L’Heure enchantée/Une Fée

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L’Heure enchantéeAlphonse Lemerre, éditeur (p. 3-15).


UNE FÉE


I


Ah ! c’est une fée
Toute jeune encor,
Ah ! c’est une fée
De lune coiffée.

À sa robe verte
Un papillon d’or,
À sa robe verte,
À peine entr’ouverte.

Elle va légère,
Au son du hautbois,
Elle va légère
Comme une bergère.


Elle suit la ronde
Des dames des bois,
Elle suit la ronde
Qui va par le monde.

Sa gorge enfantine
Tremble doucement,
Sa gorge enfantine
Couleur d’églantine.

Elle ignore même
Qu’on ait un amant.
Elle ignore même
Ce doux mot : Je t’aime !


II


Or, une nuit d’été, sous la lune d’opale,
Comme elle passait blanche, une fleur à la main,
À cette heure où le ciel se teint de rose pâle,
Tremblante, elle s’arrête au détour d’un chemin.

Parmi les boutons d’or, dans l’herbe, sous les saules,
Un jeune homme était là, qui semblait endormi.
De blonds cheveux couvraient ses robustes épaules.
Sa bouche souriait, entr’ouverte à demi.


Il se lève, et ses yeux, d’où sort une lumière,
Regardent fixement le fantôme enchanté.
Est-ce un rêve ? Jamais châtelaine ou fermière
N’eut cet air de candeur et cette pureté.

Elle aussi le regarde et bientôt s’émerveille.
Robin n’approche pas de cet adolescent.
« Quel songe ! » pense-t-elle, et voici que s’éveille
L’aurore de l’amour en son cœur innocent.

— « Miraculeuse enfant de cette nuit charmante,
Viens-tu pour m’éblouir d’un pays fabuleux ?
Dis à ton serviteur une parole aimante ;
Laisse-moi, sans colère, adorer tes yeux bleus. »

Il s’est mis à genoux au milieu des pervenches,
Radieux et fleuri comme le fils du roi.
Elle avait peur. Bien vite il a pris ses mains blanches
Et murmure tout bas : — « Je te veux ; réponds-moi. »

Elle aurait dû s’enfuir. Déjà les vieilles fées,
Là-bas, là-bas, sous terre, apprêtaient leurs fuseaux.
D’invisibles lilas envoyaient leurs bouffées ;
On entendait au loin le réveil des oiseaux.

Elle aurait dû s’enfuir. Mais les bois et la plaine,
La rivière et le vent, tout lui parlait d’aimer,
Et, laissant de ses doigts tomber la marjolaine,
Elle sentait son cœur prêt à se consumer…


Ô merveilleux hymen du ciel et de la terre !
Chantez, beaux rossignols, la chanson des époux.
Ouvrez, sombres forêts, vos portes de mystère.
Éternelle jeunesse, épanouissez-vous !

Chaque jour, depuis lors, dès que la nuit câline
En ses bras maternels berce le monde enfant,
Dans le bois qui scintille en haut de la colline,
Ils vont cueillir la fleur de l’amour triomphant.

L’étoile du berger les cherche dans l’espace.
Les murmures d’en bas leur viennent apaisés.
Comme un vol d’oiseaux blancs qui passe et puis repasse,
La lune sur leur bouche argente leurs baisers.

Elle dit : « Prends-moi toute, ô mon seigneur superbe.
Je tremblais. Ton regard m’a bientôt rassuré.
Je suis le liseron qui se cache dans l’herbe ;
Toi, maître, le grand arbre au feuillage doré. »

Il répond : « Comme un prêtre à la porte du temple,
J’aime à tes pieds divins, chère, à m’agenouiller.
Toute mon âme brûle alors que je contemple
L’anémone d’argent que je n’ose effeuiller. »

Parfois, en pleins fourrés, une harde s’élance,
Et, l’oreille aux aguets, suit le bruit de leurs pas.
Ils vont. Leur amour seul éveille le silence.
Le temps heureux s’envole. Ils ne s’en doutent pas.


Mais quand l’aube, en chantant, les mains pleines de roses,
Frappe à coups redoublés à la porte des cieux,
Quand les heures de jour passent en robes roses,
Oh ! la peine cruelle et les tristes adieux ?

