L’Histoire de Merlin l’enchanteur/20

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Librairie Plon (1p. 76-78).


XX


Les tables levées, Merlin prit à part les trois rois, ses compagnons, et leur demanda s’il voulaient savoir ce qui se passait en Bretagne.

— Certes, répondit le roi Artus, s’il vous plaisait de nous le dire.

Alors Merlin leur conta comment Gauvain, Agravain, Guerrehès, Gaheriet et leur cousin Galessin avaient quitté leur pères, les rois Lot et Nantre, sans en avoir congé ; et comment, après avoir défait les Saines, ils se tenaient présentement à Logres et gardaient vaillamment le royaume contre les païens. Puis comment Yvain le Grand, fils du roi Urien de Gorre et d’une sœur d’Artus, et Yvain, son frère, qu’on appelait l’avoutre parce qu’il était le bâtard du roi Urien et de la femme de son sénéchal, avaient juré comme leurs cousins qu’ils ne seraient chevaliers que de la main d’Artus, et s’étaient mis en route secrètement pour les rejoindre à Logres. Puis comment Dodinel le Sauvage avait suivi l’exemple des deux Yvain ; et ce Dodinel, qui avait quatorze ans, était le fils du roi Belinant de Sorgalles et le cousin de Galessin par sa mère, Églante, fille du roi de l’Île Perdue et sœur du roi Nantre ; et on l’avait surnommé le Sauvage parce qu’il chassait avec plus d’ardeur et de passion que nul autre homme les sangliers, les cerfs et les daims dans les forêts. Puis comment Keu d’Estraux et son neveu Keheddin le Beau, qui étaient vassaux du roi Brangore d’Estrangore, et plusieurs autres preux et hardis damoiseaux, fils de rois, de comtes et de ducs, s’étaient rendu auprès de Gauvain, souhaitant comme lui de recevoir leurs armes d’Artus.

Sachez que l’histoire du perron merveilleux et de la défaite des onze rois à Kerléon avait tant couru par toutes terres et pays qu’elle était venue jusques en la cité de Constantinople. La vivait Sagremor, petit neveu de l’empereur et fils du premier lit de la femme au roi Brangore d’Estrangore, laquelle avait épousé en premières noces le roi de Blasque et de Hongrie. C’était le plus bel enfant du monde, le plus fort et le mieux taillé, et il n’avait guère plus de quinze ans. Quand il eut oui parler des prouesses du roi Artus de Bretagne, Sagremor jura qu’il ne serait armé chevalier que par lui. Si bien que l’empereur Adrian de Constantinople fit appareiller une nef qui le conduisit à Douvres, et de là Sagremor gagna Logres, passant à travers l’armée des Saines grâce au secours que lui donnèrent les enfants du roi Lot, du roi Urien, du roi Belinant et les autres damoiseaux, Et comment il le fit, Merlin le conta à Artus, à Ban et à Bohor.

— Sachez maintenant que vous aurez encore assez de besogne, ajouta-t-il, car les Saines mécréants font rude guerre au royaume de Logres. Le roi Rion les mène, qui défit vingt-cinq rois couronnés. De leurs barbes, il a fourré son manteau, et il a juré d’avoir les vôtres. Les païens sont si nombreux qu’à peine les saurait-on compter. Ils ravagent les terres des onze princes rebelles, qui tiennent péniblement contre eux dans leurs châteaux.

— Bel ami, dit Ban de Benoïc, prenez pitié de leurs fiefs, car je sais bien que, si vous leur manquez, ils perdront tout, et ce sera au grand dommage du royaume de Logres.

— Ils ne seront pas détruits, dit Merlin.

Là-dessus, il disparut.