L’Idylle vénitienne/Nocturne

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Georges Crès et Cie, Éditeurs (p. 46-48).


NOCTURNE


Autour de la serenata, sous le petit arc-en-ciel de ses lanternes tremblantes, les proues altières attendent, immobiles… Tout se tait… Seuls, par instants, le souffle d’un éventail, pareil au battement d’une aile… le murmure d’une robe étroite qu’un bas de soie frôle en dedans… le bruit furtif d’un baiser sur la peau fine d’un cou de femme…

Avertie et Floche sont là, et cette amante que M. de Régnier a faite si peureuse et si triste, et Antonia de Moldère, et celle pour qui je soupire, — assises sur les coussins de plume, habillées de satin mou, minces et blondes, les seins luisants sous l’écharpe tendue, et l’âme toute grande ouverte.


— L’Altalena ! crie-t-on aux chanteurs.

— Ciribiribin !

— Maria Mari !

— L’Ora Squisita, di Rinaldo Hahn ! supplie une voix pâmée.

Et, soudain, des guitares vibrent. Lents et subtils, les arpèges s’égrènent. Un ténor, dans la paix de la nuit, lance, comme un vol d’oiseaux paresseux, les couplets du doux lied nostalgique.

Ils planent dans l’air lourd, au ras du canal ; ils effleurent les tempes tièdes, les doigts fiévreux, les cœurs frémissants ; et chaque note est un petit cygne qu’étreint, dans chaque gondole, au passage, une ardente et câline Léda.