— « Entends-tu, cher trésor, le chant de l’alouette ? »
— « L’Orient s’illumine. Il faut nous séparer. »
En leurs yeux attristés pâlit la violette.
La fée a pris son vol et s’est mise à pleurer.

Elle s’évanouit, ainsi qu’une fumée
Que le vent éparpille à l’horizon lointain,
Et, lui, regarde encor l’image bien aimée
Se fondre lentement dans le bleu du matin.


III


Hélas ! hélas ! on épie
Ton amour, pauvre garçon.
Voici beau jour que la pie
L’a dit au colimaçon.

Depuis longtemps la vipère
S’en gausse avec le corbeau.
Tous deux font très bien la paire.
Des secrets c’est le tombeau.


Carabosse et Mélusine
À leur tour ont clabaudé.
— « Écoutez, voisin, voisine,
Notre sœur a cascadé.

« Et celui qu’elle préfère,
C’est le garçon du moulin. »
— « Pas possible ! Quelle affaire !
Seigneur, que c’est donc vilain !

« Narrez-nous toujours la chose. »
— « Voici : C’était un beau blond.
Ils se rencontraient… Je n’ose
Vraiment en dire plus long. »

— « Bah, racontez tout de même. »
— « Eh bien ! donc, il lui parla.
Elle répondit : Je t’aime. »
— « Tiens, tiens, voyez-vous cela. »

— « Et depuis lors, Dieu sait comme
En plein bois ils se baisaient. »
— « Oh, maman ! Baiser un homme ! »
— « C’est pourtant ce qu’ils faisaient. »

— « Et d’où vient cette nouvelle ? »
— « C’est Robin qui l’apporta. »
— « Pauvre Sœur ! » — « Pas de cervelle ! »
— « Patati — et patata ! »


IV


Titania, la reine aux doux yeux d’améthyste,
Ignorait tout encor. Sa fine camériste
Lui conte l’aventure, un soir, en la coiffant :
— « Que dis-tu là, ma bonne, une si douce enfant ! »
— « Hélas ! madame, hélas ! la chose est trop certaine. »
— « Encore si c’était avec un capitaine ! »
Et le soir même, avant d’entrer en son lit bleu,
La belle a tout appris à son époux. — « Corbleu !
Fait Obéron, ceci dépasse un peu les bornes.
N’est-il plus au village assez de maritornes
Pour qu’on laisse en repos les dames de ma cour !
Un homme à notre sœur déclarer son amour !
L’affaire est scandaleuse ; un exemple s’impose.
Vite, allez-moi quérir la coupable, et qu’elle ose
Faire à nos pieds l’aveu de son indignité. »
Un grand lit de justice est sur l’heure arrêté.
On s’y rend de partout et même du royaume
De Belzébuth. Follet, Sylphe, Lutin ou Gnome,
Chacun veut avoir part à la fête. Voici
D’aimables compagnons sentant fort le roussi,
Puck, Robin Bon-Enfant qui joue avec les filles,
Et le soir, dans leur lit, fourre un paquet d’aiguilles,
Ariel qui soupire on ne sait trop pourquoi,
Jacques l’enchifrené qui reste toujours coi,

Charlot, Jean de la Lune et Pierre les Dimanches,
Et le roi des Coucous et la reine des Tanches.
Comme des églantiers les uns sont droits et verts,
Les autres sont tortus et vont tout de travers.
Il en est qui sont fiers d’arborer une bosse.
Les uns vont à cheval, les autres en carrosse.
D’aucuns marchent courbés sur d’énormes bâtons ;
Leur nez fait la causette avec leurs trois mentons,
Et, branlants comme il sied à des personnes d’âge,
Ils gémissent : « Oh, oh ! que de dévergondage ! »
Avec un galurin sur sa tête d’oiseau,
Plus d’une mère-grand file son blanc fuseau.
Derrière on aperçoit, en robes dégrafées,
Les ondines du bois joli, les jeunes fées
Qui se poussent du coude et rient du coin de l’œil.
Et tout ce monde, heureux ou triste, en joie, en deuil,
Va, vient, court, coassant comme un cent de grenouilles.
Des vieilles en fureur brandissent leurs quenouilles.
Plick fait un pied de nez, Plock un saut périlleux,
Quand tout à coup plus rien. Silence merveilleux.
Le Seigneur Obéron paraît sur la pelouse
Et donne galamment la droite à son épouse,
Dont le corsage en fleur semble tout un jardin.
— « Messieurs, la cour, glapit l’huissier, un vieil ondin.
Silence et chapeau bas, on appelle la cause. »
Et voici venir, fraîche et blonde et toute rose,
La délinquante. Hélas ! Elle est en grand émoi,
Très fière cependant. — « Approche, dit le roi,
On m’en a raconté de belles sur ton compte.
Une fée embrasser un homme, quelle honte !

