La Muse gaillarde/L’Idole
Impératrice de mon cœur,
Reine de moi, ma bien-aimée,
Ineffable et divine fleur,
Toi dont ma vie est affamée,
Seul guide de mes actions,
Va, je ne crois pas que tu aies
Aucunes imperfections,
Mon amour les ayant tuées.
Or, aujourd’hui que la bonté
Émane de toutes les choses
Et fait pâmer de volupté
Le cœur des femmes et des roses,
Que la terre entière et les cieux
Chantent comme une même lyre,
Toi seule, ô gloire de mes yeux,
Pourquoi ne veux-tu pas sourire ?
Vois, dans l’air de myosotis
Règne une candeur infinie :
Si tu m’es farouche, ô mon lis,
Tu troubleras cette harmonie.
Tu sais bien pourtant que ta voix
Est ma plus suave musique,
Et que l’instant où je te vois
Est ma distraction unique.
Tu sais bien que tes yeux de ciel
Sont mes vivantes pierreries,
Et que je cueille tout mon miel
Sur tes belles lèvres fleuries ;
Qu’auprès de ces rouges rubis
Tout rubis me paraît exsangue ;
Que les paroles que tu dis
Sont les plus claires de ta langue ;
Tu sais qu’amoureux de tes pas
Le jour est pour moi sans lumière,
Quand tes regards ne brillent pas
De leur tendresse coutumière ;
Que tu me grises sans merci,
— Ô toi dont la grâce est l’esclave,
De tes chers baisers, frais ainsi
Que le vin qui sort de la cave ;
Tu sais que la nature en vain
Fait parade de ses merveilles,
Si tu me laisses avoir faim
De tes chairs blondes et vermeilles ;
Que par un seul de tes cheveux,
— Comme un chien que l’on mène en laisse —
Tu peux me conduire où tu veux,
Dompté par ta seule faiblesse.
Comment puis-je te désarmer,
Moi qui par ton souffle respire,
Moi qui suis roi rien qu’à t’aimer,
Poète rien qu’à te le dire ?
Sache donc, mignonne, le cœur
Inséparable du mot j’aime,
— Ainsi le parfum de la fleur
N’est rien autre que la fleur même.
Ah ! je vois bien que tu m’entends,
Car dans ta bouche minuscule
Déjà le rire de tes dents
Allégrement tintinnabule.