L’Histoire de Merlin l’enchanteur/24

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Librairie Plon (1p. 86-88).


XXIV


Ils arrivèrent au Val Périlleux, que l’on appela plus tard Val Sans Retour, quand Morgane l’eut enchanté de telle façon que nul chevalier n’y pût entrer sans s’y trouver retenu à danser, chanter et festoyer dans la plus agréable compagnie du monde ; et cela jusqu’à ce que vînt un fils de roi, qui n’eût jamais faussé ses amours et qui fût le meilleur chevalier de son temps.

, Merlin conduisit Artus à un trésor que le roi fit déterrer et qu’il envoya à Logres par tonneaux dans des charrettes. Et, dessous un chêne très vieux, on découvrit aussi, dans un coffre, quinze épées précieuses, admirablement trempées.

Artus et ses chevaliers, suivis des garçons qui menaient les sommiers portant le bagage, chevauchaient en armes tout le jour, car le pays était infesté de Saines. Un soir, comme il avait fait très chaud, ils se reposaient au frais sur l’herbe verte, à l’ombre des arbres, lorsqu’ils virent venir à eux une troupe de damoiseaux, tous beaux et bien vêtus, qui se tenaient par la main, et qui demandèrent aux premiers chevaliers qu’ils rencontrèrent où était le roi Artus.

— Voyez-le ci, mes enfants, entouré de ses prud’hommes, sous ce chêne, répondit Nascien. C’est le plus jeune d’eux tous.

Aussitôt les jouvenceaux furent devant le roi s’agenouiller.

— Sire, dit le plus grand, je viens à vous, avec mes frères et nos cousins et parents, comme à notre seigneur lige. Nous souhaitons tous de recevoir de vous l’ordre de chevalerie, et si cela vous agrée, nous vous servirons à toujours loyalement et fidèlement. Durant votre absence, ceux-ci ont défendu votre terre contre vos ennemis, comme si elle était leur, et ils ont souffert pour cela d’assez grandes peines ; si je veux que vous le sachiez, c’est qu’on peut dire à un prud’homme ce qu’on a fait pour lui, tandis qu’à un mauvais, c’est inutile : il n’en a point de gré.

Quand le roi Artus entendit le damoisel parler si sagement, il le prit par la main et le fit lever ainsi que les autres ; puis il lui demanda qui ils étaient.

— Sire, on m’appelle Gauvain et je suis fils du roi d’Orcanie, et ceux-ci sont mes frères Agravain, Guerrehès et Gaheriet. Ce petit gros est notre cousin Galessin, fils du roi Nantre de Garlot. Voici les deux Yvain, fils du roi Urien de Gorre. Ce grand et vigoureux damoisel est Dodinel, fils du roi Belinant de Norgalles. Et les autres sont gentilshommes, car voici Keu d’Estraux et Keheddin le Petit qui sont au roi d’Estrangore, et Yvain aux Blanches Mains, Yvain le Clain, Yvain de Rinel, Yvain de Lionel qui appartiennent au roi Lot, mon père, et qui sont fils de comtes. Celui-là, au visage souriant, qui est si bien bâti, c’est Sagremor, neveu de l’empereur de Constantinople ; il est venu de sa terre lointaine pour recevoir ses armes de vous et, s’il veut, nous serons compagnons, lui et moi, tant qu’il lui plaira de rester en ce pays.

Le roi Artus fit grand accueil aux enfants et embrassa Gauvain.

— Beau neveu, lui dit-il, je vous octroie la charge de connétable de mon hôtel.

Et il l’investit par son gant gauche.