L’Illustre Piégelé/L’Ours
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L’OURS
Scène première
Écoute-moi bien, Piégelé.
Je suis tatoué, Lapotasse… (Se reprenant.) Heu !… je suis tout ouïe, c’est-à-dire…
Grâce à mon intervention, te voici enfin parvenu à la réalisation de tes vœux les plus chers : tu es artiste ! Dans un instant, tu auras paru devant ton souverain juge, le grand public parisien. Tu y auras parti, il est vrai, sous les traits modestes d’un ours, mais… — Piégelé, tu me porte sur les nerfs, à regarder ta tête au lieu de m’écouter.
Je t’écoute, La potasse, je t’écoute.
Je t’en suis obligé. — … Mais, dis-je, il n’y a pas de petits emplois, il n’y a que de petits acteurs. Médite cette vérité. Ceci posé, prête la plus attentive oreille aux instructions que tu vas recevoir de ton aîné, maître, et ami. … De tes débuts, Piégelé, une carrière tout entière dépend !… — Mon Dieu que tu es agaçant de laisser tomber ta tête à chaque minute.
Ne te fâche pas, Lapotasse.
De tes débuts, — j’insiste sur ce point essentiel, — dépend une carrière tout entière. Donc… — Quand tu auras fini de débarbouiller ta tête avec le fond de ta culotte, tu me feras an sensible plaisir — … voici la situation ; tâche voir à ne pas te tromper. Je fais le Brésilien Hernandez ; toi tu fais l’ours que je dois tuer d’un coup de rifle. Très bien ; je suis en scène et je dis : « Caramba ! »
Caramba !… C’est de l’espagnol !
Très important. Ne t’inquiète pas de ça, ce n’est pas ton affaire. Est-ce que tu es compétent pour savoir si c’est de l’espagnol ? Non. Alors, de quoi te mêles-tu ? Haussement d’épaules. C’est curieux, ce besoin de compéter sans, savoir. D’abord, les Brésiliens sont des espèces d’Espagnols.
C’est juste. Continue.
Bon ! Au même moment ou je dis : « Caramba ! ». toi tu entres, et tu imites l’ours. Sais-tu imiter l’ours ?
Oh ! très bien.
Imite voir.
« Hoû ! Hoû ! Hoû ! ».
Tu y es. Moi, là-dessus, qu’est-ce que je fais ? Je te fous un coup de fusil.
Pour de rire ?
Naturellement, pour de rire. Alors tu tombes mort, et c’est tout. Tu as bien compris ?
Parbleu ! me prends-tu pour un idiot ? — Ah ! dis donc, et si le fusil rate ?
Le cas est prévu : j’ai une arme à deux coups. Tu attendrais.
Entendu.
Hé bien ! attention tiens-toi prêt ! Voici le moment de mon entrée.
Sois tranquille. À part. Je crois que je ne serai pas mal, dans l’ours. Je le sens, ce rôle, je le sens !
Scène II
« Caramba ! » Entrée de l’ours. Mouvement dans la salle.
« Hoû ! Hoû ! Hoû ! »
« Hoû ! Hoû ! »
« Attends, lâche animal ! Ah ! tu crois me faire peur ! Peur à moi !… l’intrépide Hernandez ! »
(Il ajuste l’ours de nouveau.)
« Meurs donc ! »
« Ah ! c’est ainsi ! et mon arme fidèle me trahit à l’heure du danger !… » Il empoigne l’arme par le canon et assène sur la tête de l’ours un formidable coup de crosse. — Meurs !
Sacré nom de Dieu de nom de Dieu ! Enfant de salaud qui m’a mis un coup, de crosse ! J’en ai la mâchoire détraquée et la gueule comme une tomate.