, établit sa cour à Kamakura qui devint la capitale de l’Est. Là régnèrent les mœurs austères des soldats qui pratiquaient la belle morale du Bushidô tout imprégnée du sentiment de l’honneur et du culte des vertus militaires. Pendant ce temps, à Kyôto, continuait à régner un fantôme d’empereur entouré d’une cour efféminée et dissolue. Tout ce que la période dite de Kamakura (1185 à 1337) produisit de plus beau, de plus énergique, de plus national dans le domaine artistique fut inspiré par les tendances de la capitale de l’Est. L’ère des luttes n’était d’ailleurs pas close. Dès 1201, les Hôjô devinrent les ministres (Shikken) tout-puissans des successeurs de Yoritomo incapables. Ils firent et défirent les souverains à leur guise. Kyôto fut à plusieurs reprises dévastée par les émeutes et les incendies ; les bonzes eux-mêmes se soulevèrent et se mirent à porter les deux sabres des samuraï. Un vent d’héroïsme souffla partout que les victoires du Hôjo Tokimune sur les envahisseurs mongols (1274-1281) vinrent encore renforcer. En de telles circonstances, les peintres se trouvèrent naturellement portés à représenter les foules agissantes et les grandes scènes de bataille. Les vertus guerrières de l’époque et la bonne trempe acquise par les caractères se reflétèrent dans les œuvres des maîtres géniaux que furent Mitsunaga et Keion Sumiyoshi.

La période durant laquelle travaillèrent ceux-ci, la plus glorieuse à bien des titres dans l’histoire du ye-makimono, commence vers 1180 et dure une cinquantaine d’années. Les peintres portent alors toute leur attention sur les personnages qu’ils veulent rendre vivans, tandis que le paysage ne joue qu’un rôle secondaire. En revanche, à partir de la fin du XIIIe siècle, ce dernier fait de grands progrès et devient la partie la plus intéressante des ye-makimonos. Il faut voir dans cette évolution le jeu d’un facteur nouveau : à la fin de l’époque de Kamakura, l’influence chinoise Song vient heureusement rénover des genres prêts de tomber en décadence. Depuis bientôt un siècle, elle a d’ailleurs commencé à agir sur l’art bouddhique des Takuma transformant de façon très sensible les conceptions religieuses de l’ère Fujiwara. Elle s’attaque ensuite au genre du portrait et imprègne tout ce qu’elle touche d’un caractère tout à la fois plus réaliste et plus simple. Telle est sommairement esquissée la physionomie de la grande époque artistique que nous allons étudier.

Fujiwara Mitsunaga était le petit-fils de Takayoshi. Ses traditions de famille le rattachaient donc à l’école nationale de Kasuga. Son talent est, en effet, purement japonais. Mais il sut modifier les idées de ses ancêtres en les développant dans le sens de la vie et du mouvement. En ce sens, les œuvres de Toba Sôjô ont dû influer fortement sur sa formation. Les auteurs japonais rapportent que, dès 1173, il travailla au palais impérial à décorer les shôji (cloisons mobiles) de la salle du Shishinden réservée à certaines cérémonies solennelles. Ce ne sont pourtant pas ses œuvres de jeunesse, mais bien l’illustration des makimonos qui lui ont valu d’être considéré comme le plus grand peintre de Yamato-e du Japon. Il fut, en effet, le premier à savoir utiliser complètement la largeur du makimono pour y grouper de nombreux personnages en des scènes débordantes de vie. Ce sont les foules en délire de ses « Aventures de Ban Dainagon » (collection du comte Tadamichi Sakai) ou les diableries de son Yamai zoshi (Kokka, n° 210) qu’un Bosch ou un Callot n’auraient pas désavouées. Dans le premier de ces makimonos existe une page admirable où l’artiste nous montre un rassemblement populaire assistant impuissant à l’incendie qui consume l’escalier du palais impérial. Il sait nous faire sentir tout à la fois l’arrêt de l’élan de la foule vers la demeure de l’Empereur et la panique qui commence à la gagner. Le coloris est assez sobre : des tons neutres sur lesquels ressortent les vêtemens bleu, rouge, orange ou jaune. Des flammèches d’un rouge vif viennent tomber au milieu du peuple poursuivi par de gros nuages d’une fumée noire. Le dessin très nerveux témoigne d’une admirable sûreté de pinceau (Kokka, n° 192, juillet 1905). En revanche, le paysage est indiqué de façon fort sommaire, consistant souvent en montagnes aux contours indécis se confondant avec les nuages. Aux arbres et aux habitations du premier plan, Mitsunaga donne beaucoup plus d’importance. Il se conforme d’ailleurs en cela aux traditions léguées par les époques précédentes.

