L’Hypnotisme et les Religions/III
Il n’y a personne qui n’ait entendu parler de convulsionnaires jansénistes. Ces fanatiques — sous l’influence de leur exaltation religieuse — tombaient dans un état nerveux extraordinaire qui non seulement les rendait insensibles aux coups et aux tortures, mais les leur faisait même rechercher avec ardeur, à tel point que les différents supplices auxquels ils se livraient volontairement avaient reçu le nom de secours. Ces étranges phénomènes ont duré pendant près d’un demi-siècle, en plein cœur de Paris. Ils ont été constatés d’une manière authentique et irréfragable, parfois même par acte notarié. Ils ont eu pour témoins des philosophes et des incrédules, comme Diderot et La Condamine, des gens de cour et des officiers de la maison du roi. La correspondance de Grimm (sorte de journal secret, envoyé aux divers potentats et aux personnages les plus considérables de l’Europe) en fait mention en plusieurs endroits. On en trouve également la relation dans l’histoire de Dulaure et dans une foule d’ouvrages très sérieux. Il est donc impossible de les révoquer en doute.
Or, entre autres expériences, était celle de la crucifixion. On lit dans la correspondance de Grimm (tome III, pages 18 à 29) le récit d’une scène de ce genre, dont La Condamine fut témoin, et dont il a dressé le procès-verbal séance tenante, à mesure que les faits s’accomplissaient. Deux femmes furent crucifiées en même temps en sa présence, le 13 avril 1750. L’une d’elles, nommée Françoise, l’avait été déjà deux fois. Ce jour-là, elle resta trois heures trente-cinq minutes clouée sur la croix. Le supplice avait commencé à sept heures. À huit heures un quart on mit la croix la tête en bas ; on l’y laissa un quart d’heure, et pendant ce temps Françoise lisait la Passion à haute voix. À huit heures trois quarts on applique à sa poitrine douze épées nues, avec assez de force pour que plusieurs aient plié sous l’effort. Entre autres l’épée du marquis de la Tour-du-Pin, brigadier des armées du roi, qui en fit tâter la pointe aiguë à M. de La Condamine. À dix heures, on enlève les clous des mains. (La Condamine en a conservé un.) À dix heures douze minutes, on relève la croix, où Françoise n’est plus clouée que par les pieds, ce qui n’empêche pas de mettre la croix presque debout contre la muraille. On lui fait alors une blessure au côté, avec une lance qui pénètre de trois lignes environ. À dix heures trente-cinq minutes, on ôte les clous des pieds et La Condamine prête son concours à cette opération. M. Figuier, dans son livre sur le merveilleux, dit de ces faits extraordinaires : « Ceux qui se sont passés en présence d’un public nombreux, qui ont même été établis juridiquement, ne peuvent être révoqués en doute. » (Tome I, page 397.)
Cette scène du crucifiement, rien ne serait plus facile que de la renouveler à l’aide des sujets hystériques de nos hôpitaux. Si on ne le fait pas, c’est purement par scrupule professionnel et par prudence, à cause des complications possibles. Mais dans les Indes, où règne une exaltation religieuse auprès de laquelle celle de nos extatiques chrétiens est insignifiante, on voit tous les jours des scènes encore plus extraordinaires. Les prêtres indiens se font suspendre par des crampons de fer entrés dans leurs chairs, supplice bien plus affreux que celui de la croix. Ils restent ainsi des journées entières jusqu’à ce qu’ils tombent dans un état de catalepsie présentant toutes les apparences de la mort. On les enterre alors avec pompe ; puis, après un certain délai, qui est parfois de plusieurs jours, on ouvre leurs tombeaux, et ils reviennent à la vie.
On sait qu’il est souvent difficile de distinguer l’état de léthargie ou de catalepsie de celui de la mort véritable. Monseigneur Donnet, archevêque de Bordeaux, a bien souvent raconté, soit en chaire, soit dans les salons, et une fois en plein Sénat, que, dans sa jeunesse, alors qu’il était simple missionnaire, il avait failli être enterré vivant, par suite d’une attaque de catalepsie que les médecins avaient prise pour la mort. On l’avait exposé sur un lit de parade, revêtu de ses habits sacerdotaux, et on allait clouer le cercueil, lorsque arriva un de ses amis intimes, en proie à un violent désespoir. Celui-ci se jeta sur le corps de son ami, lui parlant et lui faisant les plus déchirants adieux. À sa voix, le mort supposé reprit l’usage de ses sens et revint à la vie. Personne n’ignore qu’il atteignit depuis un âge très avancé.
M. Renan suppose que les apôtres, en croyant voir Jésus vivant après son supplice, ont été les jouets d’une hallucination. C’est là le point faible de son grand ouvrage sur les origines du christianisme. Croyants et incrédules se refusent à admettre qu’une simple hallucination ait pu engendrer une foi aussi ardente, une conviction aussi absolue, un mouvement religieux assez puissant pour transformer le monde païen. Non, les apôtres et les disciples n’ont pas été les jouets d’une hallucination. Ils ont réellement revu Jésus, merveilleusement échappé à la mort et vivant après son supplice. On sait que l’on pouvait rester sur la croix des journées entières sans mourir. Les suppliciés d’un tempérament robuste n’y mouraient que de faim. Jésus n’y est resté que quelques heures. Sous l’influence de la douleur et de l’exaspération nerveuse, résultat de la suspension de la croix, il a pu tomber dans un état léthargique ou cataleptique présentant toutes les apparences de la mort, mais qui aura cessé de lui-même et tout naturellement dans le repos de la chambre sépulcrale, ou bien auquel auront mis fin les ablutions et les frictions aromatiques en usage à cette époque dans les rites funéraires des Juifs.
Dans cette hypothèse, l’ascension s’expliquerait très simplement. Les ennemis de Jésus, ayant entendu parler de sa résurrection, furent dans un grand émoi. Ses amis réussirent à lui persuader de disparaître pendant un certain temps et de se cacher jusqu’à des jours meilleurs. Jésus donna donc un dernier rendez-vous à ses principaux disciples et leur fit ses adieux, leur promettant de revenir un jour. Après quoi il s’éloigna par un sentier de la montagne et disparut dans le brouillard, se rendant à quelque retraite cachée, probablement dans une de ces maisons à demi monastiques que possédaient les Esséniens, secte religieuse à laquelle Jésus appartenait.
Quant à la question de savoir ce qu’est devenu Jésus, il est probable qu’il mourut dans sa retraite — cette fois d’une manière réelle — peu de temps après avoir quitté ses disciples, par suite des émotions et des souffrances qu’il avait endurées. C’est ce qui l’empêcha de tenir la promesse qu’il avait faite de revenir bientôt au milieu des siens. Mais les premiers chrétiens — comptant sur sa parole — attendirent obstinément son retour. Le mot de salutation et de reconnaissance de la primitive Église était celui-ci : « Le Seigneur va venir. » Cette tradition, consacrée par l’Apocalypse, s’est transformée en article de foi. Aujourd’hui encore toutes les Églises chrétiennes croient au second avènement de Jésus-Christ.