Si le fait est prouvé, tu sais ce qui t’attend.
Nous ne te voulons plus chez nous. En un instant,
Comme ton bel ami, tu deviendras mortelle.
Plus de robes d’argent, d’or ou de brocatelle,
Plus de rondes, le soir, dans le cercle enchanté.
La bise, en peu de temps, fanera ta beauté.
Il te faudra bientôt, villageoise enlaidie,
Subir la pauvreté, le froid, la maladie,
Mener paître les veaux tous les jours que Dieu fait,
Et danser, ventre vide, en face du buffet.
Le front ceint de fenouil, de rue et d’amourette,
Nous irons, folâtrant et riant. Toi, pauvrette,
Tu tireras la langue avec ton étourdi. »
À grands coups de battoir l’auditoire applaudit.
L’enfant tremble et pâlit un peu. Toujours coquette,
Elle fait trois saluts comme veut l’étiquette,
Et murmure : « Madame, et vous, Seigneur… » — « Bon, bon,
Est-il vrai qu’on t’ait vue avec ce vagabond ? »
Une faible rougeur est montée à sa joue ;
Frémissante et superbe, elle répond : — « J’avoue.


« Mon gentil roi,
Ma douce reine,
L’amour m’entraîne ;
Oubliez-moi.

« Et vous de même,
Esprits mutins,
Sylphes, lutins,
Frères que j’aime.


« Je n’irai plus
Voir sur la lande
La sarabande
Des nains velus,

« Au loin surprendre
Le doux secret
Qu’à la forêt
Dit la nuit tendre,

Faire, en soufflant,
Quand l’aube approche,
Tinter la cloche
Du muguet blanc.

« Adieu, fleurettes
Au cœur rusé
Dont j’ai frisé
Les collerettes,

« Adieu, adieu,
Beaux scarabées,
Perles tombées
Du grand ciel bleu,

« Ombres légères
Du bois joli
Où j’ai mon lit
Dans les fougères,


« Lune d’argent,
Miroir céleste,
Adieu, je reste
Avec mon Jean !

« Combien sa bouche
À de douceur !
Mon ravisseur
N’est point farouche.

« D’un bras vaillant,
Blanc comme neige,
Il me protège
En souriant.

« À la rosée,
Plus de cent fois,
Il m’a dit : Sois
Mon épousée.

« Rire, jaser,
La pauvre affaire !
Moi, je préfère
Un franc baiser…

« Mon roi, ma reine,
Toute la cour,
Vive l’amour
Qui nous entraîne !


« De ce garçon
Je suis coiffée.
Adieu la fée
Et sa chanson ! »


V


Dans un pré semé de fleurettes jaunes,
Un pré qui scintille au soleil levant,
Je sais quelque part, sous un bouquet d’aulnes,
Une maisonnette à l’abri du vent.

Elle est fort ancienne et toute petite.
Mais quand le matin point à l’horizon,
Comme elle sourit, dans la clématite,
Avec son toit bleu, la chère maison !

C’est là qu’oubliant les métamorphoses
De la lune pâle et du vent moqueur,
L’adorable enfant effeuille des roses,
Son fidèle ami tout près de son cœur !

Elle n’est plus fée, elle est toujours sage,
Et, tendre et jolie, elle garde encor
Un brin d’églantine à son fin corsage,
Un nœud de ruban dans ses tresses d’or.


Le jupon troussé comme une bergère,
Elle vole ainsi qu’un oiseau des bois !
Elle apaise tout de sa main légère ;
Un charme est encore au bout de ses doigts.

L’époux qui revient, au soir, de l’ouvrage,
Les bras fatigués et le pied poudreux,
S’arrête un instant et reprend courage.
Son cœur bat gaiement, son cœur amoureux.

Il a vu de loin sa mignonne blonde,
Douce comme un rêve au milieu des blés,
Bercer, en chantant quelque vieille ronde,
Un amour d’enfant aux cheveux bouclés.