Si nous revenons, à ce propos, quelque peu en arrière, nous trouvons déjà un embryon de paysage, bien naïf et bien primitif, il est vrai, dans le Kwakogenzai-ingwa-Kyô de l’époque de Nara (710-794). Puis la doctrine Jôdô, au Xe siècle, adjoint les scènes de la nature aux images divines. Une autre étape intermédiaire est ensuite marquée par les peintures de ces grands paravens employés dès l’époque des Fujiwara dans certaines cérémonies religieuses et portant le nom de Senzui Byôbu. Dans ces derniers, les élémens Tang sont déjà en voie de pleine transformation. Ce ne sont plus les hautes montagnes de la Chine, mais bien les plaines ondulées ou les collines des environs de Kyôto et de Nara que le peintre veut y représenter. De grands cours d’eau paisibles y déroulent leurs méandres ; de beaux arbres et des maisons aux intérieurs très souvent entrevus par de larges baies, viennent encore égayer l’ensemble. Les Senzui Byôbu parvenus jusqu’à nous ne paraissent guère antérieurs à la fin du XIIe siècle, les plus connus étant ceux du Tôji (Kokka, n° 187, décembre 1905) et du Jingôgi (Kokka, n° 256, septembre 1911). On y remarque souvent un certain impressionnisme très caractéristique du génie japonais, celui-là même que les Koêtsu et les Kôrin intensifieront cinq siècles plus tard. Les contours des montagnes sont renforcés par une large bande ombrée bleue ou verte. C’est là la technique dite Mosenhô (littéralement : règle de l’exécution des contours) évidemment artificielle, mais produisant un effet décoratif très particulier.

Il restait à animer ces paysages en y introduisant de grandes scènes à personnages. Les premiers maitres de ye-makimonos le tentèrent quelquefois, mais durent le plus souvent reculer devant la difficulté. Ils préféraient d’ailleurs, sans doute, concentrer tout l’intérêt sur les personnages principaux.

Le plus brillant émule de Mitsunaga fut sans conteste Keion, son frère cadet. Il prit le nom de Sumiyoshi parce qu’il habitait cette localité dans la province de Setsu. On est assez mal renseigné sur les dates de sa vie ; on sait seulement qu’il vivait encore durant le nengô Keinin (1201-1203). Il est l’auteur très admiré des illustrations de l’Histoire de la Campagne de Heiji dans laquelle Taira Kiyomori sortit vainqueur des Minamoto. Elle est pleine de scènes de bataille (Kokka, n° 182, juillet 1905), traitées avec un sens extraordinaire du pittoresque. On ne sait ce qu’on doit y admirer le plus du mouvement intense donné aux combats ou de la merveilleuse façon dont sont rendus les personnages et les chevaux. Ces petites bêtes japonaises, nerveuses et souvent même vicieuses, à la forme ramassée et à l’encolure courte, possèdent encore aujourd’hui la silhouette que leur a donnée Keion dans ses œuvres. Celles-ci témoignent d’une science des allures bien capable de nous dérouter, nous autres Européens, dont les peintres sont demeurés si longtemps ignorans en la matière. Keion sait utiliser une savante opposition des nuances, mais il ne tombe jamais dans les empâtemens du temps des Fujiwara.

Il eut pour fils Tsunetaka, le fondateur de la célèbre lignée du Tosa. Celui-ci habita successivement Nara et Kyôto et entre autres charges honorifiques reçut celle de gouverneur de la province de Tosa : de cette circonstance provint le nom pris par son école. On sait qu’en Kenchô (1249-1255) il travailla au palais impérial. Ses principaux makimonos sont ceux des histoires de la fondation de Kuramadera et de la vie du prêtre Saigyô Hôshi (Kokka, n° 146). Ce dernier renferme des paysages d’hiver très curieusement traités, mais le mérite de Tsunetaka est loin d’égaler celui de son père, bien qu’il ait obtenu le titre de Edo-koro-no azukari, jusque-là à peu près héréditaire chez les Kasuga.

A l’époque où florissait le talent de Mitsunaga, Takanobu (1146-1205), appartenant à une branche différente de la famille Fujiwara, avait fondé une autre lignée de peintres surtout illustrée par son fils Nobuzane (1177-1265).

