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L’Exercice du pouvoir/Partie V/26 septembre 1936

La bibliothèque libre.
Gallimard (p. 213-217).

Devant les représentants de la presse, rassemblés à l’Hôtel Matignon, Léon Blum fit, le 26 septembre, une déclaration sur la situation financière. Les nouvelles mesures monétaires, l’alignement et l’accord tripartite venaient d’être rendus publics ; Léon Blum tint à en indiquer lui-même l’importance et la portée :

Je vous reçois ce soir pour vous exposer, au lieu et place de M. Vincent Auriol, les traits distinctifs des décisions qui ont été prises hier par le Conseil des ministres.

Vous n’avez eu connaissance qu’assez tard dans la nuit de la déclaration qui a été publiée simultanément, et en termes identiques, à Washington, à Londres et à Paris. Le fait même qu’elle ait été remise très tard explique que tous les journaux ne l’aient peut-être pas mise en valeur, comme elle le méritait selon moi.

Je crois pourtant que cette publication du même document à Paris, à Londres et à Washington est un événement considérable. Je crois que nous avons le droit, sans trop de présomption, d’en faire ressortir l’importance et la signification.

Je crois que c’est la première fois dans l’histoire que trois grandes Puissances signifient à l’opinion universelle, par un acte public, leur volonté d’entreprendre un effort commun pour le rétablissement dans le monde de rapports monétaires et économiques normaux et d’arriver ainsi à cette espèce de pacification matérielle qui est la condition et le prodrome d’une pacification politique.

C’est le sens que les auteurs de la déclaration eux-mêmes lui ont donné.

Vous avez vu le texte des propos tenus ce matin par M. Morgenthau à la presse américaine, propos qui confirmaient d’ailleurs ceux d’un message envoyé à M. Vincent Auriol cette nuit.

Vous avez recueilli les premiers échos de la presse étrangère et vous savez quel a été l’effet produit ce matin à Genève par la publication du document.

Je crois donc, pour ma part, qu’il y a là un événement politique de première importance et que cette initiative, prise par trois grandes Puissances, initiative à laquelle ces Puissances désirent rallier l’ensemble des États, peut et doit exercer sur les rapports internationaux une influence considérable.

Comme vous le savez, nous avons reçu, dans l’après-midi, la nouvelle que la Suisse se ralliait à la déclaration commune des trois Puissances et à la décision prise, en conséquence, par le Gouvernement français.

Je n’ignore pas que quelques journaux ont présenté les choses d’une autre façon. Ils ont exprimé le sentiment que cette publication de la déclaration était un maquillage, une petite astuce destinée purement et simplement à présenter sous des couleurs plus flatteuses le fond de l’opération monétaire.

J’ai lu, par exemple, ce matin, qu’en réalité nous avions fait appel aux Gouvernements anglais et américain et que c’était eux qui nous avaient, en quelque sorte, imposé le remaniement monétaire.

Je peux vous affirmer que non. Dans une conjecture de ce genre, tout est contraire à la vérité.

Les premières conversations entre les États-Unis, l’Angleterre et la France ont une origine déjà ancienne. Les premiers contacts remontent au mois de juin. Nous avons rencontré tout de suite, de la part de la Chancellerie de l’Échiquier et de la Trésorerie américaine, une cordialité dans les contacts et des sentiments d’amitié dont nous sommes tout à fait reconnaissants à M. Morgenthau et à M. Chamberlain.

À aucun moment, l’ensemble de la négociation n’a été conçu dans un autre esprit que celui qui marque aujourd’hui cette convention.

À aucun moment nous n’avons envisagé la possibilité d’une opération monétaire unilatérale et sur un plan purement national.

