L’Impôt Progressif en France/11
CHAPITRE IX
Que la richesse en France est entre les mains d’un trop petit nombre
Nous pouvons nous faire en France une idée de l’extrême inégalité qui règne entre les citoyens, au point de vue de la répartition de la richesse. Une statistique officielle a établi ce tableau, indiquant le nombre des diverses successions déclarées en 1900 et l’importance des diverses catégories de ces successions :
De | Actif | des | Successions | Nombre | Millions de francs |
1 fr. | à | 2.000 f |
213.278 | 241 | |
Le nombre des cotes de 1 à 2 franc et au-dessous est de |
100.490 | 156.552 | |||
Le nombre des cotes de 2 à 5 franc et au-dessous est de |
218.209 | 881.614 | |||
Totaux |
358.395 | 1.074.378 | |||
De
ifr.à 2.000 f. 213.278 241
» 2.000 à 10.000 .. 97-257 554
» 10.000 à 50.000 .. 39.198 903
» 50.000 à 100.000 .. 6.964 477
» 100.000 à 250.000 .. 4.250 622
250.000 à 500.000 .. 1-473 513
> 500.000 à 1. 000.000 ..
684 453
1. 000. 000 à 5.000.000..
381 714
Au-dessus de 5.000.000 ..
27 250
363-5’5 4.767
Ce tableau peut nous servir. Si la vie moyenne, en France, est de 35 ans, comme l’indique la statistique, il suffit de multiplier par 35 les nombres ci-dessus, pour avoir le nombre des citoyens vivant actuellement, possédant les richesses qui ont été déclarées à l’enregistrement, et pour avoir la richesse appartenant à chaque catégorie.
On obtient le résultat suivant :
Fortune | Nombre des Possédants |
Total dans chaque catég. | |||
De | 1 | à | 2.000 | 7.466. 500 | 8.435.000.000 |
" | 2.000 | à | 10.000 | 3.402.000 | 16.390.000.000 |
" | 10.000 | à | 50.000 | 1.371.390 | 31.605.000.000 |
" | 50.000 | à | 100.000 | 243.740 | 16.695.000.000 |
" | 100.000 | à | 250.000 | 148.750 | 23.170.000.000 |
" | 250.000 | à | 500.000 | 51.730 | 17.445.000.000 |
" | 500.000 | à | 1.000.000 | 23.940 | 15.855.000.000 |
" | 1.000.000 | à | 5.000.000 | 13.375 | 24.990.000.000 |
Au-dessus | de | 5.000.000 | 845 | 8.750.000.000 | |
Totaux |
12.722.810 | 166.343.000.000 |
Il y aurait donc en France 12.722.810 propriétaires si l’on peut compter comme propriétaires les 4 millions de citoyens possédant de 20 sols à 500 francs et les 3 millions et demi possédant de 500 à 2.000, comme on le verra par un autre tableau, plus récent donné pour les successions de 1903. En réalité ces 7 millions et demi de prétendus propriétaires sont pour la plupart des pauvres et même des miséreux, des clients de l’assistance publique, que notre fiscalité aussi ridicule que barbare, ne laisse pas mourir sans réclamer à leurs parents des droits de mutation sur des nippes, hardes et torchons valant 20 sous. Ils ne réunissent pas, tous ensemble, une valeur égale à celle que possèdent 845 millionnaires, soit 8 milliards 750 millions.
Que Messieurs les économistes officiels viennent encore nous vanter les bienfaits de la Révolution qui aurait, suivant eux, si bien partagé la fortune générale. En réalité 238.640 citoyens possèdent 91 milliards 358 millions, c’est-à-dire plus de la moitié de la richesse totale.
Nous avons maintenant des éléments assez certains, ou approchant assez de la réalité, pour établir la répartition de l’impôt progressif devant remplacer ceux que nous avons indiqués, comme étant les moins exacts dans leur quotité et les moins justes dans leur application.
Constatons d’abord que les personnes ayant moins de 10.000 fr. de capital, c’est-à-dire moins de 400 fr. de revenu provenant de ce capital, lesquelles personnes sont au nombre de 10 millions 866 mille, seront exonérées de cet impôt ; elles forment la grande masse des contribuables actuels. Cela peut, à première vue, paraître une hérésie fiscale à notre routine proportionnelle, mais, qu’on se rassure ; le nombre des exemptés est encore bien plus grand en Angleterre, en Prusse, en Autriche, en Suisse, comme on le verra plus loin, puisque l’impôt ne commence à frapper le contribuable, que sur des sommes supérieures aux 400 fr. que nous avons admis précédemment.
Les calculs qui précèdent faits sur la statistique de 1900 sont confirmés par celle de 1903. Pendant cette dernière année, il a été déclaré à l’Enregistrement 409.164 successions pour une valeur totale de 5.320 millions. Déduction faite du passif, l’actif net soumis aux droits de mutation est réduit à 4.923.948.060, pour 389.032 successions, (les autres ne présentent sans doute aucun actif). Voici le tableau où ces successions sont classées en 13 catégories, qui entrent dans plus de détails que celui de 1900.
Nombre | Sommes | |||
Fr. | Fr. | Fr. | Fr. | |
De | 1 à | 500 | 121.558 | 32.981.111 |
» | 501 à | 2.000 | 105.597 | 136.444.987 |
» | 2.001 à | 10.000 | 102.800 | 508.509.857 |
» | 10.001 à | 50.000 | 41.848 | 903.353.842 |
» | 50.001 à | 100.000 | 7.079 | 407.463.396 |
» | 100.001 à | 250.000 | 4.523 | 687.206.062 |
» | 250.001 à | 500.000 | 1.525 | 525.158.460 |
» | 500.001 à | 1.000.000 | 706 | 498.194.626 |
» | 1.000.001 à | 2.000.000 | 353 | 194.298.934 |
» | 2.000.001 à | 5.000.000 | 119 | 361.886.336 |
» | 5.000.001 à | 10.000.000 | 17 | 133.043.425 |
» | 10.000.001 à | 50.000.000 | 7 | 104.774.564 |
Au-dessus de 50 millions | 1 | 50.634.460 | ||
Totaux | 386.032 | 4.923.948.060 | ||
Il résulte des chiffres précédents qu’il est décédé en France, l'an dernier, 497 millionnaires, puisque 497 successions supérieures à un million ont été déclarées. La succession de 50.634.460 francs est évidemment celle de M. Arthur de Rothschild, dit le National Suisse.
Si l’on réunit les successions au-dessus de 100.000 francs, on voit que 7.151 successions (représentent une richesse totale de 2.255.197.867 francs. En multipliant ces chiffres par 35 comme précédemment, on arrive à cette conclusion que 250.285 citoyens possèdent une richesse de 78.931.927.345 francs, c’est-à-dire à peu près la moitié de la fortune totale de la France. Quant à la succession au-dessus de 50 millions, elle présente un actif atteignant presque le double de celui de 121.558 successions de la première catégorie.
Voilà où nous en sommes en fait d’égalité, de fraternité, grâce à nos lois fiscales et à nos lois de procédure !