L’Histoire de Merlin l’enchanteur/11

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Librairie Plon (1p. 39-41).


XI


Quand le roi Artus eut ainsi déconfit ses grands vassaux rebelles, il tint une cour à Londres sur le conseil de Merlin, où il fit de beaux dons de robes, d’argent, de chevaux, et arma nombre de nouveaux chevaliers. Par quoi il se gagna beaucoup de cœurs.

— Beau doux sire, lui dit Merlin, maintenant contentez-vous de garnir vos forteresses et de les munir de vivres et d’artillerie. Cependant vous irez vous engager comme un simple chevalier au service du roi Léodagan de Carmélide, et grand bien vous en adviendra. C’est un vieil homme et il a rude guerre de ses voisins : car le roi Claudas de la Terre déserte a rendu hommage à l’empereur de Rome, Julius César, et tous deux ont fait alliance avec Frolle, duc d’Allemagne, qui est un haut et puissant baron, et une grande armée s’avance sous leurs bannières pour conquérir le royaume de Carmélide. Ne craignez rien cependant des rois rebelles pour votre terre, car Notre Sire y aura garde. À votre cour, les uns sont venus pour bien et les autres pour mal ; mais je veux que vous fassiez grand accueil à Ban de Benoïc et à Bohor de Gannes, qui sont en route à cette heure et qui se rendent ici par débonnaireté. Tous deux sont frères et rois en la Petite Bretagne, et ils vous feront hommage volontiers. Quand vous partirez pour Carohaise en Carmélide, emmenez les avec vous, car ils sont prud’hommes et très bons chevaliers.

Dès qu’il apprit que le roi Ban et le roi Bohor approchaient, Artus fit tendre de soieries et de tapisseries et joncher d’herbes et de fleurs les rues de Londres où ils devaient passer, et il ordonna que les demoiselles et les pucelles de la ville allassent en chantant à leur rencontre, tandis que lui-même s’y rendait à grande chevalerie. Puis il donna en leur honneur un beau tournoi, des fêtes ; bref il les reçut aussi magnifiquement qu’il put. Si bien que les rois Ban et Bohor, et leur frère Guinebaut, qui était un très sage et savant clerc, furent contents. Quand il les vit ainsi, Merlin leur demanda d’accompagner Artus en Carmélide, pour le plus grand bien de la couronne de Logres.

— Mais, beau doux ami, lui répondit le roi Ban, si nous laissons nos royaumes, qu’arrivera-t-il ? Nous avons des voisins félons, et il est bien périlleux de quitter ainsi sa propre terre pour aller défendre celle d’autrui.

— Ha, sire, dit Merlin, il est bon de reculer pour sauter loin ! Sachez que pour un denier que vous perdrez ici, vous en gagnerez cent là-bas. Quelques coureurs qui pourront venir sur vos terres ne vous prendront ni un château ni une ville, et le royaume de Carmélide défendra ensuite celui de Logres et les vôtres à toujours.

— Je ferai ce que vous me conseillez, dit le roi Ban, car vous êtes plus sage que nous tous.

Mais, maintenant, le conte se tait du roi Artus et des rois Ban et Bohor, et en vient à parler de l’empereur de Rome et du jeu de Merlin, quand il quitta la Bretagne bleue et s’en fut dans les forêts de Romanie. C’est une chose digne d’être racontée à vous, seigneurs et dames.