Ce dernier est l’auteur d’un certain nombre de makimonos, par exemple de ceux du Kitano Tenjin Engi (histoire de la châsse de Tenjin), conservé au Kitano Juishô de Kyôto et du Kegon Engi (du temple Kôzanji). Le style de ses peintures semble avoir subi tout à la fois l’influence des Kasuga et celle des Tosa. Des premiers il se rapproche par une certaine minutie et une extrême perfection dans sa manière de rendre les moindres détails, mais les attitudes de ses personnages sont moins raides et les scènes dans lesquelles ils figurent plus mouvementées. Le coloris est plus vif que ceux de Mitsunaga et de Keion et souvent rehaussé d’or. Ce ne sont peut-être pas d’ailleurs ses illustrations de légendes qui constituent le principal titre de gloire de Nobuzane, mais plutôt ses portraits.

Nous avons vu comment le genre du portrait s’implanta au Japon dès la fin du VIIe siècle (Shotoku taishi) et fut mis en faveur au IXe par l’intermédiaire des images semi-religieuses (bonzes et fondateurs de sectes), mais ces dernières se souvenaient encore trop de la sculpture dont elles étaient manifestement imitées. Il fallut arriver à l’époque de Kamakura (1185-1337) pour assister au plein développement du genre : comme les illustrations des ye-makimonos, les portraits se répartissent alors en deux périodes bien différentes. Durant la première, celle dont nous nous occupons actuellement, ils montrent toutes les caractéristiques de la peinture nationale Yamatoye des Kasuga : dignité des attitudes, teintes brillantes et surtout empâtemens très caractéristiques de couleur blanche des visages sur lesquels les traits sont exécutés en lignes délicates. Les chefs-d’œuvre de cette période semblent être le portrait de l’empereur Goshirakawa (Kokka, n° 195, août 1906), datant du commencement du XIIIe siècle et conservé au Myô-ô in de Kyôto et celui du prêtre Mongaku attribué à Fujiwara Takanobu (1146-1205) (Kokka, n° 248). — Très curieuse est aussi l’image de la divinité Nibu Myôjin (Kokka, n° 234) appartenant au Shintoïsme et peinte en cette qualité sous les traits d’une princesse de l’époque à la physionomie grave, aux cheveux dénoués tombant sur les épaules et vêtue d’une robe splendide toute tissée d’or, l’entourant de ses énormes plis.

A Nobuzane nous sommes sans doute redevables de la série fameuse des Agedatami Kasen, « les poètes célèbres assis sur des agedatami, » (sortes de nattes servant de sièges). Actuellement, elle est malheureusement dispersée dans diverses collections, dont celle du vicomte Matsudaira. Un portrait du poète Minamotono Shitago appartenant à M. Morrison semble s’y rattacher. Nobuzane a fait de visibles efforts pour bien individualiser les images des grands personnages qu’il représente et se rapprocher de la réalité, mais les procédés dont il disposait ne lui permettaient qu’imparfaitement d’atteindre ce but. Il fallut l’influence Song de la seconde partie de l’ère de Kamakura (fin du XIIIe et commencement du XIVe siècle) pour mener à son apogée l’art du portrait.

Cette époque nouvelle est marquée par la pénétration réciproque des écoles. L’influence de celle des Tosa sur les peintres des autres lignées est particulièrement marquée : elle absorbe, pour ainsi dire, en elle toutes les autres écoles à tendances yamatisantes de l’époque. C’est ainsi que le bonze En-i, d’abord élève de Takuma, se montre surtout disciple de Tosa dans sa « Vie du prêtre Ippen, » exécutée en 1299 (Kokka, n° 245, octobre 1910). La façon dont il groupe ses personnages et le mouvement qu’il sait mettre dans les scènes représentées le rapprochent même parfois des premiers maîtres de Yamatoye. Mais la grande originalité de cette œuvre comme de tout un groupe d’autres analogues, (Vie de Hônen Shônin, un des fondateurs de la secte Jôdô, par Tosa Yoshimitsu, de la fin du XIIIe siècle ; illustration du Kasuga gongen-genki dont l’auteur principal fut Takakane au commencement du XIVe siècle) consiste dans l’immense progrès accompli par le paysage.

