L’Hérétique

La bibliothèque libre.
Traduction par Sophie Borschak et René Martel.
Le Monde slavenouvelle série, année 7, tomes 1 et 2, numéros 1 à 6 (p. 402-405).


L’HÉRÉTIQUE (JEAN HUS)


À Šafařik.

De méchants voisins ont incendié
La maison toute neuve et belle

De leur voisin : au feu ils se sont chauffés,
Puis sont allés dormir.
Mais la cendre grise, ils ont oublié
De la disperser au vent.
Elle reste, la cendre, à la croisée des chemins,
Et dans son sein couve
Une étincelle du grand feu.
Elle couve et ne s’éteint pas,
Elle attend qu’on la ranime, comme un vengeur
Attend son heure,
La mauvaise heure. Elle couvait, l’étincelle,
Elle attendait toujours,
Au carrefour vaste et large
Et commençait à pâlir.
Ainsi les Germains ont incendié
La grande maison, et la famille,
La famille des Slaves, ils l’ont dissociée ;
Sournoisement, ils ont lâché
Le cruel serpent des luttes fratricides.
Des flots de sang coulèrent,
Éteignirent l’incendie,
Et les Germains se partagèrent
Les tristes décombres
Et les orphelins.
Ils grandirent dans les fers,
Les fils des Slaves,
Et oublièrent dans la servitude
Ce qu’ils étaient au monde.
Mais, dans les décombres de jadis,
L’étincelle de fraternité couvait.
Elle couvait, elle attendait
Des mains fortes et hardies.
Elles vinrent. Alors jaillit,
Du plus profond des cendres,
La belle flamme, le cœur hardi,
Les yeux d’aigle intrépides.
Tu as allumé, ô sage,
Le flambeau de la liberté
Et de la vérité.
Des Slaves la grande famille,
Dans les ténèbres de la servitude,
Tu as dénombré jusqu’au dernier :
Tu n’as compté que des cadavres


Il n’était plus de Slaves. Tu t’es dressé
Sur les grands charniers,
Sur les carrefours du monde,
Tel Ézéchiel.
Et, ô miracle ! Les cadavres se levèrent,
Ils ouvrirent leurs yeux.
Le frère étreignit son frère
Et ils se dirent
Le doux mot d’amour
Pour l’éternité.
Dans une seule mer se jetèrent
Tous les fleuves slaves.

Gloire à toi, ô sage
Tchèque qui sus être slave !
Toi qui n’as pas laissé périr
Au gouffre germain
Notre vérité ! Ta mer,
Celle des Slaves, la nouvelle,
Ainsi sera déjà pleine,
Et ta barque voguera,
À toutes voiles,
Avec un bon gouvernail.
Elle naviguera sur la mer libre
Aux larges vagues.
Gloire à toi, Safařik,
Dans les siècles des siècles,
Toi qui as réuni dans une seule mer
Tous les fleuves slaves !

Reçois aussi dans ta gloire
Ma pauvre obole,
Ma duma indigente
Du saint Tchèque,
Du grand martyr,
Du glorieux Hus.
Accueille-la, mon père,
Et moi, doucement,
Je prierai Dieu
Que tous les Slaves deviennent
De bons frères,
Fils du soleil de la vérité,
Et qu’ils deviennent des hérétiques

Tel que celui de Constance,
Le sublime hérétique.
La paix au monde ils donneront
Et la gloire éternelle…

1845, 22 novembre.
Perejaslavt.xxxx