Dès le premier moment, dès le premier jour, nous avons toujours pensé et toujours dit, comme nous avons finalement fait, que l’opération monétaire ne pouvait être conçue que sur un plan international et dans des conditions telles qu’elle puisse effectivement contribuer au rapprochement dès peuples, à la reprise des rapports économiques normaux sur tous les terrains et, par conséquent, qu’elle puisse servir à cette pacification générale qui reste notre but final.

Telles sont les quelques considérations d’ordre tout à fait général que je voulais vous communiquer. Si vous le voulez bien, maintenant, j’aborderai un autre ordre d’idées pour vous montrer quelles sont les caractéristiques du projet qui va être soumis au Parlement.

Nous avons eu quelques difficultés à surmonter, en ce sens que nous avions des obligations, sinon contradictoires, du moins différentes, à concilier.

Nous désirions naturellement ne pas contrarier les effets techniques et mécaniques d’un remaniement monétaire et, au premier chef, le reflux en France de capitaux. D’autre part, et dans un souci que vous comprendrez tous, nous désirions ne pas nous priver des moyens de rechercher certaines catégories de profit.

Nous avons, dans le texte qui a été déposé, essayé de concilier, dans la mesure du possible, ces deux objets.

Enfin, nous ne pouvions pas non plus perdre de vue la question des prix.

Je ne veux pas du tout entrer dans la controverse qui a rempli tous les débats parlementaires sur les opérations monétaires, et je ne veux pas rechercher si, théoriquement ou pratiquement, la modification des parités a, nécessairement, un effet correspondant sur les prix intérieurs.

Mais je crois très fermement que l’abaissement monétaire permettra de comprimer certains éléments des prix de revient autres que les salaires et qu’il permettra, par l’abondance des capitaux et l’accélération du rythme de la circulation, d’abaisser le taux de l’intérêt.

Je crois qu’en accroissant le débit, il permettra de répartir les charges de la production sur un chiffre d’affaires plus élevé.

Je ne veux pas du tout émettre des pronostics à cet égard. Je suis obligé de considérer que si, par exemple, l’opération anglaise a été faite dans une période de baisse et d’effondrement des prix mondiaux, la nôtre se fait au contraire dans une période de hausse de ces mêmes prix. Par conséquent, — tout en pensant que la question des prix pourra être résolue, tout en prenant les mesures nécessaires pour la résoudre, tout en comptant que les effets de l’alignement monétaire se concilieront à cet égard avec l’accroissement de la masse des revenus, résultat des lois qui ont été votées depuis quelques mois, — il nous était impossible de ne pas prendre un certain nombre de précautions préventives de sauvegarde. Ces précautions intéressent les consommateurs dont la capacité d’achat serait éventuellement menacée, c’est-à-dire ceux pour qui la hausse des prix serait une opération à sens unique et qui ne trouveraient une compensation de l’élévation du prix de la vie ni dans la hausse des produits qu’ils fabriquent ou qu’ils débitent, ni dans l’augmentation de leur chiffre d’affaires.

À cet égard, certaines mesures ont été prévues dans le texte de loi qui sera soumis au Parlement.

J’ajoute que nous avons aussi pensé aux souscripteurs du dernier emprunt de bons du Trésor, à qui nous avions fait appel pour nous aider dans notre tâche et dont, naturellement, nous sommes enclins à considérer attentivement la situation.

Toutes ces dispositions se trouveront, les unes dans le texte même que nous allons soumettre au Parlement, et les autres dans la loi de Finances qui sera déposée dans trois semaines.

Voilà les différents renseignements que je désirais vous fournir au nom de mon ami M. Vincent Auriol et en mon nom.

J’insiste encore sur ce que je vous ai dit au début de cette déclaration. Je voudrais vous faire bien sentir qu’il ne s’agit pas pour nous d’un expédient de fortune, d’une mesure imposée par telle ou telle circonstance particulière.

À travers toutes les difficultés, que nous essaierons de surmonter, nous avons le droit de considérer la décision prise comme un des éléments qui tendent avant tout à faciliter l’entente et la pacification internationales.