L’Histoire de Merlin l’enchanteur/06

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Librairie Plon (1p. 18-20).


VI


Le conte dit ici que Merlin s’était retiré dans la forêt de Northumberland. Or, le roi Uter Pendragon, à qui l’on narra les merveilles qu’il avait faites, eut naturellement grand désir de le voir : aussi envoya-t-il des messagers par toute la terre à la recherche du devin.

Un jour qu’ils se reposaient dans une ville du Northumberland, ils virent venir à eux un bûcheron portant une grande cognée sur l’épaule, les cheveux hirsutes, la barbe longue, vêtu d’une courte blouse déchirée, bref assez semblable à un homme sauvage, qui leur dit :

— Vous ne faites guère la besogne de votre seigneur.

— De quoi se mêle ce vilain !

— Si j’étais chargé de chercher Merlin, reprit le bûcheron, je l’aurais plus tôt trouvé que vous. Sachez qu’il m’a commandé de vous dire que jamais personne ne l’amènera, à moins que votre roi ne vienne lui-même le quérir dans la forêt.

Là-dessus, l’homme leur tourna le dos et disparut, bien avant que les messagers fussent revenus de leur surprise.

Ils retournèrent en grande hâte à la cour et contèrent au roi ce que le vilain leur avait dit.

« J’irai donc chercher le devin », décida Uter Pendragon. Ainsi vint-il avec eux dans la forêt de Northumberland. Elle était grande, haute et délicieuse à y errer. Le roi et ses gens chevauchèrent longtemps à travers feuilles et buissons. Enfin ils parvinrent à une clairière où un pauvre berger contrefait gardait un troupeau de moutons.

— Qui es-tu ? lui demandèrent-ils.

— Je suis à un homme qui m’a dit qu’un roi le viendrait aujourd’hui chercher au bois. Et, si le roi venait, je saurais bien le mener à celui qu’il va quérant.

— Et ne nous pourrais-tu conduire à lui ?

— Nenni, répondit le berger, ni pour or ni pour argent, car on ne le trouve que lorsque lui-même, il y consent.

— Je suis le roi, dit Uter Pendragon.

— Et moi, je suis Merlin, dit le berger.

Le roi demanda à ses compagnons s’ils reconnaissaient Merlin, bien qu’ils ne l’eussent pas vu depuis longtemps. Pour toute réponse, ils se mirent à rire ; mais, dans le même instant, ils trouvèrent devant eux le jeune enfant qui avait expliqué au roi Vortiger la signification du combat des dragons. Et ainsi l’on connut que Merlin avait le pouvoir de prendre telle semblance qui lui plût.

Le roi lui fit de grandes amitiés et voulut l’emmener à sa cour ; mais il refusa pour ce qu’il savait bien que les barons seraient tôt jaloux de son crédit : car il était très sage. Pourtant il assura le roi qu’il l’aimait tendrement et qu’il veillerait toujours sur son honneur et ses intérêts. En effet, grâce à lui, Uter vainquit les Saines, païens très méchants qui ne croyaient pas à la Trinité ni à Jésus Christ qui pour nous souffrit. Après la bataille, on enterra les corps des chrétiens, et Merlin fit venir d’Irlande, par son art, certaines longues et grosses pierres que nul homme n’aurait pu soulever par force ni par engin, et qu’il dressa parce qu’elles étaient plus belles droites que gisant. Ainsi fut fait le cimetière de Salisbury que l’on voit encore et que l’on verra tant que le monde durera.