On remarquera que tous les makimonos que nous venons de citer appartiennent à une série spéciale : celle des légendes religieuses. Les édificateurs de temples se proposèrent sans doute pour but de démontrer aux fidèles la raison de la construction de ceux-ci, en faisant intervenir la divinité dans le choix de leur emplacement. Dans de telles œuvres, la nécessité de la description du site amena le peintre à donner une plus grande importance au paysage. Son étude poussée, beaucoup plus loin qu’elle ne l’avait jamais été, fut d’ailleurs facilitée par les modèles chinois Song qui se répandaient de plus en plus au Japon en cette fin du XIIIe siècle. Ces derniers étaient nettement caractérisés par leur recherche d’une simplicité voulue et leur emploi des teintes légères en opposition complète avec les enluminures épaisses des maîtres de Yamatoye de la période précédente. Le coloris de Yoshimitsu et de Takakane, comme de En-i, demeure généralement clair et sans empâtement. Ces maîtres apportent toute leur attention à rendre la perspective aérienne. On a souvent fait remarquer la manière conventionnelle dont paraissent figurés les nuages que certains ont comparé à des doigts de gant. Pour expliquer ce procédé très particulier nommé Kou-le en Chine, il y a tout d’abord lieu d’observer que, dans les pays de brouillard tels que le Japon, on voit fréquemment de longues bandes brumeuses flottant en l’air et desquelles émergent les sommets des arbres, comme dans les makimonos des maîtres Tosa.

En outre, M. Sentarô Sawamura, dans une étude publiée par le Kokka, a réuni les quelques remarques suivantes très intéressantes à recueillir de la bouche d’un Japonais. Le procédé Kou-le aurait été souvent employé en raison de la difficulté de figurer dans leur entier les montagnes élevées, par suite du peu de hauteur relative des makimonos : on a alors caché leurs sommets dans les nuages, chose d’ailleurs fréquente dans la réalité. On s’en serait encore servi quelquefois pour séparer les unes des autres les diverses scènes d’un même makimono ; ou encore comme d’un moyen décoratif destiné à intensifier le reste du coloris par le contraste des masses grises des nuages ; ou, au contraire, afin d’atténuer par leur superposition des couleurs trop violentes. Par la suite, des représentans d’autres écoles, et en particulier Kano Motonobu dans ses illustrations de légendes, adoptèrent le même procédé.

Dans l’art du portrait de la fin de l’époque de Kamakura s’accomplit une transformation analogue à celle du paysage. Les enduits de couleur blanche formant le fond des visages durant la période précédente, disparaissent dans les œuvres influencées par les Song. On vise davantage au réalisme : l’emploi des couleurs légères et des ombres permet de mieux individualiser les traits des personnages. Ces progrès s’observent dans le remarquable portrait du prêtre Daitokushi remontant au milieu du XIVe siècle (Kokka, n° 233, décembre 1909) et conservé au temple Daitokuji de Kyôto. L’auteur inconnu a atteint la plus grande intensité d’expression dans cette physionomie très fouillée tout illuminée d’intelligence et d’énergie. Combien, à côté de cette œuvre magistrale, parait conventionnel et froid le portrait de l’empereur Godaigo du même temple, exécuté suivant les anciens procédés Yamatoye et attribué à Tosa Yukimitsu (première moitié du XIVe siècle) !

Durant l’ère de Kamakura, la peinture religieuse est elle-même rénovée, tout d’abord sous l’impulsion de l’art laïque, puis par l’imitation des Song.

Dès l’ère des Fujiwara, nous l’avons vu devenir plus humaine et descendre des hauteurs où l’avaient placée les sectes mystiques. Un célèbre Nehanzô datant de 1060 (Kokka, n° 228, mai 1909) et figurant l’entrée du Bouddha dans le Nirvânâ est déjà très voisin des peintures des Kasuga. Les disciples qui entourent le maître reposant dans le calme de l’éternel sommeil se lamentent tragiquement, et leur douleur se traduit par des poses d’une diversité et d’une variété merveilleuses, dignes d’un Tôba Sôjô ou d’un Mitsunaga. Au XIIIe siècle, la tendance réaliste s’accentue. La grande école bouddhique de l’époque de Kamakura, celle des Takuma fondée par Tamenari dès le milieu du XIe siècle, était d’ailleurs très proche parente des Kasuga et des Tosa et se rattachait à la même classe des maîtres de Yamatoye.

Les divinités gardiennes conservent l’aspect terrible de celles de l’époque des Fujiwara. Celui-ci s’accentue même souvent sous l’influence des mœurs de l’époque. Tel est le cas pour le Daishô Fudô Myô-ô appartenant à M. Kaoru Inoué (Kokka, n° 247, décembre 1909) et considéré comme un des derniers chefs-d’œuvre bouddhiques.

