L’Illusion héroïque de Tito Bassi/Avertissement

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Société du Mercure de France (p. 5-9).

AVERTISSEMENT

Je ne voudrais pas laisser paraître ce petit livre sans avertir le lecteur qu’il n’y trouvera rien qui se rapporte aux événements actuels. La vocation héroïque que relate ce récit ne l’est point au sens où l’on s’aviserait peut-être de l’entendre si l’on donnait à ces mots leur acception d’à présent. Que le bon Tito Bassi soit un héros, on verra comment et en quoi, si l’on veut bien parcourir ces pages qui ne contiennent, je le répète, aucune allusion d’aucune sorte à l’état où nous vivons en ce moment.

Écrit au printemps de l’année 1914 et inséré dans une revue avant la date mémorable où le bulletin de nos armées devint notre seule lecture, ce court roman se rattache à des préoccupations qui nous semblent d’un autre âge, tant leur recul s’est fait vite dans le passé. Malgré cet anachronisme et surtout peut-être à cause de cet anachronisme même, j’ai cru pouvoir livrer au public ce témoignage d’une époque déjà lointaine. Qu’on le prenne donc comme un des fragments de ce miroir, maintenant brisé, où notre fantaisie d’alors aimait à considérer le visage de ses rêves !

Car, je ne saurais trop le redire, tout est imaginaire dans cette histoire, sinon les lieux où en est située l’action. J’ajouterai que ce sont ces lieux mêmes qui en ont déterminé les événements et m’en ont proposé les personnages. Tito Bassi est né à Vicence et de Vicence et c’est à elle que je le dois.

Bien souvent, au cours de vingt voyages en Italie, je me suis arrêté dans cette noble et charmante ville de Vicence. Sur le chemin de Venise, elle est, avec Vérone et Padoue, une des étapes préférées. Bien souvent j’y ai salué le Lion de Saint Marc debout sur sa colonne, auprès de la Basilique Palladienne, avant de m’engager dans les vieilles rues pittoresques qu’embellissent de majestueuses façades de Palais. Car Vicence est la ville des Palais ; ils la parent de leur pompe redondante et fastueuse, l’ornent de colonnes, de frontons, de statues et attestent le luxe et la splendeur de sa vie ancienne dont les vestiges se retrouvent aussi dans les riches et plaisantes villas qui environnent la cité, telles que cette Rotonda qui porte en son architecture l’empreinte du compas de Palladio, ou cette Valmarana, si poétique avec ses salles peintes par Tiepolo de fresques mythologiques et romanesques, de scènes de carnaval et de chinoiseries.

Vicence et ses Palais, Vicence et ses Villas, quelles belles images m’a laissées son décor pompeux et singulier, soit par la douce clarté du printemps, soit par la riche lumière de l’automne ! C’est durant ces journées de promenades et de flâneries que j’ai rencontré le pauvre Tito Bassi et que je me suis conté ses aventures imaginaires et son héroïque illusion. Qu’il me pardonne de l’avoir reçu de sa ville natale ! Ce n’est pas moi qui l’ai inventé. C’est Vicence elle-même qui me l’a offert et, si je l’ai accepté tel qu’elle me le présentait, ce ne fut que pour mieux me souvenir d’elle et pour le lui rendre en faible témoignage de ma gratitude charmée.

Si j’ai insisté sur l’origine de ce petit récit, c’est aussi pour y trouver à sa publication une sorte d’opportunité qu’elle n’aurait peut-être pas autrement. En ces heures où nos regards se tournent vers l’Italie avec une fraternelle amitié, n’est-il pas juste que ces pages où revivent quelques aspects de son passé attestent, une fois de plus, quelle abondante source d’inspiration elle fut toujours pour nos artistes et nos écrivains ? Qu’il soit permis à l’un d’entre eux de s’en souvenir et de le rappeler.

R.

Juin 1916.