L’Idylle vénitienne/Amori et Dolori
AMORI ET DOLORI
Du haut du clocher de Saint-Marc, la foule, sur la Piazza, ressemble à l’ombre d’un nuage qui passe.
Le cri des bateaux à vapeur n’arrive plus jusqu’à nous.
Rien ne gêne tes yeux, à présent, ni ne harcèle tes oreilles…
Accoude-toi à la balustrade ; mets ton front dans ta main…
D’ici, l’on voit les morts renaître !
Regarde !
Wagner revient du Lido, en gondole, sa tête lourde sur les genoux de Cosima… Musset, au café Florian, mêle des pleurs à son sorbetto… Pâle et tragique, Byron, en spencer gris, quitte le palais Mocenigo et vogue vers quelque rendez-vous… Oubliant Charlotte de Stein, Gœthe, sur le Rialto, sourit à Bettina qu’il croise… Aux Zattere, Bernis et Casanova escaladent le mur d’un couvent… Jean-Jacques, dans l’enclos de San-Biagio, cueille, le long des buis taillés, un bouquet de pervenches pour le corsage d’Anzoletta… Desdémone sanglote à son balcon…
Venise, cité des baisers et des larmes, Venise, — petits morceaux de jardins, petites îles d’albâtre, éparpillés au pied du campanile, — vous êtes, Venise, une lettre d’amour déchirée qui flotte sur un coin de mer bleue !