L’Homme qui revient de loin/6

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CHAPITRE VI

OÙ LE DOCTEUR MOUTIER PARLE RAISON



Oh ! madame, je ne suis pas folle, protestait doucement Marthe, à qui le docteur faisait respirer des sels et qui, d’un geste inconscient, repoussait le flacon… Surtout, ne dites rien de tout cela à mon mari… S’il savait, il me tuerait !…

— Il vous tuerait !… Mais vous voulez rire, ma pauvre enfant !… C’est lui qui, s’il vous entendait, rirait !… »

C’était le docteur qui parlait ainsi en pressant dans ses mains les mains de Marthe. À ce contact réchauffant et solide, à cette bonne voix bien vivante, Marthe semblait reprendre des forces, revenir à la vie réelle des gens et des choses.

« Que voulez-vous dire ? docteur, demanda-t-elle.

— Je veux dire que je viens de vous étudier… Je sais maintenant quelle est votre maladie, allez !… Elle est tout entière dans cette petite cervelle-là. Il y a longtemps que vous vivez avec cette idée que votre excellent ami, M. André de la Bossière, est mort assassiné !… Avouez que c’est une idée dont vous ne pouvez pas vous défaire… qui vous poursuit partout… Avouez que c’est elle qui a fini par vous pousser ici, pour demander cette séance de table tournante où vous espériez bien qu’elle apparaîtrait enfin exprimée en dehors de vous-même !… Mais, ma pauvre petite… il ne faut pas vous dissimuler une seconde, que c’est vous-même qui avez répondu à vos propres questions !… entendez-vous bien !… inconsciemment, certes ! Mais c’est vous qui avez fait remuer la table aux bons endroits, sans vous en apercevoir !

— Ça, je ne le crois pas une seconde, s’écria Mlle Hélier, dont l’irritation éclata sans pudeur… C’est l’esprit qui était là !… c’est l’esprit qui a frappé, et rien ne me retirera maintenant de la tête que M. de la Bossière a été assassiné !…

— Eh bien ! gardez-donc cette idée-là dans votre tête… et qu’elle n’en sorte pas !… c’est tout ce que l’on vous demande ! répliqua Fanny avec brutalité… Si l’on vous écoutait, vous nous rendriez tous fous, ici, avec vos histoires de l’autre monde !…

— L’autre monde et celui-ci ne font qu’un, madame !

— Je vous en prie, mademoiselle !… commanda la rude voix de Jacques… Ce n’est pas le moment de faire un cours de spiritisme. Vous devez vous rendre compte que Mme Saint-Firmin est très malade !… et par votre faute !…

— Chut !… elle pleure… dit le docteur… Laissez-la pleurer, cela lui fera du bien !… »

Marthe était en proie, en effet, à une véritable crise de larmes et de sanglots… Quand elle fut un peu calmée, le docteur pria qu’on le laissât seul avec la jeune femme, ce que l’on fit aussitôt. Jacques et Fanny se retrouvèrent en pleine lumière. Fanny s’étonna de la pâleur de son mari.

« Mon Dieu ! vous voilà aussi pâle que Mme Saint-Firmin !

— Oui, cette idée que mon malheureux frère a pu être assassiné m’a complètement bouleversé !…

— Mais vous n’allez pas être aussi stioupide que cette petite… Remettez-vous, darling !… Ah ! quelle histoire ! si j’avais su… Mais vous ne croyez pas aux tables tournantes, petit tchéri.

— Pas plus que vous… et je suis sûr que le docteur ne fait semblant d’y croire que pour se rendre intéressant auprès de sa clientèle féminine… Cependant, quand la table s’est soulevée… et que l’alphabet a annoncé André, je ne vous cache pas que j’en ai eu froid jusque dans les moelles…

— Réchauffez-vous ! réchauffez-vous ! en embrassant votre petite femme, petit tchéri !… »

Il lui baisa la main et ils retournèrent vite aux salons où ils retrouvèrent Saint-Firmin qui s’inquiétait justement de l’absence de sa femme. Fanny lui apprit qu’elle était allée voir dormir les enfants, avec Mlle Hélier, et il se remit à son bridge.

Ce soir-là, quand tous les invités furent partis et que les hôtes eurent regagné leurs appartements, le docteur, Jacques et Fanny se retrouvèrent dans le boudoir.

« Eh bien ? demanda Fanny, va-t-elle mieux ?

— Oh ! elle est plus malade que je ne le croyais, répondit le docteur !… « Elle a des apparitions ! »

— Des apparitions ?…

— Enfin, elle a eu une apparition !… André lui est apparu !

— Non !

— Pas plus tard qu’hier !… dans son jardin, au bord de l’eau… elle l’a très bien reconnu… et André lui a parlé… André lui a dit qu’il avait été assassiné !… Là-dessus elle s’est trouvée mal, et quand elle est revenue à elle, André avait disparu…

— Tu penses ! dit Jacques.

— Oh ! mais alors, elle est à enfermer, la pauvre petite ! dit Fanny…

— Non ! elle n’en est pas là… Je l’ai interrogée très à fond, et elle se rend très bien compte qu’elle a pu être victime d’une hallucination… d’autant plus que le fantôme traînait derrière lui un bruit de chaîne… comme dans toutes les histoires fantastiques de revenants… Alors elle se dit maintenant qu’elle a en peut-être une imagination… Et savez-vous pourquoi elle est accourue au golf aujourd’hui ? parce qu’elle a peur maintenant de rester seule avec son mari ; et je vais vous dire autre chose, entre nous… quelque chose qu’elle ne m’a pas avoué, qu’elle ne m’a pas confié… Cette petite est persuadée qu’André a été assassiné par son mari !… Il y a eu certainement une histoire terrible au moment du départ d’André, entre elle, André et le vieux Saint-Firmin. Quoi qu’il en soit, je lui ai conseillé de venir ici le plus souvent possible… lui disant qu’elle y trouvera de vrais amis… Tachez de la confesser… et nous tâcherons de la guérir… Quand nous connaîtrons toutes les données du problème, nous le résoudrons raisonnablement, et nous chasserons de cette pauvre tête, tous les fantômes qui la hantent.

— Mais dites donc, docteur, fit entendre Fanny, vous oubliez que vous croyez vous-même aux fantômes ?…

— Je ne crois pas aux fantômes qui traînent des chaînes derrière eux, répondit le bon docteur, avec un large sourire, et voyez-vous, madame, chaque fois que je puis expliquer une manifestation de l’Au-delà par un phénomène de chez nous comme, par exemple, par l’état d’esprit de cette petite, je n’y manque jamais ! D’abord, c’est plus facile et ça ne m’empêche pas de dormir. Allons nous coucher. »