L’Idylle vénitienne/Prélude

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Georges Crès et Cie, Éditeurs (p. 11-13).


III

PRÉLUDE


Il n’y avait plus, dans le bar de l’hôtel, que moi — près de la fenêtre — et elle — devant la table des magazines.


Je m’amusais à parler seul, comme quand on rêve. Je disais : « Une dame est là, en face de moi… une dame qui regarde l’Illustrated London… et qui boit une tasse de thé… et qui a de jolis yeux bleus, une jolie bouche rouge, un joli visage fin, un joli corps svelte et fragile… une dame que j’aimerais embrasser… »


Mais elle ne comprenait rien de tous ces mots, sans doute… Le journal qu’elle tenait ne tremblait même pas dans ses mains… « Les Anglaises, pensai-je, déçu, sont si rarement polyglottes ! »


Et j’ai achevé mon cocktail… j’ai fumé des cigarettes… j’ai chantonné un petit air triste.

Cinq minutes… Dix minutes… Un quart d’heure…

Enfin, elle s’est levée. Elle a sonné. Le barman est venu.

— Combien vous dois-je ? lui a-t-elle demandé, à voix très haute, en français, presque sans accent.

Et ses yeux, soudain, ont cherché mes yeux. Elle a souri.

Puis, très vite, elle s’en est allée.