D’autre part, le courant artistique créé par la secte Jôdô produit des peintures où le paysage continue à être heureusement combiné avec les images divines. Derrière une Kwannon de la collection Kaoru Inoué (Kokka n° 253), on aperçoit des montagnes élevées d’où descend une cascade qui vient rouler torrentueuse auprès du dieu imploré par un personnage à genoux. Cette cascade veut sans doute symboliser l’abondance de la grâce divine. Dans son exécution, elle rappelle quelque peu celle du kakemono attribué parfois à Kanaoka que nous avons déjà signalé, ce qui contribue à nous faire attribuer ce dernier au XIIIe siècle et non au Xe.

Les maîtres Song étaient plus préoccupés de rendre le beau plastique que de faire œuvre mystique. Ce souci apparaît dans les œuvres du premier des Takuma qui ait modifié le style de sa famille sous l’influence chinoise : nous voulons ainsi désigner Shôga. Celui-ci aurait été seulement un enfant d’adoption de Takuma Tamehisa, lui-même petit-fils de Tamenari, et aurait appartenu en réalité à une branche des Kose. Il est l’auteur du paravent décoré des douze Devas du Tôji de Kyôto qui furent peints en 1192. Ces images sont délicieuses, et dénotent un sens extraordinaire de la ligne. Le dessin exécuté au trait d’encre est très ferme et les couleurs employées ont la légèreté d’un lavis. L’or est uniquement réservé aux bijoux, et l’ensemble d’une distinction suprême. Jamais le rendu des draperies n’avait été jusque-là porté à une telle perfection (Kokka, no 211).

Au XIVe siècle, l’art bouddhique parvint au dernier stade de son développement. Par la suite, il ne fit plus que décliner, les idées religieuses allant sans cesse en s’affaiblissant. Sous les Ashikaga (1337-1573), les nouvelles sectes influentes, parmi lesquelles la Zen tient la première place, ne pourront enrayer cette décadence. L’esprit religieux subsistera seul et se répandra dans la nature exprimée de façon si merveilleuse par les grands maîtres de la Renaissance japonaise (XVe-XVIe siècles). Sous la double influence des élémens artistiques Song-Yoüen devenue prédominante, d’une part, et de la secte Zen de l’autre, le paysage atteindra à son tour son apogée.

En revanche, le genre Ye-Makimono des vieux maîtres nationaux du Yamato, celui dont nous avons essayé de raconter la naissance (XIe-XIIe siècles) et l’âge mûr (XIIIe et 1re moitié du XIVe), perdra beaucoup de ses qualités initiales pour tomber finalement dans la décrépitude. La perfection de la forme tuera la vigueur de la conception. Les peintres se feront miniaturistes, préoccupés avant tout du fini des moindres détails. Contre l’éclat trop grand du coloris et l’emploi exagéré de l’or, l’École de l’Encre accomplira sa réaction. L’art des Tosa se contentera dès lors de fournir de belles images destinées à distraire les loisirs des hautes classes de la société, reproduisant inlassablement d’analogues scènes de fêtes et de beaux costumes de la cour. Durant l’époque des Ashikaga, Mitsunobu (1434-1525) tenta de lui donner une nouvelle impulsion, si bien que certains historiens ont cru pouvoir lui décerner le titre de ce restaurateur du vieux Tosa, » mais il faut bien remarquer que son style différa notablement de celui des grands maîtres de la belle époque, en raison de l’influence, peut-être inconsciente, mais très certaine, exercée sur son œuvre par les peintres chinois des écoles Song et Youën.

Avant de clore cette étude, nous devons accorder un souvenir ému à cette grande période de plus de deux siècles (1100 à 1340 environ) durant laquelle le génie japonais s’exprima de si admirable façon dans les makimonos des Toba Sôjô, des Mitsunaga et des Keion. Elle avait été préparée par une longue période d’assimilation des idées chinoises Tang et fut l’aboutissement de ce courant national observable dans certaines œuvres, dès le VIIIe siècle. Par leur pittoresque façon de rendre les foules agissantes et même les gens du peuple employés aux métiers les plus humbles (charpentiers au travail du makimono du Tengu Soshi peint en 1296 et appartenant à la collection du vicomte Akimoto Okitomo), les maitres du début de l’ère de Kamakura se sont à leur tour montrés les vrais précurseurs de cette école d’Ukiyoye qui, à la fin du XVIIe siècle, devait réagir contre les Écoles académiques des Tosa et des Kano proches de la décadence.

Nous croirons avoir atteint le très modeste but proposé comme fin dernière à cette étude si nous avons suffisamment mis en lumière le caractère harmonieux de l’évolution de la peinture japonaise au cours des siècles et prouvé combien cet art s’est montré logique dans son expression parce que toujours il fut en intime union avec le développement national correspondant.

Marquis de Tressan.